Vu la procédure suivante
:
Par une requête et des mémoires enregistrés les 13 décembre 2019, 14 avril 2020 et
14 mai 2021, Mme C A, représentée par Me Gady, demande au tribunal :
1°) de condamner l'EHPAD (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) E à lui verser la somme de 25 486 euros au titre des préjudices subis, du fait du recours abusif à une succession de contrats à durée déterminée entre le 3 décembre 2007 et le 31 mai 2019, somme qui sera assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de la requête avec capitalisation annuelle ;
2°) de mettre à la charge de l'EHPAD E une somme de 1 500 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :
En ce qui concerne la faute :
- l'EHPAD E a recouru de façon abusive, pour l'employer de façon quasi-ininterrompue du 3 décembre 2007 au 31 mai 2019 sur un poste identique d'agent de cuisine, à une succession de 89 contrats à durée déterminée ;
- contrairement à ce que soutient l'EPHAD E, ce n'est pas elle qui est à l'origine de la rupture des relations contractuelles ;
- en admettant même que ce soit le cas, cela n'aurait pas pour effet de l'exonérer de sa responsabilité.
En ce qui concerne les préjudices :
- elle a subi un premier préjudice financier lié au fait qu'elle a été privée de la possibilité de bénéficier d'un préavis de deux mois et qui doit être chiffré à la somme de 2 796 euros ;
- elle a subi un second préjudice financier lié au fait qu'elle n'a pas pu bénéficier d'une indemnité de licenciement et qui doit être chiffré à la somme de 7 690 euros ;
- enfin, elle a subi un préjudice moral qui doit être chiffré à la somme de 15 000 euros.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 14 février 2020 et 30 avril 2021, l'EHPAD E, représenté par Me Muller-Pistre, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la requérante la somme de 2 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
L'EHPAD E fait valoir qu'aucun des moyens que contient la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le décret n° 91-155 du 6 février 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. L'hôte, rapporteur ;
- et les conclusions de M. Colera, rapporteur public.
Considérant ce qui suit
:
1. Mme A a été recrutée par l'EPHAD E comme agent des services hospitaliers qualifiée contractuelle et a signé 89 contrats à durée déterminée sur la période du 2007 au 2019. Considérant le recours à cette série de contrats à durée déterminée abusif, elle demande au tribunal de condamner l'EPHAD E à lui verser la somme de 25 486 euros de dommages-intérêts, se décomposant en 10 486 euros de préjudice financier et 15 000 euros de préjudice moral.
I. Sur les conclusions indemnitaires :
I.A- En ce qui concerne la faute :
2. Aux termes de l'article 9-1 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière : " I Les établissements peuvent recruter des agents contractuels pour assurer le remplacement momentané de fonctionnaires ou d'agents contractuels autorisés à exercer leurs fonctions à temps partiel ou indisponibles en raison d'un congé annuel, d'un congé de maladie, de grave ou de longue maladie, d'un congé de longue durée, d'un congé pour maternité ou pour adoption, d'un congé parental, d'un congé de présence parentale, d'un congé de solidarité familiale, de l'accomplissement du service civil ou national, du rappel ou du maintien sous les drapeaux ou de leur participation à des activités dans le cadre des réserves opérationnelle, de sécurité civile ou sanitaire ou en raison de tout autre congé régulièrement octroyé en application des dispositions réglementaires applicables aux agents contractuels de la fonction publique hospitalière. / Le contrat est conclu pour une durée déterminée. Il est renouvelable, par décision expresse, dans la limite de la durée de l'absence de l'agent à remplacer () ".
3. Si les dispositions des article 9 ou 9-1 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière offrent la possibilité à un établissement public hospitalier de recourir, le cas échéant, à une succession de contrats à durée déterminée, elles ne font cependant pas obstacle à ce qu'en cas de renouvellement abusif de tels contrats, l'agent concerné puisse se voir reconnaître un droit à l'indemnisation du préjudice éventuellement subi lors de l'interruption de la relation d'emploi, évalué en fonction des avantages financiers auxquels il aurait pu prétendre en cas de licenciement s'il avait été employé dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée. Dans cette hypothèse, il incombe au juge, pour apprécier si le recours à des contrats à durée déterminée successifs présente un caractère abusif, de prendre en compte l'ensemble des circonstances de fait qui lui sont soumises, notamment la nature des fonctions exercées, le type d'organisme employeur ainsi que le nombre et la durée cumulée des contrats en cause.
