2ème Chambre
ARRÊT
N° 211
N° RG 20/02781 - N° Portalis DBVL-V-B7E-QWMM
(3)
Mme [H] [P]
C/
Ste Coopérative banque Pop. CRCAM D'ILLE ET VILAINE VILAINE
Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
- Me Sabrina GUERIN
-Me Xavier-Pierre NADREAU
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 14 AVRIL 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre,
Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,
Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Ludivine MARTIN, lors des débats, et Mme Aichat ASSOUMANI, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l'audience publique du 14 Février 2023
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 14 Avril 2023, après prorogation, par mise à disposition au greffe
****
APPELANTE :
Madame [H] [P]
née le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 6]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me Sabrina GUERIN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉE :
Ste Coopérative banque Pop. CRCAM D'ILLE ET VILAINE
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Xavier-Pierre NADREAU de la SELARL SELARL KERJEAN-LE GOFF-NADREAU-BARON-NEYROUD, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-MALO
2
EXPOSÉ DU LITIGE :
Par acte notarié en date du 19 février 2007, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d'Ille et Vilaine ( ci-après le Crédit agricole) a consenti à Mme [H] [P] un prêt immobilier de 142 000 euros pour financer l'acquisition de sa résidence principale. Ce prêt a été souscrit solidairement avec M. [I] [Z] et garanti par l'inscription d'un privilège de prêteur de denier.
Par acte sous seing privé du 26 mars 2007, le Crédit agricole a également consenti à Mme [P] et M. [Z] un prêt d'un montant de 121 560 euros destiné à financer les travaux dans le bien acquis.
Par acte du 21 avril 2008, Mme [P] s'est portée caution de la SCI [Adresse 5] dont elle est porteuse de parts, le gérant étant M. [Z], à hauteur de 465 310,30 euros pour une durée de 264 mois.
Par acte du 11 mars 2009, Mme [P] et M. [Z] ont ouvert un compte courant avec autorisation de découvert de 1500 euros dans les livres du Crédit agricole.
Par acte du 15 février 2012, Mme [P] s'est portée caution de la SCI [Adresse 5] dans la limite de 27 950 euros pour une durée de 300 mois.
Par jugement du 12 janvier 2016, le tribunal d'instance de Rennes a prononcé le rétablissement personnel avec liquidation judiciaire de M. [Z] en désignant un mandataire. Par jugement du 25 août 2016, il a ordonné la vente du bien immobilier appartenant en indivision à M. [Z] et Mme [P] et fixé le prix de vente à 360 000 euros. Cette vente est intervenue pour la somme de 350 000 euros.
Par décision en date du 20 août 2015 de la commission de surendettement des particuliers d'Ille et Vilaine, Mme [P] a bénéficié d'un plan de rééchelonnement de ses dettes.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 13 juillet 2016, le Crédit agricole a mis en demeure Mme [P] de lui régler les arriérés des prêts immobiliers, le solde du compte débiteur et les sommes dues au titre des cautionnements.
Par acte d'huissier en date du 9 janvier 2017, la banque a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Saint-Malo, Mme [P] en paiement des sommes dues.
Par jugement en date du 24 novembre 2017, la liquidation judiciaire de la SCI [Adresse 5] a été prononcée. La clôture pour insuffisance d'actif est intervenue par jugement du tribunal de grande instance de Saint-Malo le 23 mars 2018 .
Mme [P] a, de son côté, bénéficié d'un rétablissement personnel sans liquidation judiciaire par décision de la commission de surendettement.
Par jugement en date du 24 février 2020, le tribunal judiciaire de Saint- Malo a :
- constaté l'effacement des dettes de Mme [H] [P] à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d'Ille et Vilaine, objet de la procédure de paiement,
- dit n'y avoir lieu de statuer sur les demandes de paiement ou bien sur les demandes de la défenderesse,
- condamné Mme [H] [P] à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d'Ille et Vilaine la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article
700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [H] [P] aux entiers dépens.
