CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. DÁMASO RUIZ-JARABO COLOMER
présentées le 14 mars 1996 ( *1 )
1.
Le recours que la Commission a introduit contre le royaume de Belgique fait grief à celui-ci d'avoir manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 48 du traité CE et des articles 3 et 7 du règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté ( 1 ) (ci-après le « règlement »).
2.
Le royaume de Belgique se serait rendu coupable d'un tel manquement en maintenant en vigueur certaines dispositions légales et réglementaires nationales qui subventionnent et favorisent l'accès à l'emploi des jeunes qui ont terminé leurs études secondaires dans un établissement organisé, subventionné ou reconnu par l'État belge ou par une de ses communautés. Selon la Commission, ce régime comporte une discrimination occulte en faveur des jeunes belges, puisque ce sont eux qui, en majorité, remplissent cette condition, et au détriment des autres jeunes de la Communauté qui sont à la recherche de leur premier emploi.
3.
Concrètement, la Commission demande à la Cour de « constater
-
qu'en exigeant, d'une part, dans l'article 124 de l'arrêté royal du 20 décembre 1963, remplacé par l'article 36 de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, que les jeunes travailleurs à la recherche de leur premier emploi aient terminé leurs études secondaires dans un établissement subventionné ou reconnu par l'État belge (ou par une de ses communautés) pour bénéficier des allocations d'attente et,
-
d'autre part, en incitant simultanément les employeurs à engager les bénéficiaires de ces allocations de chômage en prévoyant, dans les articles 81 à 84 de la loi du 22 décembre 1977 et 2 à 9 de l'arrêté rovai n° 123 du 30 décembre 1982, que l'État prendra en charge, dans ce cas, les rémunérations et cotisations sociales afférentes à ces travailleurs s'ils sont chômeurs complets indemnisés,
le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 48 du traité CE et des articles 3 et 7 du règlement n° 1612/68 ».
Les dispositions nationales controversées
4.
Les dispositions de droit national dont l'application combinée constituerait le manquement allégué peuvent être réparties en deux catégories: celles qui concernent l'« allocation d'attente » et celles qui ont trait aux programmes spéciaux de résorption du chômage.
5.
Au nombre des premières figure l'article 124 de l'arrêté royal du 20 décembre 1963 aux termes duquel:
« ... pour pouvoir bénéficier des allocations de chômage, les jeunes travailleurs à la recherche d'un premier emploi doivent impérativement avoir terminé des études de plein exercice du cycle secondaire supérieur ou du cycle secondaire inférieur de formation technique ou professionnelle dans un établissement organisé, reconnu ou subventionné par l'État ».
6.
L'article 36 de l'arrêté royal du 25 novembre 1991, portant réglementation du chômage, s'est substitué à l'article 124 de l'arrêté royal précité et a remplacé, pour les jeunes à la recherche d'un premier emploi, l'ancienne « allocation de chômage » par ce qu'il convient d'appeler désormais l'« allocation d'attente ». Le texte modifié est le suivant:
« § 1er.
Pour être admis au bénéfice des allocations d'attente, le jeune travailleur doit satisfaire aux conditions suivantes:
1o
ne plus être soumis à l'obligation scolaire;
2°
a)
soit avoir terminé des études de plein exercice du cycle secondaire supérieur ou du cycle secondaire inférieur de formation technique ou professionnelle dans un établissement d'enseignement organisé, subventionné ou reconnu par une communauté;
b)
soit avoir obtenu devant le jury compétent d'une Communauté un diplôme ou certificat d'études pour les études visées sous a;
... »
7.
Pour ce qui est de la politique de l'emploi, la loi du 22 décembre 1977 relative aux propositions budgétaires 1977-1978 comportait un chapitre intitulé « Programme de résorption du chômage » dans lequel figure, à la section 3 « Cadre spécial temporaire », l'article 81 qui dispose que:
« § 1er. L'État peut prendre en charge la rémunération et les cotisations sociales y afférentes des travailleurs qui sont occupés par des promoteurs ( 2 ) de projets pour l'accomplissement de tâches présentant un intérêt d'ordre collectif et qui sont recrutés parmi les demandeurs d'emploi suivants:
1
° les chômeurs complets ( 3 ) indemnisés;
2°
les chômeurs complets visés par l'article 123, § 5, de l'arrêté royal du 20 décembre 1963 relatif à l'emploi et au chômage;
... »
8.
Aux termes de l'article 87 de la même loi, l'Office national de l'emploi est chargé du paiement de la rémunération due à cette catégorie de travailleurs.
9.
L'Office national de l'emploi est, de la même manière, réputé être l'employeur de ces travailleurs aux fins de l'application des dispositions du droit fiscal et de la sécurité sociale. L'accomplissement des obligations qui incombent à l'employeur en application de ces dispositions, en ce comprises les dispositions relatives aux accidents du travail et aux maladies professionnelles, ainsi que les obligations en matière de cotisation et d'affiliation, ou en application des dispositions relatives à l'impôt sur le revenu incombe donc à l'Office national de l'emploi en ce qui concerne les travailleurs engagés par des promoteurs de projets ( 4 ) dans le « cadre spécial temporaire ».
10.
Enfin, l'arrêté royal n° 123, du 30 décembre 1982, relatif à l'engagement de chômeurs affectés à certains projets d'expansion économique au bénéfice de petites et moyennes entreprises, dispose ce qui suit:
« 2. § 1er.
Dans la limite des crédits budgétaires, l'État peut, pendant une période de deux ans maximum, prendre en charge dans la mesure précisée à l'article 3, § 2, les rémunérations et les cotisations sociales y afférentes ( 5 ) des travailleurs visés à l'article 5, engagés pour la réalisation d'un projet.
...
5.
Les emplois visés par le présent arrêté ne peuvent être occupés que par des chômeurs complets indemnisés.
Pour l'application du présent article, sont également considérés comme chômeurs complets indemnisés les chômeurs occupés par les pouvoirs publics, les travailleurs occupés dans le cadre spécial temporaire et les travailleurs engagés dans le troisième circuit de travail. »
Les dispositions du droit communautaire prétendument transgressées
11.
