COUR D'APPEL DE METZ ARRÊT DU 03 novembre 2016
1ère Chambre RG N° 15/00162 (1)
APPELANTES : SAS JUMO REGULATION prise en la personne de son représentant légal. [...] 57070 METZ représentée par Me ZACHAYUS, avocat à la Cour d'Appel de METZ
Société JUMO GMBH ET CO KG prise en la personne de son représentant légal. Société de droit allemand. Moltkestrasse 13-31 36039 FULDA - ALLEMAGNE représentée par Me ZACHAYUS, avocat à la Cour d'Appel de METZ
INTIMEES : SAS PROSENSOR Représentée par son représentant légal [...] 57865 AMANVILLERS représentée par Me FARAVARI, avocat à la Cour d'Appel de METZ
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ PRÉSIDENT : Monsieur HITTINGER, Président de Chambre ASSESSEURS : Madame STAECHELE, Conseiller Madame BOU, Conseiller GREFFIER PRÉSENT AUX DÉBATS : Madame SAHLI
DATE DES DÉBATS : Audience publique du 08 septembre 2016 L'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu le 03 novembre 2016.
FAITS ET PROCÉDURE
ANTÉRIEURE Courant 2007, la société PROSENSOR a souscrit auprès de la société GOOGLE un service de référencement sur le réseau internet dénommé 'Adwords' lui permettant, moyennant la réservation de 'mots-clefs', de faire apparaître de manière privilégiée les coordonnées de son site 'prosensor.com', à titre de liens commerciaux, lorsque ces mots sont contenus dans une requête adressée au moteur de recherches sur internet exploité par la société GOOGLE.
La société PROSENSOR a notamment sélectionné le mot-clef 'JUMO' lequel désignait une marque enregistrée auprès de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle par la société JUMO Gmbh et Co KG, une société de droit allemand concurrente de la sociétéPROSENSOR spécialisée dans la fabrication et la vente à des industriels d'instruments de mesure tels que capteurs de température, transmetteurs et enregistreurs.
Suite à ces faits constatés par huissier de justice le 15 février 2007, la société de droit allemand JUMO Gmbh et Co KG, et la SAS JUMO REGULATION ont assigné devant le tribunal de grande instance de Metz la société PROSENSOR et la société GOOGLE France par actes délivrés le 20 mars 2008 pour solliciter leur condamnation à l'indemniser de leur préjudice né de l'usage du mot-clef 'JUMO'.
Elles ont soutenu que cet usage était constitutif de :
- contrefaçon de marque en application des articles L 711-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, 5 § 1 de la directive 89/104 CEE,
- concurrence déloyale et parasitisme en application de l'article
1382 du code civil,
- publicité mensongère prévue à l'article
L 121-1 du code de la consommation.
En cours de procédure les sociétés demanderesses ont abandonné leur action contre la société GOOGLE France. Le désistement réciproque d'instance et d'action des trois sociétés concernées a été constaté par ordonnance du juge de la mise en état du 23 novembre 2012.
Dans le dernier état de leurs écritures, les sociétés JUMO Gmbh et Co KG, et JUMO REGULATION ont demandé la condamnation de la société PROSENSOR, en réparation du préjudice subi suite à la contrefaçon de marque, au paiement un montant de 24 519,82 euros représentant la somme de 732,71 euros au titre de la perte de clientèle, celle de 3787,11 euros au titre du détournement de clientèle potentielle ainsi qu'un montant de 20 000 euros au titre du préjudice commercial. Ils ont en outre sollicité une somme de 50 000 euros en indemnisation d'un préjudice distinct causé par les actes de concurrence déloyale et parasitisme ainsi que par la publicité mensongère.
Enfin ils ont présenté des demandes accessoires de publication de la décision à intervenir sur le site internet de la société défenderesse et dans 3 revues périodiques de leur choix.
La société PROSENSOR a conclu à l'irrecevabilité des demandes au motif qu'elles émanent de sociétés qui ne seraient pas titulaires du nom de domaine 'jumo.de' et que la société JUMO REGULATION n'est pas titulaire de la marque 'JUMO'.Elle a sollicité reconventionnellement le prononcé de la déchéance de la marque verbale française 'JUMO' n°604444 pour défaut d'exploitation par la société JUMO Gmbh et Co KG.
Subsidiairement, elle a conclu au rejet des demandes et a demandé à être garantie par la société GOOGLE France.
Cette dernière a conclu à l'irrecevabilité de la demande de garantie au motif qu'elle n'administrait pas le service 'AdWords' qui était géré par la société irlandaise GOOGLE Ireland Limited et qu'elle était étrangère au contrat de service en cause.
Par jugement du 20 novembre 2014, le tribunal de grande instance de Metz a statué comme suit :
'- Rejette le moyen tiré du défaut de propriété de la société JUMO GmbH & Co KG. du nom de domaine « jumo.de »,
- Déclare en conséquence la demande formée par la société JUMO GmbH & Co KG. à raison du nom de domaine « jumo.de » parfaitement recevable,
- Déclare irrecevable l'action formée par la SAS JUMO REGULATION pour défaut d'intérêt et de qualité à agir en contrefaçon de la marque « JUMO »,
- Prononce la déchéance des droits de la société de droit allemand JUMO GmbH & Co KG anciennement société M.K. JUCHHEIM GMBH & Co. sur la marque « JUMO » telle que faisant l'objet du certificat d'enregistrement fait à GENEVE, le 17 septembre 1993, sous le numéro 604 444 et ce, à compter du 18 janvier 1999,
- Déboute la société de droit allemand, JUMO GmbH & Co KG, de ses demandes présentées au titre de la contrefaçon de la marque « JUMO »,
- Déboute les sociétés JUMO REGULATION et JUMO GmbH & Co KG de leurs demandes formées tant au titre de la concurrence déloyale et parasitaire que du chef de publicité mensongère,
- Constate que l'appel en garantie formée par la SAS PROSENSOR est devenu sans objet,
- Déboute la SAS PROSENSOR de sa demande de dommages- intérêts pour procédure abusive,
- Condamne in solidum les sociétés JUMO REGULATION et JUMO GmbH & Co KG, prise chacune en la personne de son représentant légal, à régler à la SAS PROSENSOR la somme de 8000 euros au titre de l'article
700 du Code de procédure civile,- Condamne la SAS PROSENSOR prise en la personne de son représentant légal à régler à la société GOOGLE FRANCE la somme de 3500 euros au titre de l'article
700 du Code de procédure civile,
- Déboute les sociétés JUMO REGULATION et JUMO GmbH & Co KG de leurs demandes formées au titre de l'article
700 du Code de procédure civile,
- Condamne in solidum les sociétés JUMO REGULATION et JUMO GmbH & Co KG, prise chacune en la personne de son représentant légal, aux dépens de l'instance à l'exception des dépens relatifs à l'appel en garantie de la société GOOGLE FRANCE qui demeureront à la charge de la société PROSENSOR,
- Dit n'y avoir lieu d'ordonner la publication du dispositif de la présente décision sur le site internet de la société PROSENSOR ni à autoriser les sociétés JUMO GmbH & Co KG et JUMO REGULATION à faire publier la présente décision,
- Dit n'y avoir lieu à prononcer l'exécution provisoire de la présente décision.'
