CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. FRANCESCO CAPOTORTI
PRÉSENTÉES LE 6 MAI 1980 ( 1 )
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1.
Récemment, la Cour a eu l'occasion d'examiner et de résoudre certaines questions d'interprétation du droit communautaire soulevées par des juges nationaux en matière de remboursement de taxes indûment payées par des particuliers auxquels elles avaient été imposées par des dispositions nationales contraires au traité CEE. Nous pensons, précisément, aux deux arrêts rendus le 17 février 1980 dans l'affaire 68/79, Hans Just, et le 27 mars 1980 dans l'affaire 61/79, Amministrazione Finanze/Denkavit Italiana (tous deux non encore publiés). L'espèce présente trouve, au contraire, son origine dans une demande de remboursement de sommes que l'Intervention Board for Agricultural Produce (c'est-à-dire l'autorité britannique chargée de gérer au Royaume-Uni la politique agricole de la CEE) a prélevées sur des particuliers en appliquant correctement des dispositions communautaires dont la validité est aujourd'hui contestée à la suite d'une décision préjudicielle de la Cour.
La société Express Dairy Foods, demanderesse au principal, qui exporte du lactosérum en poudre du Royaume-Uni à destination des autres États membres, a intenté une action devant la High Court of Justice de Londres, Queen's Bench Division, Commercial Court, tendant à obtenir que l'organisme d'intervention britannique précité soit condamné à lui rembourser les sommes qu'elle lui avait versées au titre des montants compensatoires monétaires pour toute la période comprise entre 1e février 1973 et le 7 août 1977. Cette action judiciaire est une conséquence du fait que la Cour, par arrêt rendu le 3 mai 1978 dans l'affaire 131/77, Milac (Recueil 1978, p. 1041), a déclaré invalide l'article 1 du règlement no 539/75 de la Commission dans la mesure où il établissait des montants compensatoires applicables aux échanges de lactosérum en poudre entre les Etats membres pour la période du 3 mars au 4 août 1975. Estimant pouvoir déduire de cet arrêt que tous les règlements ayant le même objet, en vigueur au cours de la période comprise entre le 1er février 1973 et le 7 août 1977, doivent être considérés comme invalides dans la mesure où ils prévoyaient l'application île montants compensatoires monétaires aux échanges intracommunautaires de lactosérum en poudre, la partie demanderesse prétend avoir droit au remboursement des sommes qu'elle a indûment payées en vertu de ces règlements et au paiement des intérêts y afférents.
Pour sa part, la partie défenderesse a fait valoir que la réglementation communautaire en question, y compris le règlement no 539/75 déclaré invalide par la Cour dans l'arrêt précité, était pleinement obligatoire au moment où les montants compensatoires litigieux ont été perçus. En conséquence, la partie défenderesse a nié devoir restituer les sommes perçues pour le compte de la Communauté en exécution de l'obligation communautaire précise qui lui incombait et elle a observé également qu'au moment de la demande, elle avait déjà disposé de ces sommes, conformément aux instructions de la Commission.
Dans le cadre de ce litige, la juridiction britannique a, par ordonnance du 23 juillet 1979, déféré à la Cour trois questions préjudicielles tendant à établir, en premier lieu, si la constatation d'invalidité contenue dans l'arrêt Milac précité doit être étendue à tous les règlements de la Commission ayant le même objet, adoptés entre le 1er février 1973 et le 7 août 1977; en second lieu, si à la suite d'une décision préjudicielle déclarant invalide un règlement qui autorise ou impose la perception de montants compensatoires communautaires, les autorités nationales sont tenues, au titre du droit communautaire, de rembourser les sommes perçues et, le cas échéant, dans quelle mesure; et, enfin, si l'éventuelle obligation de remboursement comporte également le paiement des intérêts et, le cas échéant, à partir de quelle date et à quel taux.
2.