L'article 48 du traité garantit la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté. Son paragraphe 2 dispose que la libre circulation implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.
12.
L'article 1er du règlement développe ce principe général et dispose que:
« 1. Tout ressortissant d'un État membre, quel que soit le lieu de sa résidence, a le droit d'accéder à une activité salariée et de l'exercer sur le territoire d'un autre État membre, conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l'emploi des travailleurs nationaux de cet État.
2. Il bénéficie notamment sur le territoire d'un autre État membre de la même priorité que les ressortissants de cet État dans l'accès aux emplois disponibles. »
13.
L'article 3 du règlement dispose que:
« 1. Dans le cadre du présent règlement, ne sont pas applicables les dispositions législatives, réglementaires ou administratives ou les pratiques administratives d'un État membre:
-
qui limitent ou subordonnent à des conditions non prévues pour les nationaux la demande et l'offre de l'emploi, l'accès à l'emploi et son exercice par les étrangers,
-
qui, bien qu'applicables sans acception de nationalité, ont pour but ou effet exclusif ou principal d'écarter les ressortissants des autres États membres de l'emploi offert.
... »
14.
Enfin, l'article 7 du règlement dispose que:
« 1. Le travailleur ressortissant d'un État membre ne peut, sur les territoires des autres États membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d'emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement et de réintégration professionnelle ou de réemploi s'il est tombé en chômage.
2. Il y bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux.
... »
Considérations préliminaires sur la position de la Commission
15.
Ni l'avis motivé ni la requête ne permettent de discerner avec certitude si la Commission entendait limiter la portée de son recours aux seuls enfants des travailleurs migrants; une lecture combinée des arguments qu'elle expose et des conclusions qu'elle formule à la fin de sa requête ne permet pas davantage de lever totalement l'ambiguïté.
16.
La Commission s'est, en effet, référée expressément aux enfants des travailleurs migrants, en tant que catégorie de personnes bien définie, lorsqu'elle s'est élevée contre le jeu simultané des lois belges qui, d'une part, soumettent l'obtention de l'allocation d'attente à la possession d'un titre de l'enseignement secondaire obtenu dans un établissement d'enseignement belge et qui, d'autre part, réservent aux jeunes qui bénéficient d'une telle allocation un traitement de faveur en matière d'accès à l'emploi.
17.
Dans son mémoire en défense, le gouvernement belge a insisté sur « le caractère indissociable de l'accès à l'emploi et du droit aux allocations d'attente », lesquelles, selon lui, peuvent être assimilées aux allocations de chômage. Comme il l'affirmera plus tard dans son mémoire en duplique, c'est précisément sur ce « lien étroit » qu'il avait fondé sa défense.
18.
Dans la réplique qu'elle a déposée en réponse au mémoire en défense, la Commission a apporté certains éclaircissements au débat en déclarant qu'elle considérait « que le gouvernement belge, dans son mémoire en défense, fait l'amalgame des deux griefs présentés par la Commission alors qu'il est de la plus grande importance de les distinguer tant en ce qui concerne leur contenu et leur fondement juridique qu'à l'égard des personnes visées ».
19.
Dans la réponse qu'elle a faite à la question écrite ( 6 ) que la Cour lui avait adressée pour plus ample informé, la Commission a répété qu'« il est de la plus grande importance de ne pas faire l'amalgame des deux griefs mais, au contraire, de les distinguer, notamment en ce qui concerne les catégories de personnes visées ».
20.
La Commission a ainsi précisé que seul le second grief (relatif à l'allocation d'attente) concerne les enfants à charge des travailleurs migrants tandis que le premier (relatif à la priorité dans l'accès à l'emploi) vise « tous les travailleurs, ressortissant de tout État membre, à la recherche de leur premier emploi ».
21.
Je me propose de suivre le même schéma dans mon argumentation mais j'intervertirai l'ordre dans lequel j'aborderai les deux griefs. C'est ainsi que j'examinerai tout d'abord la question de savoir si l'allocation d'attente est un avantage social qui doit être octroyé aux enfants à charge des travailleurs migrants indépendamment du pays dans lequel ils ont terminé leurs études secondaires. J'analyserai en second lieu, et dans une perspective plus générale, telle que celle que défend la Commission, le régime belge de résorption du chômage des jeunes par rapport aux éventuels bénéficiaires de l'allocation d'attente et à la liberté de circulation des travailleurs.
L'allocation d'attente en tant qu'« avantage social »
22.
Selon la jurisprudence de la Cour ( 7 ), « la notion d'avantage social ... comprend tous avantages qui, liés ou non à un contrat d'emploi, sont généralement reconnus aux travailleurs nationaux, en raison, principalement, de leur qualité objective de travailleurs ou du simple fait de leur résidence sur le territoire national, et dont l'extension aux travailleurs ressortissants d'autres États membres apparaît, dès lors, comme de nature à faciliter leur mobilité à l'intérieur de la Communauté ».
23.
Au cours des années, la Cour a interprété à plusieurs reprises la notion d'avantage social visée par l'article 7, paragraphe 2, du règlement et déclaré que doivent être considérés comme tels, par exemple, les prêts sans intérêt à la naissance accordés par un établissement de crédit de droit public, sur la base de directives et avec l'aide financière de l'État, à des familles à faible revenu, en vue de favoriser la natalité ( 8 ); une prestation sociale garantissant des revenus minimums aux personnes âgées ( 9 ); une prestation sociale garantissant de façon générale un minimum de moyens d'existence à toute personne dont les ressources sont insuffisantes et qui ne peut les augmenter ( 10 ); la possibilité pour un travailleur migrant d'obtenir que son partenaire non marié, non ressortissant de l'État membre d'accueil, soit autorisé à y séjourner avec lui ( 11 ); une aide accordée pour l'entretien et pour la formation en vue de la poursuite d'études universitaires sanctionnées par une qualification professionnelle ( 12 ); les allocations de naissance et de maternité ( 13 ) et les allocations pour handicapés ( 14 ).
24.