Pour fonder sa décision, le tribunal a principalement retenu que :
- la société JUMO REGULATION n'a pas intérêt et qualité à agir en contrefaçon de la marque 'JUMO' dont est titulaire la société JUMO GmbH et Co KG.
- lorsque le terme 'JUMO' est introduit dans le moteur de recherche GOOGLE, le lien avec le site internet de la société PROSENSOR apparaît dans une rubrique 'liens commerciaux' située à droite de la colonne des résultats de la recherche. L'annonce commerciale réalisée par la société PROSENSOR par ce moyen ne fait aucune référence aux sociétés et à la marque 'JUMO' de sorte qu'un internaute normalement informé et raisonnablement attentif peut aisément déterminer qu'il n'existe aucun lien entre cette société et la marque ou les sociétés JUMO.
Il n'existe donc pas de contrefaçon de la marque 'JUMO'.
- la marque 'JUMO' a été enregistrée auprès de l'OMPI pour des instruments de mesure de différentes classes et pour différents pays, dont la France, sous le numéro 604 444 pour dix ans le 17 septembre 1993 par la JUMO GmbH et Co KG qui a renouvelé l'inscription par la suite. Cette dernière doit être déchue de ses droits de propriétaire de la marque à compter du 18 janvier 1999 en application de l'article
L 714-5 du code de la propriété intellectuelle, faute pour la société titulaire de la marque de justifier d'un usage sérieux ininterrompu de la marque dans les cinq ans qui ont suivi le18 janvier 1994, point de départ du délai visé à cet article suivant les dispositions de l'article
R 712-11 du même code.
- l'utilisation du mot-clef 'JUMO' n'a eu pour effet que de présenter une offre concurrente à celle des sociétés utilisant ce terme dans leur nom commercial, l'annonce de la société PROSENSOR ne comportant aucune référence directe ou indirecte aux activités des sociétés JUMO. Elle n'a donc pas tiré indûment profit des efforts et du savoir- faire de ces sociétés en présentant sa propre offre sans pour autant se placer dans le sillage de celle de ses concurrentes et sans avoir un comportement déloyal à leur égard. L'action en concurrence déloyale et parasitisme doit donc être rejetée.
- l'annonce faite dans la rubrique 'liens commerciaux' par la société PROSENSOR ne fait aucune référence aux caractéristiques des biens et services des sociétés concurrentes de sorte que celles-ci ne peuvent se fonder sur les dispositions de l'article
L 121-1 du code de la consommation ayant pour objet de défendre aux professionnels d’abuser la confiance des consommateurs ou d'exploiter l'inexpérience ou le défaut de connaissance des consommateurs.
Le tribunal n'a donc pas retenu la publicité mensongère.
Par déclaration au greffe de la cour d'appel du 16 janvier 2015, les sociétés JUMO Gmbh et Co KG, et la SAS JUMO REGULATION ont régulièrement interjeté appel du jugement.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes du dispositif de leurs dernières conclusions du 31 juillet 2015 visant les articles L 711-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, 551 de la directive 89/104/CEE,
1382 du code civil, et
L 121-1 du code de la consommation, les sociétés JUMO REGULATION et JUMO Gmbh et Co KG demandent à la cour d'infirmer le jugement querellé, rejeter l'appel incident et de :
' - Déclarer recevable l'action en contrefaçon exercée par la société JUMO GmbH & Co.,
- Juger bien-fondée I'action en contrefaçon exercée par la société JUMO GmbH & Co., en ce que l'utilisation de la marque « JUMO » par la société PROSENSOR pour des produits et services identiques ou similaires à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée caractérise la contrefaçon de marque ;
- Déclarer recevable l'action en concurrence déloyale et parasitisme exercée par les sociétés JUMO GmbH & Co. et JUMO Régulation,
- Juger que la société PROSENSOR s'est rendue coupable de concurrence déloyale et parasitisme, du fait d'actes d'usurpation du signe "jumo" pris en tant que dénomination sociale, nom commercialet nom de domaine des sociétés JUMO GmbH & Co. et JUMO Régulation, au sens de l'article
1382 du Code civil,
- Déclarer recevable l'action en publicité mensongère exercée par les sociétés JUMO GmbH 81 Co. et JUMO Régulation,
- Juger que la société PROSENSOR a commis des actes de publicité mensongère, en ce qu'elle a fait apparaître une annonce publicitaire vers son site Internet dans la rubrique «Liens commerciaux » lors de la recherche portant sur le mot-clé "jumo", objet d'un droit privatif,
-Condamner la société PROSENSOR à payer à la société JUMO Régulation la somme de 24 619,82 euros en réparation du préjudice subi et détaillé comme suit :
- 732,71 euros au titre de la perte de la clientèle active,
- 3 787,11 euros au titre du détournement de la clientèle Internet potentielle,
- 20 000 euros au titre du préjudice commercial,
- Condamner la société PROSENSOR à payer à la société JUMO GmbH 81 Co. la somme de 50 000 en réparation du préjudice subi,
- Dire que ces condamnations porteront intérêt au taux légal à compter de la décision à intervenir,
- Dire que les intérêts seront capitalisés par périodes annuelles conformément à l'article
1154 du Code civil,
- Ordonner à la société PROSENSOR de publier le dispositif de la décision à intervenir sur la page d'accueil de son site Internet www.prosensor,.com.
