CJUE, Conclusions de l'avocat général Reischl, 2 décembre 1982, 60/82

Mots clés requérant · rejet · service · pouvoir · traduction · candidature · fonctionnaire · commission · preuve · promotion · syndicale · personnel · équipe · recours · règlement

Synthèse

Juridiction : CJUE
Numéro affaire : 60/82
Date de dépôt : 11 février 1982
Titre : Fonctionnaire: refus de promotion.
Rapporteur : Koopmans
Avocat général : Reischl
Identifiant européen : ECLI:EU:C:1982:414

Texte

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. GERHARD REISCHL,

PRÉSENTÉES LE 2 DÉCEMBRE 1982 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Dans cette affaire de fonctionnaires, le requérant, M. Cowood, qui est au service de la Commission depuis 1974 et est actuellement fonctionnaire de grade LA 4 auprès de la direction générale- du personnel et de l'administration — division de traduction anglaise —, a posé le 19 novembre 1980 sa candidature pour un poste de chef d'équipe au service de la traduction.

Dans une note datée du 23 janvier 1981, M. Ciancio, directeur du service «Traduction, documentation, reproduction, bibliothèque», a fait connaite à M. Baxter, directeur du personnel, ses recommandations pour les postes vacants. Eu égard à la candidature du requérant, il observait entre autres:

«M. Cowood se trouve de ce fait en concurrence avec un autre chef de groupe très expérimenté: M. Schäfer. A mérite égal, je donne la préférence à M. Schäfer, qui a une plus grande anciennenté unt dans le service que dans le grade LA 4-réviseur. Toutefois, je tiens à souligner les mérites et le bon travail effectué par M. Cowood.»

Le 18 février 1981, M. Baichère, directeur général du personnel et de l'administration, a informé M. O'Kennedy, membre de la Commission chargé des affaires du personnel, des propositions de promotion en question en indiquant qu'il n'avait pas d'objection à formuler à l'encontre de celles-ci. Le 17 mars 1981, M. O'Kennedy a donc décidé de nommer M. Schäfer, chef d'équipe au sein de la division de traduction anglaise. En conséquence, le 19 mars 1981, M. Cowood a été informé de ce que l'autorité investie du pouvoir de nomination n'avait pas pu retenir sa candidature au poste vacant de chef d'une équipe de traduction. Le 22 juin 1981, M. Cowood a introduit contre cette décision une réclamation au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires, au motif que le rejet de sa candidature était exclusivement fondé sur son activité syndicale. Par décision du 25 octobre 1981, notifiée au requérant le 16 novembre 1981, la Commission a rejeté cette réclamation.

Sur ce, M. Cowood a introduit le 11 février 1981 un recours ayant pour objet l'annulation des décisions de rejet de la Commission des 19 mars 1981 et 15 novembre 1981 et la condamnation de la Commission à payer au requérant des dommages-intérêts équitables en réparation du préjudice moral qu'il a subi.

Nous ferons à ce sujet les remarques suivantes :

1.

En se référant à la jurisprudence constante de la Cour, la Commission estime que la demande du requérant visant à annuler le rejet de sa réclamation est irrecevable, motif pris de ce que celle-ci confirme purement et simplement la décision de rejet du 19 mars 1981. Selon le requérant par contre, le rejet de sa réclamation constitue une décision autonome lui faisant grief, par laquelle on a cherché, au moyen de fausses allégations, à dissimuler les vraies raisons de ce rejet.

Ces moyens étant étroitement liés au fond de l'affaire, il parait opportun de prendre d'abord position à cet égard.

2.

Sur le fond de l'affaire, le requérant fait essentiellement valoir que le refus de tenir compte de sa candidature est étroitement lié à un incident survenu au cours d'une réunion du comité de promotion LA pour l'année 1980, qui s'est tenue le 17 février 1981 et à laquelle il a pris part en tant que représentant du personnel.

Lors de cette réunion, sa proposition d'inscrire le nom d'un autre fonctionnaire sur la liste de promotion a été rejetée par le directeur général du personnel, entre autres parce que le fonctionnaire en question était bien connu comme délégué syndical et que cette activité ne lui laissait pas suffisamment de temps pour ses travaux de traduction. Depuis, le requérant s'est efforcé sans succès de faire figurer cette déclaration dans le compte rendu de la réunion en question. De l'avis du requérant, les circonstances qui entourent cet incident ne prouvent pas seulement l'existence de préjugés au sein du comité de promotion, mais montrent également l'hostilité de certains hauts fonctionnaires de la direction générale du personnel et de l'administration à toute activité syndicale et elles ne figurent pas en dernier lieu parmi les considérations qui ont été à l'origine du refus de prendre en considération sa candidature. Selon lui, une telle hypothèse est également corroborée par le fait que tous les anciens coordinateurs des équipes spécialisées de la divison de traduction anglaise ont été nommés chefs d'équipe de traduction à l'exception de lui-même. En conséquence, le rejet de sa candidature constitue une violation de l'article 1 de l'annexe II au statut des fonctionnaires européens et de l'article 13, paragraphe 2, de l'accord du 20 septembre 1974 concernant les relations entre la Commission et les organisations syndicales et professionnelles, qui sont censés garantir le droit pour les fonctionnaires d'exercer leur mandat de représentant du personnel ou leur activité syndicale sans subir de ce fait un prejudice dans leur situation professionnelle. En outre, le requérant estime que le rejet de sa candidature est également contraire aux principes généraux régissant la liberté d'opinion et la liberté de pensée ainsi que les libertés politiques et syndicales.

