Chronologie de l'affaire
Tribunal de Grande Instance de Paris 25 mai 2018
Cour d'appel de Paris 15 septembre 2020

Tribunal de Grande Instance de Paris, 25 mai 2018, 2016/05528

Mots clés validité de la marque · marque de l'UE · droit de l'UE · caractère distinctif · fonction d'indication d'origine · public pertinent · clientèle spécifique · professionnel · caractère descriptif · qualité · langue étrangère · traduction évidente · combinaison de mots · désignation nécessaire · désignation générique · désignation usuelle · caractère faiblement distinctif · déchéance de la marque · délai de non-usage · point de départ du délai · usage sérieux · usage à titre de marque · procédure · question préjudicielle · dégénérescence · marque devenue usuelle · défense du titre · action en justice · contrefaçon de marque · imitation · risque de confusion · similarité des produits ou services · différence visuelle · partie verbale · adjonction · espace · structure différente · partie figurative · dessin · couleur · différence phonétique · prononciation · sonorité · différence intellectuelle · contrefaçon de marque

Synthèse

Juridiction : Tribunal de Grande Instance de Paris
Numéro affaire : 2016/05528
Domaine de propriété intellectuelle : MARQUE
Marques : BLUECAR ; AUTO BLEUE ; autobleue ma voiture électrique en libre-service
Classification pour les marques : CL09 ; CL12 ; CL16 ; CL18 ; CL25 ; CL38 ; CL39 ; CL41 ; CL42
Numéros d'enregistrement : 4597621 ; 3796000 ; 3822503 ; 3877246 ; 3877248
Parties : BOLLORÉ SA / MÉTROPOLE NICE CÔTE D'AZUR ; VENAP SAS

Texte

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS JUGEMENT rendu le 25 mai 2018

3ème chambre 2ème section N° RG : 16/05528

Assignation du 05 avril 2016

DEMANDERESSE S.A. BOLLORE Odet 29500 ERGUE GABERIC représentée par Maître Stéphanie LEGRAND de la SEP LEGRAND L GAULTIER, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #D1104

DÉFENDERESSES METROPOLE NICE COTE D'AZUR Le Plaza [...] 06200 NICE représentée par Maître Christophe CABANES de la SELARL SELARL Cabinet CABANES - CABANES NEVEU Associés, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #R0262

S.A.S. VENAP Boulevard Maître Maurice Slama Nice la Plaine Bât. C1 06200 NICE représentée par Maître Guillaume MARCHAIS de la SELARL MARCHAIS ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #L0280

COMPOSITION DU TRIBUNAL François A, Premier Vice-Président adjoint Françoise BARUTEL, Vice-Présidente Marie-Christine C, Vice-Présidente assistés de Jeanine R, Faisant fonction de Greffier,

DÉBATS À l'audience du 22 mars 2018 tenue en audience publique devant François A, Françoise BARUTEL, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 786 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe Contradictoire en premier ressort FAITS, PROCÉDURE, MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES La société BOLLORE, créée par Monsieur Vincent Bolloré, se présente comme une société développant depuis plus de quinze ans des technologies visant à mettre sur le marché des véhicules électriques non polluants, disposant d'une autonomie suffisante pour permettre un usage comparable à celui d'un véhicule classique.

À partir de l'année 2001, la Société BLUE SOLUTIONS, anciennement dénommée BATSCAP, filiale du Groupe BOLLORE a conçu et développé une batterie à base de lithium-métal-polymère permettant une grande capacité de stockage. En 2005, la société BOLLORE a présenté au Salon International de l'Automobile de Genève, le premier prototype de voiture conçu dès l'origine pour une telle motorisation électrique, sous le nom de BLUECAR équipée de la batterie BATSCAP.

La société BOLLORE est notamment titulaire des marques suivantes:

- la marque de l'Union Européenne BLUECAR déposée le 3 août 2005 pour désigner notamment des « véhicules, et notamment des voitures terrestres à propulsion électrique » en classe 12, enregistrée le 23 août 2006 sous le n°4 597 621 (ci-après la marque n°621) et régulièrement renouvelée ;

- la marque française BLUECAR déposée le 10 janvier 2011 pour désigner notamment des services de « location de véhicules » en classe 39, dont l'enregistrement a été publié le 6 mai 2011 sous le n° 3 796 000 (ci-après la marque n°000).

La société VENAP se présente comme une filiale commune des groupes TRANSDEV et EDF, désignée par la Métropole Nice Côte d'Azur à l'issue d'une procédure d'appel d'offres pour mettre en place et exploiter un service public de location de voitures électriques disponible sur Nice et son agglomération sous la marque AutoBleue.

La METROPOLE NICE CÔTE D'AZUR (anciennement Communauté Urbaine Nice Côte d'Azur) est un établissement public de coopération intercommunale créé le 1er janvier 2012.

Elle est notamment titulaire des marques suivantes :

- La marque française AUTO BLEUE, n°3 822 503 déposée le 5 avril 2011 et enregistrée dans divers produits et services des classes 16, 35 et 39 ;

- La marque française semi-figurative n° 3 877 246 déposée le 22 novembre 2011 et enregistrée dans divers produits et services des classes 16, 35 et 39 ; - La marque française semi-figurative n° 3 877 248 déposée le 22 novembre 2011 et enregistrée dans divers produits et services des classes 16, 35 et 39.