- Dire que cette mesure de publication sur le site Internet www.prosensor.com. devra être insérée en haut de la page d'accueil du site précité, en caractères Arial de taille 16, sous la mention << Publication judiciaire '' et effectuée pendant une durée de trois mois, dans la quinzaine de la signification du jugement, sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard,
- Autoriser la société JUMO GmbH & Co. et la société JUMO Régulation à faire publier, par extraits ou en entier, la décision à intervenir dans trois revues périodiques de son choix aux frais de la société PROSENSOR, à concurrence d'une somme globale de 10 000 euros hors taxes,- Débouter la société PROSENSOR de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- Confirmer le jugement rendu en ce qu'il a en tout état de cause rejeté la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- Rejeter cette même demande présentée par voie d'appel incident devant la Cour pour procédure et appel abusifs,
- Condamner la société PROSENSOR à payer la somme de 15 000 euros à la société JUMO GmbH 81 Co. et à la société JUMO Régulation, à chacune d'elle, sur le fondement de l'article
700 du Code de procédure civile, ainsi qu'à supporter la charge des entiers frais et dépens, lesquels comprendront les frais de constat d'huissier préalables à l'assignation.'
Pour l'essentiel les sociétés JUMO REGULATION et JUMO Gmbh et Co KG font valoir que :
sur l'action en contrefaçon de marque
- la société JUMO Gmbh et Co KG, visée comme titulaire de la marque sur le certificat d'enregistrement de la marque ' JUMO' auprès de l'OMPI, est recevable à engager l'action fondée sur les articles L711-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, issus de la directive du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques, et à interpréter conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne.
- sont réunis les quatre éléments cumulatifs fondant l'action en contrefaçon de marque que sont :
- un usage de la marque d'autrui sans son accord,
- dans la vie des affaires,
- pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés lors de l'enregistrement de ladite marque,
- l'atteinte ou le risque d'atteinte à l'une des fonctions propres de la marque.
Les sociétés appelantes relèvent ainsi que :
- la Cour de justice de l'Union européenne, dans son arrêt préjudiciel en date du 23 mars 2010 (point 59), a jugé que 'l'annonceur achetant le service de référencement et choisissant en tant que mot-clé un signe identique à une marque d'autrui [...1 fait un usage dudit signe'. La société JUMO Gmbh et Co KG n'a pas donné son accord pour l'usage fait par la société PROSENSOR.- Dans son arrêt préjudiciel en date du 23 mars 2010, la Cour de justice de l'Union européenne juge que l'usage est dit avoir lieu dans la vie des affaires ' dès lors qu'il se situe dans le contexte d'une activité commerciale visant à un avantage économique et non
dans le domaine privé '(point 50).
- La société PROSENSOR, dont l'activité principale est la fabrication de capteurs de température, de transmetteurs et d'enregistreurs ainsi que la commercialisation de toute une gamme de résistances chauffantes, a incontestablement des produits et services identiques ou similaires à ceux couverts par la marque ' JUMO' enregistrée pour des produits et services similaires dont est titulaire la société JUMO GmbH & Co.
- la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt préjudiciel en date du 23 mars 2010, a précisé les fonctions de la marque dans le passage suivant ' non seulement la fonction essentielle de la marque qui est de garantir aux consommateurs la provenance du produit ou du service [ci-après la « fonction d'indication d'origine ', mais également les autres fonctions de celle-ci, comme notamment celle consistant à garantir la qualité de ce produit ou de ce service, ou celles de communication, d'investissement ou de publicité ' (point 77).
En l'occurrence il a été porté atteinte à trois fonctions propres de la marque 'JUMO':
1) une atteinte la fonction d'identification d'origine définie comme suit par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt préjudiciel en date du 23 mars 2010 :
-' lorsque l'annonce du tiers suggère l'existence 'un lien économique entre ce tiers et le titulaire de la marque, il y aura lieu de conclure qu'il y a atteinte à la fonction d'identification d'origine de la marque.' (point 89).
-' lorsque l'annonce, tout en ne suggérant pas l'existence d'un lien économique, reste à tel point vague sur l'origine des produits ou des services en cause qu'un internaute normalement informé et raisonnablement attentif n 'est pas en mesure de savoir, sur la base du lien promotionnel et du message commercial qui y est joint, si l'annonceur est un tiers par rapport au titulaire de la marque ou, bien au contraire, économiquement lié à celui-ci, il conviendra également de conclure qu'il y a atteinte à ladite fonction de la marque.'(point 90).
Dans un autre arrêt préjudiciel, en date du 22 septembre 2011, dit arrêt Interflora,la Cour de justice de l'Union européenne a précisé que :- 'La juridiction de renvoi pourra, en particulier, tenir compte de la circonstance que, en l'espèce, le réseau commercial du titulaire de la marque est composé d'un nombre élevé de détaillants présentant entre eux une grande diversité en termes de taille et de profil commercial. Il convient, en effet, de considérer que, dans de telles conditions , il peut être particulièrement difficile pour l'internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir, en l'absence d'indication donnée par l'annonceur, si ce dernier, dont la publicité est affichée en réponse à une requête utilisant ladite marque comme terme de recherche, fait ou non partie dudit réseau.' (point 52).
Ces précisions apportées, les sociétés JUMO REGULATION et JUMO Gmbh et Co KG soulignent en l'espèce que les liens commerciaux sont affichés alors que dans le même temps le nom de la marque introduite comme critère de recherche reste affichée en partie haute de l'écran, que l'annonce de la société PROSENSOR reste à tel point vague sur l'origine des produits ou des services en cause qu'un internaute normalement informé et raisonnablement attentif n'est pas en mesure de savoir, sur la base du lien promotionnel et du message commercial qui y est joint, si la société PROSENSOR est oui ou non un tiers par rapport à la société JUMO GmbH & Co, que le groupe JUMO comportant pas moins de vingt-six filiales à travers le monde et de nombreux détaillants, le consommateur ne saurait identifier avec précision les membres de son réseau commercial et isoler la société PROSENSOR, que se trouve ainsi caractérisée, conformément au point 90 de l'arrêt préjudiciel du 23 mars 2010, une atteinte à la fonction essentielle de la marque qu'est la fonction d'identification d'origine
2) la fonction de garantie de qualité.
Elle se trouve caractérisée par le fait qu'ayant pourtant entré la marque « JUMO » dans la barre de recherche, un des liens commerciaux renvoie au site Internet de la société PROSENSOR, l'internaute d'attention moyenne a pu raisonnablement croire que des produits ou services identiques ou similaires à ceux fournis par la société JUMO GmbH & Co., qui bénéficie d'une renommée internationale, sont potentiellement commercialisés par le biais du site Internet de la société PROSENSOR, et bénéficient de la même qualité.
3) la fonction d’investissement.
Une atteinte à cette fonction est caractérisée en l'espèce par le fait qu'en faisant usage de la marque 'JUMO' à titre de mot-clé pour bénéficier d'une présentation avantageuse sur la page de résultats du moteur de recherche lorsqu'un internaute effectue une recherche sur ladite marque, la société PROSENSOR a gêné de manière substantielle l'emploi de sa marque par la société JUMO GmbH & Co. pour conserver une réputation susceptible d'attirer et de fidéliser des consommateurs.Sur l'action en concurrence déloyale et parasitisme
- les agissements de la société PROSENSOR se rapportent à l'usurpation de la dénomination sociale "JUMO", du nom commercial ' jumo' et de la partie distinctive du nom de domaine "jumo.de".
Ils constituent donc des faits distincts de ceux de la contrefaçon de la marque 'JUMO' et ont un fondement différent. Ils intéressent les deux sociétés, la société JUMO REGULATION étant une filiale à 100% de la société JUMO GmbH & Co.
Les conditions de cette action sont réunies :
1 ) situation de concurrence : il y a similitude de produits et de clientèle. La société PRIOSENSOR ne peut valablement arguer qu'elle n'est pas en concurrence avec la société JUMO GmbH & Co. du fait qu'elle est allemande alors qu'ils sont concurrents sur le marché unique européen et alors que le Protocole n°27 aux traités constitutifs de l'Union européenne relatif au marché intérieur et à la concurrence précise que 'le marché intérieur tel qu'il est défini à l'article 3 du Traité sur l''Union européenne comprend un système garantissant que la concurrence n'est pas faussée ', objectif qui resterait vain si la protection contre l'action en concurrence déloyale s'arrêtait aux frontières étatiques.
2 ) une faute : le procédé occulte employé par la société PROSENSOR introduit un risque de confusion pour l''utilisateur d'attention moyenne, semblant indiquer que des produits ou services identiques ou similaires à ceux fournis par les sociétés JUMO sont potentiellement commercialisés par le biais du site Internet de la société PROSENSOR et bénéficient de la même qualité.
Ce comportement est constitutif de concurrence déloyale au sens de l'article
1382 du code civil mais également de parasitisme dans la mesure où la société PROSENSOR a délibérément entendu se placer dans le sillage de sa concurrente, dans le but de tirer un bénéfice indu du nom commercial et de la renommée de ces dernières.
3) le dommage : il s'agit d'un détournement de clientèle, mais aussi un dommage moral, qui réside dans le trouble commercial subi.
Sur l'action en publicité mensongère
- par l'utilisation faite par la société PROSENSOR du service ‘AdWords’, elle a réalisé une présentation trompeuse semblant indiquer que des produits ou services identiques ou similaires à ceux fournis par les sociétés JUMO sont potentiellement commercialisés par le biais du site Internet de la société PROSENSOR et bénéficient de la même qualité.Ce faisant, elle a commis des actes de publicité mensongère au sens de l'article
L121-1 du code de la consommation qui interdit toute publicité comportant, sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, lorsque celles-ci portent, notamment, sur la nature, l'origine, la composition ou les qualités substantielles [...] des biens et services objets de la publicité.
Sur l'action reconventionnelle en déchéance de marque
- il est justifié de l'usage sérieux de la marque 'JUMO' faisant l'objet du certificat d'enregistrement fait à GENEVE le 17 septembre 1993, sous le numéro 604 444 et ce à compter du 18 janvier 1999 par les éléments suivants:
- une attestation du cabinet comptable GEBHARDT MORITZ, en date du 11 mars 2015, précisant les chiffres d'affaires réalisés par la société de droit allemande titulaire de la marque JUMO pour les années 1998 à 2013, justifiant d'une activité constante et très prospère dans le domaine,
-une clé USB produite aux débats, référençant l'ensemble des fiches techniques de produits de la société propriétaire de la marque avec utilisation de la marque JUMO sur l’ensemble des documents, ce de l'année 1994 à 2008 (dossier clé USB BTAs de 1994-2008), puis à compter à nouveau de l'année 2008 à 2015 (dossiers clé USB 2008,2009,2010,2011,2012,2013,2014,2015) ainsi que dossiers fiches techniques, prospectus, JUMO INFO, justifiant d'une utilisation de la marque JUMO dans les conditions requise et ininterrompue, depuis son dépôt jusqu'à ce jour.
Sur le préjudice subi par la société JUMO REGULATION
- la perte de clientèle active : sur la période litigieuse allant de novembre 2006 à février 2007 inclus, il est rapporté 34 clics sur le site Internet de la société PROSENSOR à partir d'une recherche sur le moteur de recherche GOOGLE avec le mot-clé "jumo" selon le rapport d'activité du compte 'Adwords '.
Il peut être considéré que 30 % de ces visiteurs sont des clients potentiels de la société JUMO REGULATION.
- le trouble commercial : pour diminuer l'impact des agissements de la société concurrente, la société JUMO REGULATION a dû engager des frais, en l'espèce demander à l'hébergeur de mettre en place une procédure additionnelle << AdWords '', laquelle a pour but de trouver le site Internet de la société plus rapidement lorsqu'il estprocédé à une recherche par produit. Ce service est d'un coût de 850 euros HT par mois, soit 10200 euros HT par an.
Sur le préjudice subi par la société JUMO Gmbh et Co KG
Conformément à l'article
L716-14 du Code de la propriété intellectuelle, en matière de contrefaçon de marque, il convient de prendre en considération, pour l'évaluation du préjudice subi, les conséquences économiques négatives - dont le manque à gagner - subies par la victime, les bénéfices réalisés par l'auteur et le préjudice moral causé au titulaire de la marque contrefaite.
La société JUMO GmbH & CO a subi un-préjudice distinct de celui résultant de la contrefaçon du fait, d'une part de la publicité mensongère", et d'autre part de l'usurpation fautive de sa dénomination sociale "JUMO", de son nom commercial ' jumo' et de son nom de domaine "jumo.de".
Suivant écritures du 16 juin 2015, la société PROSENSOR conclut au rejet des appels et à la confirmation du jugement sauf en sa disposition rejetant sa demande de dommages et intérêts pour procédure et appel abusifs qu'elle demande à la cour de remanier en condamnant les sociétés appelantes à lui verser la somme de 20 000 euros à ce titre. Elle réclame en outre la condamnation solidaire des sociétés appelantes à lui verser la somme de 15 000 euros en application de l'article
700 du code de procédure civile.
Selon la société intimée :
- la société JUMO GMBH&CO est irrecevable à faire valoir une usurpation du nom du domaine 'jumo.de' dont est titulaire la société M. K. J GMBH&CO,
sur la déchéance de marque
- la société JUMO REGULATION n'est pas titulaire de la marque 'JUMO'. Elle ne justifie pas d'une licence ou autorisation d'exploitation de cette marque. Elle n'utilise ce terme que comme nom commercial et nom de domaine et non à titre de marque pour désigner les produits et services protégés par la demande d'enregistrement revendiquée. La société JUMO GMBH&CO propriétaire de la marque «JUMO », n'a aucune activité en France, n'a pas de clientèle française, son site étant en allemand et les produits commercialisés uniquement en Allemagne.
En conséquence, la cour ne pourra que confirmer la déchéance de la marque française « JUMO » enregistrée sous le n° 604444 pour défaut d'exploitation, aux termes de l'article
L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle.Sur l'action en contrefaçon de marque
- elle n'est pas fondée car :
- il n'y a pas eu atteinte à la fonction d'identification de la marque de l'origine des produits:
la société PROSENSOR n'a pas suggéré d'une quelconque manière que les produits et services de la marque française « JUMO » pouvaient avoir un lien avec les siens. L'emploi de l'appellation « JUMO » s'est exclusivement limité à un usage à titre de mot-clé, sans jamais suggérer d'une quelconque manière un lien entre la société PROSENSOR et la société allemande JUMO GMBH&CO. Le site présentant les produits et service de la société JUMO GMBH & CO titulaire de la marque, n'apparaît pas dans les résultats de recherche de sorte que toute confusion entre les deux sites prosensor.com et jumo.de est matériellement impossible.
Une décision judiciaire a relevé que 'l'utilisateur [est] parfaitement habitué à la présentation des résultats compilés par le moteur de recherche Google, [...] cet internaute ne risquera pas de confondre le résultat naturel et le « lien commercial » (ou lien promotionnel).' De plus, en l'espèce, l'utilisateur du moteur de recherche est forcément une société industrielle, et donc un professionnel averti connaissant parfaitement l'activité de la société demanderesse et les produits qu'elle commercialise de même que celle de la société JUMO.
Les risques de confusion ou de rattachement entre les deux sites et les deux sociétés concurrentes étaient donc totalement exclus.
- selon la Cour de Justice de l'Union Européenne, 'l'usage d'un mot clé identique à la marque d'un concurrent sélectionné dans le cadre d'un service de référencement sur internet ne porte pas atteinte à la fonction de publicité de la marque. (arrêt du 22 septembre 2012 dans l'affaire INTERFLORA).
En l'espèce le moteur de recherche GOOGLE propose avant toute chose un service de référencement dit « naturel » qui permet à l'internaute de retrouver, parmi d'autres sites, celui de la Société JUMO RÉGULATION en tapant le mot-clé « JUMO », mais pas le site de la société JUMO GMBH & CO puisque celui-ci n'est pas référencé par GOOGLE France.
Dès lors le service proposé par GOOGLE permet seulement de présenter le site de PROSENSOR bien distinctement des autres sites du même type, dans les mêmes conditions par exemple que la base de données «pages jaunes » qui permet aux sociétés, moyennant contrepartie financière, de présenter leur publicité à côté des sociétésconcurrentes sur le même secteur d'activité, afin que le consommateur puisse choisir entre les sociétés sans jamais les confondre.
- la fonction d'investissement de la marque n'est pas mise en cause en l'espèce.
Selon la CJUE (arrêt du 22 septembre 2012) ' cet usage porte atteinte à la fonction d'investissement de la marque s'il gêne de manière substantielle l'emploi, par ledit titulaire, de sa marque pour acquérir ou conserver une réputation susceptible d'attirer et de fidéliser des consommateurs.'
Cette atteinte n'est pas démontrée.
De plus la CJUE a considéré dans l'arrêt du 22 septembre 2011, affaire C-323/09 que: 'En revanche il ne saurait être admis que le titulaire d'une marque puisse s'opposer à ce qu'un concurrent fasse, dans des conditions de concurrence loyale et respectueuse de la fonction d'indication d'origine de la marque, usage d'un signe identique à cette marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée, si cet usage a pour seule conséquence d'obliger le titulaire de cette marque à adapter ses efforts pour acquérir ou conserver une réputation susceptible d'attirer et de fidéliser les consommateurs. De la même manière, la circonstance que ledit usage conduise certains consommateurs à se détourner des produits ou des services revêtus de ladite marque ne saurait être utilement invoquée par le titulaire de cette dernière.'
- la fonction de garantie de qualité de la marque n'est pas affectée :
la société JUMO GmbH & CO ne précise pas en quoi le lien commercial incriminé affecterait sa réputation ou mettrait en péril le maintien de cette réputation dès lors qu'il n'est jamais fait la moindre allusion à la société allemande ou à ses activités dans le site de PROSENSOR. Elle ne démontre pas que les produits de cette dernière seraient inférieurs en qualité.
Sur la concurrence déloyale et parasitaire
- La société JUMO GMBH & CO ne saurait sérieusement agir sur le terrain de la concurrence déloyale, dès lors qu'elle ne justifie pas de faits distincts de ceux invoqués au titre de l'action en contrefaçon de marque.