Par déclaration en date du 24 juin 2020, Mme [P] a relevé appel de ce jugement. Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 22 septembre 2020, elle demande à la cour de :
Vu l'article
L. 111-1 du code de la consommation,
- infirmer la décision dont appel,
- dire et juger recevables et bien fondées les demandes de Mme [P] envers la Caisse régionale de crédit agricole d'Ille et Vilaine,
A titre principal,
- dire et juger que la Caisse de crédit agricole mutuel d'Ille et Vilaine a commis une faute constituée par le manquement à son obligation de mise en garde, de conseil et d'information à l'égard de Mme [P],
Par conséquent, condamner la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d'Ille et Vilaine à payer à Mme [P] la somme de 350 000 euros à titre de dommages-intérêts,
A titre subsidiaire,
s'il n'était alloué à titre de dommages-intérêts la somme de 350 000 euros à Mme [P], prendre en considération sa perte de chance de ne pas avoir souscrit à l'opération immobilière se décomposant dans la souscription des différents crédits et actes de cautionnement qui ont été invoqués par la banque de sorte que Mme [P] aurait perdu au moins 80 % de chance de ne pas souscrire ladite opération,
- en conséquence, condamner le Crédit agricole à lui verser une somme de 80 % de 350 000 euros soit 280 000 euros,
En toutes hypothèses,
- condamner la Caisse de crédit agricole mutuel d'Ille et Vilaine à payer à Mme [P] la somme de 3 000 euros au titre de l'article
700 du code de procédure civile,
- condamner la même aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 28 juin 2022, le Crédit agricole demande à la cour de :
- confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,
- débouter Mme [P] de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts et de toutes ses demandes,
- condamner Mme [P] au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article
700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [P] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision ainsi qu'aux dernières conclusions déposées par les parties, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 8 décembre 2022.
EXPOSÉ DES MOTIFS :
Par décision de la commission de surendettement en date du 27 mars 2018, Mme [P] a bénéficié d'une procédure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire ce qui a eu pour effet d'effacer l'intégralité de ses dettes à l'égard du Crédit agricole, comme l'a constaté le tribunal judiciaire de Saint-Malo dans son jugement du 24 février 2020. Toutefois, le premier juge a estimé que du fait de l'effacement des dettes, il n'y avait pas lieu de statuer sur la demande en dommages-intérêts formée par Mme [P] en réparation du préjudice né du manquement de la banque à son obligation de conseil, d'information et de mise en garde, ajoutant que cette demande reconventionnelle ne se rattachait pas aux prétentions originaires par un lien suffisant et était dès lors irrecevable. L'appel de Mme [P] est limité à cette disposition du jugement.
Sur la recevabilité de
la demande reconventionnelle de Mme [P] :
Le Crédit agricole qui conclut à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions, soutient que la demande reconventionnelle de Mme [P] est irrecevable. Il fait valoir en effet que tenant compte du rétablissement personnel dont elle a bénéficié, il a demandé au tribunal de constater l'effacement des dettes. Il en conclut qu'il n'existe aucun lien entre le constat d'effacement des dettes et l'existence d'un préjudice devant être indemnisé.
L'article
70 du code de procédure civile dispose que les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
Comme Mme [P] le relève à juste titre, les demandes originaires de la banque étaient des demandes en paiement de sommes dues en sa qualité de co-emprunteur de prêts immobiliers contactés avec M. [Z] et en sa qualité de caution de la SCI [Adresse 5]. Mme [P] est donc fondée à opposer à cette action en paiement les éventuels manquements du Crédit agricole à son égard. Sa demande est donc recevable.
Sur le manquement de la banque à son devoir de mise en garde :
Mme [P] reproche à la banque de lui avoir fait souscrire des engagements tant en qualité d'emprunteur qu'en qualité de caution de la SCI [Adresse 5] sans avoir vérifié ni la solvabilité des emprunteurs ni la viabilité économique du projet. Elle rappelle qu'elle a acquis avec M. [Z] la propriété de [Adresse 5] à [Localité 7] en partie avec des capitaux propres et avec l'emprunt immobilier du 19 février 2007, qu'elle ne disposait plus d'aucune épargne après cet achat, et que la capacité et la solvabilité de la SCI ne reposaient que sur sa capacité de remboursement et celle de M. [Z]. Elle soutient qu'employée administrative et commerciale, elle était un emprunteur profane et une caution non avertie, n'ayant jamais réalisé d'opérations semblables auparavant.
Soulignant le prix de vente du bien immobilier pour la somme de 350 000 euros rapporté au montant des dettes de la SCI [Adresse 5] s'élevant à la somme de 525 000 euros et de ses propres dettes pour 700 000 euros Mme [P] conclut donc que l'opération était totalement inadaptée à sa situation professionnelle, personnelle et financière et que la banque aurait dû la mettre en garde sur les risques encourus que ce soit en tant qu'emprunteur ou en tant que caution. Elle sollicite en réparation du préjudice subi, à titre principal, la somme de 350 000 euros et à titre subsidiaire, si le préjudice était considéré comme la perte d'une chance de ne pas contracter, estimant cette perte de chance à 80 %, la somme de 280 000 euros.
sur le devoir de mise en garde de la banque à l'égard d'un emprunteur :
Le devoir de mise en garde n'est dû par le banquier que s'il apparaît que le crédit sollicité est excessif et fait courir un risque d'endettement à l'emprunteur non averti . Ainsi la banque doit vérifier si le crédit consenti est adapté aux capacités financières déclarées et ne présente pas un risque pour l'emprunteur, notamment celui de ne pouvoir faire face aux échéances, et seulement si tel est le cas et l'emprunteur non averti, attirer alors son attention sur ces risques, afin qu'il puisse accepter ou refuser l'offre de crédit en connaissance de cause.