A l'encontre de ces griefs, la Commission réplique que, indépendamment du fait que les remarques litigieuses ne doivent pas être comprises dans le sens que leur donne le requérant, une activité syndicale n'a jamais encore représenté un obstacle à une promotion. En particulier, il n'y a aucun lien entre les incidents qui se sont déroulés dans le cadre de la promotion de l'autre fonctionnaire et l'examen de la candidature du requérant qui a été rejetée pour des raisons purement objectives.

Ainsi qu'il ressort de cette controverse, le règlement du litige dépend essentiellement du point de savoir si la décision prise le 17 mars 1981 par l'autorité investie du pouvoir de nomination et la décision de rejet notifiée au requérant le 19 mars de la même année ont été le fruit de considérations étrangères à leur objet. A cet égard, il y a lieu de constater que cette décision a été prise sur proposition de M. Ciancio, directeur du service de la traduction, laquelle avait été transmise par la voie hiérarchique sans objection de la part de MM. Baxter et Baichère. Or, il est incontestable que cette proposition qui donne la préférence à M. Schäfer repose sur des critères objectifs. A cet égard, M. Ciancio a expressément relevé que M. Schäfer et le requérant avaient autant de mérites l'un que l'autre et qu'il convenait de donner la préférence au premier simplement du fait de sa plus grande ancienneté. Le fait que ce critère est objectivement justifié ressort déjà de l'avis de vacance d'emploi aux termes duquel, entre autres, les candidats devaient posséder une expérience de traducteur et de réviseur confirmée et établie et, d'autre part, une aptitude à la direction attestée par l'expérience de travaux d'organisation, de coordination et de rationalisation dans le domaine linguistique.

En conséquence, il ne reste plus qu'à examiner si par ailleurs la décision de l'autorité investie du pouvoir de nomination aurait pu être influencée par d'autres considérations sans rapport avec son objet. Un élément décisif en l'occurrence est le fait que la décision de M. Ciancio de donner la préférence à M. Schäfer, laquelle a en fin de compte été seule à l'origine du rejet de la candidature du requérant par l'autorité investie du pouvoir de nomination, a été prise dès le 22 janvier 1981. Or, comme le requérant n'a été nommé représentant du personnel qu'à partir du 23 janvier 1981 et que l'incident litigieux n'est intervenu qu'au cours de la séance du comité de promotion du 17 février de la même année, l'ordre chronologique des événements exclut à lui seul que cet incident ait pu avoir sur le rejet de sa candidature l'influence qu'allègue le requérant. Partant, peu importe en l'espèce la manière dont il convient d'apprécier les événements liés à la séance litigieuse du comité de promotion, au cours de laquelle au demeurant il s'agissait d'un autre fonctionnaire.

En outre, la Cour de justice a, déjà dès le stade de la procédure écrite, invité le requérant à rapporter la preuve que, pour prendre la décision le concernant, la Commission s'était laissée guider par d'autres considérations que celles qui avaient été mentionnées, à savoir en particulier par son activité syndicale et son comportement au sein du comité de promotion. Toutefois, ni au cours de la procédure écrite ni au cours de la procédure orale, le requérant n'a pu soumettre de preuve concluante à l'appui du fait que son activité syndicale ou les événements litigieux avaient été à l'origine de la décision de la Commission.

Enfin, on ne peut pas non plus voir dans la circonstance que tous les anciens coordinateurs de la division anglaise de traduction ont été nommés chefs d'équipe, à l'exception du requérant, un indice en faveur de l'allégation du requérant: en effet, le nombre de ces équipes de traducteurs a été réduit dans le cadre d'une restructuration, ce qui a eu pour conséquence inéluctable le fait que tous les anciens coordinateurs n'ont pas pu être nommés chefs d'équipe de traduction.

Dès lors, le requérant n'ayant pas pu rapporter la preuve du fait que la décision qui lui a été communiquée le 19 mars 1981 n'avait pas été dictée par des considérations étrangères à son objet, ses prétentions s'avèrent non fondées et nous proposons donc pour conclure de rejeter le recours et de statuer sur les dépens de l'instance conformément à l'article 70 du règlement de procédure.


( 1 ) Traduit de l'allemand.