LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Joint les pourvois n° P 08 14. 258 et n° Q 08 15. 363, qui attaquent le même arrêt ;
Attendu, selon l'arrêt partiellement confirmatif attaqué, que le 10 mai 2001, M. X... et Mme Y... son épouse (M. et Mme X...) ont ouvert auprès de la société Dubus, qui assure la négociation, la compensation, la conservation et éventuellement la gestion d'instruments financiers, un compte leur permettant, sans mandat de gestion, de passer des ordres à distance par voie informatique relatifs à ces instruments financiers et notamment de passer des ordres sur le service à règlement différé ainsi que des ventes à découvert ; que le 14 octobre 2001, Mme Y... a conclu avec la même société une convention ayant le même objet ; que le 23 mars 2004, la société Dubus a demandé que M. et Mme X... soient condamnés à lui payer des sommes correspondant à l'insuffisance de couverture des deux comptes ; que M. et Mme X..., reprochant diverses fautes à la société Dubus, ont demandé que celle ci soit condamnée à leur payer des dommages intérêts ;
Sur la recevabilité du pourvoi n° P 08 14. 258, examinée d'office, après avis donné aux parties :
Vu l'article 11 code de procedure civile">611 1 du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2008 484 du 22 mai 2008 ;
Attendu qu'aux termes de ce texte, hors les cas où la notification de la décision susceptible de pourvoi incombe au greffe de la juridiction qui l'a rendue, le pourvoi en cassation n'est recevable que si la décision qu'il attaque a été préalablement signifiée ;
Attendu que M. et Mme X... se sont pourvus en cassation le 24 avril 2008 contre un arrêt rendu par la cour d'appel de Douai le 8 novembre 2007 dans un litige les opposant à la société Dubus ;
Attendu, cependant, qu'il résulte des productions que cet arrêt n'a été signifié que le 16 mai 2008 ;
D'où il suit que le pourvoi n'est pas recevable ;
Sur le premier moyen
du pourvoi n° Q 08 15. 363, pris en sa première branche :
Attendu que M. et Mme X... font grief à l'arrêt de les avoir condamnés au paiement des sommes de 88 008, 16 euros et de 23 752, 58 euros, représentatives de l'insuffisance de couverture des deux comptes au 26 janvier 2007, et d'avoir condamné la société Dubus à leur payer les seules sommes de 15 000 euros et de 5 000 euros en réparation de leur préjudice, alors, selon le moyen, que le prestataire de services d'investissement, quelles que soient ses relations contractuelles avec son client, est tenu de s'enquérir de la situation financière de celui ci ; qu'en statuant comme elle l'a fait, par des motifs desquels il ne résulte pas que la société Dubus se serait, lors de l'ouverture des comptes, enquise de la situation financière de M. et Mme X..., la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des dispositions de l'article
1147 du code civil, ensemble l'article L. 533 4 du code monétaire et financier dans sa rédaction alors applicable ;
Mais attendu que l'arrêt, sur ce point confirmatif, retient, par motif adopté, que dès lors que M. X... avait déclaré exercer une profession, la société Dubus ne pouvait, sans porter atteinte à l'intimité de leur vie privée, exiger davantage de renseignements sur la situation financière de ses clients ; que ce motif, qui n'est pas critiqué, suffit, quel qu'en soit le mérite, à justifier la décision ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Mais sur la seconde branche du même moyen :
Vu l'article
1147 du code civil, ensemble les articles L. 533 4 du code monétaire et financier, dans sa rédaction alors applicable, et 3 3 5 du règlement général du Conseil des marchés financiers, alors applicable ;
