I/ VU, sous le n° 94NC00388, la requête et le mémoire complémentaire enregistrés au greffe de la Cour, le 28 mars 1994 et le 23 juin 1994, présentés pour la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Creil, dont le siège est ... (Oise), par Me X..., avocat ;
La caisse demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement du 3 février 1994 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a condamné le centre hospitalier de Creil à verser à Mme Y... une indemnité de 42 400F en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de sa contamination par le virus d'immunodéficience humaine à l'occasion d'une transfusion sanguine effectuée au cours d'une intervention chirurgicale pratiquée le 12 octobre 1984 et a rejeté le surplus de ses conclusions ;
2°) de fixer le montant de l'indemnité due à Mme Y... à la somme de 3 136 076,30F ;
3°) de condamner le centre hospitalier à lui payer les sommes de 216 303,42F et 15 505F avec intérêt à compter du 20 septembre 1993, les arrérages de la pension d'invalidité postérieurs au 31 août 1993, et la somme de 202 426,96F représentant des soins futurs ;
4°) de réserver les droits de la caisse ;
5°) subsidiairement, d'ordonner une expertise médicale à l'effet de déterminer la durée de l'incapacité totale temporaire et l'importance de l'incapacité physique permanente ;
Elle soutient qu'elle est fondée à demander la condamna-tion du centre hospitalier à lui rembourser la somme de 216 303,42F dès lors que la totalité des sommes versées à la victime par le fonds et la caisse est inférieure au préjudice qu'elle a subi au titre de l'incapacité totale temporaire évaluée à 293 649,42F ; que l'incapacité physique permanente doit être évaluée à la somme de 2 842 426,96F dont il convient de déduire au profit de la caisse les arrérages échus de la pension d'invalidité versée à la victime et le montant des soins futurs ;
VU le mémoire complémentaire enregistré le 5 décembre 1994 pour la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Creil tendant aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ; elle soutient en outre que Mme Y... est recevable à agir contre le centre hospitalier dont la responsabilité doit être retenue par des motifs pertinents que la Cour adoptera ; que les sommes réclamées par la caisse constituent des chefs de préjudice différents de ceux qui ont été indemnisés par le Fonds d'indemnisation et le jugement attaqué ; que les tribunaux admettent les attestations fournies par la caisse, celle-ci étant dans l'incapacité de produire les justificatifs des frais médicaux et des indemnités journalières qui sont normalement détruits ;
VU le mémoire en défense enregistré le 22 décembre 1994 présenté pour le centre hospitalier de Creil : le centre demande, d'une part, de rejeter la requête et, d'autre part, par la voie du recours incident, d'annuler le jugement attaqué et de le décharger des condamnations prononcées à son encontre ; il soutient que Mme Y..., qui a vu son préjudice réparé par le fonds d'indemnisation et qui a accepté cette réparation, est dépourvue d'intérêt à agir devant la juridiction de droit commun ; qu'ainsi sa requête est irrecevable ; que le centre hospitalier n'a commis aucune faute ;
que celle-ci doit s'apprécier par rapport à l'état des connaissances scientifiques et des règles s'imposant à tout praticien à l'époque des faits ; qu'avant la publication des arrêtés du 23 juillet 1985 aucun obligation ne s'imposait aux services hospitaliers d'utiliser des produits sanguins chauffés ; qu'à la date du 12 octobre 1984 ils ne disposaient d'aucune technique leur permettant de vérifier que les produits sanguins étaient exempts de toute contamination par le virus d'immunodéficience humaine, ou de traiter ces produits pour les inactiver ; que l'expert a conclu qu'aucune négligence ne pouvait être retenue à l'encontre du poste de transfusion de Creil ; que la jurisprudence ne retient la responsabilité de l'Etat pour de telles contaminations qu'à partir du 22 novembre 1984 ; qu'en l'absence d'information non équivoque sur l'existence d'un risque sérieux de contamination, on ne saurait reprocher au centre hospitalier de ne pas avoir pris les mesures qui s'imposaient ; qu'à titre subsidiaire, au cas où sa responsabilité serait engagée, de confirmer le montant du préjudice arrêté à la somme de 2 000 000F par les premiers juges ; qu'il convient d'en déduire la somme de 1 957 600F versée par le fonds d'indemni-sation ; que celui-ci n'indemnise que le préjudice personnel de la personne contaminée sur lequel ne peuvent s'imputer les droits de la caisse ; que ceux-ci ne peuvent s'imputer qu'à hauteur de 53 600, représentant le préjudice économique indemnisé par le fonds ; que la Caisse Primaire d'Assurance Maladie ne produit pas les justificatifs des sommes dont elle demande le remboursement ;
II/ VU, sous le n° 94NC00502, la requête enregistrée au greffe de la Cour le 6 avril 1994, présentée pour Mme Chantal Y..., demeurant ... 60140 (Oise), par la SCP Fabignon et Pfeiffer, avocats ;
Mme Y... demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement du 3 février 1994 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a condamné le centre hospitalier de Creil à lui verser une indemnité de 42 400F qu'elle estime insuffisante, en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de sa contamination par le virus d'immunodéficience humaine à l'occasion d'une transfusion sanguine effectuée au cours d'une intervention chirurgicale pratiquée le 12 octobre 1984 et a rejeté le surplus de ses conclusions ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Creil à lui verser une somme de 1 000 000F au titre de son préjudice financier et une somme de 4 000 000F au titre de son préjudice moral ;