En ce qui concerne la première question, il convient d'abord de rappeler que dans l'arrêt Milac précité du 3 mai 1978, la Cour a considéré comme invalide l'article 1 du règlement de la Commission no 539/75 parce qu'il était contraire au règlement de base no 974/71 du Conseil. En effet, l'article 1, paragraphe 2, lettre b), de ce règlement prévoyait la possibilité d'instituer des montants compensatoires monétaires uniquement pour les produits dont le prix dépendait de celui des produits pour lesquels des mesures d'intervention étaient prévues. Or, dans le cas du lactosérum en poudre, s'agissant d'un produit qui n'est pas soumis à des mesures d'intervention, il aurait été nécessaire - pour légitimer l'introduction de montants compensatoires monétaires - que le prix dépende de celui du lait écrémé en poudre; la Cour, au contraire, a constaté que cette dépendance n'existait pas. On peut donc dire que l'invalidité de la disposition précitée du règlement no 539/75 a été une conséquence du fait que le prix du marché du lait écrémé en poudre n'a aucune incidence sur le prix du lactosérum en poudre.
Cela dit, il y a lieu de souligner que, comme la Commission l'a admis au cours de la présente procédure, la même réflexion vaut pour toutes les dispositions ayant le même objet, contenues dans d'autres règlements de la Commission et visant les périodes comprises entre le 1er février 1973 et le 7 août 1977. Il serait donc injustifié d'apprécier ces dispositions sur la base d'un critère différent de celui qui est appliqué à l'article 1 précité du règlement no 539/75 déclaré invalide.
La Commission partage ce point de vue et soutient que toutes les juridictions nationales auraient l'obligation d'appliquer la «ratio decidendi» de l'arrêt Milac précité, conformément à la finalité première de l'article 177 qui est d'assurer l'uniformité de l'interprétation et de l'application du droit communautaire dans tous les États membres. Cela correspond à ce que l'avocat général Warner a soutenu dans ses conclusions présentées dans l'affaire 112/76, Manzoni (Recueil 1977, p. 1662 et suiv.), à savoir que la règle du «stare decisis» vaut pour les arrêts préjudiciels, et ne concernerait pas simplement le dispositif de l'arrêt mais plus généralement sa «ratio decidendi». En conséquence, les principes affirmés dans un arrêt de ce type seraient également applicables à des cas d'espèce non identiques à celui en fonction duquel lesdits principes ont été énoncés.
À notre avis, il n'est pas nécessaire de prendre position sur ce point pour répondre à la première question puisque la juridiction nationale s'est bornée à demander si, à la lumière de l'arrêt Milac précité, tous les règlements de la Commission ayant le même objet mais visant des périodes différentes entre le 1er février 1973 et le 7 août 1977 sont invalides dans la mesure où ils fixent des montants compensatoires applicables aux échanges de lactosérum en poudre. Or, la Cour est en mesure de déclarer cette invalidité sur la base des éléments disponibles, étant donné qu'il est absolument manifeste que la situation de fait est identique à celle qui a été constatée dans le cas Milac (c'est-à-dire qu'au cours de toute la période comprise entre le 1er février 1973 et le 7 août 1977, le prix du lait écrémé en poudre n'a pas eu d'incidence sur le prix du lactosérum en poudre) et que le même raisonnement juridique que celui qui résulte de l'arrêt rendu dans l'affaire Milac est applicable. Il nous semble donc qu'indépendamment de la thèse de la portée indirecte ou générale d'arrêts tels que celui qui a été prononcé le 3 mai 1978, la Cour peut renvoyer aux arguments accueillis dans le jugement de l'affaire Milac (ou reproduire la motivation de celui-ci) pour conclure à l'invalidité de toutes les dispositions en question.
3.
La deuxième question préjudicielle concerne l'existence et, le cas échéant, la portée d'une obligation de restitution à la charge des organismes nationaux qui ont perçu les montants compensatoires monétaires en vertu de dispositions communautaires, déclarées invalides par la suite.