Le contentieux entre les parties a débuté en 2011, à la suite du dépôt par la METROPOLE NICE CÔTE D'AZUR des trois marques AUTO BLEUE précitées et de l'opposition formée par la société BOLLORE sur le fondement notamment de sa marque de l'Union Européenne n°621.

Le Directeur général de l'INPI a fait droit, aux termes de deux décisions des 6 janvier et 23 août 2012, aux demandes d'opposition pour certains produits et services et notamment pour les « véhicules » en classe 12 et pour les services de « location de véhicules » en classe 39.

Déclarant avoir constaté que, en dépit de ces décisions, la METROPOLE NICE CÔTE D'AZUR persiste à faire usage des signes refusés à l'enregistrement pour désigner le service de location de véhicules AUTO BLEUE proposé sur son territoire et les véhicules loués dans ce cadre, la société BOLLORE a, par acte d'huissier en date du 5 avril 2016, assigné la METROPOLE NICE CÔTE D'AZUR et la société VENAP en contrefaçon de marques.

Dans ses dernières conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 30 janvier 2018, la société BOLLORE, au visa des articles 9 et 102 du Règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 modifié par le règlement (UE) n° 2015/2424 du 16 décembre 2015 et L. 713-3, L. 716-1, 16-14 code de la propriete intellectuelle">L. 716-14, L. 716-15, L. 717- 1 et L. 717-2 du Code de la Propriété Intellectuelle, demande en ces termes au Tribunal de :

DECLARER la Société VENAP mal fondée en ses demandes en nullité de la marque de l'Union Européenne BLUECAR n° 4 597 621 et de la marque française BLUECAR n° 3 796 000 ; l'en débouter ;

DECLARER la Société VENAP mal fondée en ses demandes en déchéance pour défaut d'exploitation de la marque de l'Union Européenne BLUECAR n° 4 597 621 et de la marque française BLUECAR n° 3 796 000 ; l'en débouter ;

LA DECLARER également irrecevable et mal fondée en sa demande subsidiaire visant à voir poser une question préjudicielle à la CJUE ; l'en débouter ;

DECLARER la Société VENAP mal fondée en ses demandes en déchéance pour dégénérescence de la marque de l'Union Européenne BLUECAR n° 4 597 621 et de la marque française BLUECAR n° 3 796 000 ; l'en débouter ; DIRE et JUGER que la Métropole Nice Côte d'Azur et la Société VENAP se sont rendues coupables de contrefaçon de la marque de l'Union Européenne BLUECAR n° 4 597 621 et de la marque française BLUECAR n° 3 796 000 au préjudice de la Société BOLLORE ;

INTERDIRE à la Métropole Nice Côte d'Azur et à la Société VENAP, sous astreinte de 1.500 € par infraction constatée à compter de la signification du jugement à intervenir, de faire usage des signes AUTO BLEUE et autobleue, sous forme verbale, sous les formes

ou ou sous quelque autre forme que ce soit, sur tout support (brochure, catalogue, site Internet...) et à quelque titre que ce soit, pour désigner, présenter, proposer au public, offrir à la vente ou vendre des véhicules, ou fournir des services de location de véhicules, l'infraction s'entendant de chaque acte d'usage du signe en cause ;

INTERDIRE à la Société VENAP, sous astreinte de 1.500 € par infraction constatée à compter de la signification du jugement à intervenir, de faire usage des mêmes signes pour désigner les mêmes produits et services, sur les sites accessibles aux adresses www.autobleue.org et www.auto-bleue-org ;

ORDONNER la radiation par la Métropole Nice Côte d'Azur du nom de domaine www.auto-bleue.org, sous astreinte de 1.500 € par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir ;

DIRE que le Tribunal se réservera la liquidation des astreintes ordonnées ;

CONDAMNER in solidum la Métropole Nice Côte d'Azur et la Société VENAP à verser à la Société BOLLORE la somme de 150.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de l'atteinte portée à ses droits privatifs sur les marques BLUECAR n° 4 597 621 et 3 796 000 et de leur dépréciation consécutive ;

DEBOUTER la Métropole Nice Côte d'Azur et la Société VENAP de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

ORDONNER la publication du jugement à intervenir, in extenso ou par extraits, dans cinq journaux ou revues (deux journaux nationaux, deux journaux locaux et un magazine automobile) au choix de la Société BOLLORE et aux frais avancés de la Métropole Nice Côte d'Azur et la Société VENAP tenues in solidum, dans la limite de 5.000 € H.T. par insertion ;

CONDAMNER in solidum la Métropole Nice Côte d'Azur et la Société VENAP à payer à la Société BOLLORE la somme de 20.000 € par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

Les CONDAMNER également in solidum, sur le même fondement, à rembourser à la Société BOLLORE les débours, frais et honoraires d'huissier par elle exposés à l'occasion des opérations de constat des 24 janvier 2014 et 29 mars 2016 ;

CONDAMNER in solidum la Métropole Nice Côte d'Azur et la Société VENAP aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Stéphanie LEGRAND, Avocat, par application de l'article 699 du Code de Procédure Civile ;

ORDONNER l'exécution provisoire du jugement à intervenir, nonobstant appel et sans constitution de garantie.