3°) de condamner le centre hospitalier de Creil à lui verser la somme de 30 000F au titre de l'article
L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Elle soutient que le tribunal administratif ne pouvait se contenter d'indiquer que le préjudice qu'elle a subi est d'une exceptionnelle gravité ; que s'il avait pris en compte l'ensemble des éléments constituant son préjudice, il aurait dû lui accorder une indemnisation supérieure à celle que lui a alloué le fonds d'indemnisation ;
VU le mémoire enregistré le 23 juin 1994 présenté pour la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Creil qui demande la jonction des deux requêtes et le bénéfice des conclusions de ses présentes écritures ;
VU le mémoire en défense enregistré le 7 novembre 1994 présenté pour le centre hospitalier de Creil ; le centre demande, d'une part, de rejeter la requête et, d'autre part, par la voie du recours incident, d'annuler le jugement attaqué et de le décharger des condamnations prononcées à son encontre ; il soutient que Mme Y..., qui a vu son préjudice réparé par le fonds d'indemnisation et qui a accepté cette réparation, est dépourvue d'intérêt à agir devant la juridiction de droit commun ; qu'ainsi sa requête est irrecevable ; que le centre hospitalier n'a commis aucune faute ; que celle-ci doit s'apprécier par rapport à l'état des connaissances scientifiques et des règles s'imposant à tout praticien à l'époque des faits ; qu'avant la publication des arrêtés du 23 juillet 1985 aucune obligation ne s'imposait aux services hospitaliers d'utiliser des produits sanguins chauffés ; qu'à la date du 12 octobre 1984 ils ne disposaient d'aucune technique leur permettant de vérifier que les produits sanguins étaient exempts de toute contamination par le virus d'immunodéficience humaine, ou de traiter ces produits pour les inactiver ; que l'expert a conclu qu'aucune négligence ne pouvait être retenue à l'encontre du poste de transfusion de Creil ; que la jurisprudence ne retient la responsabilité de l'Etat pour de telles contaminations qu'à partir du 22 novembre 1984 ; qu'en l'absence d'information non équivoque sur l'existence d'un risque sérieux de contamination, on ne saurait reprocher au centre hospitalier de ne pas avoir pris les mesures qui s'imposaient ; qu'à titre subsidiaire, au cas où sa responsabilité serait engagée, de confirmer le montant du préjudice arrêté à la somme de 2 000 000F par les premiers juges ; qu'il convient d'en déduire la somme de 1 957 600F versée par le fonds d'indemni-sation ; que celui-ci n'indemnise que le préjudice personnel de la personne contaminée sur lequel ne peuvent s'imputer les droits de la caisse ; que ceux-ci ne peuvent s'imputer qu'à hauteur de 53 600, représentant le préjudice économique indemnisé par le fonds ; que la Caisse Primaire d'Assurance Maladie ne produit pas les justificatifs des sommes dont elle demande le remboursement ;
VU le mémoire complémentaire enregistré le 18 avril 1995 présenté pour le centre hospitalier de Creil concluant aux mêmes fins que son mémoire en défense ;
VU le jugement attaqué ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU le code de la sécurité sociale ;
VU le décret n° 92-183 du 26 février 1992 relatif au fonds d'indemnisation institué par l'article 47 de la loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991, et le décret n° 93-906 du 12 juillet 1993 ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été dûment averties du jour de l'audien-ce ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 4 mai 1995 :
- le rapport de M. PIETRI, Conseiller,
- et les conclusions de M. LEDUCQ, Commissaire du Gouvernement ;
Considérant que
les requêtes de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Creil et de Mme Y... sont relatives aux conséquences d'une même intervention chirurgicale ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;
Sur l'exception d'irrecevabilité de la demande de Mme Y... :
Considérant qu'aucune disposition législative ou réglementaire ne font obstacle à ce qu'une personne, qui a accepté les offres du fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles contaminés par le virus de l'immunodéficience humaine en réponse à sa demande d'indemnisation, engage devant le juge administratif une action en responsabilité dirigée contre l'établissement public hospitalier dans les services duquel elle a été victime d'une contamination par le virus d'immunodéficience humaine ; que, par suite, le centre hospitalier de Creil ne saurait utilement alléguer que Mme Y... était dépourvue d'intérêt à agir à son encontre dès lors qu'elle avait accepté les offres du fonds d'indemnisation ; Sur la responsabilité :