L'allocation d'attente que la législation belge institue en faveur des jeunes à la recherche de leur premier emploi est elle aussi un avantage social au sens que l'article 7, paragraphe 2, du règlement donne à ces mots, comme la Cour l'a confirmé en termes exprès dans l'arrêt Deak qu'elle a rendu le 20 juin 1985 ( 15 ).
25.
La question préjudicielle que la cour du travail de Liège (en Belgique) avait déférée à la Cour dans l'affaire Deak portait sur la même allocation d'attente qui, à l'époque, avait été refusée par l'Office national de l'emploi à M. Deak, jeune homme de nationalité hongroise et fils d'une mère italienne, elle-même travailleur migrant résidant en Belgique. Le refus d'octroyer l'allocation était précisément fondé sur la nationalité extracommunautaire du jeune homme à la recherche de son premier emploi.
26.
La Cour a suivi la thèse défendue par la Commission et a estimé que le refus, par l'administration belge, d'accorder l'allocation n'était pas contraire au règlement (CEE) n° 1408/71 ( 16 ) (à propos duquel la juridiction belge l'avait interrogée), mais elle a ajouté qu'en revanche cette allocation était un avantage social au sens du règlement n° 1612/68.
27.
Le raisonnement au terme duquel la Cour est arrivée à cette conclusion était le suivant:
-
ainsi qu'il résulte d'une jurisprudence constante, la notion d'« avantage social » visée par l'article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68 comprend tous avantages qui, liés ou non à un contrat d'emploi, sont généralement reconnus aux travailleurs nationaux en raison de leur qualité objective de travailleurs ou du simple fait de leur résidence sur le territoire national;
-
il est également de jurisprudence constante ( 17 ) que le principe de l'égalité de traitement énoncé par l'article 7 du règlement n° 1612/68 vise également à empêcher les discriminations opérées au détriment des descendants qui sont à la charge du travailleur;
-
un travailleur soucieux d'assurer à ses enfants le bénéfice des prestations sociales prévues par les législations des États membres pour soutenir les jeunes demandeurs d'emploi serait incité à ne pas rester dans l'État membre où il s'est établi et a trouvé son emploi si cet État membre pouvait refuser à ses enfants, en raison de leur nationalité étrangère, le bénéfice des prestations en cause.
28.
La Cour a donc conclu que, « aux termes de l'article 7 du règlement n° 1612/68, un État membre ne saurait refuser aux enfants à charge d'un travailleur ressortissant d'un autre État membre le bénéfice des allocations prévues par sa législation en faveur des jeunes demandeurs d'emploi, en raison de la nationalité étrangère de ces enfants ».
29.
Il est certain, comme le gouvernement belge l'a fait observer, que l'arrêt Deak ne portait pas sur la condition qui impose aux jeunes à la recherche d'un premier emploi d'avoir terminé leurs études secondaires dans un établissement scolaire belge pour pouvoir bénéficier de l'allocation d'attente. L'examen de cette question ne s'imposait pas en l'espèce puisque M. Deak avait effectivement terminé ses études secondaires en Belgique dans un établissement scolaire présentant les caractéristiques requises; seule sa nationalité étrangère était donc à l'origine du refus qui lui avait été opposé.
30.
Ce qui importe, selon moi, c'est que l'on peut déduire de l'arrêt Deak deux conséquences dont nous pourrons tirer profit dans la présente affaire:
a)
l'allocation d'attente est incontestablement un avantage social au sens de l'article 7 du règlement;
b)
la nationalité des jeunes, à la recherche de leur premier emploi, qui sont des descendants de travailleurs migrants ressortissants de la Communauté ( 18 ) ne peut pas avoir d'incidence sur l'octroi ou le refus de cet avantage social.
Sur la discrimination pour raison de nationalité dans l'octroi de cette allocation
31.
Si l'on se borne à la lettre des dispositions belges qui règlent l'allocation d'attente, il ne semble pas, en principe, qu'elles contiennent des éléments de discrimination fondés sur la nationalité de ses bénéficiaires puisque ceux-ci sont désignés par référence à un facteur qui, en termes abstraits, est étranger à la nationalité, à savoir que les allocataires doivent avoir terminé leurs études secondaires dans un établissement d'enseignement organisé, subventionné ou reconnu par l'État belge ou par une de ses communautés.
32.
Pour qualifier juridiquement de telles dispositions et statuer sur leur compatibilité avec le droit communautaire, il faut néanmoins analyser si, sous cette apparence de neutralité, ne se cache pas une discrimination occulte, fondée sur la nationalité, qui s'exercerait au détriment des travailleurs migrants et de leurs descendants.
33.
Chacun connaît la jurisprudence que la Cour a consacrée aux discriminations fondées sur la nationalité qui résultent des différentes règles ou pratiques administratives appliquées par les États membres. Cette jurisprudence dit en substance que les règles d'égalité de traitement ne prohibent pas seulement des discriminations ostensibles fondées sur la nationalité mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d'autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat ( 19 ).
34.
Pour ce qui est de l'objet du présent recours, il faut entendre par restrictions prohibées aussi bien les restrictions directes que les restrictions indirectes ou dissimulées, c'est-à-dire les restrictions qui, sous une apparence de neutralité, favorisent les jeunes nationaux à la recherche d'un emploi et qui, corrélativement, désavantagent les étrangers descendants de travailleurs migrants qui se trouvent dans des conditions identiques d'exclusion du marché du travail.
35.
Parmi les critères de distinction qui, en apparence, ne font pas appel au facteur « nationalité » mais qui, en réalité, produisent des effets discriminatoires à l'encontre des travailleurs migrants ou, en général, à l'égard des ressortissants d'autres États membres figure notamment la condition que les enfants résident dans l'État membre d'accueil pour pouvoir bénéficier de certains avantages sociaux.
36.
Pareille condition est contraire au droit communautaire. C'est la raison pour laquelle la Cour a déclaré que l'article 73, paragraphe 2, du règlement n° 1408/71 était invalide en tant qu'il prenait la résidence des enfants comme critère pour déterminer la législation applicable en matière d'allocations familiales ( 20 ).
37.
Dans le cas présent, si les enfants des travailleurs migrants doivent avoir terminé leurs études secondaires en Belgique pour pouvoir bénéficier de l'allocation d'attente, une telle condition signifie que la réglementation leur impose, en réalité, une obligation préalable de résidence s'ils veulent avoir droit à un avantage social ultérieur.