Dans ses dernières conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 21 février 2018, la société VENAP, au visa des articles L.711-1, L.711-2, L.713-2, L. 713-3, L.714-3, L.714-5, L. 714- 6, L.716-1, L. 717-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, du Règlement (CE) n°207/2009 du 26 février 2009 modifié par le Règlement (CE) n°2015/2424 du 15 décembre 2015 et notamment ses articles 7, 9, 15, 51 et 52, de la directive (UE) 2015/2436 du parlement européen et du conseil du 16 décembre 2015 et notamment ses articles 3 4 et 19, de l'article 267 du TFUE, et des articles 699 et 700 du Code de procédure civile, demande en ces termes au Tribunal de :

À titre principal :

DIRE que la marque de l'Union européenne BLUECAR n°004 597 621 et la marque française BLUECAR n°11 3 796 000 sont nulles pour défaut de caractère distinctif et/ou en raison de leur caractère nécessaire, générique, usuel et descriptif pour les « voitures terrestres à propulsion électrique » en classe 12 et les services de « location de véhicules » en classe 39 qu'elles désignent ;

À titre subsidiaire :

CONSTATER l'absence d'exploitation sérieuse de la marque de l'Union européenne BLUECAR n°004 597 621 et de la marque française BLUECAR n°11 3 796 000 pour les « voitures terrestres à propulsion électrique » en classe 12 et les services de « location de véhicules » en classe 39 qu'elles désignent ;

À titre très subsidiaire : CONSTATER la dégénérescence de la marque de l'Union européenne BLUECAR n°004 597 621 et de la marque française BLUECAR n°11 3 796 000 pour les « voitures terrestres à propulsion électrique » en classe 12 et les services de « location de véhicules » en classe 39 qu'elles désignent ;

À titre infiniment subsidiaire :

DIRE que l'usage du signe « AUTO BLEUE » sous sa forme verbale,

sous ses formes semi-figuratives ou <auto-bleue.org> sous la forme d'un nom de domaine par la société VENAP et/ou la société MNCA ne constitue pas un acte de contrefaçon des marques antérieures de la société BOLLORÉ ;

Si le Tribunal avait une incertitude sur la manière dont il convient d'interpréter le texte des articles 15 du Règlement et L.714-5 du code de propriété intellectuelle, la Défenderesse suggère que la Cour de Justice des Communautés Européennes soit interrogée sur la question suivante :

« L'article 51 du Règlement (CE) n°207/2009 du 26 février 2009 modifié par le Règlement (CE) n°2015/2424 du 15 décembre 2015 et l'article 19 de la Directive (UE) 2015/2436 du parlement européen et du conseil du 16 décembre 2015 portant tous deux sur la déchéance des droits d'un titulaire de marque qui n'a pas fait l'objet d'un usage sérieux pour les produits ou services pour lesquels elle est enregistrée, doivent-ils être interprétés en ce sens que, pour être qualifié de sérieux, l'usage d'une marque qui n'a pas acquis de distinctivité en raison de son usage doit, nécessairement et conformément à sa fonction d'identification d'une origine commerciale, avoir été fait à titre de marque, excluant de facto la prise en considération de son éventuel usage à titre descriptif?

En d'autres termes, est-ce que l'usage d'une marque à titre descriptif vaut usage sérieux au sens des articles 51 du Règlement (CE) n°207/2009 du 26 février 2009 modifié par le Règlement (CE) n°2015/2424 du 15 décembre 2015 et 19 de la Directive (UE) 2015/2436 du parlement européen et du conseil du 16 décembre 2015, susceptible d'empêcher sa déchéance, lorsque la marque en cause n'a pas acquis de distinctivité au terme de son usage ? »

En conséquence de quoi :

À titre principal : PRONONCER la nullité de la marque de l'Union européenne BLUECAR n°004 597 621 et de la marque française BLUECAR n°11 3 796 000 pour défaut de caractère distinctif et/ou en raison de leur caractère nécessaire, générique, usuel et descriptif pour les « voitures terrestres à propulsion électrique » en classe 12 et les services de « location de véhicules » en classe 39 qu'elles désignent ;

À titre subsidiaire :

PRONONCER la déchéance, faute d'exploitation sérieuse, de la marque de l'Union européenne BLUECAR n°004 597 621 et de la marque française BLUECAR n°11 3 796 000 pour les « voitures terrestres à propulsion électrique » en classe 12 et les services de « location de véhicules » en classe 39 qu'elles désignent ;

À titre très subsidiaire :

PRONONCER la dégénérescence de la marque de l'Union européenne BLUECAR n°004 597 621 et de la marque française BLUECAR n°11 3 796 000 pour les « voitures terrestres à propulsion électrique » en classe 12 et les services de « location de véhicules » en classe 39 qu'elles désignent ;

ORDONNER la communication de la présente décision, une fois celle- ci devenue définitive, à l'INPI et à l'OMPI, par la partie la plus diligente, pour inscription sur leur registres ;

DEBOUTER la société BOLLORE de l'intégralité de ses demandes ;

CONDAMNER la société BOLLORE à verser à la société VENAP, la somme de 20.000 €uros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNER la société BOLLORE aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL MARCHAIS Associés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 13 juillet 2018 la METROPOLE NICE CÔTE D'AZUR demande en ces termes au Tribunal de :

REJETER l'ensemble des conclusions de la Société BOLLORE, avec toutes conséquences de droit ;

CONDAMNER la Société BOLLORE à lui verser une somme de 4.000€ en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 mars 2018.