Pour répondre à cette question, il est d'abord nécessaire de clarifier la nature du droit subjectif que fait valoir celui qui demande la restitution de ces montants. En effet, aucun droit à l'indemnisation du préjudice causé par la perception ne peut être invoqué à l' égard des organismes nationaux qui l'ont effectuée - et, corrélativement, aucune obligation d'indemnisation ne peut être considérée comme imposée à ces mêmes organismes -, pour la simple raison que la perception, effectuée sur la base de règlements communautaires en vigueur, est un acte tout à fait légitime et même juste, ces règlements étant obligatoires tant qu'ils n'ont pas été déclarés invalides. Vous savez (lue la responsabilité de l'État ne peut être engagée en raison d'actes ou de comportements prévus par des dispositions communautaires que si les autorités nationales n'ont pas ou mal appliqué ces dispositions. Mais la situation est bien différente - comme nous l'avons noté dans nos conclusions du 23 janvier 1979 dans l'affaire Granaria (Recueil 1979, p. 624) - lorsqu'un État membre a correctement appliqué les règlements en vigueur, bien qu'entachés de vices, puisqu'un acte communautaire entaché d'une irrégularité susceptible d'entraîner son annulation ou la déclaration préjudicielle de son invalidité produit ses effets à l'égard des destinataires tant que la Cour n'a pas statué.
C'est pourquoi, si nous étions saisis, en l'espèce, d'une action en réparation d'un préjudice fondée sur une prétendue responsabilité de l'autorité nationale du fait d'un acte illicite, il y aurait lieu, sans aucun doute, de considérer cette action comme privée de fondement, et il resterail seulement à établir si, et clans quelles conditions, une responsabilité de la Commission se trouve engagée.
Mais en réalité, celui qui réclame le remboursement de sommes payées à des organismes nationaux au titre de dispositions communautaires déclarées invalides par la suite, fait seulement valoir un droit à la répétition de l'indu. L'obligation correspondante incombant à l'organisme qui a perçu la somme ne présuppose absolument pas que la perception ait été illicite; et cela contrairement à ce qui se produit dans le cas de la responsabilité non contractuelle du fait des préjudices causés. Cette obligation est liée au seul fait qu'il y aurait, à défaut de répétition, un enrichissement illicite de l'obligé.
Cela dit, il reste à voir si la circonstance qu'un organisme national a indûment perçu certaines sommes, non pas dans l'intérêt de l'État lui-même mais pour le compte de la Communauté au crédit de laquelle les somrnes doivent être versées, revêt de l'importance. En effet, on pourrait penser que dans des cas de ce genre, il y a enrichissement sans cause de la Communauté parce que l'État membre, agissant dans l'exercice d'une compétence liée, aurait rempli une simple fonction executive de liaison entre l'autorité imposant la charge et le sujet passif de celle-ci. Si l'on retenait ce point de vue, on ne pourrait pas parler d'une obligation de remboursement à la charge de l'État: les ayants droit au remboursement devraient le demander directement à la Commission en invoquant la responsabilité de celle-ci pour avoir adopté la disposition, reconnue invalide par la suite, qui a été le fondement de l'opération de perception de la part de l'État membre. Voilà, en substance, la thèse défendue par l'organisme qui est partie défenderesse dans le litige au principal.
En pratique, un système permettant de réclamer le remboursement à une autorité communautaire présenterait l'avantage d'éviter des différences de traitement entre les administrés qui sont ressortissants de l'un ou l'autre État membre, lorsque ceux-ci cherchent à éliminer les effets d'une réglementation communautaire invalide qui leurs sont préjudiciables. Seraient, en outre, évités les litiges entre les organismes d'intervention nationaux et la Commission en ce qui concerne la satisfaction de la créance que les premiers font valoir à l'égard de la Commission après avoir remboursé les particuliers des sommes qui, entre-temps, avaient déjà été portées au crédit de la Commission ou versées à celle-ci.
Toutefois, la jurisprudence de la Cour a exclu la possibilité pour les intéressés de réclamer directement à la Communauté le remboursement des sommes payées sur la base de règlements communautaires dont l'applicabilité est contestée.
