Vu la procédure suivante
:
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 14, 22 et 29 mai 2024, M. B A, retenu au centre de rétention administrative de Paris, représenté par Me Djemaoun, demande au tribunal :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'annuler l'arrêté du 12 mai 2024 par lequel le préfet de police l'a implicitement obligé à quitter le territoire français, lui a refusé l'octroi d'un délai de départ volontaire et a fixé le pays de destination vers lequel il sera éloigné ;
3°) d'enjoindre au préfet de police de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
Sur le
s moyens communs à l'ensemble des décisions :
- Ces décisions sont prises par une autorité incompétente ;
- Elles sont insuffisamment motivées et révèlent un défaut d'examen de la situation personnelle de l'intéressé ;
Sur la décision faisant obligation de quitter le territoire français :
- Cette décision est entachée d'une erreur de droit et d'un défaut de base légale ;
- La notification de la décision du 16 septembre 2022 est irrégulière ;
- La décision litigieuse viole le droit d'être entendu préalablement ;
- Elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- Elle viole l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur la décision lui refusant un délai de départ volontaire :
- Cette décision est illégale en raison de l'illégalité qui affecte la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français ;
Sur la décision fixant le pays de destination :
- Cette décision est illégale en raison de l'illégalité qui affecte la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français ;
- Elle viole l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- La convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- Le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- Le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné M. Matalon en application de l'article
R. 776-15 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- Le rapport de M. Matalon.
- Les observations orales de Me Djemaoun, représentant M. A, qui conclut aux mêmes fins que sa requête, par les mêmes moyens ;
- Et les observations orales de Me Doucet, représentant le préfet de police, qui conclut au rejet de la requête en faisant valoir que les moyens invoqués par le requérant sont infondés ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A ressortissant marocain né le 1er juillet 1972 demande l'annulation de l'arrêté du 12 mai 2024 par lequel le préfet de police l'a implicitement obligé à quitter le territoire français, lui a refusé l'octroi d'un délai de départ volontaire et a fixé le pays de destination vers lequel il sera éloigné.
Sur la demande d'aide juridictionnelle provisoire :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 : " Dans les cas d'urgence, sous réserve de l'appréciation des règles relatives aux commissions ou désignations d'office, l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président ".
3. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'accorder, en application des dispositions précitées, l'admission à titre provisoire de M. A à l'aide juridictionnelle.
Sur la recevabilité de la requête :
4. Lorsqu'un arrêté de reconduite à la frontière a été dépourvu de mesure d'exécution pendant une durée anormalement longue, caractérisée par un changement de circonstances de fait ou de droit, et que ce retard est exclusivement imputable à l'administration, l'exécution d'office d'une reconduite à la frontière doit être regardée comme fondée non sur l'arrêté initial, même si celui-ci est devenu définitif faute d'avoir été contesté dans les délais, mais sur un nouvel arrêté de reconduite à la frontière dont l'existence est révélée par la mise en œuvre de l'exécution d'office elle-même et qui doit être regardé comme s'étant substitué à l'arrêté initial.
5. En l'espèce, l'arrêté initial par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a fait obligation à M. A de quitter le territoire français a été pris le 16 septembre 2022. Il n'a toutefois pas été mis à exécution dès lors que l'intéressé s'est soustrait à l'exécution de cette mesure. Si par l'arrêté du 12 mai 2024, en application de la décision du préfet de la Seine-Saint-Denis, le préfet de police de Paris a décidé le placement de M. A en rétention administrative, le délai de vingt mois entre les deux décisions, doit être regardé comme anormalement long et il ne ressort pas des pièces du dossier que ce retard soit imputable à M. A. Dès lors, l'arrêté portant placement de M. A en rétention administrative est de nature à faire naître une nouvelle décision portant obligation de quitter le territoire français qui s'est substituée à l'arrêté initial et peut faire l'objet d'un recours contentieux.
6. Il résulte de ce qui précède que la demande de M. A doit être regardée comme dirigée contre cette nouvelle mesure portant obligation de quitter le territoire français et contre la mesure de rétention qui l'accompagne.
Sur les conclusions d'annulation :
7. Pour justifier le placement en rétention de M. A le préfet de police s'est borné à constater que son comportement constituait une menace à l'ordre public, qu'il s'était soustrait à une précédente mesure d'éloignement et qu'il ne présentait aucune garantie de représentation effective à la date des décisions litigieuses au motif qu'il ne justifiait pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale. Toutefois, le requérant soutient que sa situation a radicalement changé depuis l'édiction de l'arrêté du
16 septembre 2022 du préfet de la Seine-Saint-Denis dès lors qu'il a fait une rechute de sarcoïdose. Il produit de nombreux documents médicaux dont une ordonnance du service médical d'urgence et de soins de l'Aéroport d'Orly, où il a été admis en urgence au moment de son interpellation, qui établit que le préfet de police a été informé des problèmes de santé de l'intéressé. De son côté, le préfet de police produit un avis du médecin de l'Office français de l'Immigration et de l'Intégration (OFII) qui a examiné le requérant à sa demande. Cet avis indique que si l'état de santé de l'intéressé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité il peut bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Toutefois, cet avis du médecin de l'OFII est postérieur à l'édiction de la décision en litige. Il n'établit pas que le préfet de police aurait examiné la situation personnelle de l'intéressé préalablement à l'édiction de la décision en litige. Dès lors, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, le requérant est fondé à soutenir que la décision qu'il attaque est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle.
8. Il résulte de ce qui précède que la décision implicite faisant obligation à M. A de quitter le territoire français, ainsi que, par voie de conséquence, les décisions fixant le pays de destination et le plaçant en rétention administrative, doivent être annulées.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
9. L'annulation de la décision faisant obligation à M. A de quitter le territoire français attaquée implique seulement que le préfet procède à un réexamen de sa situation et lui délivre une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce qu'il ait été à nouveau statué sur son cas. Ainsi, il y a lieu d'enjoindre au préfet de procéder à ce réexamen dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement, et de munir le requérant d'une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la même date. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 000 euros en application des dispositions des articles
L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique à verser à Me Djemaoun, sous réserve pour ce dernier, le cas échéant, de renoncer à percevoir la part contributive de l'État à l'aide juridique. Dans le cas où l'aide juridictionnelle ne serait pas accordée à M. A par le bureau d'aide juridictionnelle, la somme de 1000 euros sera versée à M. A.
D E C I D E :
Article 1er : M. A est admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.
Article 2 : L'arrêté du 12 mai 2024 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de police de délivrer une autorisation provisoire de séjour à
M. A dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent jugement et de procéder au réexamen de sa situation dans un délai d'un mois à compter de cette même date.
Article 4 : Sous réserve de l'admission définitive de M. A à l'aide juridictionnelle et sous réserve que Me Djemaoun renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, ce dernier versera à Me Djemaoun, conseil de M. A, une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans le cas où l'aide juridictionnelle ne serait pas accordée à M. A par le bureau d'aide juridictionnelle, la somme de 1000 euros sera versée à M. A.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent jugement sera notifié à M. B A, à Me Djemaoun et au préfet de police de Paris.
Lu en audience publique le 29 mai 2024.
Le magistrat désigné,La greffière
D. MATALONA. HEERALALL
La République mande et ordonne au préfet de police en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°
2411938/8