MOTIFS DE LA DÉCISION 1) Sur la nullité des marques française et européenne BLUECAR n° 621 et 000 pour défaut de caractère distinctif

La société VENAP expose que l'article L.711-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que pour être valable, une marque doit être distinctive, et qu'elle ne doit ni être la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service désigné, ni servir à désigner une caractéristique du produit et notamment l'espèce, la qualité et/ou la destination du produit ou du service qu'elle désigne.

Elle prétend que le terme BLUE pris isolément n'est pas distinctif pour tout produit ou service lié à l'électricité, que le terme CAR pris séparément est usuel et descriptif pour tout produit et service en lien avec un véhicule, et que les termes BLUE et CAR ensemble sont également dépourvus de caractère distinctif en ce qu'ils signifient littéralement « voiture de couleur bleue » et « voiture en lien avec une énergie propre ».

En réponse, la demanderesse affirme que selon la jurisprudence, le caractère distinctif doit être apprécié, d'une part par rapport aux produits ou aux services pour lesquels l'enregistrement est demandé et, d'autre part, par rapport à la perception qu'en a le public pertinent, qui est constitué par le consommateur moyen desdits produits ou services normalement informé et raisonnablement avisé.

Elle expose par ailleurs que la marque BLUE a de fait été déclarée non descriptive pour désigner des produits de la classe 9 au sens de l'article 7.1 c), peu important que les produits pour lesquels la marque est déposée puissent être disponibles en bleu, la marque étant verbale et non de couleur, et la couleur n'étant pas une caractéristique essentielle des produits en cause.

Elle énonce également qu'il n'y a pas lieu de « disséquer » le signe BLUECAR et que le terme «BLUE » ne désignait pas, de manière courante et usuelle à la date du dépôt en 2005, la caractéristique « écologique » des véhicules et notamment des voitures terrestres à propulsion électrique, visés en classe 12.

Subsidiairement, elle affirme également que les marques BLUECAR ont acquis un caractère distinctif par usage.


Sur ce,


En application de l'article 4 du règlement n°40/94 du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire applicable en l'espèce au regard de la date de dépôt le 3 août 2005 de la marque BLUECAR n° 621 en cause, sont susceptibles de constituer une marque communautaire « tous les signes susceptibles d'une représentation graphique (...) à condition que de tels signes soient propres à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises». Aux termes de l'article 7 paragraphe 1 « sont refusés à l'enregistrement (...) b) les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif ; c) les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d'indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l'époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d'autres caractéristiques de ceux-ci ; d) les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d'indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce ».

En outre, en application des articles L. 711-1 et L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle interprété à la lumière de la directive n°2008/95 du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques, applicable en l'espèce au regard de la date de dépôt le 10 janvier 2011 de la marque française BLUECAR n°000 en cause, la marque est un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale, dont le caractère distinctif s'apprécie à l'égard des produits ou services désignés. « Sont dépourvus de caractère distinctif : a) les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service ; b) les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l'époque de la production du bien ou de la prestation de service ; c) Les signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle. Le caractère distinctif peut, sauf dans le cas prévu au c) être acquis par l'usage."

Il résulte de ces dispositions que le caractère distinctif d'une marque signifie que cette marque permet d'identifier le produit pour lequel l'enregistrement est demandé comme provenant d'une entreprise déterminée et donc de distinguer ce produit de ceux d'autres entreprises et que ce caractère distinctif doit être apprécié, d'une part, par rapport aux produits ou aux services pour lesquels l'enregistrement est demandé et, d'autre part, par rapport à la perception que le public pertinent en a.

En l'espèce, les marques BLUECAR étant attaquées en ce qu'elles visent les « voitures terrestres à propulsion électrique » et les « services de location de véhicule », le public pertinent est constitué du consommateur moyen, normalement informé, acheteur ou loueur de voitures, particulièrement attentif s'agissant d'une nouvelle technologie en matière de transport, ainsi que des professionnels. Si les trois dernières lettres de la marque BLUECAR à savoir CAR sont comprises par le public français comme désignant en anglais le mot voiture, et sont à cet égard descriptives pour désigner des voitures ou des services de location de voitures, il convient d'apprécier la distinctivité d'une marque dans son ensemble qui est en l'espèce constituée non pas de deux mots mais d'un seul signe à savoir « BLUECAR », outre que le mot BLUE, s'il est facilement compréhensible comme la couleur bleue en anglais, n'est en revanche pas usuellement employé pour désigner une énergie propre, le public français parlant plus volontiers d'énergies vertes, de sorte que le signe « BLUECAR » s'il n'est pas doté d'une forte distinctivité en ce qu'il désigne des voitures électriques et des services de location de voitures n'est cependant pas la désignation nécessaire, générique ou usuelle d'une voiture électrique et ne sert pas davantage à désigner le caractère écologique et non polluant d'une voiture, et permet en conséquence au public pertinent d'identifier les voitures et les services de location de véhicules pour lesquels la marque a été enregistrée comme provenant de la société BOLLORE et donc de distinguer ces produits et services de ceux d'autres entreprises.

Le moyen tiré de la nullité pour défaut de caractère distinctif sera donc rejeté.