Dans l'arrêt rendu le 25 octobre 1972 dans l'affaire 96/71, Haegeman/Commission (Recueil 1972, p. 1005), vous avez statué sur le recours d'une entreprise qui demandait, entre autres, le remboursement des sommes que les autorités nationales avaient, à son avis, indûment perçues sur la base de règlements de la Commission (concernant les «ressources propres» de la Communauté) que la requérante considérait comme inapplicables à son égard. Vous avez déclaré que relèvent de la compétence des juridictions nationales, non seulement les contestations relatives à l'interprétation et à la validité des règlements précités mais également les demandes de remboursement des taxes que les autorités nationales ont perçues, pour le compte de la Communauté, sur la base de ces règlements. En conséquence, vous ave/, rejeté lé recours formé par la société intéressée contre la Commission et tendant à obtenir tant l'annulation de la décision refusant à la requérante le bénéfice de l'exonération d'une taxe déterminée, après avoir au préalable déclaré inapplicables les règlements adoptés en la matière, que le remboursement des sommes versées. Peu importe, aux fins de la présente procédure, qu'il s'agissait dans l'affaire Haegeman de l'interprétation d'un règlement donnée par les autorités nationales et par la Commission plutôt que de la validité du règlement en question: le recours avait également pour objet le remboursement de sommes perçues par les autorités nationales pour le compte de la Communauté et le problème préliminaire est en tout cas celui d'établir si le règlement communautaire fournit une base valable pour cette perception. Ce qui importe, en définitive, c'est le motif qui a amené la Cour à affirmer la compétence exclusive des juridictions nationales pour les demandes de remboursement du type évoqué: motif que l'on discerne dans le fait que la perception est effectuée par des organismes nationaux selon des modalités régies par des dispositions législatives, réglementaires et administratives nationales et que les sommes sont ensuite mises à la disposition de la Commission. Cette constatation vaut également pour la perception des montants compensatoires monétaires dont il s'agit dans la présente procédure.
Un autre précédent utile à rappeler est l'arrêt rendu le 27 janvier 1976 dans l'affaire 46/75, IBC (Recueil 1976, p. 65). Dans cet arrêt, la Cour, en retenant (avec une motivation différente) la proposition de l'avocat général Warner, a considéré comme irrecevable une action en réparation du préjudice que la requérante prétendait avoir subi du fait de l'application, par l'administration des douanes italiennes, d'un règlement de la Commission en matière de montants compensatoires monétaires que la requérante considérait comme illégal. La Cour a constaté que le recours visait en substance la légalité de la perception des sommes litigieuses par les autorités italiennes - chargées de la mise en œuvre de la réglementation communautaire relative aux montants compensatoires monétaires - et tendait au remboursement par la Communauté, à la place des autorités nationales, des sommes qui auraient été indûment perçues. Comme dans l'arrêt Haegeman, la Cour a ici aussi dit pour droit qu'au sens des dispositions communautaires en cause, «l'évaluation concrète et la perception des sommes ducs relève des autorités nationales»; il appartenait donc aux juridictions nationales compétentes de statuer sur la légalité de tels actes, en application du droit communautaire, dans les formes prévues par chaque ordre juridique national et après utilisation éventuelle, pour vérifier la validité de la réglementation communautaire exécutée, de la procédure prévue à l'article 177 du traité CEE.
Cet arrêt confirme ainsi le critère énoncé dans l'arrêt Haegeman. On peut encore citer dans le même sens l'arrêt rendu le 21 mai 1976 dans l'affaire 26/74, Roquette Frères (Recueil 1976, p. 677). Ajoutons que l'avocat général Trabucchi, dans ses conclusions du 31 mars 1976 relatives à ces affaires (loc. cit. p. 689) avait déjà déduit de la jurisprudence de la Cour que «les litiges relatifs au rapport qui s'est instauré entre le citoyen et l'administration nationale à la suite d'un paiement indu, que cette administration a réclamé à l'occasion de l'application qui lui incombe des règles communautaires, doivent, en premier lieu, être résolus sur le plan interne, devant le juge national compétent».
Naturellement, cela ne signifie pas que la charge résultant du remboursement des taxes que l'Etat membre avait perçues et déjà portées au crédit ou reversées à la Communauté puisse être imputée aux finances de l'Etat membre. Il y a donc lieu de retenir que dans l'opération de remboursement comme dans celle de la perception, les autorités nationales continuent d'agir pour le compte de la Communauté qui devra logiquement supporter la charge financière mentionnée; mais cela concerne les rapports entre les États membres et la Commission au cours d'une phase logiquement postérieure à l'opération de remboursement.