38.
De surcroît, cette condition de résidence ne concerne pas seulement la dernière année des études secondaires, à laquelle les règles belges en cause se réfèrent de manière directe, mais elle concerne aussi, normalement, les années académiques antérieures. En effet, seuls les jeunes qui ont suivi les différents cours précédents dans un établissement d'enseignement belge auront, d'une manière générale, la possibilité réelle de terminer leurs études secondaires dans ce pays ( 21 ).
39.
Selon le gouvernement belge, la charge de la preuve incombe à la Commission, de sorte que c'est à elle qu'il appartient de démontrer, et non pas seulement d'affirmer, que le nombre de jeunes belges remplissant cette condition est « proportionnellement beaucoup plus élevé » que le nombre de jeunes non belges ressortissants d'autres États membres.
40.
Je ne partage pas ce point de vue. Je crois, au contraire, qu'il n'est pas nécessaire de fournir plus amples explications ni statistiques plus fouillées pour déduire que les étudiants qui terminent leurs études secondaires dans des établissements scolaires situés en Belgique sont, en majorité, précisément de jeunes Belges ( 22 ).
41.
S'il est vrai que la Cour a occasionnellement tranché des litiges relatifs à de prétendues discriminations fondées sur la nationalité en comparant les proportions de travailleurs nationaux et de travailleurs migrants affectés par celles-ci ( 23 ) ou en admettant même des preuves statistiques ( 24 ) 4, elle concentre habituellement son examen sur l'impact potentiellement défavorable que les mesures nationales considérées en elles-mêmes peuvent avoir sur les non-nationaux.
42.
A cet effet, on peut appliquer par analogie les mêmes considérations que celles que la Cour a retenues dans l'arrêt qu'elle a rendu le 14 février 1995 dans l'affaire Schumacker ( 25 ) à propos d'une autre discrimination elle aussi fondée sur la nationalité, dissimulée sous le critère de la résidence ( 26 ), et dans lequel elle a déclaré que « les non-résidents sont le plus souvent des non-nationaux ».
43.
Dans ces conditions, les enfants de travailleurs migrants qui, pour des raisons linguistiques, familiales ou autres, ont fait leurs études secondaires dans leur pays d'origine et qui sont à la recherche de leur premier emploi seront confrontés à un obstacle lorsqu'ils voudront réintégrer leur famille dans le pays d'accueil de celle-ci: la possibilité pour eux d'obtenir du travail dans ce dernier pays se trouvera considérablement réduite du fait de la préférence dont jouissent, pour l'obtention d'un poste de travail, les jeunes (majoritairement belges) qui ont terminé leurs études secondaires dans un établissement scolaire belge et qui, de ce fait, bénéficient de l'allocation d'attente.
44.
L'effet dissuasif qu'un tel obstacle peut exercer sur les enfants a, comme il est logique, des répercussions sur leurs parents, travailleurs migrants, qui se verront privés de l'un des avantages sociaux qui sont normalement accordés aux familles belges en faveur de leurs enfants ( 27 ). Les travailleurs dont les enfants ont terminé leurs études secondaires dans leur pays d'origine et sont à la recherche d'un emploi rencontreront plus de difficultés pour aller s'établir dans un État membre qui refuse à leurs descendants ce qu'il accorde aux enfants des travailleurs nationaux, à savoir, en l'espèce, une allocation d'attente qui, de surcroît, s'accompagne d'une préférence qualifiée pour l'accès à certains emplois.
45.
Par conséquent, les règles en cause entraînent un obstacle à la libre circulation des travailleurs migrants à l'intérieur de la Communauté puisque, sous couvert d'une condition apparemment neutre et objective, les dispositions légales belges controversées aboutissent à une discrimination, indirecte ou dissimulée, fondée sur la nationalité, en ce qu'elles favorisent les ressortissants belges au détriment des enfants des travailleurs migrants qui n'ont pas terminé leurs études secondaires en Belgique.
Les répercussions de l'arrêt Kuyken sur le présent recours
46.
Le gouvernement belge a prétendu d'emblée que l'arrêt que la Cour a rendu le 1er décembre 1977 dans l'affaire Kuyken ( 28 ) démontre que les dispositions de son droit national qui sont en cause dans le présent recours sont conformes au droit communautaire et qu'elles sont donc dépourvues d'effets discriminatoires.
47.
L'allocation de chômage sur laquelle portait la question préjudicielle qui a été à l'origine de cet arrêt est l'allocation dont les règles sont énoncées à l'article 124 du même arrêté royal belge du 20 décembre 1963 que j'ai cité précédemment. M. Kuyken, sujet belge qui avait terminé ses études secondaires en Belgique, avait sollicité une allocation qui lui avait été refusée au motif qu'une période de cinq ans s'était écoulée entre la date à laquelle il avait obtenu le diplôme de l'enseignement secondaire (en 1971) et la date à laquelle il avait demandé l'allocation (en 1976) alors que la réglementation belge prévoyait un délai d'une année à cet effet.
48.
Le problème qui se posait dans cette affaire était celui de savoir si les études que M. Kuyken avait faites aux Pays-Bas après avoir obtenu son diplôme belge de l'enseignement secondaire pouvaient être assimilées à des études effectuées dans un établissement d'enseignement belge et être prises en compte pour le calcul du délai au respect duquel l'arrêté royal du 20 décembre 1963 soumet l'admission au bénéfice des allocations de chômage.
49.
Dans son arrêt, la Cour a déclaré en substance ( 29 ) que ni le traité ni les dispositions du règlement n° 1408/71 n'obligent les États membres à assimiler, aux fins de l'admission aux allocations de chômage des anciens étudiants qui n'ont jamais occupé un emploi, les études accomplies dans un autre État membre à celles accomplies dans un établissement organisé, reconnu ou subventionné par l'État compétent.
50.