- la société allemande ne peut invoquer la protection accordée par le droit aux signes distinctifs tels que le nom commercial et la dénomination sociale d'une société est limitée car elle ne peut être invoquée que dans la zone où ils sont connus du public. Or la société JUMO GMBH & CO n'exerce son activité qu'en Allemagne, son siteinternet étant en langue allemande et référencé sur un moteur de recherche allemand 'GOOGLE Deutschland'. En conséquence, il ne peut y avoir usurpation du nom commercial et de la raison sociale de la société JUMO GMBH & CO par la société PROSENSOR qui a en France une activité, une clientèle et un site bien distincts.
- la société PROSENSOR ne pouvait imaginer lors de l'achat du mot- clé «JUMO» proposé librement et ouvertement par GOOGLE dans le cadre d'un service payant, que cette option puisse être considérée comme illicite.
Il ne lui a été délivré aucune mention ni aucun avertissement que ce soit par GOOGLE dans le cadre du système AdWords, ou par la société JUMO GMBH&CO titulaire de la marque et seule habilitée à empêcher quiconque de l'utiliser dans le cadre des liens commerciaux.
Dès lors que les Sociétés JUMO ont mis en demeure GOOGLE de retirer le mot-clé litigieux de la liste des mots-clés acquis par PROSENSOR et de lui en interdire l'usage, le fait que GOOGLE n'ait pas retiré promptement celui-ci et surtout n'ait pas jugé utile d'en informer PROSENSOR, permet d'écarter toute responsabilité et toute faute de PROSENSOR qui, quant à elle, a fait preuve de prudence en retirant le mot-clé litigieux immédiatement à réception de la première notification qui lui a été faite.
- aucune confusion n'est possible concernant les noms de domaine « jumo.fr» et « prosensor.com ». De plus les sites internet correspondants auxdits noms de domaine, qui ont chacun une charte graphique, une présentation, un contenu et des rubriques totalement différentes, présentent des produits qui sont certes similaires mais pas identiques et ne constituent en aucune manière une contrefaçon de ceux commercialisés par les sociétés JUMO.
- à aucun moment la société PROSENSOR n'a cherché à imiter les produits, services, sites internet, publicités ou activités des sociétés JUMO
-la mention « Capteurs de température, sondes Pt100 et Thermocouples» apparaissant sur l'annonce publicitaire litigieuse, n'est pas répréhensible tant à titre de contrefaçon que de la concurrence déloyale ou parasitaire.
- la jurisprudence estime que le recours au service Adwords en sélectionnant le signe distinctif d'un concurrent comme a pu le faire la société PROSENSOR ne constitue pas un acte de concurrence déloyale.
Sur la publicité mensongère- il ne peut être reproché à la société PROSENSOR que l'intitulé « Liens commerciaux » est trompeur car il porterait à croire qu'il existerai] un lien de nature commerciale entre le site www.prosensor.com et les Sociétés JUMO et JUMO RÉGULATION ». Or cet intitulé a été choisi par la société GOOGLE de sorte que ce fait ne lui est pas imputable. De plus cette expression permet clairement de signaler la présence de liens sponsorisés, proposés par tous les moteurs de recherche dont la principale fonction est précisément de les proposer à l'internaute en fonction des mots-clés
choisis par les annonceurs. De plus le mot-clé « JUMO » n'apparaît à aucun moment dans l'encart publicitaire de la Société PROSENSOR, que ce soit dans le texte de l'annonce ou dans son titre, dans le nom de domaine de la concluante ou même sur le site internet auquel renvoie l'annonce.
Sur le préjudice
- il est inexistant : ni le site de PROSENSOR ni le site de JUMO RÉGULATION ne proposent des ventes de produits en ligne. l s'agit tous deux de site de présentation des produits et des entreprises désignées par le site. Il n'y a donc pas de possibilité ou risque de captation de clientèle active ou potentielle.
- la société JUMO RÉGULATION ne peut justifier d'une quelconque perte de clientèle, l'utilisation du mot-clé « JUMO » n'ayant fait l'objet, en trois mois, que de 34 « clics », dont ceux des sociétés concurrentes et de l'huissier de justice qu'elles ont mandaté pour vérifier l'utilisation faite du lien commercial.
Ce chiffre est sans comparaison avec les 800 visites hebdomadaires du site jumo.fr dont fait état la société concurrente.
- lorsque la société PROSENSOR a eu connaissance des réclamations relatives à l'achat de mot-clé « JUMO », soit après trois mois d'utilisation, elle l'a immédiatement supprimé de sa liste de mots- clés obtenus via le service AdWords. Il n'est donc pas justifié que la société JUMO soit remboursée des dépenses prétendument engagées par pour contrebalancer la redirection des clients ayant utilisé le mot-clé litigieux dans le moteur de recherche.
- la société PROSENSOR n'a réalisé aucun bénéfice à raison de l'utilisation dudit mot-clé durant une période de 3 mois, son chiffre d'affaires étant sensiblement le même en 2005, 2006 et 2007.
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive
- La présente procédure a été engagée de manière particulièrement abusive par les sociétés appelantes qui n'ont pas d'abord averti la concluante, puis n'ont tenu aucun compte de cequ'elle avait mis un terme à l'utilisation du mot-clé « JUMO » dans le système AdWords.
L'entêtement des sociétés concurrentes à maintenir leurs prétentions à l'encontre de la société PROSENSOR seule, alors que la jurisprudence européenne et française s'est clairement prononcée sur la licéité de l'utilisation par un annonceur de la marque d'autrui à titre de mot clé dans le cadre du service payant AdWords, et que les demanderesses en ont tiré toute conséquence à l'égard de la société GOOGLE, apparaît manifestement abusive et fondée sur la seule volonté de nuire à un concurrent.
Cet acharnement procédural est d'autant moins acceptable que la société JUMO utilise elle-même le service AdWords en adoptant précisément des mots clé identiques à des marques concurrentes.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 janvier 2016.
MOTIFS DE LA DÉCISION Sur la contrefaçon de marque
Ainsi que l'a exactement relevé le tribunal, seule la société JUMO Gmbh et Co KG est titulaire de la marque 'JUMO' selon certificat d'enregistrement auprès de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle valable pour différents pays, dont la France. L'action en contrefaçon de marque exercée par la société JUMO RÉGULATION, qui ne prétend pas bénéficier d'un droit exclusif d'exploitation de ladite marque, a été justement déclarée irrecevable par le tribunal.
Il n'est pas contesté que la société PROSENSOR a, dans le cadre du service de référencement «AdWords», sélectionné le terme 'JUMO' en tant que mot clés. Par conséquent, lorsqu'un internaute entrait le mot ' une annonce de la société PROSENSOR apparaissait dans la rubrique «liens commerciaux» comme il ressort d'un procès-verbal de constat établi le 15 février 2007 par un huissier de justice.
Cette annonce se présentait de la manière suivante :
' capteur de température
sondes Pt100 et Thermocouples
catalogues gratuits
www.prosensor.com'
Selon l'article
L.713-2 du code de la propriété intellectuelle, sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, la reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque, même avec l'adjonction de mots tels que :formule, façon, système, imitation, genre, méthode, ainsi que l'usage d'une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l'enregistrement.
Il résulte de ces dispositions, appréciées au regard de l'article 5, paragraphe 1, a) de la directive 89/104, que le titulaire de la marque est habilité à interdire l'usage sans son consentement, d'un signe identique à ladite marque par un tiers, lorsque cet usage a lieu dans la vie des affaires, est fait pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque.
La Cour de justice de l'Union Européenne a dit pour droit que :
- lorsque l'annonce du tiers suggère l'existence d'un lien économique entre ce tiers et le titulaire de la marque, il y aura lieu de conclure qu'il y a atteinte à la fonction d'indication d'origine;
- lorsque l'annonce, tout en ne suggérant pas l'existence d'un lien économique, reste à un tel point vague sur l'origine des produits ou des services en cause qu'un internaute normalement informé et raisonnablement attentif n'est pas en mesure de savoir, sur la base du lien promotionnel et du message commercial qui y est joint, si l'annonceur est un tiers par rapport au titulaire de la marque ou, bien au contraire, économiquement lié à celui-ci, il conviendra également de conclure qu'il y a atteinte à ladite fonction de la marque.
Il convient de retenir en l'espèce que le signe 'JUMO' sélectionné par la société PROSENSOR en tant que mot clé dans le cadre du service de référencement sur Internet commercialisé par la société GOOGLE est le moyen utilisé par elle pour déclencher l'affichage de son annonce et fait donc l'objet d'un usage dans la vie des affaires.
Il s'agit, en outre, d'un usage pour des produits de la société PROSENSOR, concurrents de ceux des sociétés appelantes, même lorsque le signe sélectionné en tant que mot clé n'apparaît pas dans son annonce.
La contrefaçon de marque n'est cependant constituée que s'il y a atteinte à une des fonctions de la marque litigieuse.
La fonction d'indication d'origine
Il y a atteinte à la fonction d'indication d'origine lorsque l'annonce ne permet pas ou permet seulement difficilement à l'internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si les produits ou les services visés par l'annonce proviennent du titulaire de la marque ou d'une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d'un tiers.En l'espèce, la marque 'JUMO' est connue des seuls professionnels puisqu'elle s'applique à des produits suivants : thermomètres, capteurs de mesure pour la température, l'humidité, la pression et les quantités électrochimiques, manomètres, transducteurs de mesure pour la température, l'humidité, le courant, la pression et les quantités électrochimiques, thermostats, circuits imprimés, ensembles électroniques équipés, régulateurs électromécaniques, électroniques et commandés par microprocesseur, enregistreurs, programmateurs électroniques et commandés par microprocesseur, mesureurs portatifs pour le labo et le service et chronomicromètres. Ces appareillages ne sont manifestement pas destinés à tout public mais intéressent uniquement des entreprises spécialisées.
Les internautes susceptibles d'introduire le nom de la marque dans le moteur de recherche déclenchant l'apparition d'une liste de résultats à gauche de l'écran renvoyant à des sites internet des sociétés du groupe JUMO et, à droite de cet écran à des liens commerciaux comportant l'annonce de la société Prosensor, sont nécessairement des professionnels ayant des connaissances techniques sur les produits spécifiques qu'ils recherchent et qui connaissent les fabricants susceptibles de les fournir.
Il y a lieu de relever que l'annonce de la société PROSENSOR reproduite supra , qui est classée sous la rubrique "liens commerciaux" et qui s'affiche sur une colonne nettement séparée de celle afférente aux résultats naturels de la recherche effectuée avec le mot clé 'JUMO' , sur le moteur de recherche de Google, comporte un message qui se limite à désigner le produit promu, des capteurs de température, en des termes génériques ou à proposer la remise de catalogues, sans référence implicite ou explicite à la marque 'JUMO', message qui est suivi de l'indication, en couleur, d'un nom de domaine ne présentant aucun rattachement avec la société JUMO Gmbh et Co KG.
Ces éléments ne permettent pas de retenir qu'un risque de confusion entre la société JUMO Gmbh et Co KG, d'une part, et la société PROSENSOR, d'autre part, a pu naître dans l'esprit d'un professionnel normalement informé et raisonnablement attentif, à l'examen du tableau des résultats de sa recherche internet à partie du mot 'JUMO', ni même d'inférer que la présentation des résultats ait pu lui suggérer que la société PROSENSOR soit rattachée d'une manière quelconque à la société JUMO Gmbh et Co KG ou commercialise les produits de sa marque .
Dans l'esprit d'un internaute actif dans le domaine des équipements industriels de mesure, l'offre de vente de la société PROSENSOR n'a pu apparaître que comme une proposition d'achat de produits industriels alternative à celle des sociétés JUMO.
La cour retiendra, en conséquence, qu'il n'y a pas atteinte, en l'espèce, à la fonction d'indication d'origine de la marque protégée.La fonction de garantie de qualité
La société JUMO Gmbh et Co KG revendique la renommée internationale de ses produits et soutient que l'internaute d'attention moyenne a pu raisonnablement croire que des produits identiques ou similaires à ceux fournis par elle sont commercialisés par la société PROSENSOR par l'usage qu'elle a fait du service 'AdWords'.
Outre le fait que la société JUMO Gmbh et Co KG n'établit pas que les produits similaires de la société PROSENSOR soient d'une qualité inférieure aux siens, la renommée de ces produits auprès des professionnels qui en sont les acheteurs avertis, à la supposer avérée, était de nature à empêcher tout risque de confusion avec ceux d'une société concurrente alors, de plus, qu'aucun risque de confusion ne résultait de l'affichage des résultats d'une recherche internet sur la base du nom de la marque litigieuse comme il a été précédemment énoncé.
