Cour de cassation, Chambre commerciale, financière et économique, 23 janvier 2007, 05-20.973

Synthèse

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
2007-01-23
Cour d'appel de Paris
2005-11-10

Texte intégral

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société Compagnie financière Edmond de Rothschild que sur le pourvoi incident relevé par les sociétés Artprice.Com et Groupe serveur ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué

, que les 7 et 16 février 2000, la société Compagnie financière Edmond de Rothschild (la compagnie Rothschild) a reçu l'ordre d'acquérir pour le compte respectif des sociétés Artprice.com et Groupe serveur, dont le président était M. X..., des parts de la Sicav Saint-Honoré Technomédia pour, chacune, une somme de 1 524 490,10 euros ; que ces valeurs ayant été cédées en septembre 2002 avec une moins value importante, les deux sociétés, après avoir demandé en référé une expertise pour rechercher les causes de leur préjudice, ont fait assigner la banque en responsabilité, lui reprochant notamment d'avoir exécuté l'ordre passé au nom de la société Artprice.com par M. Y..., son directeur financier, qui n'y était pas habilité et d'avoir manqué à ses obligations d'information et de conseil envers la société Groupe serveur ; que la cour d'appel a dit que la Compagnie Rothschild, qui ne pouvait se prévaloir de la théorie du mandat apparent, avait commis une faute en exécutant, pour le compte de la société Artprice.com, l'ordre de M. Y... qui n'avait pas de délégation mais que, M. X... étant un opérateur averti, la société Groupe serveur n'était pas fondée en sa demande de dommages-intérêts ;

Sur le moyen

unique du pourvoi incident :

Attendu que la société Groupe serveur fait grief à

l'arrêt d'avoir rejeté sa demande, alors, selon le moyen, que quelles que soient les relations du client et de la banque, celle-ci a le devoir particulier de l'informer des risques encourus dans les opérations spéculatives sur les marchés boursiers hors le cas où il en a connaissance ; que la connaissance des risques de marché ne peut être présumée que si le client est un spéculateur averti, ce qui suppose qu'il intervienne régulièrement sur les marchés boursiers pour l'achat ou la vente de titres ; que cette qualité de spéculateur averti ne peut ainsi être déduite du seul fait que le client est une société intervenant dans le même secteur que celui des valeurs mobilières sur lesquelles a porté l'ordre, pour lequel aucune information ni conseil ne lui ont été donnés ; qu'en l'espèce, a privé sa décision de base légale la cour d'appel qui, pour exonérer la Compagnie Rothschild de sa responsabilité pour ne lui avoir donné aucune information ni conseil à l'occasion de la souscription litigieuse de parts de Sicav, s'est bornée à constater qu'elle était un opérateur averti eu égard à son secteur d'activité, à son introduction en bourse et au secteur d'activité des valeurs mobilières choisies, sans caractériser, ce faisant, qu'elle avait la qualité de spéculateur averti ;

Mais attendu

qu'ayant relevé que la société Groupe serveur avait acquis des parts de Sicav gérées par un OPCVM relevant de son propre secteur d'activité, la cour d'appel qui a ainsi fait ressortir qu'elle était en mesure, par sa connaissance du marché concerné, d'en apprécier tous les risques, a exactement décidé que, pour ce placement dépourvu de complexité, la Compagnie Rothschild n'était redevable d'aucun devoir d'information et de conseil envers la société Groupe serveur dont le président disposait déjà des éléments d'appréciation nécessaires ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le premier moyen

du pourvoi principal, pris en sa deuxième branche :

Vu

l'article 1985 du code civil ; Attendu qu'une personne peut être engagée sur le fondement d'un mandat apparent lorsque la croyance du tiers aux pouvoirs du prétendu mandataire a été légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient ce tiers à ne pas vérifier lesdits pouvoirs ;

Attendu que pour condamner

la Compagnie Rothschild à indemniser la société Artprice.com du préjudice résultant de la revente à perte des parts de Sicav acquises pour elle sur ordre de M. Y..., la cour d'appel énonce que l'ordre de placement était signé du seul M. Y... sans même l'indication de sa qualité et que l'établissement ne démontrait pas avoir disposé, le 7 février 2000, des documents auxquels il se référait qui faisaient état des pouvoirs importants de l'intéressé dans la société ;

Attendu qu'en statuant ainsi

alors qu'elle avait elle-même relevé que l'ordre de placement litigieux avait été donné par le directeur financier de la société Artprice.com, M. Y..., dont la Compagnie Rothschild avait indiqué, sans être démentie, qu'il était à l'époque, l'homme de confiance du président, M. X..., que cet ordre avait fait suite à un entretien téléphonique du même jour avec M. X... et avait été accompagné d'un ordre de virement, signé de ce dernier, du montant exact de la transaction à intervenir, ce dont il résultait que la Compagnie Rothschild avait pu légitimement croire, sans le vérifier, que M. Y..., qui agissait avec le plein accord et de concert avec le représentant de la personne morale, était pourvu des habilitations nécessaires, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS

: CASSE ET ANNULE, l'arrêt rendu le 10 novembre 2005 par la cour d'appel de Paris, mais seulement en ce qu'il a dit la Compagnie Rothschild responsable du préjudice subi par la société Artprice.com ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ; Condamne les sociétés Artprice.com et Groupe serveur aux dépens ; Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette les demandes ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois janvier deux mille sept. LE CONSEILLER RAPPORTEUR LE PRESIDENT LE GREFFIER DE CHAMBRE