Attendu que pour dire que la société Dubus n'avait pas manqué à son obligation d'information lors de la formation du contrat, l'arrêt retient tout d'abord qu'afin d'obtenir la possibilité contractuelle d'intervenir sur les marchés à terme et de procéder à des ventes à découvert, M. et Mme X... ont apposé sur les actes et signé des mentions indiquant qu'ils estimaient avoir les connaissances suffisantes pour pratiquer la vente à découvert et certifiant qu'ils avaient les connaissances suffisantes pour passer des ordres en direct sur les marchés boursiers, et qu'en réponse aux questionnaires d'évaluation de leurs aptitudes, ils ont attesté posséder une expérience suffisante en matière d'investissement, avoir une connaissance suffisante des actions, des obligations, des warrants et des reports et vouloir décider seul de leurs investissements ; que l'arrêt relève ensuite que les contrats comportent un paragraphe recommandant de lire les explications relatives à l'évaluation des connaissances figurant en annexe, de consulter sur ce point le site de la société Dubus et de s'inscrire à des séances de formation ; qu'après avoir relevé que M. et Mme X... ont apposé sur les actes et signé une mention par laquelle ils ont déclaré avoir pris connaissance des documents figurant en annexe, l'arrêt retient encore que l'annexe 3 décrit notamment, tant le mécanisme de différé possible de règlement des opérations d'achat et de vente des titres avec constitution d'un dépôt de garantie en reportant leur liquidation, que celui de la vente à découvert qui est défini, décrit et illustré d'exemples chiffrés concrets, l'attention du souscripteur étant attirée sur le montant illimité du risque encouru ; que l'arrêt retient enfin que ces éléments démontrent qu'au stade de l'ouverture du compte, la société Dubus a fourni à M. et Mme X..., outre tous les renseignements sur les risques encourus, tous les moyens leur permettant de répondre de manière complète et sincère aux questions qui leur étaient posées sur l'étendue de leurs connaissances dans le cadre de la vérification de ces dernières par l'établissement financier ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs desquels il ne résulte ni que la société Dubus avait, lors de l'ouverture du compte, procédé à l'évaluation de la compétence de M. et Mme X... s'agissant de la maîtrise des opérations spéculatives envisagées et des risques encourus dans ces opérations ni, par suite, qu'elle leur avait fourni une information adaptée en fonction de cette évaluation, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS
, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen du pourvoi n° Q 08 15. 363 :
DECLARE IRRECEVABLE le pourvoi n° P 08 14. 258 ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Dubus à payer à M. et Mme X... la seule somme de 15 000 euros et à payer à Mme Y..., épouse X... la seule somme de 5 000 euros, l'arrêt rendu le 8 novembre 2007, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée ;
Condamne la société Dubus aux dépens ;
Vu l'article
700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à M. et Mme X... la somme globale de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du treize octobre deux mille neuf.
MOYENS ANNEXES
au présent arrêt.
Moyens produits AU POURVOI n° Q 08 15. 363 par la SCP Vincent et Ohl, avocat aux Conseils, pour M. et Mme X....
PREMIER MOYEN DE CASSATION
En ce que l'arrêt attaqué a condamné les époux X... au paiement des sommes de 88 008, 16 euros et de 23 752, 58 euros représentatives de l'insuffisance de couverture au 26 janvier 2007 des deux comptes et a condamné la société Dubus à payer aux époux X... les seules sommes de 15 000 et de 5 000 euros de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice ;
Aux motifs, sur l'obligation d'information lors de la conclusion du contrat, que M. et Mme Bernard X... font grief à la décision déférée de ne pas avoir retenu le fait que la société ait manqué à ses obligations professionnelles de s'enquérir et d'évaluer la situation financière et l'expérience de son client en matière d'investissement et de ses objectifs en ce qui concerne les services demandés ; dans la mesure des relations entre la société Dubus et M. Pascal Z..., M. et Mme Bernard X... rappelant que la convention charge M. Z... de « vérifier les compétences des clients et de garantir la bonne fin de l'apprentissage et de l'information nécessaires à la bonne utilisation par le client des fonctionnalités Internet » et de la proximité géographique de M. Z... avec M. et Mme Bernard X..., résidant tous trois sur l'île de Saint-Barthélémy, il ne peut être raisonnablement soutenu que seule la société Dubus devait s'enquérir de la situation de M. et Mme Bernard X... et qu'elle s'est déchargée de cette « vérification sur cet