4.
Nous avons évoqué au début des présentes conclusions les arrêts rendus le 27 février 1980 dans l'affaire 68/79, Just, et le 27 mars 1980 dans l'affaire 61/79, Administration des finances/Dcnkavit italiana et nous avons noté que dans ces affaires, la question du remboursement a été examinée à partir d'une situation très différente, à savoir au regard de la circonstance que les taxes indûment payées avaient été imposées par des États membres aux particuliers en violation de dispositions communautaires. Malgré cela, des éléments utiles aux fins de la solution de l'espèce présente peuvent être tirés de ces deux arrêts.
Nous songeons en particulier à l'affirmation suivante, contenue telle quelle dans l'arrêt Just de même qu'avec de légères variantes dans l'arrêt Denkavit (25er point des motifs respectifs): «en l'absence de réglementation communautaire en matière de restitution de taxes nationales indûment perçues, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l'effet direct du droit communautaire ...». Plus loin la Cour a fixé deux limites à la liberté des États de réglementer cette matière: les conditions procédurales ne peuvent pas être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne et elles ne doivent en aucun cas rendre pratiquement impossible l'exercice des droits conférés par le droit communautaire. Enfin, la Cour a précisé que sont compatibles avec ce droit d'éventuelles règles nationales qui tiennent compte de la répercussion sur les acheteurs, par le truchement des prix, du montant des taxes indûment payées par les entreprises ou qui prennent en considération le préjudice causé du fait que des mesures fiscales discriminatoires ou protectrices ont eu pour effet de restreindre le volume des importations.
Il nous semble que cette récente prise de position de la Cour mérite d'être rappelée et ce, pour différentes raisons. En premier lieu, s'il est vrai qu'elle se réfère textuellement à l'hypothèse du remboursement de taxes nationales indûment perçues, il ne nous semble pas arbitraire d'en étendre la ratio au remboursement des montants compensatoires monétaires indûment perçus par les autorités nationales. En vérité, doit être qualifiée d'indue la perception tant de taxes nationales contraires au traité de Rome que de montants compensatoires qui se sont avérés privés de justification à la lumière de la réglementation communautaire interprétée par la Cour (n'oublions pas cļuc l'invaliditi d'un règlement communautaire, établie par la Cour, agit ex tunc). En second lieu, le facteur décisif commun aux deux hypothèses réside dans l'absence d'une réglementation communautaire sur les modalités des remboursements; rien n'empêcherait qu'elle soit arrêtée par le législateur communautaire - et elle s'avérerait, au contraire, comme nous aurons l'occasion de le souligner, extrêmement utile -; mais tant qu'elle fait défaut, force est d'appliquer le droit des États membres. Ceux-ci perçoivent tant les impositions intérieures que les montants compensatoires monétaires; les premières pour leur propre compte - à l'exception d'un pourcentage de la TVA -, les seconds pour le compte de la Communauté, mais tout en établissant toujours un double rapport, dans deux phases distinctes: d'abord avec le particulier qui verse lesclits montants et ensuite, avec la Commission dans le cadre plus large d'un compte des recettes et des dépenses de la politique agricole commune. En troisième lieu - et c'est là que se situe l'aspect le plus délicat de l'espèce présente - le droit au remboursement du particulier qui a versé des taxes contraires au droit communautaire, naît directement de la disposition communautaire qui a énoncé l'interdiction - et c'est la raison pour laquelle il ne reste aux ordres juridiques nationaux qu'à régler les modalités du remboursement, en particulier sur le plan de la procédure -; il y a lieu de se demander si, parallèlement, le droit de récupérer des sommes indûment versées au titre des montants compensatoires monétaires résulte lui aussi du système juridique communautaire. On pourrait, en effet, mettre l'accent sur le fait qu'à la lumière de la déclaration d'invalidité du règlement communautaire sur lequel la perception était fondée, la somme perçue apparaît comme recouverte par l'Etat membre bien qi'e le fondement initial de droit coniitiui-autaiic n'existe plus; et on pourrait en déduire que, l'obligation de l'Etat de reverser la somme à la Commission ayant disparue, il s'est produit un enrichissement sans cause de ce même État qu'il y a lieu d'apprécier dans son ensemble (c'est-à-dire également sous l'angle des effets substantiels et, partant, du droit au remboursement), conformément à son droit interne.