2) Sur la demande reconventionnelle en déchéance des marques BLUECAR n° 621 et 000 pour défaut d'usage sérieux

La société VENAP, sur le fondement de l'article L.714-5 du code de la propriété intellectuelle, expose que la déchéance de marque est encourue lorsque le propriétaire de la marque n'en a pas fait un usage sérieux pour les produits et services visés dans l'enregistrement pendant une période ininterrompue de cinq ans. Elle prétend en l'espèce que l'usage du signe BLUECAR est purement descriptif et non à titre de marque en ce qu'il est exploité pour désigner une voiture électrique de couleur bleue, de sorte que la preuve de l'usage sérieux des marques n'est pas rapporté et que la société BOLLORE doit donc être déchue de ses droits sur les marques BLUECAR.

En réponse, la société BOLLORE affirme qu’il n'est pas contestable que les marques BLUECAR font l'objet d'un usage sérieux par les sociétés du GROUPE BOLLORE - et notamment la société BLUECAR qui fait partie de l'entité BLUE APPLICATIONS - pour désigner des véhicules terrestres, notamment à propulsion électrique.


Sur ce,


En application de l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle, « encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n'en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l'enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans. Est assimilé à un tel usage : a) L'usage fait avec le consentement du propriétaire de la marque ou, pour les marques collectives, dans les conditions du règlement ; b) L'usage de la marque sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif ; c) L'apposition de la marque sur des produits ou leur conditionnement exclusivement en vue de l'exportation. La déchéance peut être demandée en justice par toute personne intéressée. Si la demande ne porte que sur une partie des produits ou des services visés dans l'enregistrement, la déchéance ne s'étend qu'aux produits ou aux services concernés. L'usage sérieux de la marque commencé ou repris postérieurement à la période de cinq ans visée au premier alinéa du présent article n'y fait pas obstacle s'il a été entrepris dans les trois mois précédant la demande de déchéance et après que le propriétaire a eu connaissance de l'éventualité de cette demande. La preuve de l'exploitation incombe au propriétaire de la marque dont la déchéance est demandée. Elle peut être apportée par tous moyens. La déchéance prend effet à la date d'expiration du délai de cinq ans prévu au premier alinéa du présent article. Elle a un effet absolu ».

En outre, en application de l'article 51 du règlement CE n° 207/2009 modifié par le règlement (CE) 2015/2424 du 15 décembre 2015 et codifié à l'article 58 du règlement 2017/1001 du 14 juin 2017, le titulaire de la marque communautaire est déclaré déchu de ses droits, sur demande présentée auprès de l'Office ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon : a) si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n'a pas fait l'objet d'un usage sérieux dans l'Union pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, et qu'il n'existe pas de justes motifs pour le non-usage ; toutefois, nul ne peut faire valoir que le titulaire est déchu de ses droits, si, entre l'expiration de cette période et la présentation de la demande ou de la demande reconventionnelle, la marque a fait l'objet d'un commencement ou d'une reprise d'usage sérieux; cependant, le commencement ou la reprise d'usage fait dans un délai de trois mois avant la présentation de la demande ou de la demande reconventionnelle, ce délai commençant à courir au plus tôt à l'expiration de la période ininterrompue de cinq ans de non-usage, n'est pas pris en considération lorsque des préparatifs pour le commencement ou la reprise de l'usage interviennent seulement après que le titulaire a appris que la demande ou la demande reconventionnelle pourrait être présentée.

Ces dispositions doivent être interprétées comme fixant pour point de départ du délai de 5 ans la date à laquelle la procédure d'enregistrement est terminée, soit à la date de la publication de l'enregistrement de la marque conformément à l'article R 712-23 du code de propriété intellectuelle. À défaut, en cas d'interruption de l'usage sérieux, la reprise ou le commencement de cet usage est privé d'effet utile s'il a été entrepris dans les trois mois précédant la demande de déchéance et après que le propriétaire a eu connaissance de l'éventualité de cette demande. La preuve de l'usage sérieux qui incombe à la société BOLLORE doit donc prioritairement porter pour la marque européenne n° 621 sur la période du 23 août 2006, date de sa publication, au 23 août 2011, et pour la marque française n°000 sur la période du 6 mai 2011, date de sa publication, au 6 mai 2016.

Par ailleurs, pour être considéré comme sérieux, l'usage du signe doit être fait, conformément à sa fonction essentielle, à titre de marque pour identifier ou promouvoir dans la vie des affaires aux yeux du public pertinent les produits et services visés au dépôt et opposés aux défenderesses : il doit être tourné vers l'extérieur et public et non à interne à l'entreprise ou au groupe auquel elle appartient. Le caractère sérieux de l'usage, qui à la différence du défaut d'exploitation n'a pas à être ininterrompu, implique qu'il permette de créer ou de maintenir des parts de marché du titulaire de la marque pour les produits et services concernés au regard du secteur économique en cause et qu'il ne soit ni sporadique ni symbolique car destiné au seul maintien des droits sur la marque.

