AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-quatre janvier deux mille un, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire SAMUEL, les observations de la société civile professionnelle LE GRIEL, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général Di GUARDIA ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- Z... Azzeddine,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 9ème chambre, en date du 13 décembre 1999, qui, pour escroquerie, l'a condamné à 18 mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen
de cassation, pris de la violation des articles
313-1 du Code pénal, 6, 12-1, 65 et 65-3 du décret-loi du 30 octobre 1935, 2 et 34 du décret du 22 mai 1992 et
593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable d'escroquerie et l'a condamné de ce chef ;
"aux motifs que "caractérise la coaction d'escroquerie au préjudice de la Banque Commerciale du Maroc, le fait pour Azzedine Z..., directeur d'agence, abusant de sa qualité, d'accepter, sans aucune vérification sérieuse, systématiquement des chèques dont les montants importants (1 200 000 francs, 460 000 francs et 380 000 francs) et la qualité des tireurs, personnes physiques sans grandes ressources, révèlent l'absence de provision, pour en créditer le compte de son client, et justifier ainsi l'émission concomitante, voire antérieure, de deux chèques de banque d'un montant très important et de lettres d'intention au profit de celui-ci, bénéficiant ainsi d'un crédit imaginaire, lesdites manoeuvres participant à l'évidence d'un concert frauduleux préalable" ;
"alors que, d'une part, le délit d'escroquerie n'est établi que si le prévenu a participé à des manoeuvres frauduleuses déterminantes de la remise et antérieures à celle-ci et qu'en s'abstenant, en l'occurrence, de rechercher, comme elle y était pourtant invitée par les conclusions d'appel du demandeur, si, au moment de l'émission des chèques de banque, le compte "Impex Auto" n'était pas créditeur en raison du paiement du chèque de 1 200 000 francs par le Crédit Lyonnais, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
"alors que, d'autre part, l'abus de qualité susceptible de constituer le délit d'escroquerie, qui revient à s'attribuer plus de pouvoirs que n'en confère la qualité, ne peut avoir d'effet que sur des tiers ignorant l'exacte étendue de ces pouvoirs ; qu'en l'occurrence, le prétendu dépassement par le directeur d'agence des limites de sa délégation de pouvoirs par l'octroi de crédits non autorisés ne pouvait pas constituer pour la banque, qui connaissait l'étendue exacte des pouvoirs de son préposé et avait à tous moments la faculté de le contrôler, un abus de qualité susceptible d'emporter sa confiance et de la persuader d'un crédit imaginaire et qu'en retenant néanmoins la qualification d'escroquerie, la cour d'appel a violé l'article 313-1 susvisé du Code pénal ;
"alors qu'enfin, il ne peut y avoir d'escroquerie lorsque la victime, qui était au courant des agissements du prévenu, a remis les fonds en connaissance de cause et qu'en l'occurrence, en ne répondant pas aux conclusions du demandeur faisant valoir que la signature des deux chèques de banque par un supérieur hiérarchique d'Azzedine Z... jointe au fait que celui-ci n'avait pas exigé l'affectation de la provision desdits chèques sur le compte spécial prévu à cet effet établissaient qu'en tout état de cause les chèques de banque avaient été émis en connaissance de la fausse apparence de crédit du compte "Impex Auto", la cour d'appel a entaché sa décision d'un grave défaut de motifs" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'Azzedine Z..., chef d'agence de la banque commerciale du Maroc, a, au cours de l'année 1994, crédité le compte de la société Impex Auto notamment de chèques d'un montant de 380 000, 460 000 et 1 200 000 francs, en réalité sans provision ; que deux chèques de banque d'un montant de 370 000 et de 745 000 francs ont été émis sur ce compte, respectivement le 24 mai et le 5 juin 1994, au bénéfice du garage X... ; qu'Azzedine Z... a établi une attestation à l'attention de la société X... afin de garantir le paiement d'un chèque de 420 000 francs établi par la société Impex Auto ;
qu'au 30 juin 1994, le compte de la société Impex Auto présentait un solde débiteur de 3 083 031 francs ;
Qu'Azzedine Z... a été poursuivi, avec les dirigeants de la société Impex Auto, pour avoir, par des manoeuvres frauduleuses destinées à présenter une fausse situation du crédit de cette société, déterminé la banque commerciale du Maroc à lui remettre la somme totale de 3 083 031 francs ;
Attendu que, pour le déclarer coupable d'escroquerie, la cour d'appel, après avoir rappelé que le supérieur hiérarchique d'Azzedine Z..., qui a contresigné les deux chèques de banque, a obligatoirement pris des renseignements auprès de ce dernier quant à la situation du compte de ses clients et que le prévenu s'est gardé de lui indiquer que le compte était artificiellement créditeur grâce aux chèques litigieux, énonce notamment que le fait d'accepter systématiquement, sans vérification sérieuse, des chèques dont les montants importants et la qualité des tireurs, personnes physiques sans grandes ressources, révélaient l'absence de provision, pour en créditer le compte de son client en le faisant bénéficier d'un crédit imaginaire et justifier ainsi à son profit l'émission concomitante voire antérieure notamment de deux chèques de banque d'un montant très important, caractérisent la coaction d'escroquerie ; que les juges ajoutent que ces manoeuvres participent d'un concert frauduleux préalable et que l'ensemble des opérations effectuées sur le compte d'Impex Auto était destiné à en masquer le découvert ;
Attendu qu'en l'état de ces seules énonciations, d'où il résulte que le prévenu avait connaissance, au moment de l'émission des chèques de banque, de l'absence de provision des chèques dont il avait frauduleusement crédité le compte de la société Impex Auto, peu important que l'un deux ait été ensuite, par erreur, payé par la banque du tiré, et abstraction faite d'un motif erroné mais surabondant relatif à l'abus de qualité critiqué dans la deuxième branche du moyen, la cour d'appel, qui a répondu à tous les chefs péremptoires des conclusions, a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Sur le second moyen
de cassation, pris de la violation des articles
2 et
593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné le prévenu à verser à la partie civile 3 083 031 francs de dommages-intérêts ;
"aux motifs que "la Banque Commerciale du Maroc, reprenant ses conclusions de première instance sollicite la condamnation solidaire des trois prévenus à lui verser la somme de 3 500 791,68 francs en réparation du préjudice subi se décomposant comme suit :
- solde débiteur Mohamed Y... 435 144,87 Frs
- solde débiteur Impex Auto 2 645 649,81 Frs
- solde débiteur Impex Auto-attestations 420 000,00 Frs
qu' "elle demande, en outre, la condamnation d'Azzedine Z... à lui verser la somme de 82 564,50 francs en réparation du préjudice subi du chef du solde débiteur du compte de Mohamed Y... et Mlle A..." ; que, "compte tenu de la déclaration de culpabilité à l'égard des trois prévenus, la constitution de partie civile est recevable et fondée pour le surplus de sa demande" et que "la Cour dispose d'éléments suffisants d'appréciation pour fixer son préjudice direct et actuel résultant des agissements frauduleux des prévenus à la somme de 3 083 031 francs" ;
"alors que, si la réparation du préjudice doit être intégrale, il ne doit en résulter aucun profit pour la victime ; que, par ailleurs, le préjudice causé par une infraction doit être déterminé par les juges du fond au jour où ils statuent et qu'en l'occurrence, en omettant de rechercher, comme elle y était pourtant invitée par les conclusions d'appel du demandeur, si la BCM avait bien honoré le chèque de 420 000 francs émis à l'ordre de M. X... dont elle avait garanti le paiement et si des sommes n'avaient pas été portées au crédit du compte "Impex Auto" postérieurement aux faits reprochés, sommes susceptibles de venir en déduction du montant du préjudice allégué par la banque, comme le laissait supposer le fait qu'Hassan Y... n'avait pas été mis en redressement judiciaire ou en liquidation de biens et que la banque non seulement n'avait pas pris de nantissement sur le fond de commerce d'Hassan Y... mais encore n'avait pas formé opposition au paiement du prix du fonds commerce vendu par l'intéressé le 3 avril 1995, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision" ;
Attendu que, pour condamner Azzedine Z..., solidairement avec d'autres prévenus, à payer à la Banque Commerciale du Maroc, la somme de 3 083 031 francs, la cour d'appel se prononce par les motifs reproduits au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, l'arrêt attaqué, qui a souverainement apprécié, sans insuffisance ni contradiction, la consistance du préjudice invoqué et l'étendue de sa réparation, n'encourt pas le grief allégué ;
Que, dès lors, le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article
L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Samuel conseiller rapporteur, M. Schumacher conseiller de la chambre ;
Avocat général : M. Di Guardia ;
Greffier de chambre : Mme Lambert ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;