4. Il résulte de l'instruction que Mme A a exercé, en tant qu'agent contractuel des services hospitaliers, des fonctions d'agent au sein de l'EPHAD E de manière quasi-ininterrompue du 2007 jusqu'au 2019. Si l'EPHAD fait valoir que ces fonctions ont été exercées en remplacement d'agents indisponibles ou en congés, elles ont toutefois donné lieu à 89 contrats successifs. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, Mme A est fondée à soutenir que l'EPHAD E a recouru abusivement à une succession de contrats à durée déterminée.
I.B- En ce qui concerne les préjudices :
I.B.1- S'agissant des préjudices financiers :
5. En cas de renouvellement abusif de contrats à durée déterminée, l'agent concerné peut se voir reconnaître un droit à l'indemnisation du préjudice éventuellement subi lors de l'interruption de la relation d'emploi, évalué en fonction des avantages financiers auxquels il aurait pu prétendre en cas de licenciement s'il avait été employé dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée.
6. Si Mme A soutient que l'EPHAD E a mis fin à la relation contractuelle, elle ne produit aucun commencement de preuve à l'appui de cette allégation. En revanche, l'EPHAD E, qui soutient au contraire que la requérante elle-même a mis fin à ces relations contractuelles, produit une attestation de l'adjointe des cadres hospitaliers de l'établissement en date du 30 septembre 2019 certifiant qu'elle a envoyé à Mme A le 13 juin 2019 un courrier pour lui demander si elle souhaitait honorer le contrat qui était prévu pour le mois de juin 2019 et que cette dernière n'y a jamais répondu, le planning des mois de mai à août 2019, sur lequel Mme A est mentionnée pour les mois de mai à juillet 2019, un projet de contrat pour le mois de juin 2019 et la copie du courrier adressé le 13 juin 2019 à l'adresse habituelle de Mme A. Dans ces conditions, Mme A, qui est à l'origine de la rupture de la relation contractuelle, n'est pas fondée à se prévaloir d'un préjudice financier.
I.B.2- S'agissant du préjudice moral :
7. Si pour les raisons invoquées au point 6, la requérante ne saurait pas non plus se prévaloir d'un préjudice moral lié à la rupture brutale des relations contractuelles par l'EPHAD E, il sera en revanche fait une juste appréciation du préjudice moral subi par la requérante en raison du recours abusif par l'EPHAD E à une série de 89 contrats successifs pendant 11 ans en le fixant à la somme de 3 000 euros.
8. Il résulte de tout ce qui précède, que Mme A est seulement fondée à demander la condamnation de l'EPHAD E à lui verser la somme de 3 000 euros du fait du préjudice moral subi.
II. Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :
9. Mme A a droit aux intérêts au taux légal à compter du 25 septembre 2019, date de réception de sa demande indemnitaire préalable par l'EPHAD E. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée le 13 décembre 2019, lors de l'introduction de la requête. Il y a donc lieu de faire droit à cette demande à compter du 13 décembre 2020, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
II. Sur les frais liés au litige :
10. Aux termes de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
11. Les dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme A, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que l'EPHAD E réclame au titre des frais liés à l'instance. Il y a lieu, en revanche et dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'EPHAD E, le versement d'une somme de 1 500 euros à Mme A, au titre des frais liés au litige.
D E C I D E :
Article 1er : L'EPHAD E versera à Mme A la somme de 3 000 euros en raison du préjudice moral subi suite au recours abusif à une série de 89 contrats à durée à durée indéterminée, avec intérêts au taux légal à compter du 25 septembre 2019. Les intérêts échus à la date du 13 décembre 2020, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune des dates pour produire eux-mêmes des intérêts.
Article 2 : L'EPHAD E versera à Mme A une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros à Mme A, en application des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de l'EPHAD E, présentées sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à Mme C A et à l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes E.
Délibéré après l'audience du 18 novembre 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Salzmann, présidente,
- Mme de Bouttemont, première conseillère,
- M. L'hôte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 décembre 2022.
Le rapporteur,La présidente,SignéSigné F. L'hôteM. DLa greffière,SignéA. Capelle
La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Saint-Denis, en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.