TRIBUNAL D E GRANDE INSTANCE DE PARIS 3ème chambre 4ème section N° RG : 09/09819 Assignation du : 02 Mai 2008 JUGEMENT rendu le 11 Février 2010
DEMANDERESSE
S.A. MASTRAD [...]
représentée par Me Hervé CABELI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #W01
DÉFENDERESSE
S.A.R.L. PYLONES [...]
représentée par Me Laurence GIUDICELLI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire D2044
COMPOSITION DU TRIBUNAL Marie-Claude H, Vice-Présidente Agnès MARCADE, Juge Rémy MONCORGE, Juge assistés de Katia CARDINALE, Greffier
DÉBATS
A l'audience du 18 Décembre 2009 tenue publiquement devant Agnès MARCADE et Rémy MONCORGE, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article
786 du Code de Procédure Civile.
JUGEMENT
Prononcé par mise à disposition au greffe Contradictoirement en premier ressort
FAITS ET PROCÉDURE
La société MASTRAD conçoit développe et commercialise des articles et ustensiles de cuisine.
Elle est titulaire d'un brevet français numéro 1343395 déposé le 22 décembre 2000 et publié sous le n° 2 818 097 ainsi que d'un breve t européen n° EP 1343395 déposé le 19 décembre 2001, sous priorité du brevet français précité, et délivré le 10 novembre 2004 portant sur un gant de protection dénommé ORKA.Elle a appris que la société PYLONES offrait à la vente des gants de cuisson dénommés « DIDIER » qu'elle estime reproduire les caractéristiques des revendications 1 et 2 de son brevet européen.
Après une mise en demeure infructueuse le 1er août 2007, elle a fait procéder à un procès-verbal de constat d'achat par huissier le 4 octobre 2007.
Elle a ensuite fait assigner par acte en date du 2 mai 2008 la société PYLONES devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon des revendications 1 et 2 du brevet européen n° 1343395, concurrence déloya le et indemnisation à dire d'expert.
Par conclusions en date du 6 janvier 2009, la société PYLONES sollicite le rejet des pièces 3 à 11 de la société demanderesse, de la débouter de l'ensemble de ses demandes et d'annuler les brevets français et européen en cause. Elle sollicite en outre l'allocation de la somme de 10.000 € au titre de l'article
700 du Code de procédure civile.
Elle fait valoir que les demandes de la société MASTRAD s'appuient sur des pièces non identifiables pour la majorité d'entre elles. Elle demande le rejet des pièces 3 à 11 en raison du défaut de respect du principe du contradictoire qui résulte de l'intitulé sommaire de ces pièces.
Elle fait valoir que le premier gant de four en silicone supportant de très forte chaleur a été créé par Monsieur S qui a été primé en 1999. Elle ajoute que ses designers ont rencontré Monsieur S au salon MAISON & OBJET et qu'ils ont créé le gant en cause sur la base des travaux de ce dernier et avec son accord.
Elle en déduit qu'avant la date de dépôt des brevets français et européen, il était connu de réaliser un gant, notamment à usage ménager, entièrement en matière silicone ainsi qu'il résulte de la publication « entrée en matières » n°16 de juin 1999 qui rend compte du prix reçu par M. S pour son gant en silicone et que la revendication 1 est dépourvue de nouveauté et d'activité inventive.
Elle conteste les actes de concurrence déloyale qui lui sont reprochés indiquant avoir rémunéré ses designers pour créer le gant DIDIER et ne s'être jamais inspiré du gant de la demanderesse, les design des deux gants en cause étant de plus très différents.
Par conclusions en date du 10 mars 2009, la société MASTRAD demande le rejet des débats les pièces 5, 18 et 19 de la société défenderesse.
Elle maintient en outre ses demandes au titre de la contrefaçon des revendications 1 et 2 du brevet européen et de la concurrence déloyale. Elle sollicite, outre des mesures d'interdiction, de confiscation des stocks et de publication du jugement, une expertise aux fins de fixation du montant du préjudice, la somme provisionnelle de 150.000 € à valoir sur les dommages et intérêts et la somme de 3000 € au titre de l'article 700.
Elle soutient que les pièces dont elle sollicite le rejet ne sont pas datées.Elle considère que le gant de Monsieur S ne constitue pas une antériorité pertinente puisque l'emplacement du pouce est sur le côté, qu'il ne présente pas de plan symétrique et n'est pas entièrement siliconé et donc étanche.
A l'appui des faits de concurrence déloyale, elle invoque la même matière, fonction et forme des gants en cause ainsi que leur vente sur les mêmes pages de sites Internet.