L'arrêt Kuyken analyse le problème à la lumière des dispositions du règlement n° 1408/71 qui ont trait au chômage (à savoir les articles 67, 69 et 71). Il prend pour prémisse qu'un étudiant sans travail qui n'a jamais exercé aucune activité rémunérée ou assimilée n'a pas droit aux prestations de chômage dans son propre pays et il conclut qu'il ne peut pas davantage se prévaloir des droits institués par le règlement n° 1408/71.
51.
La Cour conclut enfin que la situation d'une personne qui s'est rendue dans un autre État membre et qui, pendant cette période, n'était pas assurée dans le cadre d'un régime de sécurité sociale organisé au bénéfice des travailleurs salariés ne tombe pas sous l'application des dispositions des articles 48 à 51 du traité ( 30 ).
52.
Je considère que les circonstances particulières de l'affaire Kuyken, qui ont déterminé la Cour à statuer comme elle l'a fait, ne permettent pas de trancher le présent recours en faveur du Royaume de Belgique.
53.
En premier lieu, dans l'affaire Kuyken, la Cour n'a pas pu examiner la question du point de vue des droits des travailleurs migrants et de leurs descendants puisque M. Kuyken n'était ni l'un ni l'autre. Or c'est précisément dans cette perspective-là que la Commission veut que son recours actuel soit examiné.
54.
En deuxième lieu, le règlement que la Cour a analysé à l'époque était un règlement relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté. Dans le présent recours, en revanche (pour ce qui est de l'allocation en tant que telle), la discussion ne porte pas sur une prestation classique de la sécurité sociale mais bien sur un « avantage social » dont les conditions d'octroi désavantageraient les seuls enfants à charge des travailleurs migrants.
55.
En troisième lieu, il ne s'agit pas aujourd'hui de vérifier si des études accomplies dans un État membre doivent, aux fins de certaines prestations de chômage, être assimilées à des études accomplies dans un autre État membre. Or c'est précisément à cette seule assimilation que se référait le dispositif de l'arrêt Kuyken.
56.
Enfin, il faut observer que l'arrêt Deak, qui a été rendu huit ans après l'arrêt Kuyken, a élargi la perspective restreinte dans laquelle celui-ci se situait. J'ai déjà rappelé comment, à la différence de ce qu'elle avait fait dans l'arrêt Kuyken, la Cour ne s'est pas limitée, dans l'arrêt Deak, à déclarer que le règlement n° 1408/71, qui était le seul à propos duquel le juge national l'avait interrogée, ne pouvait pas être invoqué par la partie demanderesse au principal et que, par voie de conséquence, il y avait donc lieu de répondre négativement à la question préjudicielle.
57.
Bien au contraire, l'arrêt Deak a permis de faire un pas en avant dans l'analyse de la discrimination fondée sur la nationalité puisque la Cour y a déclaré que, vue sous cet angle, l'allocation d'attente belge était un « avantage social » qui devait être accessible à tous les travailleurs et à leurs descendants sans qu'aucune restriction puisse être faite en raison de la nationalité.
58.
Il est vrai que dans l'arrêt Kuyken la Cour avait déclaré qu'« il ressort du dossier que la condition d'accomplissement d'une période d'études dans un établissement d'enseignement organisé, reconnu ou subventionné par l'État belge s'applique indistinctement aux ressortissants belges et aux ressortissants des autres États membres » ( 31 ).
59.
Je crois néanmoins que s'il faut entendre par là, comme on pourrait raisonnablement l'admettre, que cette condition ne comporte aucune discrimination fondée sur la nationalité, il y a lieu de considérer que cette interprétation a été corrigée ultérieurement par l'arrêt Deak. Et si ce n'est pas ainsi qu'il faut comprendre l'arrêt Kuyken, je suggère, en dernier ressort, que la Cour fasse droit au présent recours de manière à déclarer de façon expresse qu'une condition qui présente pareilles caractéristiques, et que les travailleurs migrants doivent remplir pour obtenir une aide ou un avantage social en faveur de leurs enfants qui sont à la recherche d'un emploi, est discriminatoire.
Sur les programmes de résorption du chômage
60.
La Commission, qui agit en tant que garante de la libre circulation des travailleurs, estime qu'en ce qui concerne les programmes d'emploi, les dispositions belges incriminées (à savoir les dispositions combinées des articles 81 à 84 de la loi du 22 décembre 1977 et des articles 2 à 9 de l'arrêté royal n° 123 du 30 décembre 1982) sont contraires à cette liberté parce qu'elles incitent les employeurs à engager de préférence les jeunes qui bénéficient des allocations prévues à l'article 36 de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 (à savoir les allocations d'attente) ( 32 ), et qui se trouvent être en majorité des citoyens belges.
61.
Je dois rappeler ici que le second moyen du recours ne se réfère plus aux enfants des travailleurs migrants mais à tous les jeunes ressortissants de n'importe quel État membre qui sont à la recherche d'un travail. La Commission l'a d'ailleurs rappelé on ne peut plus clairement.
62.
Comme je l'ai déjà exposé lorsque j'ai analysé le premier moyen, la Commission n'a jamais demandé que les allocations d'attente belges soient accessibles à tous les jeunes ressortissants de tous les États membres: au contraire, elle limite sa prétention aux enfants des travailleurs migrants établis en Belgique. Le fait est, néanmoins, que le programme de mise au travail incriminé par la Commission soumet l'octroi des mesures d'encouragement aux entreprises à la condition qu'elles engagent précisément des bénéficiaires des allocations d'attente en cause.
63.
La conjonction de ces deux facteurs débouche sur un certain paradoxe puisque la Commission admet que, à l'exception des enfants des travailleurs migrants, les jeunes de la Communauté demeurent exclus du bénéfice de l'allocation d'attente mais pas du corollaire de celle-ci, à savoir que, par l'effet de la législation belge, les bénéficiaires de cette allocation présentent, à l'égard des entreprises, certains avantages qui encouragent celles-ci à les engager.
64.
Si ce que la Commission cherche, c'est éviter une entrave générale à la libre circulation des sans-emplois, il paraîtrait plus cohérent d'exiger que la possibilité d'obtenir l'allocation soit étendue à toutes les catégories de jeunes qui sont à la recherche de leur premier emploi, qu'ils soient ou non enfants de travailleurs migrants puisque c'est la seule façon pour eux, selon la législation belge, d'avoir le droit d'accéder aux programmes spéciaux de mise au travail.