agent » ; afin d'obtenir la possibilité contractuelle d'intervenir sur les marchés à terme et de procéder à des ventes à découvert, M. et Mme Bernard X... appose au dessus de leurs signatures en pages 7 des actes « j'estime avoir les connaissances suffisantes pour pratiquer la vente à découvert, j'ai pris connaissance de l'avertissement ci dessus et j'accepte les conditions indiquées précédemment », appose au dessus de leur signature en page 9 des actes « je certifie avoir les connaissances suffisantes, boursières et techniques pour passer des ordres en direct, avec ou sans fil, sur les marchés boursiers » et répond au questionnaire « évaluation des aptitudes » par lequel ils attestent être des particuliers, posséder une expérience suffisante en matière d'investissement, avoir une connaissance suffisante des actions, des obligations, des warrants et des reports, vouloir décider seuls de leurs investissements sans conseil et avoir pour objectif prioritaire de constituer un portefeuille classique ; le contrat comporte également à la suite du questionnaire d'évaluation des aptitudes un paragraphe dans lequel la société Dubus recommande de lire les explications relatives à l'évaluation des connaissances figurant à l'annexe 2 de la page 9, de consulter la rubrique « évaluez vos aptitudes » sur Dubus. fr, de s'inscrire gratuitement aux séances d'Agora-Bourse, de s'inscrire à l'école de la bourse et de lui donner un mandat de gestion dans l'hypothèse d'une insuffisance ;
en page 10 des contrats, M. et Mme Bernard X... apposent, suivie de leur signature, la formule manuscrite suivante : « pris connaissance de l'ensemble de la présente charte et des annexes 1, 2 et 3 s'y rapportant », l'annexe 3 intitulé « techniques du marché » décrivant, notamment, tant le mécanisme de différé possible de règlement des opérations d'achat et de vente des titres avec constitution d'un dépôt de garantie (« couverture ») en reportant leur liquidation que celui de la vente à découvert qui est défini, décrit et illustré d'exemples chiffrés concrets, ne serait-ce que par rapport à une cession comptant, l'attention du souscripteur étant attiré sur montant illimité du risque.
Ainsi est-il écrit au titre des illustrations que :
- « si j'achète 100 francs le titre d'une société qui fait faillite je peux perdre au maximum 100 francs, je peux perdre au maximum une somme égale au nombre de titres multipliés par cette valeur de 100 francs »,
- si je vends à découvert 100 francs un titre que je ne possède pas et si ce titre ne cesse de « monter » en bourse et cote 200, puis 300 puis 500 francs je finis par devoir acheter 500 francs ce que j'ai vendu 100 francs je peux être obligé de payer 2 fois, 3 fois, 5 fois le prix que j'ai perçu (100 francs) lors de la vente à découvert, je peux donc perdre une somme illimitée : = X (200-100) ; X (300-100) ; X (500-100) etc ;
Ces éléments démontrent qu'au « stade de l'ouverture du compte », la société Dubus a fourni à M. et Mme Bernard X..., outre tous les renseignements sur les risques encourus, tous les moyens leur permettant de répondre de manière complète et sincère aux questions qui leur étaient posées sur l'étendue de leurs connaissances dans le cadre de la vérification de ces dernières par l'établissement financier, étant particulièrement révélateur que M. et Mme Bernard X... n'allèguent ni ne justifient qu'il ait été contraire à leurs connaissances énoncées voire aberrant du 16 mai au 29 mai 2001 (compte n° 224 495 6000) et du 23 octobre au 12 décembre 2001 d'effectuer des opérations sur le titre Alcatel, de s'être trompé sur l'évaluation de leurs connaissances ou d'avoir fourni de mauvais renseignements, voire concrètement que les premières opérations limitées qu'ils ont initiées témoignent à l'évidence d'une situation de connaissance contraire à celles qu'ils énonçaient au moment de la conclusion du contrat (le premier juge énonçant à juste titre qu'il est présumé avoir contracté de bonne foi) et qui aurait dû alerter la société Dubus ; pas plus qu'en première instance M. et Mme Bernard X... ne démontrent ainsi qu'il le soutiennent avoir « investi l'intégralité de leurs économies dans cette opération » ; dès lors il y a lieu à confirmation de la décision déférée en ce qu'elle décide que « la société Dubus n'a pas manqué à son obligation d'information au stade de la formation du contrat » (arrêt attaqué, p. 7 et 8) ;