Pour justifier le montant de son préjudice, elle invoque la banalisation de son invention et le manque à gagner.
La clôture de la présente procédure a été ordonnée le 17 juin 2009.
A l'audience de plaidoirie du 18 décembre 2009, les parties ont indiqué ne pas maintenir leurs demandes au titre du rejet des pièces. Ces pièces seront donc retenues et examinées par le Tribunal.
MOTIFS
- Sur le brevet français 2 818 097 et le brevet européen n° EP 1343395 dont la société MASTRAD est titulaire
- Le domaine de l'invention
L'invention concerne un gant de protection notamment pour usage ménager.
Le breveté se propose d'apporter des améliorations aux produits connus, parmi lesquels il cite le brevet US 5 862 916 qui divulgue un gant qui peut se présenter sous forme de moufle et qui peut comporter du siliconé, en proposant un nouveau gant présentant des propriétés supérieures aux gants antérieurement connus notamment quant à la résistance à la chaleur et à la protection contre les brûlures par un vecteur humide, vapeur, huile, eau, en ce qu'il est réalisé intégralement en siliconé étanche et est ambidextre.
Le brevet européen comporte 8 revendications, les revendications 2 à 8 étant des revendications dépendantes.
Le brevet français comporte 11 revendications, les revendications 2 à 11 étant des revendications dépendantes
L'invention objet des brevets est caractérisée par sa composition, le gant étant intégralement réalisé en matière silicone formant une structure étanche, sans autre adjonction, et par sa géométrie ambidextre car, présentant un plan de symétrie, il peut alors être utilisé aussi bien par un droitier que par un gaucher.
- Sur la validité des brevets
Selon la société défenderesse, les brevets susvisés seraient dépourvus de nouveauté et d'activité inventive car était connu, avant les dates de dépôt des brevets en cause, de réaliser un gant notamment pour usage ménager, entièrement en matériau silicone ainsi qu'il résulte de la publication en 1999 du premier prix des tops plastiques 1999.Il ressort de la publication LE MAGAZINE DES PLASTIQUES n°16 de Juin 1999 que Monsieur Milan SIMIC avait créé à cette date un gant en "silicone cristal liquide" notamment pour usage ménager, ce gant, étant réalisé en matière silicone et, comme le dit son inventeur, fabriqué à l'aide d'un moule simple et dune technique proche du tricotage classique.
S'il ressort des attestations versées aux débats que ce gant est résistant à la chaleur et réalisé uniquement en silicone, il apparaît également qu'il est fait en mailles de silicone ajourées et donc non étanche. Il ne peut donc être considéré comme étant réalisé intégralement en silicone au sens de 1' invention arguée de nullité, celle-ci tendant à résoudre le problème technique lié à la non étanchéité des gants précédemment conçus notamment par rapport aux brûlures liées aux projections liquides dans le cadre d'un usage ménager
Ceci est d'ailleurs confirmé par la création par Monsieur S d'un gant dénommé X-RAY qui n'est pas ajouré et donc intégralement constitué de silicone et étanche. Ce gant ne peut toutefois être considéré comme faisant partie de l'état de la technique antérieure, aucun élément n'étant versé aux débats pour démontrer que ce gant a été rendu accessible au public antérieurement au 22 décembre 2000, date du dépôt du brevet français et de priorité du brevet européen en cause.
La seule antériorité citée ne reproduit donc pas l'ensemble des caractéristiques de la revendication principale du brevet français et du brevet européen en ce qu'elle n'est pas réalisée « intégralement » en silicone et donc étanche.
En outre, elle se présente comme une moufle classique avec un pouce placé sur le côté du gant et ne comporte donc pas de plan de symétrie qui place la poche du pouce au milieu du gant et lui donne une forme de pince le rendant totalement ambidextre.
En conséquence, le moyen de nullité tiré du défaut de nouveauté n'est pas fondé, étant rappelé que les revendications 2 à 8 pour le brevet européen et 2 à 11 pour le brevet français sont dans la dépendance de la première.
S'agissant du défaut d'activité inventive, il convient de remarquer que la société défenderesse n'indique à aucun moment quel serait le raisonnement fait par l'homme du métier qui doit résoudre le problème technique d'une meilleure isolation à la chaleur et aux projections liquides, qui lui permet ,en partant de l'antériorité citée, d'arriver avec ses connaissances à l'invention brevetée.
En conséquence, le moyen de nullité tiré du défaut d'activité inventive n'est pas fondé, étant rappelé que les revendications 2 à 9 pour le brevet européen et 2 à 11 pour le brevet français sont dans la dépendance de la première.
Les brevets français 2 818 097 et européen n° EP 13 43395 sont en conséquence valables.
- Sur la contrefaçon
II résulte du gant acquis à l'occasion du procès-verbal de constat en date du 4 octobre 2007 que celui-ci est réalisé intégralement en silicone le rendant totalement étanche. En outre il présente une géométrie ambidextre, comprenant une pocheprincipale conçue pour recevoir quatre doigts d'un usager et une poche secondaire, qui débouche dans la poche principale, conçue pour recevoir le pouce.
Ce gant reprend donc les caractéristiques de la revendication 1 du brevet européen EP 1343395 dont la société MASTRAD est titulaire.
La caractéristique de la revendication 2, à savoir que le gant présente un plan de symétrie est également reprise dans le gant DIDIER en cause.
Le gant DIDIER reproduit littéralement les revendications 1 et 2 du brevet européen EP 1343395 et en constitue la contrefaçon.
- Sur la concurrence déloyale
Selon la demanderesse, la reprise à l'identique des caractéristiques du gant qu'elle commercialise à savoir le silicone, l'étanchéité et la forme de la moufle constituent des agissements déloyaux. Elle ajoute que sur les sites de vente en ligne, les gants sont présentés sur la même page et que la société PYLONES a donc voulu profiter de ses investissements.
Toutefois, les faits ainsi reprochés à la société PYLONES ne sont pas distincts de ceux invoqués au titre de la contrefaçon de brevet et ne sauraient également fonder des demandes au titre concurrence déloyale ou parasitaire
La société MASTRAD sera donc déboutée ses demandes à ce titre.
- Sur les mesures réparatrices
II sera fait droit aux mesures d'interdiction et de confiscation sollicitées dans les conditions énoncées au dispositif de la présente décision.
La société demanderesse n'a pas fait procéder à une saisie-contrefaçon et aucun élément sur la masse contrefaisante n'est fourni au Tribunal.
De même, elle ne fourni aucun renseignement sur le chiffre d'affaires qu'elle réalise grâce à la vente du gant ORKA, comme elle ne fournit aucune pièce concernant une éventuelle perte de chiffre d'affaires due à la mise sur le marché du gant contrefaisant.
Au vu de ce qui précède, le Tribunal ne pourra retenir au titre du préjudice de la société MASTRAD que l'atteinte au titre de propriété industrielle qu'il convient d'évaluer à 20.000 € et ce, sans qu'il soit nécessaire de recourir à une mesure d'expertise.
Cette indemnisation apparaît suffisante au vu de l'espèce et il ne sera pas fait droit à la demande de publication sollicitée à titre de mesure d'indemnisation complémentaire.
- Sur les autres demandes
II y a lieu de condamner la société PYLONES, partie perdante, aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article
699 du Code de procédure civile.En outre, elle doit être condamnée à verser à la société MASTRAD, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l'article
700 du Code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 3.000 €.
L'exécution provisoire, compatible avec les faits de l'espèce, sera ordonnée.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant par jugement déposé au greffe, contradictoire et en premier ressort ;
Déboute la société PYLONES de sa demande de nullité du brevet français n° 2 818 097 et du brevet européen numéro 1343395 d ont la société MASTRAD est titulaire ;
Dit qu'en offrant à la vente et vendant en France, les modèles de gant DIDIER, la société PYLONES a commis des actes de contrefaçon des revendications 1 et 2 de la partie française du brevet européen EP 1343395 au préjudice de la société MASTRAD ;
Fait interdiction à la société PYLONES de poursuivre de tels agissements, et ce sous astreinte de 500 € par infraction constatée à compter de la signification du présent jugement ;
Se réserve la liquidation de l'astreinte ;
Ordonne la confiscation aux fins de destruction des produits contrefaisants de la société PYLONES et encore en stock ;
Condamne la société PYLONES à payer à la société MASTRAD la somme provisionnelle de 20.000 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon commis à son encontre ;
Dit n'y avoir lieu à désignation d'un expert ;
Déboute la société MASTRAD de sa demande au titre de la concurrence déloyale ;
Déboute la société MASTRAD de sa demande de publication du jugement ; Déboute les parties du surplus de leurs demandes ; Ordonne l'exécution provisoire de la décision ;
Condamne la société PYLONES à payer à la société MASTRAD la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article
700 du Code de procédure civile.
Condamne la société PYLONES à payer les entiers dépens qui seront recouvrés par Maître Hervé CABELI, conformément aux dispositions de l'article
699 du Code de procédure civile.