65.
En d'autres termes, si les bénéficiaires de l'allocation d'attente se trouvent favorisés du fait qu'ils présentent pour les entreprises un avantage encourageant celles-ci à les engager et si la Commission estime que l'encouragement ainsi donné aux entreprises est contraire au droit communautaire, mais si, en même temps, elle ne veut pas que la possibilité d'obtenir cette allocation soit étendue à tout jeune de la Communauté qui recherche un emploi, le plus cohérent serait peut-être d'exiger du royaume de Belgique qu'il modifie sa législation de manière à supprimer tout lien entre l'octroi de l'allocation, d'une part, et les programmes spéciaux de mise au travail qui sont destinés à certaines entreprises ou promoteurs de projets, d'autre part.
66.
La thèse de la Commission comporte un autre paradoxe en ce qu'elle ne conteste pas en bloc la politique belge de mesures d'encouragement à l'engagement des « chômeurs complets indemnisés » mais la conteste exclusivement dans la mesure où une catégorie de ces chômeurs est constituée par des bénéficiaires de l'allocation d'attente, qui sont en majorité des jeunes de nationalité belge.
67.
A aucun moment, je le dis avec insistance, la Commission n'a soutenu que, d'une manière générale, les mesures d'encouragement que l'État belge a prises en faveur des entreprises afin de les inciter à engager des chômeurs indemnisés seraient contraires à l'article 48 du traité. A l'audience, elle a expressément reconnu la validité du régime belge des mesures d'encouragement à l'engagement des « chômeurs complets indemnisés ».
68.
Cette prémisse étant posée, ce second paradoxe réside dans le fait que, comme le gouvernement belge l'a souligné dans les mémoires qu'il a présentés pour sa défense, les travailleurs communautaires venus en Belgique pour y chercher du travail après avoir exercé une activité professionnelle dans leur propre pays n'auront droit aux prestations que comporte le régime belge des « chômeurs complets indemnisés » que
a)
dans la mesure où ils remplissent les conditions de temps imposées par le régime belge, à savoir que, conformément à la totalisation prévue à l'article 67 du règlement n° 1408/71, ils devront avoir accompli, en dernier lieu, en Belgique une période préalable d'emploi ou d'assurance ( 33 )
b)
ou dans la mesure où ils bénéficient dans leur propre pays d'un régime de prestations de chômage similaire au régime belge et où ils conservent le droit à ces prestations dans les conditions et limites restreintes que l'article 69 du règlement n° 1408/71 prévoit pour l'« exportation » des prestations.
69.
Lorsqu'il n'en va pas ainsi, ce qui sera fréquemment le cas, ces travailleurs ne rentrent pas dans la catégorie des bénéficiaires de l'allocation de chômage en Belgique et, partant, les lois belges ne favoriseront pas leur engagement par des mesures d'encouragement parce qu'ils ne sont pas des « chômeurs complets indemnisés ». La Commission semble néanmoins admettre cette conséquence qui résulte de l'application de la réglementation belge.
70.
A mon avis, la Commission n'a pas suffisamment tenu compte du fait que les règles belges en matière de résorption du chômage qui figurent sous le titre « cadre spécial temporaire » de la loi budgétaire de 1977-1978 ( 34 ) appartiennent au domaine de la politique sociale et de l'emploi qui, dans l'état actuel du droit communautaire, relèvent de la compétence des États membres, qui disposent à cet égard d'un large pouvoir d'appréciation ( 35 ).
71.
Lorsqu'une législation nationale en matière de chômage met en place un instrument normatif visant spécifiquement la résorption d'un type déterminé de chômage, il est logique qu'elle en précise le champ d'application personnel en le circonscrivant au secteur professionnel ou social qui en a le plus besoin. Le choix de cet objectif et des moyens juridiques ou budgétaires qui permettront de l'atteindre ainsi que le choix des secteurs bénéficiaires relèvent de la compétence de chaque État membre et il n'existe pas de règles communautaires visant à harmoniser les dispositions nationales dans cette matière.
72.
Il y aurait une discrimination fondée sur la nationalité, prohibée par le traité, si la législation belge excluait des programmes spéciaux de résorption du chômage les « chômeurs complets indemnisés » qui, bien qu'établis en Belgique et remplissant les conditions nécessaires pour y être considérés comme tels par cette législation, n'auraient pas la nationalité belge. Tel n'est pas le cas qui se présente en l'espèce ( 36 ).
73.
Je ne crois cependant pas qu'en l'état actuel du droit communautaire, le gouvernement belge soit obligé d'« ouvrir » ces programmes spéciaux de résorption du chômage à n'importe quel chômeur originaire de n'importe quel État membre qui cherche du travail s'il ne remplit pas les critères spécifiques ( 37 ) que la législation belge a établis pour définir la notion de « chômeur » ou pour fixer les conditions générales auxquelles doivent satisfaire les bénéficiaires potentiels de ces programmes.
74.
En d'autres termes, je considère qu'une législation nationale peut, dans le cadre de programmes spéciaux de résorption du chômage, encourager l'engagement préférentiel de chômeurs qui appartiennent à diverses catégories (les chômeurs de jeune durée, les chômeurs âgés ayant atteint un certain âge, les chômeurs victimes de plans de reconversion industrielle, etc.) et qu'elle peut également limiter l'application de ces mesures d'encouragement aux chômeurs qui réunissent certaines conditions objectives au nombre desquelles figure l'obligation d'avoir bénéficié préalablement de certaines prestations de chômage. Dans la mesure où elle respecte les règles énoncées par le règlement n° 1408/71 lorsqu'elle définit les conditions d'accès à ces prestations, les exclusions résultant éventuellement de l'application de ces conditions ne devront pas être considérées comme incompatibles avec le droit communautaire.
75.
Selon moi, si les États membres peuvent limiter le bénéfice de leurs prestations de chômage aux seuls chômeurs qui remplissent les conditions énoncées aux articles 67 et 69 du règlement n° 1408/71, ils pourront, pour les mêmes motifs (qui, dans le fond, relèvent de la répartition des compétences entre la Communauté et les États membres), limiter à cette catégorie de chômeurs le bénéfice des avantages qui, dans le cas d'espèce, ne sont rien d'autre qu'une modalité supplémentaire de ces prestations de chômage ( 38 ).
76.
Cette politique sociale est fondée sur le principe qu'il est préférable d'utiliser activement les fonds publics (y compris ceux de la sécurité sociale) en les affectant à la création d'emplois plutôt que de se limiter à les distribuer passivement sous la forme de versements en espèces à leurs éventuels bénéficiaires ( 39 ).
77.
Ces mesures peuvent légitimement avoir pour destinataires les mêmes chômeurs qui jusqu'à ce moment-là bénéficiaient des allocations directes, payées en espèces, à charge du régime de la sécurité sociale. Il s'agit donc des mêmes fonds publics, destinés aux mêmes catégories de personnes, et pourvus de la même finalité. La seule différence, c'est le système d'affectation des fonds qui, dans le cas présent, opère en sorte que l'État ne verse pas le montant de l'allocation au chômeur mais l'« investit » de manière à faciliter la création d'un poste de travail que le demandeur d'emploi pourra alors occuper ( 40 ).
78.
Si l'on admet que l'affectation de fonds publics à ces fins est valide au regard du droit communautaire et que, par conséquent, un État membre peut encourager l'engagement préférentiel de certaines catégories de bénéficiaires des allocations de chômage tout en excluant les travailleurs originaires d'autres États membres qui ne remplissent pas les conditions énoncées aux articles 67 et 69 du règlement n° 1408/71, il faudra, a fortiori, admettre la même conclusion en ce qui concerne les jeunes originaires d'autres États membres qui ont terminé leurs études secondaires mais qui n'ont pas encore trouvé d'emploi. S'il n'en était pas ainsi, ces derniers bénéficieraient, en ce qui concerne la libre circulation des travailleurs, d'un traitement plus favorable que celui qui résulterait de l'application de la législation communautaire aux chômeurs qui ont déjà exercé une activité professionnelle auparavant, qui perçoivent une prestation de chômage dans leur pays d'origine et qui vont s'établir dans un autre État membre.
79.
Étant donné que je propose à la Cour de ne faire que partiellement droit au recours, il appartient à chacune des parties de supporter ses propres dépens, conformément à l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure.
Conclusion
80.
En conséquence, je propose à la Cour de faire partiellement droit au recours de la Commission et je conclus à ce qu'il lui plaise:
« 1)
déclarer que, en exigeant, comme condition pour l'octroi des allocations d'attente prévues par l'article 36 de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, que les enfants des travailleurs migrants aient terminé leurs études secondaires dans un établissement subventionné ou reconnu par l'État belge ou par une de ses communautés, le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 3 et 7 du règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté;
2)
rejeter le recours pour le surplus;
3)
condamner chacune des parties à ses propres dépens. »
( *1 ) Langue originale: l'espagnol.
( 1 ) JO L 257, p. 2.
( 2 ) Selon l'arrêté royal du 8 décembre 1978, modifié par l'arrêté royal n° 472 du 28 octobre 1986, les « promoteurs de projets » peuvent être l'État, les provinces, les agglomérations, les fédérations ou groupements de communes, les communes, les établissements publics qui en dépendent, les organismes d'intérêt public et les associations sans but lucratif.
( 3 ) Par « chômeur complet », il faut entendre, selon la réglementation belge, toute personne sans emploi qui n'est pas liée par un contrat de travail. Lorsqu'un tel lien existe mais que l'exécution du contrat est suspendue en tout ou en partie (pour des raisons de force majeure, d'accident technique, de lock-out, etc.), le travailleur concerné ne sera qu'un « chômeur temporaire ».
( 4 ) Ces promoteurs n'assument donc pas, en fait, toutes les obligations caractéristiques des employeurs proprement dits.
( 5 ) Le pourcentage du salaire et des cotisations sociales qui sont à la charge de l'État varient en fonction de divers critères précisés par cet arrêté royal et d'autres arrêtés royaux ultérieurs. Le pourcentage oscille entre 50, 75 et 100 %, selon les cas.
( 6 ) La Cour a invité la Commission à préciser « si la portée des deux griefs doit être limitée aux enfants à charge de travailleurs migrants communautaires occupés sur le territoire de la Belgique, enfants à charge qui sont à la recherche de leur premier emploi ».
( 7 ) Voir, notamment, les arrêts du 27 mai 1993, Schmid (C-310/91, Rec. p. I-3011), et du 27 mars 1985, Hoeckx (249/83, Rec. p. 973).
( 8 ) Arrêt du 14 janvier 1982, Reina (65/81, Rec. p. 33).
( 9 ) Arrêts du 12 juillet 1984, Castelli (261/83, Rec. p. 3199), et du 6 juin 1985, Frascogna (157/84, Ree. p. 1739).
( 10 ) Arrêts du 27 mars 1985, Hoeckx, déjà cité à la note 7, et Scrivncr (122/84, Ree. p. 1027).
( 11 ) Arrêt du 17 avril 1986, Recd (59/85, Rec. p. 1283).
( 12 ) Arrêt du 21 juin 1988, Lair (39/86, Rec. p. 3161).
( 13 ) Arrêt du 10 mars 1993, Commission/Luxembourg (C-111/91, Rec. p. I-817).
( 14 ) Arrêt Schmid, déjà cité à la note 7.
( 15 ) 94/84, Rec. p. 1873.
( 16 ) Règlement du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté (JO L 149, p. 2).
( 17 ) Arrêts du 30 septembre 1975, Cristini (32/75, Ree. p. 1085), et du 16 décembre 1976, Inzirillo (63/76, Rec. p. 2057).
( 18 ) Le fait que les enfants aient atteint leur majorité est sans incidence, car, comme la Cour l'a déclaré dans l'arrêt qu'elle a rendu le 18 juin 1987 dans l'affaire Lebon (316/85, Rec. p. 2811, point 13) et comme elle l'a rappelé dans l'arrêt Schmid que j'ai cité plus haut, les descendants d'un travailleur ressortissant d'un État membre qui ont atteint l'âge de 21 ans et sont toujours à la charge de celui-ci peuvent se prévaloir du droit à l'égalité de traitement garanti par l'article 7, paragraphe 2, du règlement pour prétendre au bénéfice d'une prestation sociale prévue par la égislation de l'État membre d'accueil.