Pour justifier de l'usage sérieux de ses marques BLUECAR la société BOLLORE produit au débat : - une brochure intitulée «BLUECAR, la citadine 100% électrique comportant plusieurs visuels de voitures expliquant qu'elle a été développée par le groupe BOLLORE, et que sa batterie est le fruit de 20 années de recherche du groupe BOLLORE ; (pièce 9.2) - un extrait du site internet blue-solutions.com expliquant que le groupe BOLLORE s'est associé dès 2007 avec le célèbre carrossier turinois Pininfarina pour réaliser le modèle B0 de la BLUECAR qui est un véhicule propre, 100% électrique, sûr et silencieux, comportant la photographie du capot avant d'une voiture portant le signe BLUECAR ; (pièce 9.3) - deux extraits des rapports annuels du groupe BOLLORE des années 2006 et 2007 expliquant que le groupe BOLLORE a mis au point un prototype de véhicule 100% électrique, la BLUECAR, qu'une nouvelle version de la BLUECAR désormais disponible fera l'objet de présentations en 2007, et que la BLUECAR a été homologuée par l'UTAC ; (pièces 3.1 et 3.2) - les rapports annuels du groupe BOLLORE des années 2010, 2014 et 2015 qui mentionnent pour le premier que les nouvelles capacités de production permettront d'équiper les BLUECAR, pour le second que le groupe produit une gamme de véhicules 100% électriques, la BLUECAR, qui a été le véhicule électrique le plus immatriculé en France en 2012 avec 1.536 véhicules et 30% de part de marché, et qu'en 2014 ce sont 1.170 BLUECAR qui ont été immatriculées, et pour le troisième que le groupe a mis en circulation 4.300 véhicules électriques et réalise 5,3 millions de locations annuelles, et que le partenariat avec RENAULT est désormais effectif avec la production des BLUECAR dans son usine de Dieppe. (pièces 7.1 à 7.3) - six contrats de location en longue durée datés des années 2012, 2013 et 2016 portant en entête le signe BLUECAR et désignant comme véhicule loué « un véhicule particulier BLUECAR» (pièces 13.1 à 13.6) - un tableau récapitulatif des ventes ou locations de longue durée de véhicules de marque BLUECAR sur la Côte d'Azur daté du 15 décembre 2016 et indiquant que 11 véhicules ont été vendus ou loués sur la Côte d'Azur du 15 octobre 2013 au 21 mai 2016 ; (pièce 13.7) - des captures d'écran du site bluecar.fr au 9 mars 2009 et au 31 décembre 2010 représentant des visuels de voitures électriques dénommées BLUCAR et indiquant « la BLUECAR est une petite et élégante voiture citadine », « découvrez la BLUECAR », « Préréservez votre BLUECAR » ; (pièces 8.1 et 8.2) ; - 65 extraits de presse du 4 mars 2009 au 21 avril 2017 relatifs à la conception, la production, la commercialisation et la location des voitures électriques BLUECAR par le groupe BOLLORE, et notamment en 2011 lors du lancement du service Autolib à Paris la mise à disposition de 250 voitures BLUECAR, devenues 3000 en 2012, et le lancement en octobre 2012 d'une offre de location longue durée de voitures électriques baptisée BLUECAR (pièces 10.2 à 10.67) - des présentations de l'audience du site bluecar.fr visité par 114.382 internautes de janvier 2009 à janvier 2010, et ayant reçu 412.493 visites de janvier 2012 à juillet 2016 ; (pièces 8.3 à 8.5) - un procès-verbal de constat dressé par un huissier de justice le 24 janvier 2014 sur le site internet bluecar.fr dont le titulaire est la société BOLLORE dont chaque page porte la mention BLUECAR en entête, qui indique notamment « en faisant l'acquisition d'une Pininfarina BLUECAR vous entrez dans un club très exclusif », puis « la BLUECAR procure un authentique plaisir de conduire », puis un visuel de deux voitures blanche et bleue portant le signe BLUECAR, et un formulaire de pré-réservation », ainsi que les annexes dudit procès-verbal qui comportent notamment le prix d'achat de la BLUECAR d'un montant de 12.000 euros ; (pièces 11 et 27).

La société VENAP échoue à démontrer que les usages sus-visés ne seraient pas des usages à titre de marque du fait que le signe BLUECAR serait descriptif d'une voiture bleue, alors qu'il résulte de l'ensemble des pièces versées que le signe BLUECAR est toujours utilisé pour désigner les voitures électriques et les services de location de voitures commercialisés par la société BOLLORE, peu important la couleur des voitures qui au surplus sont proposées en plusieurs coloris et notamment en blanc et en rouge.

Il est ainsi avéré de façon non équivoque, et sans qu'il y ait lieu de poser une question préjudicielle à la CJUE alors que les usages produits sont bien des usages à titre de marques, que la société BOLLORE justifie d'un usage sérieux de la marque BLUECAR n° 621 pour désigner des voitures à propulsion électrique et de la marque BLUECAR n° 000 pour désigner des services de location de véhicule sur les périodes respectives de 2006 à 2011, et de 2011 à 2016. La demande reconventionnelle en déchéance pour défaut d'usage sérieux, ainsi que la demande subsidiaire aux fins de transmission d'une question préjudicielle, seront en conséquence rejetées.

3) Sur la demande reconventionnelle en déchéance pour dégénérescence

La société VENAP expose que la déchéance du signe est encourue lorsque la marque est devenue, du fait de son propriétaire, la désignation usuelle du produit ou service de l'entreprise, ou de l'une de ses caractéristiques ou qualités, et affirme en produisant un sondage établissant que 71% des français associent le signe BLUECAR à une voiture bleue, que les marques BLUECAR ont dégénéré en raison de leur usage à titre descriptif et usuel des produits et services visés aux dépôts et/ou d'une de leurs caractéristiques tant par la société BOLLORE que par les consommateurs.