1° / Alors que le prestataire de services d'investissement, quelles que soient ses relations contractuelles avec son client, est tenu de s'enquérir de la situation financière de celui-ci ; qu'en statuant comme elle l'a fait, par des motifs desquels il ne résulte pas que la société Dubus se serait, lors de l'ouverture des comptes, enquise de la situation financière des époux X..., la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des dispositions de l'article
1147 du code civil, ensemble l'article
L. 533-4 du code monétaire et financier dans sa rédaction alors applicable ;
2° / Et alors qu'en statuant comme elle l'a fait, par des motifs impropres à établir que la société Dubus aurait, lors de l'ouverture des comptes, procédé à l'évaluation de la compétence des époux X... s'agissant de la maîtrise des opérations spéculatives envisagées et des risques encourus dans ces opérations ni qu'elle leur aurait fourni une information adaptée en fonction de cette évaluation, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard de l'article
1147 du code civil, ensemble les articles L. 533 4 du code monétaire et financier, dans sa rédaction alors applicable, et 3-3-5 du règlement général du conseil des marchés financiers, alors applicable.
SECOND MOYEN DE CASSATION, subsidiaire
En ce que l'arrêt attaqué a condamné la société Dubus à payer aux époux X... les seules sommes de 15 000 euros et de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation d'un préjudice qualifié de perte de chance ;
Aux motifs que son cocontractant fût profane ou non, la société Dubus, selon les obligations qui lui incombent, ne pouvait reporter durant plusieurs années les positions provoquant le maintien constant d'un solde débiteur sans lui proposer, à tout le moins, la souscription d'une convention de crédit, proposition et convention inexistantes en l'espèce ; alors que l'évolution des cours des opérations initiées par M. et Mme Bernard X... pour cette période, évolution jusqu'au 6 février 2007, certes déterminée à ce jour, mais inconnue au moment où la société Dubus devait tirer toutes conséquences de l'existence de l'aggravation constante de l'insuffisance de couverture, client qui, en théorie pouvait bénéficier d'une éventuelle remontée de la valeur des titres en portefeuille (ainsi que le précisaient M. et Mme Bernard X... dans leurs courriers des 4 août 2001, 7 février, 17 avril et 24 juillet 2002), le préjudice subi par M. et Mme Bernard X... consiste tant dans les conséquences financières de l'absence de limitation dans le temps de la mise à disposition par la société Dubus à titre onéreux des fonds permettant le report que dans la perte d'une chance de connaître une diminution de leurs insuffisances de couverture, le solde étant resté constamment négatif depuis le 1er septembre 2002 en ce qui concerne le compte n° 224 495 6000 et 19 avril 2002 en ce qui concerne le compte n° 224 495 6100 ; en considération de l'évolution du compte le compte n° 224 495 6000 tel que retracé du 16 mai 2001 au 6 février 2007, le préjudice subi par M. et Mme Bernard X... sera intégralement réparé par l'allocation d'une somme de 15 000 euros ; en considération de l'évolution du compte le compte n° 224 495 6100 tel que retracé du 16 mai 2001 au 6 février 2007, le préjudice subi par Mme Christine Y... épouse X... sera intégralement réparé par l'allocation d'une somme de 5 000 euros (arrêt attaqué, page 12, dernier § et p. 13 § 1 à 4) ;
Alors qu'en limitant d'office à 15 000 et 5 000 euros les sommes allouées aux époux X... en réparation de leur préjudice motif pris notamment que ce préjudice consistait dans la perte d'une chance de connaître une diminution de leur insuffisance de couverture cependant que les époux X... demandaient la réparation de leur préjudice représenté par la perte totale de leur investissement augmentée du solde débiteur de leurs comptes, et non de la seule chance d'éviter une telle perte, la cour d'appel a méconnu le principe contradictoire en violation de l'article
16 du code de procédure civile.