( 19 ) Voir, parmi tous les autres, l'arrêt du 12 février 1974, Sotgiu (152/73, Rec. p. 153, point 11).
( 20 ) Arrêt du 15 janvier 1986, Pinna (41/84, Rec. p. 1).
( 21 ) Le fait que certains élèves qui étudient dans des établissements scolaires belges soient transfrontaliers est, en soi, dénué de pertinence en pratique.
( 22 ) Pour le surcroît, l'article 43, paragraphe 1, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991, qui a trait aux « travailleurs étrangers et apatrides », dispose que l'article 36 (qui énonce les règles d'octroi de l'allocation d'attente) ne s'applique aux étrangers que dans les limites d'une convention internationale et qu'il s'applique en outre aux ressortissants des pays enumeres dans la loi du 13 décembre 1976 portant approbation des accords bilatéraux en matière d'emploi des travailleurs étrangers en Belgique (vérifier dans le texte de la loi).
( 23 ) Arrêt du 17 novembre 1992, Commission/Royaume-Uni (C-279/89, Rec. p. I-5785, point 42).
( 24 ) Arrêt du 7 juillet 1988, Stanton (143/87, Rec. p. 3877, point 9).
( 25 ) C-279/93, Rec. p. I-225. Dans le même sens, mais à propos de la condition que les cotisations sociales déductibles aient été versées en Belgique, voir les arrêts du 28 janvier 1992, Bachmann (C-204/90, Rcc. p. I-249), et Commission/Belgique (C-300/90, Rec. p. I-305).
( 26 ) Il s'agissait d'une disposition de droit national qui établissait une distinction fondée sur le critère de la résidence en ce sens qu'elle refusait aux non-résidents certains avantages fiscaux qu'elle réservait aux contribuables résidant sur le territoire national.
( 27 ) Le fait qu'une partie des enfants des travailleurs migrants puisse avoir terminé leurs études secondaires en Belgique parce qu'ils résidaient dans ce pays avec leurs parents est sans incidence sur l'existence de la discrimination. Comme la Cour l'a déclaré dans l'arrêt qu'elle a rendu le 7 juin 1988 dans l'affaire Roviello (20/85, Rec. p. 2805), la discrimination n'est ni effacée ni compensée par le fait qu'elle affecte négativement certains travailleurs migrants sans les affecter tous.
( 28 ) 66/77, Rec. p. 2311.
( 29 ) Voir en particulier le point 23.
( 30 ) Point 22.
( 31 ) Point 21.
( 32 ) Dans la requête, la Commission se réfère à ces allocations en les appelant les « allocations de chômage ». C'est du moins ce que l'on peut lire dans le paragraphe 1 de la requête et dans les conclusions de celle-ci qui sont identiques à celles que la Commission avait formulées dans l'avis motivé.
( 33 ) Il n'est pas nécessaire d'examiner ici les deux exceptions à cette règle que prévoit le paragraphe 3 de l'article 67 du règlement n° 1408/71, déjà cité à la note 16.
( 34 ) Voir le paragraphe 7 plus haut.
( 35 ) Voir l'arrêt du 7 mai 1991, Commission/Belgique (C-229/89, Rec. p. I-2205, point 22), et les arrêts du 14 décembre 1995, Megner (C-444/93, Rec. p. I-4741), et Nolte (C-317/93, Rec. p. I-4625).
( 36 ) Dans son mémoire en défense (chapitre II), le gouvernement belge indique que les ressortissants CEE qui ont exercé une activité salariée en Belgique peuvent bénéficier des allocations de chômage dans les mêmes conditions que les ressortissants belges.
( 37 ) Notamment l'accomplissement préalable d'une certaine période de cotisation, à laquelle s'appliquera éventuellement c système de « totalisation » communautaire que j'ai évoqué plus haut.
( 38 ) Comme je l'ai indiqué antérieurement, les mesures d'encouragement que l'État belge a mises en place au moyen de la réglementation incriminée afin de favoriser l'engagement de ce type de chômeurs comportent la prise en charge de la totalité ou d'une partie du salaire et des charges sociales afférents à l'emploi auquel ils auront ainsi accès.
( 39 ) Il s'agit donc de donner un tour positif et préventif à l'assurance chômage au moyen de mesures qui favorisent l'apprentissage, la formation professionnelle et, le cas échéant, la réinsertion des chômeurs, c'est-à-dire leur réintégration dans le monde du travail. Le règlement (CEE) n° 2084/93 du Conseil, du 20 juillet 1993, modifiant le règlement (CEE) n° 4255/88 portant dispositions d'application du règlement (CEE) n° 2052/88 en ce qui concerne le Fonds social européen (JO L 193, p. 39), va dans le même sens lorsqu'il dit que « il convient de prévoir la prise en compte explicite des personnes exposées à l'exclusion du marché du travail et d'assouplir les critères d'admissibilité des catégories déjà admissibles; ... en raison de la gravité du chômage, l'action communautaire ... [visera] de manière prépondérante [à] ... combattre le chômage de longue durée et [à] faciliter l'insertion professionnelle des jeunes et des personnes exposées à l'exclusion du marché du travail... Eu égard à une dotation financière limitée, ... la lutte contre le chômage de longue durée et les actions d'insertion professionnelle des jeunes restent prioritaires... Il convient ... de prévoir un élargissement de ces actions, notamment des aides à l'emploi qui peuvent se présenter par exemple sous la forme d'aides à la mobilité géographique, à l'embauche et à la création d'activités indépendantes ... » (mis en italique par moi).
( 40 ) Il est de jurisprudence constante à la Cour que la qualification d'une prestation en tant que prestation de sécurité sociale ne dépend pas de son mode de financement. En ce sens, voir l'arrêt du 3 juin 1992, Paletta (C-45/90, Rec. p. I-3423, point 18).