La fonction d'investissement
La société JUMO Gmbh et Co KG soutient que les faits reprochés à la société PROSENSOR ont gêné de manière substantielle l'emploi, par elle, de sa marque pour acquérir ou conserver une réputation susceptible d'attirer et de fidéliser des consommateurs. Aucune démonstration n'étaye cette affirmation de sorte que ce moyen sera également rejeté.
Il convient en définitive de rejeter l'action en contrefaçon de la marque 'JUMO' soutenu par la société JUMO Gmbh et Co KG.
Sur l'action en concurrence déloyale et parasitisme
L'action en concurrence déloyale peut être exercée cumulativement avec l'action en contrefaçon. Il est cependant nécessaire que chaque action repose sur des faits distincts car il s'agit d'éviter la reconstitution, par d'autres biais, de droits de la propriété intellectuelle alors que n'est pas constituée une contrefaçon de marque.
En l'occurrence les sociétés JUMO Gmbh et Co KG et JUMO REGULATION reprochent à la société PROSENSOR d'avoir usurpé leur dénomination sociale et la partie distinctive du nom de domaine 'jumo.de' en créant une confusion pour l'utilisateur d'attention moyenne par un procédé semblant indiquer que les produits ou services identiques à ceux fournis par les sociétés JUMO sont potentiellement commercialisés par le biais du site internet de la société PROSENSOR et bénéficient de la même qualité.
Il convient de constater que faits mis en avant sont identiques à ceux soutenant l'action en contrefaçon de marque, à savoir l'usage du mot- clef 'JUMO' par la société PROSENSOR dans le service deréférencement qu'elle a acheté à la société GOOGLE, mais analysé différemment. Il n'est nullement reproché à la société intimée d'avoir utilisé la dénomination sociale ou le nom de domaine 'jumo.de' dont il n'est pas soutenu qu'il aurait fait l'objet d'une réservation à titre de mot- clef du système ' AdWords'.
De plus, ainsi qu'il a été précédemment démontré, aucun risque de confusion n'a pu naître dans l'esprit d'un internaute, professionnel normalement informé et raisonnablement attentif, recherchant par le biais du moteur de recherche GOOGLE des produits industriels de la nature de ceux vendus par les sociétés concurrentes, c'est-à-dire commercialisant des produits identiques ou similaires.
Le tribunal a donc justement rejeté le moyen tiré de la concurrence déloyale et du parasitisme.
Sur la publicité mensongère
L'article
L. 121-1 du code de la consommation sanctionne la publicité trompeuse, c'est à dire celle qui contient des allégations fausses ou de nature à induire en erreur les consommateurs.
En l'espèce, il a été analysé et retenu par la cour qu'aucune confusion n'avait été entretenue au détriment des consommateurs et au préjudice des sociétés appelantes par l'utilisation qu'a faite la société PROSENSOR du service 'AdWorks' par l'emploi du mot-clef 'JUMO'.
L'action fondée sur le texte précité sera donc rejetée.
Sur la déchéance de marque
Les éléments fournis en cause d'appel par la société JUMO Gmbh et Co KG , à savoir une attestation d'un cabinet comptable en date du 11 mars 2015, des chiffres d'affaires réalisés par la société de droit allemande titulaire de la marque JUMO pour les années 1998 à 2013, les fiches techniques de produits de la société propriétaire de la marque avec utilisation de la marque JUMO sur ces documents durant les années 1994 à 2015 , des prospectus, justifient d'un usage sérieux et ininterrompu, pour les produits et services visés dans l'enregistrement, de la marque JUMO par la société titulaire de cette marque.
Il convient par suite d'infirmer le jugement querellé en ce qu'il a déchu la société JUMO Gmbh et Co KG de ses droits sur la marque 'JUMO' en application de l'article
L 714-5 du code de la propriété intellectuelle.
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive
Il appartient à la société PROSENSOR qui demande le paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive de démontrerl'existence d'une faute commise par les sociétés appelantes dans l'exercice de leur droit d'appel et dans le développement procédural de cette voie de recours ainsi que celle d'un préjudice qui en est résulté pour elle. Ne constitue pas une faute le fait pour les sociétés appelantes d'avoir engagé une action judiciaire à l'encontre de la société PROSENSOR alors que cette dernière avait immédiatement retiré le mot-clef litigieux dès mise en demeure et que son utilisation n'avait été que limitée dans le temps sans générer, selon elle, de troubles pour les sociétés concurrentes. En effet l'action en justice appartient à toute personne, physique ou morale , qui revendique un droit sans que l'exercice de ce droit puisse être conditionné par l'importance du préjudice résultant de l'atteinte à ce droit que la saisine de la juridiction a précisément pour objet de faire reconnaître dans son principe et dans son importance.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe,
- infirme le jugement déféré en ce qu'il a prononcé la déchéance des droits de la société de droit allemand JUMO GmbH & Co KG anciennement société M.K. JUCHHEIM GMBH & Co. sur la marque « JUMO » telle que faisant l'objet du certificat d'enregistrement fait à GENEVE, le 17 septembre 1993, sous le numéro 604 444 et ce, à compter du 18 janvier 1999,
statuant à nouveau de ce chef:
- rejette la demande déchéance des droits de la société de droit allemand JUMO GmbH & Co KG sur la marque « JUMO » telle que faisant l'objet du certificat d'enregistrement fait à GENEVE, le 17 septembre 1993, sous le numéro 604 444 ,
- confirme pour le surplus le jugement entrepris,
Y ajoutant,
- condamne in solidum les sociétés JUMO REGULATION et JUMO GmbH & Co KG à régler à la SAS PROSENSOR la somme de 8000 euros au titre de l'article
700 du code de procédure civile,
- rejette les demandes des sociétés appelantes formées au titre de l'article
700 du code de procédure civile,
-condamne in solidum les sociétés JUMO REGULATION et JUMO GmbH & Co KG au paiement des dépens d'appel.Le présent arrêt a été prononcé par sa mise à disposition publique le 03 novembre 2016, par Monsieur HITTINGER, Président de Chambre, assisté de Madame SAHLI, Greffier, et signé par eux.