La société BOLLORE répond qu'il a été démontré que les marques ne sont pas descriptives ni d'une caractéristique ni des produits et services qu'elles visent, qu'aucune des questions posées dans le sondage n'établit que les marques BLUECAR sont devenues la désignation usuelle les voitures à propulsion électrique et des services de location de voiture, et ajoute qu'elle ne fait preuve d'aucune inactivité pour défendre ses marques notamment en justifiant de mises en demeure et de l'introduction de procédures administratives et judiciaires.


Sur ce,


L'article 51.1 du Règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 sur la marque de l'Union Européenne (codifié sous l'article 58.2 du Règlement (UE) n° 2017/1001) dispose que : « 1. Le titulaire de la marque communautaire est déclaré déchu de ses droits, sur demande présentée auprès de l'Office ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon : b) si la marque est devenue, par le fait de l'activité ou de l'inactivité de son titulaire, la désignation usuelle dans le commerce d'un produit ou d'un service pour lequel elle est enregistrée ».

En outre, l'article L.714-6 du Code de la Propriété Intellectuelle dispose que : « Encourt la déchéance de ses droits le propriétaire d'une marque devenue de son fait : a) La désignation usuelle dans le commerce du produit ou du service ; (...) ».

Cette disposition s'interprète par ailleurs à la lumière de l'article 12 § 2 de la Directive 2008/95, selon lequel la marque devenue usuelle doit l'être « par le fait de l'activité ou de l'inactivité de son titulaire », la déchéance ne pouvant être prononcée si le titulaire a agi, en sorte de ne pas laisser sa marque devenir la désignation usuelle d'un produit ou service. En l'espèce, le fait qu'à la question ouverte « quelle signification en français donneriez-vous au terme BLUECAR ? » 67% de l'échantillon interrogé par la société OPINIONWAY a répondu « voiture bleue ou bleue voiture » n'est pas de nature à démontrer que les marques BLUECAR sont devenues la désignation usuelle des véhicules à propulsion électrique et des services de location, de sorte que la preuve de la dégénérescence desdites marques n'est pas rapportée, outre au surplus que la société BOLLORE justifie de cinq procédures administratives et judiciaires introduites pour défendre ses droits sur les marques BLUECAR dont elle est titulaire.

Le moyen opposé de la dégénérescence des marques BLUECAR sera également rejeté.

4) Sur les demandes en contrefaçon de marques

La société BOLLORE expose que le public pertinent est constitué des professionnels de l'Union européenne et du grand public, que les produits et services en présence à savoir les véhicules à propulsion électrique, d'une part, et les services de location d'autre part, sont identiques ou similaires.

Elle fait valoir que les termes BLUECAR et AUTO BLEUE sont similaires visuellement et phonétiquement, avec en commun notamment l'élément BLUE/BLEUE, et relève que conceptuellement le terme AUTO BLEUE constitue la traduction pure et simple du signe « BLUECAR », et que la même analyse s'applique aux marques semi- figuratives, qui est même accentuée par la représentation graphique d'une auto, qui plus est sur fond bleu pour l'une d'entre elles. Elle en déduit qu'il existe un risque de confusion découlant de l'imitation de ses marques antérieures.

En réponse, la société VENAP conteste le risque de confusion en affirmant qu'il existe de nombreuses différences entre les signes sur un plan phonétique et visuel, et que sur un plan conceptuel les consommateurs rattachent la couleur bleue à la qualité électrique du produit et le terme CAR à une automobile sans penser qu'il s'agit d'une traduction de BLUECAR et ce d'autant qu'il existe une déclinaison du bleu dans les pratiques locales, les « chaises bleues » de la Promenade des anglais, et les « parasols bleus » des plages niçoises.

La METROPOLE NICE COTE D'AZUR fait valoir que les signes en présence n'ont aucune similitude phonétique et de nombreux points de divergence sur le plan visuel, la seule similitude se limitant à l'usage des mêmes vocables dans deux langues différentes. Elle prétend que la traduction n'est pas une contrefaçon ipso facto et qu'il faut établir le risque de confusion qui n'existe pas en l'espèce du fait notamment des différences du nombre de termes, des majuscules au lieu des minuscules, du positionnement inversé, des couleurs des marques incriminées et de leur composante figurative à savoir une voiture pourvue d'ailes, qui constitue l'élément dominant compte tenu du caractère essentiellement descriptif de l'élément verbal. Elle ajoute qu'il existe aussi de nombreuses dissemblances d'un point de vue conceptuel, la couleur bleue de la marque AUTO BLEUE étant associée aux services VELO BLEUS présents sur le même territoire et ce d'autant qu'ils présentent le même graphisme, et fait observer que la clientèle est constituée de professionnels et de particuliers particulièrement avertis qui doivent s'inscrire sur un site, communiquer des documents personnels et verser une caution de 300 euros pour toute location de véhicule qui ont donc un niveau d'attention élevé.


Sur ce,


L'article 713-3 du code de la propriété intellectuelle dispose que "sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public : (...) b) l'imitation d'une marque et l'usage d'une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement".

L'article 9 du Règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 sur la marque de l'Union Européenne tel que codifié sous l'article 9 du Règlement (UE) n° 2017/1001 du 14 juin 2017 dispose en outre que « 1. L'enregistrement d'une marque de l'Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif. 2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d'une marque de l'Union européenne, le titulaire de cette marque de l'Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services lorsque : (... ) b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque ; (...) ».

