Vu, enregistrée au greffe de la Cour le 23 septembre 1991, la requête présentée pour la SOCIETE des AUTOROUTES PARIS-RHIN-RHONE (S.A.P.R.R.), dont le siège est ... Saint Apollinaire dans la Côte d'Or, représentée par son président en exercice ;
La SOCIETE des AUTOROUTES PARIS-RHIN-RHONE demande à la Cour :
1°) l'annulation du jugement du 20 août 1991 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande de condamnation de l'Etat ;
2°) la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 36 350 F avec les intérêts de droit et la capitalisation des intérêts ainsi qu'une somme de 5 000 F au titre de l'article
R.222 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la route ;
Vu le code pénal ;
Vu la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été dûment averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 7 octobre 1993 :
- le rapport de M. LEDUCQ, Conseiller,
- les observations de Me CARBONNIER avocat de la SOCIETE des AUTOROUTES PARIS-RHIN-RHONE,
- et les conclusions de M. PIETRI, Commissaire du Gouvernement ;
Considérant qu'
aux termes de l'article 92 de la loi susvisée du 7 janvier 1983 : "L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens ... " ;
Considérant que la SOCIETE des AUTOROUTES PARIS-RHIN-RHONE demande la condamnation de l'Etat à lui payer la somme de 36 350 F en réparation du préjudice qu'elle a subi à la suite de l'occupation de la plate-forme de Limas sur l'autoroute A.6 le 25 octobre 1983 par des étudiants en éducation physique et sportive ;
Considérant que la société fait valoir que ce rassemblement a entraîné des infractions à l'article
L.7 du code de la route et à diverses dispositions du code pénal ;
En ce qui concerne l'article
L.7 du code de la route :
Considérant qu'aux termes de l'article
L.7 du code de la route "Quiconque aura, en vue d'entraver ou de gêner la circulation, placé ou tenté de placer, sur une voie ouverte à la circulation publique, un objet faisant obstacle au passage des véhicules ou qui aura employé ou tenté d'employer un moyen quelconque pour y mettre obstacle, sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de 100 000 F à 2 000 000 F (1 000 F à 20 000 F) ou de l'une de ces deux peines seulement" ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que si les manifestants ont empêché la perception du péage dû par les automobilistes, la circulation n'en a pas été entravée ou gênée, dès lors que le passage des péages entraîne par lui-même un ralentissement, voire un arrêt des véhicules ; que les manifestants ont seulement mis à profit cette circonstance pour exposer leurs doléances ; que de tels agissements ne peuvent dès lors être qualifiés de délit d'entrave ou de gêne à la circulation au sens des dispositions de l'article
L.7 du code de la route ;
En ce qui concerne les autres délits :
Considérant que si l'article
104 du code pénal interdit sur la voie publique ou dans un lieu public tout attroupement armé et tout attroupement non armé qui pourrait troubler la tranquillité publique, l'article 105 du même code dispose "Sera puni d'un emprisonnement de deux mois à un an toute personne non armée qui, faisant partie d'un attroupement armé ou non armé, ne l'aura pas abandonné après la première sommation" ; Considérant qu'il n'est même pas allégué que la manifestation susévoquée ait fait l'objet de la part des représentants de la force publique d'une sommation de se disperser ; que dès lors les conditions posées pour constituer le délit d'attroupement ne sont pas réunies ;
Considérant qu'aux termes de l'article
408 du code pénal : "Quiconque aura détourné ou dissipé, au préjudice des propriétaires, possesseurs ou détenteurs, des effets, deniers, marchandises, billets, quittances ou tous autres écrits contenant ou opérant obligation ou décharge qui ne lui auraient été remis qu'à titre de louage, de dépôt, de mandat, de nantissement, de prêt à usage, ou pour un travail salarié ou non salarié à la charge de les rendre ou représenter, ou d'en faire un usage ou emploi déterminé, sera puni des peines portées en l'article 406" ;
Considérant qu'aucun délit d'abus de confiance du type de celui défini par ces dispositions n'a été commis à force ouverte ou par violence par des personnes ayant participé au rassemblement en cause ;
Considérant qu'en application de l'article
414 du même code : "Sera puni d'un emprisonnement de six jours à trois ans et d'une amende de 500 F à 10 000 F, ou de l'une de ces deux peines seulement, quiconque, à l'aide de violences, voies de fait, menaces ou manoeuvres frauduleuses, aura amené ou maintenu, tenté d'amener ou de maintenir une cessation concertée de travail, dans le but de forcer la hausse ou la baisse des salaires ou de porter atteinte au libre exercice de l'industrie ou du travail" ;
Considérant qu'il n'est pas établi que les manifestants auraient porté atteinte au libre exercice du travail par les préposés au péage à l'aide de violences, voies de fait, menaces ou manoeuvres frauduleuses ; que par suite les conditions prévues par l'article
414 du code pénal ne sont pas réunies ;
Considérant enfin, pour ce qui est des prétendus délits de vol et d'entrave à la perception des taxes que la société requérante, en n'apportant aucune précision à l'appui de tels moyens, n'a pas mis la Cour en mesure d'en apprécier le bien-fondé ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, dans les circonstances de l'espèce, la société requérante n'est pas fondée à prétendre que le préjudice dont elle demande l'indemnisation résulte de crimes ou délits commis à force ouverte ou par violence ; que, par suite, l'article 92 précité de la loi du 7 janvier 1983 ne peut trouver à s'appliquer en l'espèce ;
Considérant que, si la SOCIETE des AUTOROUTES PARIS-RHIN-RHONE invoque également une prétendue responsabilité contractuelle de l'Etat, elle n'indique pas quelles stipulations seraient de nature à servir de base à cette responsabilité ;
Considérant qu'aux termes de l'article
L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel que la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 a substitué à compter du 1er janvier 1992 à l'article
R.222 du même code : "Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ... " que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas dans la présente espèce la partie perdante, soit condamné à verser à la SOCIETE des AUTOROUTES PARIS-RHIN-RHONE la somme qu'elle réclame à ce titre ;
Article 1 : La requête de la SOCIETE des AUTOROUTES PARIS-RHIN-RHONE est rejetée.
Article 2 : La présent arrêt sera notifié à la SOCIETE des AUTOROUTES PARIS-RHIN-RHONE et au ministre de l'intérieur et de la sécurité publique.