Vu la procédure suivante
:
Procédure contentieuse antérieure :
La préfète de la Corse-du-Sud a déféré devant le tribunal administratif de Bastia comme prévenues d'une contravention de grande voirie prévue et réprimée par l'article
L. 2132-3 du code général de la propriété des personnes publiques la SARL Ingénierie touristique hôtelière ainsi que Mme B... A..., sa gérante, sur le fondement d'un procès-verbal de contravention de grande voirie du 18 février 2019 constatant l'occupation du domaine public maritime, au droit de l'établissement hôtelier exploité par la société Ingénierie touristique hôtelière en bordure de la plage de Cala Rossa sur la commune de Lecci (Corse-du-Sud), par l'installation, d'une part, d'une terrasse de restauration, d'autre part, de matelas et parasols et enfin de quatre engins nautiques non motorisés.
Par un jugement n° 1900283 du 17 octobre 2019, le tribunal administratif de Bastia a condamné Mme A... et la société Ingénierie touristique hôtelière à payer chacune une amende de 1 500 euros, leur a ordonné de remettre les lieux en leur état initial, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard au-delà d'un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, et a autorisé l'administration à procéder d'office à cette remise en état au frais des contrevenants en cas d'inexécution dans ce même délai.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 17 décembre 2019, le 7 juin 2021 et le 13 juillet 2021, Mme A... et la société Ingénierie touristique hôtelière, représentées par la SELARL Cabinets d'avocats Genty, demandent à la Cour :
1°) à titre principal de surseoir à statuer sur les conclusions relatives aux matelas, parasols et à la terrasse en bois dans l'attente d'une délimitation du domaine public maritime à intervenir et d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bastia du 17 octobre 2019 en tant seulement qu'il concerne l'infraction relative aux quatre engins non motorisés ;
2°) à titre subsidiaire, d'une part, d'annuler le jugement en tant qu'il prononce à leur encontre des condamnations à une peine d'amende et à la remise en état des lieux et, d'autre part, les relaxer des poursuites correspondantes ;
3°) de constater que les conclusions de la préfète de la Corse-du-Sud tendant à l'enlèvement des matelas et des parasols, qui ont été retirés à la fin de la saison touristique le 1er octobre 2018, étaient dépourvues d'objet ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- le préfet ayant été saisi de demande de délimitation du domaine public maritime dans le secteur en cause, il y a lieu de surseoir à statuer dans l'attente de l'aboutissement de cette procédure ;
- les paillotes et matelas sont implantés en grande partie sur l'espace privé du Grand hôtel ;
- il en est de même de la terrasse de restauration implantée dans sa totalité sur sa propriété privée ;
- l'arrêté d'incorporation des lais et relais de la mer au domaine public dont se prévalent les ministres ne saurait valablement fixer les limites du domaine public maritime faute d'avoir été précédé d'une enquête publique et d'une procédure de délimitation ;
- la présence ponctuelle de zodiacs et de kayaks de mers sur le plan d'eau affecté à la navigation n'est pas constitutive d'une contravention de grande voirie.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 25 mars 2021 et le 7 juillet 2021, la ministre de la transition écologique et la ministre de la mer concluent au rejet de la requête.
Elles soutiennent que les moyens soulevés par Mme A... et la société Ingénierie touristique hôtelière ne sont pas fondés.
Un courrier du 8 mars 2021 adressé aux parties en application des dispositions de l'article
R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article
R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.
La clôture immédiate de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 10 août 2021, en application des articles
R. 611-11-1 et
R. 613-1 du code de justice administrative.
Des mémoires présentés pour Mme A... et la société Ingénierie touristique hôtelière ont été enregistrés le 8 octobre et le 11 octobre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le décret n° 2003-172 du 25 février 2003 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guidal,
- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,
- et les observations de Me Gohier, représentant Mme A... et la société Ingénierie touristique hôtelière.
Considérant ce qui suit
:
1. Un procès-verbal de contravention de grande voirie a été dressé le 18 février 2019 à l'encontre de Mme A... et de la société Ingénierie touristique hôtelière à raison de la présence sur le domaine public maritime, sans autorisation d'occupation, de différentes installations, notamment d'une terrasse de restauration, de soixante matelas et vingt-huit parasols et enfin de quatre engins nautiques non motorisés, situées au droit de l'établissement hôtelier " Le Grand hôtel " exploité par la société en bordure de la plage de Cala Rossa sur la commune de Lecci (Corse-du-Sud). La société Ingénierie touristique hôtelière et sa gérante Mme A... relèvent appel du jugement du 17 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Bastia les a condamnées à payer chacune une amende de 1 500 euros, leur a ordonné de remettre les lieux en leur état initial, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard au-delà d'un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, et a autorisé l'administration à procéder d'office à cette remise en état au frais des contrevenants en cas d'inexécution dans ce même délai.
2. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article
L. 2132-3 du code général de la propriété des personnes publiques : " Nul ne peut bâtir sur le domaine public maritime ou y réaliser quelque aménagement ou quelque ouvrage que ce soit sous peine de leur démolition, de confiscation des matériaux et d'amende ". Aux termes de l'article
L. 2111-4 du même code : " Le domaine public maritime naturel de L'Etat comprend : 1° (...) le rivage de la mer. Le rivage de la mer est constitué par tout ce qu'elle couvre et découvre jusqu'où les plus hautes mers peuvent s'étendre en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles (...) 3° Les lais et relais de la mer : a) Qui faisaient partie du domaine privé de l'Etat à la date du 1er décembre 1963, sous réserve des droits des tiers ; b) Constitués à compter du 1er décembre 1963. (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article
L. 2132-2 du code général de la propriété des personnes publiques : " Les contraventions de grande voirie sont instituées par la loi ou par décret, selon le montant de l'amende encourue, en vue de la répression des manquements aux textes qui ont pour objet, pour les dépendances du domaine public n'appartenant pas à la voirie routière, la protection soit de l'intégrité ou de l'utilisation de ce domaine public, soit d'une servitude administrative mentionnée à l'article L. 2131-1. / Elles sont constatées, poursuivies et réprimées par voie administrative. ". Lorsqu'il qualifie de contravention de grande voirie des faits d'occupation irrégulière d'une dépendance du domaine public, le juge administratif, saisi d'un procès-verbal de contravention de grande voirie accompagné ou non de conclusions de l'administration tendant à l'évacuation de cette dépendance, enjoint au contrevenant de libérer sans délai le domaine public et peut, s'il l'estime nécessaire, prononcer une astreinte en fixant lui-même, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, le point de départ de cette astreinte, sans être lié par la demande de l'administration.
4. Enfin, pour constater que l'infraction, à caractère matériel, d'occupation irrégulière du domaine public, est constituée, le juge de la contravention de grande voirie doit déterminer, au vu des éléments de fait et de droit pertinents, si la dépendance concernée relève du domaine public. S'agissant du domaine public maritime, le juge doit appliquer les critères fixés par l'article
L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques et n'est pas lié par les termes d'un arrêté, à caractère déclaratif, de délimitation du domaine public maritime, adopté sur le fondement des dispositions réglementaires en vigueur relatives à la procédure de délimitation du rivage de la mer et des lais et relais de la mer. L'appartenance d'une dépendance au domaine public ne peut résulter de l'application d'un tel arrêté, dont les constatations ne représentent que l'un des éléments d'appréciation soumis au juge. Le bien-fondé des poursuites pour contravention de grande voirie n'est donc pas subordonné à la légalité d'un tel acte ni d'ailleurs à son opposabilité.
5. En premier lieu, au regard de l'office du juge de la contravention de grande voirie, auquel il appartient de déterminer, dans les conditions rappelées au point 4, si la dépendance concernée relève du domaine public maritime, il n'y a pas lieu de surseoir à statuer sur le litige dans l'attente d'une hypothétique délimitation du domaine public par l'autorité administrative compétente. Par suite, les conclusions de Mme A... et de la société Ingénierie touristique hôtelière tendant à ce que la Cour surseoit à statuer dans l'attente d'une telle délimitation au droit de l'établissement qu'elle exploite ne peuvent, en tout état de cause, être accueillies.
6. En deuxième lieu, il ressort des termes mêmes du jugement attaqué que le tribunal administratif a relevé que les matelas et parasols avaient été enlevés à la fin de la saison estivale de l'année 2018, élément qui n'était pas contesté par l'administration. Il en a déduit que les conclusions de la préfète de la Corse-du-Sud tendant à leur enlèvement étaient dépourvues d'objet et les a rejetées par l'article 4 de ce jugement. Dès lors qu'il est constant qu'il avait été procédé cet enlèvement avant la saisine du tribunal administratif par la préfète de la Corse-du-Sud, le 27 février 2019, ces conclusions devenues sans objet étaient irrecevables et ont été, dès lors, rejetées à bon droit par les premiers juges. Ce rejet étant exécutoire et n'étant d'ailleurs pas contesté en appel par les ministres il n'y a pas lieu pour la Cour de constater de nouveau que les conclusions de la préfète de la Corse-du-Sud tendant à l'enlèvement des matelas des parasols sont dépourvues d'objet. Les conclusions présentées à ce titre par Mme A... et la société Ingénierie touristique hôtelière ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.
7. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que, par arrêté du 24 avril 1981, régulièrement publié au recueil des actes administratifs du département de la Corse-du-Sud n° 3 du mois de juillet 1981, le préfet de la Corse-du-Sud a incorporé au domaine public maritime, sous réserve des droits des tiers, les lais et relais de la mer de la plage de Cala Rossa sur le territoire de la commune de Lecci tels qu'ils figuraient sur le plan annexé à cet acte, lequel plan comporte un tracé de la limite de ces lais et relais côté terre qui s'établit, à l'endroit où est situé l'établissement exploité par les appelants, légèrement au-delà de la bande de sable formant plage, incluant la partie de la parcelle cadastrée AD 207 jouxtant l'établissement, laquelle ne constitue pas comme soutenu une partie commune du lotissement de Cala Rossa. Les 62 matelas et 30 parasols sont implantés sur ces lais et relais de mer. Il en est de même pour l'essentiel de cette terrasse qui non seulement a été aménagée sur ces lais et relais de mer mais qui occupe également pour partie le rivage de la mer ainsi qu'il résulte sans aucune ambigüité des photographies produites par les intéressées, desquelles il ressort que la base de l'ouvrage est baignée par les plus hautes mers en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles. Les intéressés soulignent, au demeurant, que cette terrasse en bois doit être protégée par une palissade pour empêcher l'avancée des eaux. Cette terrasse, qui est donc aménagée pour partie sur le rivage de la mer et pour partie sur des lais et relais de mer qui faisaient partie du domaine privé de l'Etat avant le 1er décembre 1963, se trouve dès lors, par l'effet de l'arrêté préfectoral du 24 avril 1981 précité et en vertu des dispositions de l'article
L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques, sur le domaine public maritime.
8. En quatrième lieu, l'acte d'incorporation des lais et relais de mer au domaine public maritime n'ayant pas un caractère réglementaire, son illégalité ne peut être invoquée par la voie de l'exception que dans le délai du recours contentieux. Par suite, les appelants ne sont pas recevables à exciper de l'illégalité de l'arrêté du préfet de la Corse-du-Sud du 24 avril 1981 incorporant au domaine public maritime les parcelles en cause, après l'expiration du délai du recours contentieux contre cet arrêté qui a été régulièrement publié au recueil des actes administratifs du département de la Corse-du-Sud du mois de juillet 1981, comme il a été dit au point 7.
9. Les circonstances tenant à ce qu'une opération de délimitation du rivage de la mer a été envisagée en 2005 au droit de l'établissement exploité par Mme A... et la société Ingénierie touristique hôtelière et qu'une demande tendant à la délimitation du domaine public maritime dans le secteur en cause a été formée par des riverains au mois de juin 2021 ne sont pas de nature à remettre en cause la limite du domaine public maritime telle qu'elle est figurée sur le plan annexé à cet arrêté du 24 avril 1981 et n'est, en tout état de cause, pas de nature à les exonérer des poursuites diligentées à leur encontre par la préfète de la Corse-du-Sud. Enfin, la présence de genévriers et de pins maritimes sur la parcelle où a été aménagée la terrasse, si elle permet d'établir que cette dépendance a été soustraite depuis de nombreuses années à l'action des flots, n'est pas de nature à remettre en cause ni sa nature de lais et relais de la mer ni sa domanialité publique.
10. En cinquième lieu, il résulte des dispositions mentionnées au point 2 qu'est réprimée l'implantation de constructions, ouvrages et autres aménagements sur le domaine public maritime. Celui-ci ne comprend pas la masse des eaux. Ne sont en revanche pas réprimées les implantations dans l'espace compris au-dessus du domaine public maritime, sauf s'ils font obstacle à son utilisation.
11. En l'espèce, la ministre de la transition écologique et la ministre de la mer font valoir sans être contredites que le mouillage des quatre engins nautiques exploités par la société Ingénierie touristique hôtelière a nécessité l'implantation de bouées sur corps morts. Un tel dispositif d'amarrage, qui suppose non seulement une occupation du plan d'eau, mais celle sous-jacente du sol de la mer territoriale en raison de la présence des corps morts qui y sont installés, constitue, en raison de son caractère permanent, un usage privatif du domaine public maritime, excédant le droit d'usage appartenant à tous. Dès lors, Mme A... et la société Ingénierie touristique hôtelière ne sont pas fondées à soutenir que l'amarrage de ces engins ne serait pas soumis à la délivrance d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public et ne saurait être réprimé en l'absence d'une telle autorisation.
12. L'implantation sur le domaine public maritime naturel d'une terrasse de restauration, de matelas et parasols et enfin de quatre engins nautiques non motorisés dans les conditions rappelées précédemment et sans autorisation constitue ainsi une contravention de grande voirie.
13. Dans les circonstances de l'espèce, compte-tenu du nombre et de la nature des ouvrages et installations occupant irrégulièrement le domaine public maritime, Mme A... et la société Ingénierie touristique hôtelière ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia les a condamnées à l'amende prévue par les dispositions de l'article
L. 2132-26 du code général de la propriété des personnes publiques et celles de l'article 1er du décret du 25 février 2003, pour un montant global de 1 500 euros chacune, ainsi qu'à remettre les lieux dans leur état initial s'agissant de la terrasse et des dispositifs d'amarrage.
14. Les dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme A... et de la société Ingénierie touristique hôtelière est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Ingénierie touristique hôtelière, à Mme B... A... et à la ministre de la transition écologique.
Copie en sera adressée au préfet de la Corse-du-Sud.
Délibéré après l'audience du 15 octobre 2021, où siégeaient :
- M. Pocheron, président de chambre,
- M. Guidal, président assesseur,
- M. Prieto, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 octobre 2021.
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N° 19MA05501
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