La Cour de justice (CJCE 12 juin 2008, aff O2 Holdings) a dit pour droit que le titulaire d'une marque enregistrée n'est habilité à interdire à un tiers l'usage d'un signe similaire à sa marque en application de l'article 5, paragraphe 1, b) de la directive 2008/85/CE que si quatre conditions sont réunies : - un usage de la marque dans la vie des affaires - un usage sans le consentement du titulaire de la marque - un usage pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée - un usage qui doit porter atteinte ou être susceptible de porter atteinte à la fonction essentielle de la marque qui est de garantir aux consommateurs la provenance des produits ou des services en raison d'un risque de confusion dans l'esprit du public. Afin d'apprécier la demande en contrefaçon, il y a lieu de rechercher si, au regard d'une appréciation des degrés de similitude entre les signes et entre les produits et/ou services désignés, il existe un risque de confusion comprenant un risque d'association dans l'esprit du public concerné, ce risque de confusion devant être apprécié en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce et du consommateur normalement attentif et raisonnablement averti.

Sur le public

Le public est constitué de professionnels et de consommateurs normalement informés et particulièrement attentifs s'agissant d'une nouvelle technologie en matière de transport représentant un coût à l'achat de plusieurs milliers d'euros et d'un nouveau moyen de mise à disposition tel que la location de longue durée ou l'auto-partage nécessitant d'effectuer des réservations sur internet et de constituer un dossier.

Sur la comparaison des produits et services

Afin de déterminer si les produits et/ou services sont similaires, il y a lieu de tenir compte de tous les facteurs pertinents qui caractérisent le rapport entre les produits ou services. Ces facteurs incluent, en particulier, leur nature, leur destination, leur utilisation ainsi que leur caractère concurrent ou complémentaire.

Les « véhicules et notamment les voitures terrestres à propulsion électrique » visés par la marque européenne n° 621 sont des produits similaires aux services de location de véhicules électriques proposés par la METROPOLE NICE COTE D'AZUR.

Les « services de location de véhicules » visés par la marque française n° 000 sont identiques aux services de location de véhicules électriques proposés mes défenderesses.

Sur la comparaison des signes

L'appréciation de la similitude visuelle, auditive et conceptuelle des signes doit être fondée sur l'impression d'ensemble produite par ceux- ci, en tenant compte, notamment, de leurs éléments distinctifs et dominants.

D'un point de vue visuel, les signes en présence se différencient en ce que la marque revendiquée BLUECAR ne comprend qu'un seul mot de sept lettres alors que le signe incriminé AUTO BLEUE en comprend deux, l'un de quatre lettres et l'autre de cinq, et qu'ils ne présentent ni la même attaque, ni la même finale de sorte qu'il y a une absence de similitude visuelle, d'autant plus forte que le signe AUTO BLEUE est souvent utilisé avec un élément figuratif représentant une voiture avec des ailes qui n'est pas présent dans la marque revendiquée. Phonétiquement, les deux signes divergent totalement dans leur prononciation et leurs sonorités d'attaque et de finale.

Enfin sur le plan intellectuel, les deux signes en présence renvoient à l'automobile en ce que la marque revendiquée comprend le mot CAR et le signe incriminée le mot AUTO, ainsi qu'à la couleur bleue, le mot anglais BLUE étant largement connu du public français. Ils différent cependant du fait de la contraction en un seul mot de la marque revendiquée alors que les deux mots AUTO BLEUE du signe incriminé renforcent leur caractère descriptif ainsi que du fait de la différence de langue employée, le nom étant en premier en français alors que l'adjectif qualificatif est en premier en anglais dans la marque revendiquée, AUTO BLEUE n'étant en outre pas la traduction de BLUECAR qui se traduirait par VOITURE BLEUE. Ils différent aussi par l'adjonction sur le signe incriminé d'un élément figuratif représentant une petite voiture avec des ailes qui renforce l'idée de la rapidité et la facilité du transport.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que nonobstant l'identité ou la similarité des produits et/ou services concernés, les signes en présence présentent tant de différences dans leur ensemble que cela exclut tout risque de confusion pour le professionnel et le consommateur normalement informé et particulièrement attentif, la seule circonstance que le signe incriminé soit une sorte de traduction en français de la marque revendiquée ne l'amenant pas à penser que les services de voitures électriques AUTO BLEUE proposés par la METROPOLE NICE COTE D'AZUR proviennent de la même entreprise que celle qui commercialise les voitures électriques et les services de location de voitures BLUECAR.

Il s'ensuit que la contrefaçon de marques n'est pas caractérisée et que la société BOLLORE sera donc déboutée de l'ensemble de ses demandes formées à ce titre.

Sur les autres demandes

Il y a lieu de condamner la société BOLLORE partie perdante, aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Il convient en outre de la condamner à verser la somme de 20.000 euros à la société VENAP et de 4.000 euros à la METROPOLE NICE COTE D'AZUR au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Les circonstances de l'espèce justifient le prononcé de l'exécution provisoire, qui est en outre compatible avec la nature du litige.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et rendu en premier ressort,

REJETTE les demandes reconventionnelles de la société VENAP en nullité, déchéance, et dégénérescence des marques BLUECAR ainsi qu'aux fins de transmission d'une question préjudicielle ;

DEBOUTE la société BOLLORE de l'ensemble de ses demandes ;

CONDAMNE la société BOLLORE à payer à la société VENAP la somme de 20.000 euros et à la METROPOLE NICE COTE D'AZUR la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société BOLLORE aux dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

ORDONNE l'exécution provisoire.