Mais à notre avis - abstraction faite des difficultés qui surgissent lorsque la somme perçue a déjà été utilisée pour le compte de la Communauté - cette thèse reviendrait à négliger le fait qu'au moment de la perception, l'obligation imposée aux particuliers trouvait sa justification clans une règle communautaire et il ne serait pas équitable de laisser le particulier sans une protection correspondante du droit communautaire, consistant dans le bénéfice du principe général de la «répétition de l'indu». Nous estimons donc que le droit subjectif de récupérer les sommes versées au titre de charges communautaires dans l'hypothèse de versements partiellement ou totalement inclus résulte de l'ordre juridique communautaire et, précisément, du principe général précité commun aux États membres qui fait partie de cet ordre juridique. Le parallélisme avec les affaires Just et Denkavit doit, par conséquent, être vu également sur le plan de la finalité des recours juridictionnels formés par celui qui a droit au remboursement des sommes versées: ces recours visent à assurer la sauvegarde des droits conférés aux particuliers par l'ordre juridique communautaire et, plus précisément, dans l'espèce présente, la sauvegarde du droit subjectif communautaire à la répétir tion de l'indu. En conséquence, les conditions restrictives énumérées par la Cour dans les arrêts Just et Denkavit doivent elles aussi être confirmées.
Dans le cadre de la jurisprudence de la Cour relative à la répétition de l'indu, il convient enfin de rappeler également l'arrêt rendu le 5 mars dernier dans l'affaire 265/78, Ferwerda. La question d'interprétation à résoudre se rattachait, en l'occurrence, à un cas d'espèce dans lequel une administration nationale réclamait à un exportateur le remboursement de sommes qu'elle lui avait indûment payées au titre des restitutions à l'exportation. La Cour s'est cependant référée à la catégorie des «litiges relatifs à la restitution de montants perçus pour le compte de la Communauté» pour affirmer que ces litiges relèvent de la compétence des juridictions nationales et doivent être tranchés par celles-ci en application du droit national, dans la mesure où le droit communautaire n'a pas disposé en la matière (point 10 de la motivation). La Cour a en même temps maintenu l'application des règles communautaires produisant un effet direct et confirmé les deux conditions restrictives du renvoi au droit national qui avaient déjà été précisées dans l'arrêt Just précité du 27 février précédent. La continuité de l'orientation de la jurisprudence de la Cour en matière de remboursement de sommes qui ont été indûment perçues sur la base d'un critère d'appréciation communautaire (soit parce qu'il est contraire aux interdictions communautaires, soit en raison d'une interprétation erronée des dispositions communautaires, soit en raison de l'application de dispositions communautaires apparues par la suite comme invalides) nous semble donc évidente.
5.
Le renvoi au droit interne aux fins de la détermination des modalités de la répétition de l'indu - l'indu pris dans le sens clarifié ci-dessus - ne constitue certes pas la solution la plus juste ou appropriée. Tant dans l'arrêt Ferwerda précité que dans celui rendu le 27 mars 1980 dans les affaires 66, 127 et 128/79, Amministrazione delle finanze/Società meridionale industria Salumi, la Cour a eu l'occasion d'observer qu'alors que la réglementation relative à la perception des charges financières d'origine communautaire est dominée par le principe général d'égalité, nous nous trouvons au contraire seulement au début de la voie qui devra réaliser l'absence de discrimination entre tous les opérateurs communautaires en ce qui concerne les conditions de forme et de fond dans lesquelles la répétition de l'indu peut être demandée. Actuellement cette inégalité de traitement existe du fait de réglementations différentes d'un État membre à l'autre; le Conseil exerce son pouvoir de réglementation, en la matière avec une déplorable lenteur. En effet, ce n'est que l'année dernière que le règlement no 1430 du 2 juillet 1979 a arrêté certaines dispor sitions relatives au remboursement des droits à l'importation ou à l'exportation, dispositions qui entreront en vigueur le 1er juillet prochain. Cette intervention limitée et partielle ne suffit certainement pas à corriger les distorsions résultant de la disparité des conditions prévues dans les droits nationaux; nous faisons allusion, en particulier, au problème bien connu des délais de prescription. Toutefois, il a été mis en évidence dans ces mėmes arrets clu 5 mars 1980 (affaire 265/78, Ferwerda) et clu 27 mars suivant (affaires 66, 127 et 128/79, Amministrazione delle finanze/Società meridionale industria Salumi) que «le caractère nécessairement technique et détaillé de ce type de réglementation ne permet de remédier que partiellement à son absence par voie d'interprétation jurisprudentielle».