En l'espèce, la banque soutient qu'elle n'était tenue d'aucun devoir de mise en garde à l'égard de Mme [P], qui était un emprunteur averti. Pour le démontrer, elle fait valoir qu'avant de constituer avec M. [Z], la SCI [Adresse 5], dont l'objet était la transformation d'un ensemble immobilier à [Localité 7], en cinq chambres avec table d'hôtes et trois gîtes, Mme [P] a exercé comme négociatrice en immobilier puis comme responsable d'agence immobilière ainsi que cela ressort de son profil Viadeo . Elle établit également qu'en plus de la SCI [Adresse 5], Mme [P] a constitué deux autres sociétés à savoir la SCI LCB le 20 juillet 2007 dont l'objet était la location de biens immobiliers et la SARL [H] [P] exerçant l'activité d'agence immobilière.
Il apparaît en conséquence, que Mme [P] disposait des compétences nécessaires pour apprécier le contenu, la portée et les risques liés aux concours qui lui ont été consentis de sorte que le Crédit agricole n'était tenu d'aucun devoir de mise en garde à son égard pour les prêts immobiliers du 19 février et du 26 mars 2007 ainsi que pour l'autorisation de découvert sur le compte bancaire ouvert en mars 2009.
sur le devoir de mise en garde de la banque à l'égard de la caution :
La banque dispensatrice de crédit est tenue à l'égard de cautions non averties, d'un devoir de mise en garde portant à la fois sur le risque de non-remboursement du prêt par l'emprunteur et sur l'adéquation de leurs capacités financières à leur engagement de caution.
La caution avertie n'est pas créancière de ce devoir de mise en garde, sauf si elle démontre que la banque disposait d'informations qu'elle-même ignorait, notamment sur la situation financière et les capacités de remboursement du débiteur principal.
C'est sur le créancier professionnel que pèse la charge d'établir que la caution est avertie. À défaut, elle est présumée profane. En revanche, c'est à la caution qu'il revient de rapporter la preuve du manquement de l'établissement bancaire à son obligation de mise en garde.
Le Crédit agricole ne prétend pas que Mme [P] était une caution avertie mais il soutient que le projet immobilier présenté pour la demande de prêt par la SCI [Adresse 5] apparaissait fondé et présentait les garanties nécessaires en 2008 comme en 2012.
De son côté, Mme [P] à laquelle incombe la charge de cette preuve, ne démontre nullement que les prêts consentis à la SCI, en vue de financer des travaux à usage locatif, étaient excessifs au regard des capacités de remboursement prévisibles de la société. Il sera rappelé que, après différé de remboursement, une fois la totalité des prêts décaissés, le montant des échéances de la société, qui devait, une fois les travaux accomplis, gérer la location de cinq chambres d'hôte et trois gîtes sur un minimum de quinze semaines par an, s'élevait à la somme de 2 766,79 euros par mois.
Or, l'appelante ne produit aucun élément sur la situation financière de la SCI [Adresse 5], se contentant d'indiquer qu'elle a connu des difficultés de remboursement à partir d'avril 2013, sans démontrer que ces difficultés étaient en germe dès l'octroi des prêts consentis ou inévitables à raison de l'octroi de ceux -ci.
Par ailleurs, Mme [P] soutient que ses engagements de caution étaient en totale disproportion avec ses capacités de remboursement, même en tenant compte du bien immobilier sans toutefois communiquer d'élément sur sa situation financière et patrimoniale au moment de la souscription des cautionnements.
En conséquence, il n'est pas davantage démontré que le Crédit agricole était tenu d'un devoir de mise en garde à l'égard de la caution. Mme [P] sera donc déboutée de sa demande en dommages-intérêts.
Succombant en ses demandes, Mme [P] supportera la charge des dépens de première instance et d'appel.
Il serait inéquitable de laisser à la charge du Crédit agricole, les frais non compris dans les dépens qu'il a dû exposer à l'occasion de l'appel. Aussi, Mme [P] sera condamnée à lui verser une indemnité de 1 500 euros sur le fondement de l'article
700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
, LA COUR :
Statuant dans les limites de l'appel,
Infirme le jugement rendu le 24 février 2020 par le tribunal judiciaire de Saint-Malo,
Déclare Mme [H] [P] recevable en ses demandes reconventionnelles,
La déboute de l'ensemble de ses demandes,
Condamne Mme [H] [P] à verser à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d'Ille et Vilaine la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article
700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [H] [P] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT