Vu la procédure suivante
:
Par une requête, enregistrée le 6 décembre 2022, M. A B D, représenté par Me
Magali Béarnais, demande au tribunal :
1°) d'annuler l'arrêté du 23 novembre 2022 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités maltaises, responsables de l'examen de sa demande d'asile ;
2°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal, de lui remettre une attestation de demande d'asile en procédure normale, à titre subsidiaire de procéder au réexamen de sa situation dans les meilleurs délais ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros qui devra être versée à son conseil en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article
37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
M. B D soutient que la décision attaquée :
- est entachée d'incompétence ;
- est insuffisamment motivée ;
- est entachée d'un double vice de procédure dès lors que :
° il n'est pas établi qu'il se soit vu délivrer, dès le début de la procédure les informations prévues à l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 dans une langue qu'il comprend;
° l'entretien individuel ne s'est pas déroulé dans les conditions prévues à l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des article 3§2 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013.
Le préfet de Maine-et-Loire a produit des pièces, enregistrées le 20 décembre 2022.
M. B D a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 décembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n° 604/2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné M. Jégard, premier conseiller, pour statuer sur les litiges visés aux articles
L. 572-6 et
L. 614-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 20 décembre 2022 :
- le rapport de M. Jégard, magistrat désigné,
- les observations de Me Béarnais, représentant M. B D, qui conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens,
- et les observations de M. B D, assisté de Mme C, interprète en langue arabe, qui explique avoir été incarcéré dès son arrivée à Malte pendant une durée de trois mois, puis ses empreintes digitales ont été prises avant qu'il ne soit hébergé dans un camp pendant six mois, à l'issue desquels il a dû vivre dans la rue car le camp ne pouvait l'héberger au-delà de cette période de six mois.
Le préfet de Maine-et-Loire n'était ni présent ni représenté.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
Considérant ce qui suit
:
1. Il ressort des pièces du dossier que M. A B D, ressortissant soudanais, déclare être entré en France le 1er octobre 2022 où il a sollicité l'asile auprès du préfet de Loire-Atlantique le 18 octobre suivant. Ayant considéré que M. B D avait déposé une première demande d'asile à Malte le 31 juillet 2019, enregistrée sous la référence " MT 1 1571/19 ", et que les autorités maltaises étaient responsables de l'instruction de sa demande d'asile, le préfet de Maine-et-Loire a, en qualité d'autorité administrative compétente désignée par l'arrêté du 10 mai 2019 désignant les préfets compétents pour enregistrer les demandes d'asile et déterminer l'État responsable de leur traitement (métropole), saisi ces autorités, le 3 novembre 2022, d'une demande de reprise en charge de M. B D sur le fondement du b de l'article 18.1 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Après l'accord explicite des autorités maltaises intervenu le lendemain, le préfet de Maine-et-Loire a, par un arrêté du 23 novembre 2022 dont M. B D demande l'annulation, décidé, de transférer l'intéressé aux autorités maltaises.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " () / 2. Lorsque aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen. / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable () ".. Aux termes de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. () ". L'article
L. 571-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, il est procédé à l'enregistrement de la demande selon les modalités prévues au chapitre I du titre II. / Une attestation de demande d'asile est délivrée au demandeur selon les modalités prévues à l'article
L. 521-7. Elle mentionne la procédure dont il fait l'objet. Elle est renouvelable durant la procédure de détermination de l'Etat responsable et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. / Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat. "
3. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les États membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un État autre que la France, que cet État a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet État membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire.