La Commission, cherchant a éviter que les longs délais de prescription en vigueur dans certains États membres n'avantagent particulièrement les entreprises de ces États, a proposé dans son mémoire en défense que la restitution des montants compensatoires litigieux au bénéfice du plaignant qui n'a pas prouvé qu'il n'a pas été en mesure de répercuter la taxe sur sa clientèle, n'intervienne que si une réclamation a été régulièrement présentée aux autorités nationales compétentes avant le 3 mai 1978, date du prononcé de l'arrêt Milac précité (sous réserve de l'application de tout délai plus bref prévu par chaque droit national applicable). Selon la Commission, cette solution pourrait se fonder sur l'application par analogie de l'article 174 du traité CEE qui permet à la Cour, lorsqu'elle déclare fondé un recours en annulation concernant un règlement communautaire, de limiter les effets dans le temps de son jugement.
Il y a d'abord lieu d'observer qu'il n'existe à cet égard qu'un seul précédent, celui de l'arrêt bien connu rendu le 8 avril 1976 dans l'affaire 43/75, Defrenne (Recueil 1976, p. 455) et, en ce qui le concerne, on peut également douter que ce soit l'article 174, appliqué par analogie, qui ait convaincu la Cour de la possibilité de faire partir les effets directs de l'article 119 d'une certaine date. Plus récemment - dans les arrêts précités Denkavit italiana et Amministrazione delle finanze/Società meridionale industria Salumi du 27 mars dernier - Ia Cour a préféré se référer à «un principe général de sécurité du droit» pour justifier les éventuelles limitations dans le temps de la possibilité qu'ont les particuliers de se servir d'un jugement d'interprétation dans le but de remettre en question des rapports antérieurs. Mais cette référence a permis à la Cour d'affirmer le caractère exceptionnel des limitations dont il s'agit: il est nécessaire de se trouver en présence du risque qu'un arrêt entraîne des «troubles graves» pour le passé dans les relations juridiques établies de bonne foi. Il nous semble qu'il y a lieu d'exclure dans l'espèce présente tout parallélisme avec l'affaire Defrenne et qu'en tout cas, nous ne sommes pas en présence des motifs graves indiqués dans les arrêts du 27 mars dernier susceptibles de justifier la solution que la Commission suggère.
Ajoutons qu'en mentionnant la possibilité qu'un grand nombre de demandes de remboursement analogues à celle qui est introduite par la société Express Dairy Foods existent ou soient ultérieurement présentées aux autorités nationales compétentes, la Commission a suggéré que l'on fixe un délai non seulement pour le. cas particulier dont est issue la présente procédure mais également à l'égard de tous ceux qui ont été indûment contraints de payer les montants dont il s'agit, en vertu de règlements adoptés dans le domaine considéré dans les cinq années précédant la publication de l'arrêt Milac. Mais cela équivaudrait, en substance, à introduire, a posteriori, au moyen de la jurisprudence, un délai de prescription, ce qui nous semble absolument hors des pouvoirs de la Cour.
