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Tribunal administratif de Dijon, 3ème Chambre, 5 octobre 2023, 2301147

Synthèse

  • Juridiction : Tribunal administratif de Dijon
  • Numéro d'affaire :
    2301147
  • Type de recours : Excès de pouvoir
  • Dispositif : Rejet
  • Nature : Décision
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Chronologie de l'affaire

Tribunal administratif de Dijon
5 octobre 2023
Tribunal administratif de Réunion
5 octobre 2023

Texte intégral

Vu la procédure suivante

: Par une requête et des mémoires, enregistrés les 28 avril 2023, 9 juin 2023 et 10 septembre 2023, M. B A demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures : 1°) d'annuler l'arrêté du 10 janvier 2023 par lequel le préfet de la Côte-d'Or a refusé de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " ; 2°) d'enjoindre au préfet de la Côte-d'Or de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et " sous astreinte " ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation " sous astreinte " et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour. M. A soutient que : - sa requête n'est pas tardive dès lors que la notification de l'arrêté a été effectuée sans mentionner le numéro de son appartement, pourtant communiqué à la préfecture, de sorte que l'avis de passage a été remis à la société Adoma, qui ne gère pas son appartement qu'il loue à un particulier ; - l'arrêté attaqué méconnait l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; - il vit en France depuis plus de treize ans, il a réalisé toutes ses études supérieures en France ainsi que le début de sa carrière professionnelle, il a travaillé pendant trois ans au sein du service public français et ses liens personnels et privés sont aujourd'hui beaucoup plus forts en France que dans son pays d'origine. Par un mémoire en défense, enregistré le 10 mai 2023, le préfet de la Côte-d'Or conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge du requérant la somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Le préfet soutient que : - la requête est tardive et, par suite, irrecevable ; - les moyens invoqués par M. A ne sont pas fondés. Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; - l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume du Maroc en matière de séjour et d'emploi du 9 octobre 1987 ; - le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; - le code du travail ; - le décret n° 2020-741 du 16 juin 2020 relatif au régime particulier d'assurance chômage applicable à certains agents publics et salariés du secteur public ; - le code de justice administrative. Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Le rapport de M. Boissy a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit

: 1. M. A, ressortissant marocain né en 1989, entré en France le 28 août 2010 avec un visa de type D valable du 19 août 2010 au 19 août 2011, a ensuite régulièrement séjourné sur le territoire national entre le 20 août 2011 et le 30 août 2018 en qualité d'étudiant sous couvert de cartes de séjour régulièrement renouvelées. Le 27 août 2020, l'intéressé a obtenu une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " qui a été renouvelée jusqu'au 26 août 2022. Le 25 août 2022, M. A a sollicité le renouvellement de ce titre de séjour. Par un arrêté du 10 janvier 2023, dont M. A demande l'annulation, le préfet de la Côte-d'Or a rejeté sa demande. Sur les conclusions à fin d'annulation : En ce qui concerne le moyen tiré de la violation de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : S'agissant du cadre juridique : 2. D'une part, aux termes de l'article 3 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 : " Les ressortissants marocains désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent accord, reçoivent, après le contrôle médical d'usage et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an renouvelable et portant la mention " salarié " () ". L'article 9 du même accord stipule que : " Les dispositions du présent accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'accord () ". 3. D'autre part, aux termes de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui exerce une activité salariée sous contrat de travail à durée indéterminée se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " d'une durée maximale d'un an. / La délivrance de cette carte de séjour est subordonnée à la détention préalable d'une autorisation de travail, dans les conditions prévues par les articles L. 5221-2 et suivants du code du travail. / Par dérogation aux dispositions de l'article L. 433-1, elle est prolongée d'un an si l'étranger se trouve involontairement privé d'emploi. Lors du renouvellement suivant, s'il est toujours privé d'emploi, il est statué sur son droit au séjour pour une durée équivalente à celle des droits qu'il a acquis à l'allocation d'assurance mentionnée à l'article L. 5422-1 du code du travail ". Aux termes de l'article L. 421-3 du même code : " L'étranger qui exerce une activité salariée sous contrat de travail à durée déterminée ou qui fait l'objet d'un détachement conformément aux articles L. 1262-1, L. 1262-2 et L. 1262-2-1 du code du travail se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " travailleur temporaire " d'une durée maximale d'un an. / La délivrance de cette carte de séjour est subordonnée à la détention préalable d'une autorisation de travail, dans les conditions prévues par les articles L. 5221-2 et suivants du code du travail. / Elle est délivrée pour une durée identique à celle du contrat de travail ou du détachement, dans la limite d'un an. / Elle est renouvelée pour une durée identique à celle du contrat de travail ou du détachement ". 4. En premier lieu, il résulte des stipulations de l'article 3 de l'accord franco-marocain que, par dérogation au droit national, le titre de séjour portant la mention " salarié " est non seulement délivré aux ressortissants marocains qui exercent une activité professionnelle par la voie d'un contrat à durée indéterminée (CDI) mais aussi à ceux qui sont titulaires d'un contrat à durée déterminée (CDD) d'une durée minimale d'un an. 5. En second lieu, l'accord franco-marocain renvoie, sur tous les points qu'il ne traite pas, à la législation nationale, en particulier aux dispositions pertinentes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et du code du travail pour autant qu'elles ne sont pas incompatibles avec les stipulations de l'accord et nécessaires à sa mise en œuvre. Les conditions de délivrance et de renouvellement des titres de séjour mentionnés aux articles L. 421-1 et L. 421-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui ne sont par elles-mêmes pas incompatibles avec les stipulations de l'accord, sont donc respectivement applicables aux marocains titulaires d'un CDI ou d'un CDD d'une durée minimale d'un an. S'agissant de l'analyse du moyen : 6. Le requérant soutient que le préfet de Saône-et-Loire, en refusant de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " alors que, pourtant, il était involontairement privé d'emploi à la date de l'arrêté attaqué, a méconnu le troisième alinéa de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. 7. Le préfet de Saône-et-Loire, dans son arrêté du 10 janvier 2023, a rejeté la demande de titre de séjour présentée par M. A au motif que, n'exerçant plus d'activité professionnelle en qualité de salarié, il ne pouvait dès lors pas prétendre au renouvellement de son titre de séjour sur le fondement de l'article L. 421-1. 8. Or, en application du 1° de l'article L. 5421-1 du code du travail et du 2° de l'article 2 du décret n° 2020-741 du 16 juin 2020, M. A, qui avait été recruté par l'Université Paris-Sorbonne le 1er juin 2019 en qualité de statisticien, par la voie d'un CDD d'un an, renouvelé deux fois, et dont le dernier contrat, arrivé à son terme le 31 mai 2022, n'a pas été renouvelé à l'initiative de son employeur, était bien au nombre des agents contractuels de la fonction publique involontairement privés d'emploi. Dès lors, le requérant est fondé à soutenir que c'est à tort que le préfet lui a refusé le titre de séjour sollicité pour le motif mentionné au point 7. 9. Toutefois, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué. 10. Dans son mémoire en défense, dont le requérant a pris connaissance le 14 mai 2023, le préfet de Saône-et-Loire fait valoir que M. A n'avait pas droit au renouvellement de son titre de séjour dès lors que les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile s'appliquent uniquement aux étrangers titulaires d'un CDI. 11. D'une part, en refusant, pour un tel motif, de renouveler le titre de séjour sollicité par M. A, le préfet de Saône-et-Loire n'a pas commis d'erreur de droit au regard du cadre juridique, rappelé aux points 2 à 5, applicable à la situation de l'intéressé. La circonstance que l'intéressé soit involontairement privé d'emploi reste donc, par elle-même, sans incidence sur la légalité de la décision attaquée. D'autre part, il résulte de l'instruction que le préfet aurait pris la même décision s'il s'était fondé initialement sur ce motif. Il y a donc lieu, en l'espèce, de procéder à la substitution de motifs demandée par le préfet dès lors que cette demande n'a privé le requérant d'aucune garantie procédurale liée au motif substitué. En ce qui concerne le moyen tiré de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : 12. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". 13. M. A fait valoir qu'il est entré sur le territoire français à l'âge de 20 ans, qu'il y a réalisé l'ensemble de ses études ainsi que ses premières expériences professionnelles au sein de la fonction publique française et qu'il y réside aujourd'hui depuis plus de treize ans. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé, célibataire et sans enfant, ne produit aucun élément probant de nature à établir qu'il serait intégré de manière significative sur le plan familial, personnel ou professionnel en France, la production de son contrat à durée déterminée ainsi que des deux avenants l'ayant prolongé ne suffisant pas, à elle seule, à prouver son intégration. L'intéressé n'est par ailleurs pas dépourvu d'attaches familiales et personnelles au Maroc, où vivent encore ses parents et ses deux frères et sœurs, et dans lequel il a vécu jusqu'à l'âge de 20 ans. Dans ces conditions, et compte tenu, en outre, de la circonstance qu'il n'a séjourné en France, pendant l'essentiel de sa période, qu'en qualité d'étudiant, l'arrêté attaqué n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au but en vue duquel il a été pris. Par suite, et en tout état de cause, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. 14. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée en défense, les conclusions à fin d'annulation présentées par M. A doivent être rejetées. Sur les conclusions à fin d'injonction : 15. Le présent jugement, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par le requérant, n'implique, par lui-même, aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par M. A doivent être rejetées. Sur les frais liés au litige : 16. Si le préfet de la Côte-d'Or, qui n'a pas eu recours au ministère d'avocat, demande qu'une somme soit mise à la charge de M. A au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens, il ne fait toutefois état d'aucun frais spécifiquement exposé pour assurer la défense de l'Etat devant le tribunal administratif. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par suite, être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A est rejetée. Article 2 : Les conclusions présentées par le préfet de la Côte-d'Or au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées. Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. B A et au préfet de la Côte-d'Or. Une copie de ce jugement sera transmise, pour information, au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Délibéré après l'audience du 14 septembre 2023 à laquelle siégeaient : - M. Boissy, président, - Mme Desseix, première conseillère, - Mme Bois, conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 octobre 2023. L'assesseure la plus ancienne, M. DesseixLe président, L. BoissyLa greffière, E. Herique La République mande et ordonne au préfet de la Côte-d'Or, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement. Pour expédition conforme, Le greffier