5. Il est constant que la demande d'asile de M. B D a été enregistrée par les autorités maltaises le 31 juillet 2019. Le requérant soutient qu'à la date de son départ, près de trois ans plus tard, il n'avait toujours pas été statué sur sa demande, ainsi qu'en témoigne le fait que l'accord exprès de reprise en charge des autorités maltaises est intervenu sur le fondement du b de l'article 18.1 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Il dénonce par ailleurs les conditions d'accueil dont il a bénéficié à Malte en faisant valoir qu'elles ne sont pas conformes aux garanties exigées par le respect du droit d'asile. Ainsi qu'il l'avait précisé aux services de la préfecture dans le cadre de son entretien individuel, M. B D a rappelé avoir été hébergé dans des conditions indignes à son arrivée à Malte en 2019. Reprenant les éléments dont il avait déjà fait état lors de son entretien individuel avec les services préfectoraux, M. B D a ainsi indiqué à la barre avoir été hébergé, pendant six mois, dans un centre offrant des conditions de vie indignes, puis avoir vécu à la rue jusqu'à son départ. Ses déclarations sont corroborées notamment par le rapport " AIDA " de 2021 qui pointe les sérieuses difficultés d'accès à la procédure d'asile des demandeurs d'asile transférés à Malte en application du règlement du 26 juin 2013 et le fait que nombre d'entre eux sont détenus à leur arrivée ainsi que par les conclusions du rapport du comité européen pour la prévention de la torture, rendu en mars 2021, dont se prévaut le requérant et qui relève notamment l'aspect carcéral de certains centres de rétention maltais et fait état de conditions de rétention s'apparentant à une " grande négligence institutionnelle ", en évoquant l'existence d'un risque de traitements inhumains et dégradants contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, non sérieusement contredits par le préfet, qui n'a pas produit de mémoire en défense, et compte tenu des objectifs de célérité dans le traitement des demandes de protection internationale rappelé par le règlement du 26 juin 2013, M. B D est fondé à soutenir que le préfet de Maine-et-Loire a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en décidant de le transférer à Malte sans mettre en œuvre la clause dérogatoire de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B D est fondé à demander l'annulation de la décision du préfet de Maine-et-Loire prononçant son transfert à Malte.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. D'une part, aux termes de l'article
L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / () "
8. D'autre part, aux termes de l'article
L. 572-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre VII. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé " et aux termes de l'article
L. 521-7 du même code : " Lorsque l'enregistrement de sa demande d'asile a été effectué, l'étranger se voit remettre une attestation de demande d'asile dont les conditions de délivrance et de renouvellement sont fixées par décret en Conseil d'Etat. La durée de validité de l'attestation est fixée par arrêté du ministre chargé de l'asile. / () ".
9. Les dispositions de l'article
L. 572-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à la mise en œuvre, par le juge de l'article
L. 911-1 du code de justice administrative.
10. L'annulation de la décision attaquée a été prononcée au motif que le préfet de Maine-et-Loire a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 pour admettre la responsabilité de la France dans l'examen de sa demande d'asile auquel il incombera à l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides de procéder. Par suite, et en l'absence de changement dans les circonstances, il y a lieu d'enjoindre à l'autorité préfectorale de lui délivrer, le temps de cet examen, l'attestation de demande d'asile mentionnée à l'article
L. 521-7 du code et de fixer à quinze jours, à compter de la notification du présent jugement, le délai de délivrance de cette attestation.
Sur les frais liés au litige :
11. Aux termes de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
12. L'article
37 de la loi du 10 juillet 1991 dispose que : " () / Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou qui perd son procès, et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à payer à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, partielle ou totale, une somme qu'il détermine et qui ne saurait être inférieure à la part contributive de l'Etat majorée de 50 %, au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. / Si l'avocat du bénéficiaire de l'aide recouvre cette somme, il renonce à percevoir la part contributive de l'Etat. S'il n'en recouvre qu'une partie, la fraction recouvrée vient en déduction de la part contributive de l'Etat. () ".
13. M. B D a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son conseil peut se prévaloir des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article
37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a donc lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Béarnais, avocate du requérant, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de ce dernier le versement de 900 euros à Me Béarnais.
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêté du 23 novembre 2022 du préfet de Maine-et-Loire portant transfert de M. B D est annulé.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de Maine-et-Loire ou à tout autre préfet territorialement compétent de délivrer à M. B D une attestation de demande d'asile en application des articles
L. 521-7 et
L. 571-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent jugement.
Article 3 : L'État versera à Me Béarnais une somme de 900 euros en application des dispositions de l'article
37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B D est rejeté.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. A B D, Me
Magali Béarnais et au préfet de Maine-et-Loire.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 décembre 2022.
Le magistrat désigné,
X. JÉGARDLa greffière,
M-C. MINARD
La République mande et ordonne au préfet de Maine-et-Loire en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,