En statuant clans l'affaire 41/69, ACF Chcmicfarma/Coinmission (arrêt rendu le 15. 7. 1970, Recueil 1970, p. 662, en particulier p. 685 et suiv.), la Cour a affirmé que «pour remplir sa fonction d'assurer la sécurité juridique, un délai de prescription doit être fixé à l'avance»; et elle a précisé que cette tâche relève de la compétence exclusive du législateur. A cette occasion, la Cour a rejeté la proposition de l'avocat général tendant à subordonner à un délai la faculté de la Commission d'infliger des sanctions pécuniaires en matière de concurrence. Il nous semble, a fortiori, que la fixation d'un délai par la Cour serait inadmissible si le délai, au lieu de circonscrire les pouvoirs d'une institution communautaire, était destiné à affecter un domaine régi par les droits nationaux et à jouer un rôle direct dans le domaine d'activité des juridictions nationales.
6.
Il reste à examiner le problème des intérêts afférents aux sommes dont le remboursement est réclamé et qui fait l'objet de la troisième question préjudicielle. Nous rappelons, à cet égard, que l'avocat général Trabucchi, dans ses conclusions déjà citées ci-dessus, relatives à l'affaire Roquette Frères, a eu l'occasion de préciser que «la question du paiement des intérêts pour un capital indûment versé se pose de manière strictement accessoire par rapport au droit à répétition du capital lui-même. La détermination du montant dû à titre d'intérêts moratoires dépend strictement et nécessairement du montant du capital indûment payé et du temps écoulé entre le paiement indu, ou du moins la mise en demeure de l'organisme percepteur, et sa restitution ... La demande relative aux intérêts est soumise aux critères établis par votre jurisprudence en ce qui concerne la répétition du capital auquel ils se rapportent. Il faut donc faire valoir cette demande selon la même procédure que celle qui s'applique à la répétition du capital». La Cour a statué en ce sens dans l'arrêt Roquette précité rendu le 21 mai 1976 en affirmant (au 12e attendu) «qu'à défaut de dispositions communautaires sur ce point, il appartient actuellement aux autorités nationales de régler, en cas de restitution de redevances indûment perçues, toutes questions accessoires ayant trait à cette restitution, telles que le versement éventuel d'intérêts». A notre avis, la réponse à la question considérée dans l'espèce présente doit être strictement conforme à ce précédent.
7.
Compte tenu de ce qui vient d'être exposé, nous concluons en proposant à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par la High Court of Justice de Londres par ordonnance du 23 juillet 1979:
1)
Toutes les dispositions qui fixent des montants compensatoires monétaires applicables aux échanges de lactosérum en poudre contenues dans les règlements arrêtés par la Commission et applicables à la période comprise entre 1e février 1973 et le 11 août 1977 sont invalides parce que contraires à l'article 1, paragraphe 2, lettre b), du règlement no 974/71 du Conseil.
2)
Les autorites nationales compétentes pour la perception desdits montants sont tenues, en vertu d'un principe général du droit communautaire, de rembourser les sommes perçues sur la base de règlements communautaires que la Cour a déclarés invalides. En l'absence d'une réglementation communautaire définissant les modalités des remboursements, il appartient à l'ordre juridique interne de tout État membre de fixer ces modalités, de désigner les juridictions compétentes et de définir les règles de procédure des recours par lesquels les intéressés font valoir leur droit à la restitution des sommes indûment versées. Les dispositions de droit interne ne pourront être moins favorables que celles concernant les recours destinés à faire valoir des droits similaires de nature interne, et en aucun cas elles ne devront rendre pratiquement impossible l'exercice du droit à la répétition de l'indu. Le droit communautaire n'exclut pas que l'on tienne compte du fait que la charge des montants compensatoires indûment perçus a pu être répercutée «sur d'autres opérateurs économiques ou sur les consommateurs»; serait aussi compatible avec le droit communautaire l'éventuelle prise en considération, en vertu du droit national de l'État intéressé, du préjudice subi par celui qui est contraint de payer les montants compensatoires dans le cas où leur effet restrictif sur le volume des échanges avec d'autres États membres peut être démontré.
3)
Le taux et la date à partir de laquelle sont dus les intérêts afférents aux sommes indûment versées dont la restitution est demandée sont régis par le droit interne de l'État membre dont les autorités ont perçu ces sommes au titre de règlements communautaire invalides.
( 1 ) Traduit de L'italien.