Considérant qu'il n'est pas contesté que la contamination de Mme Y... par le virus d'immunodéficience humaine, qu'un test de dépistage du virus auquel elle s'était soumise en juin 1987 a fait apparaître, a pour origine une transfusion de produits sanguins pratiquée au cours d'une intervention chirurgicale que l'intéressée a subie le 12 octobre 1984 au centre hospitalier de Creil et que lesdits produits sanguins ont été fournis par le poste de transfusion du même centre hospitalier, lequel n'a pas de personnalité juridique distincte de ce dernier ; qu'il en résulte que la responsa-bilité encourue par le centre hospitalier de Creil, du fait d'une défectuosité affectant les produits administrés, doit être recherchée non sur le fondement des principes qui gouvernent la responsabilité des hôpitaux en tant que dispensateurs de prestations médicales mais, au cas d'espèce, par application des règles propres à son activité de gestionnaire d'un centre de transfusion sanguine ;
Considérant qu'en vertu des dispositions de la loi du 21 juillet 1952 modifiée par la loi du 2 août 1961, les centres de transfusion sanguine ont le monopole des opérations de collecte du sang et ont pour mission d'assurer le contrôle médical des prélèvements, le traitement, le conditionnement et la fourniture aux utilisateurs, des produits sanguins ; qu'eu égard tant à la mission qui leur est ainsi confiée par la loi qu'aux risques que présente la fourniture de produits sanguins, les centres de transfusion sont responsables, même en l'absence de faute, des conséquences dommageables de la mauvaise qualité des produits fournis ; que, par suite, le centre hospitalier de Creil n'est pas fondé à se plaindre que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont estimé que sa responsabilité était engagée envers Mme Y... ;
Sur l'évaluation du préjudice :
Considérant que le tribunal administratif a fait une exacte appréciation des troubles de toute nature subis par Mme Y... en évaluant ce chef de préjudice à 2 000 000F ; qu'en revanche, d'une part, c'est à tort que le tribunal a omis de préciser la part de cette somme qui répare les troubles physiologiques, laquelle part doit être fixée à la moitié, d'autre part, il y a lieu d'ajouter à cette somme celle de 120 158,64F correspondant aux frais d'hospitalisation pris en charge par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie et celle de 96 144,78F représentant les indemnités journalières versées à la victime ; qu'ainsi le préjudice total subi par Mme Y... s'élève à la somme de 2 216 303,42F ;
Sur les droits de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Creil :
Considérant que la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Creil a droit au remboursement, d'une part, des prestations en nature, des indemnités journalières et des arrérages échus au 31 août 1993, dernière date à laquelle la caisse a indiqué ce montant, de la rente versée à Mme Y... et, d'autre part, du remboursement, au fur et à mesure de leurs échéances, des arrérages de la rente dont le capital constitutif ne peut être supérieur à la différence entre la part d'indemnité mise à la charge de l'hôpital sur laquelle peut s'exercer la créance de la caisse, soit 1 216 303,42F, et le montant des sommes versées par la caisse au 31 août 1993 ;
Considérant que la Caisse Primaire d'Assurance Maladie justifie des débours s'élevant à 120 158,64F au titre des prestations en nature, à 96 144,78F au titre d'indemnités journalières et à 15 505F au titre des arrérages échus au 31 août 1993 de la rente qu'elle verse à Mme Y..., soit au total 231 808,12F ; que le capital constitutif de la rente s'élève à 408 794F, soit un montant inférieur au maximum sus--indiqué ; que, dès lors, la caisse a droit, d'une part, au remboursement de la somme de 231 808,42F et, d'autre part, au remboursement au fur et à mesure de leurs échéances postérieures au 31 août 1993, des arrérages d'une rente dont le capital constitutif sera de 408 794F ;
Sur les droits de Mme Y... :
Considérant qu'il résulte de ce qui précède et de la circonstance que Mme Y... a reçu du Fonds d'Indemnisation des Transfusés et Hémophiles une indemnité de 1 957 600F que c'est à bon droit que le tribunal administratif a fixé à 42 400F l'indemnité que l'hôpital doit verser à l'intéressée ;
Sur les intérêts des sommes dues à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Creil :
Considérant que la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Creil a droit aux intérêts au taux légal de la somme de 231 808,42F qui lui est due par le Centre Hospitalier de Creil à compter du 20 septembre 1993, date de sa demande devant le tribunal administratif ;
Sur les conclusions tendant à l'allocation de sommes non comprises dans les dépens :
Considérant qu'aux termes de l'article
L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'ap-pel : "Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ; que Mme Y..., partie perdante, ne peut bénéficier de ces dispositions ;
Article 1 : Le centre hospitalier de Creil est condamné à verser à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Creil, d'une part, la somme de 231 808,42F, avec intérêts au taux légal à compter du 20 septembre 1993 et, d'autre part, au fur et à mesure de leurs échéances postérieures au 31 août 1993, les arrérages d'une rente dont le capital constitutif est fixé à 408 794F.
Article 2 : La requête de Mme Y..., le surplus des conclusions de la requête de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Creil et les conclusions incidentes du centre hospitalier de Creil sont rejetés.
Article 3 : Le jugement du 3 février 1994 du tribunal administratif d'Amiens est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Y..., à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Creil, au centre hospitalier de Creil, au fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles contaminés par le virus d'immunodéficience humaine.