CEDH, Cour (Cinquième Section), GAS ET DUBOIS c. FRANCE, 31 août 2010, 25951/07

Chronologie de l'affaire

CEDH
31 août 2010
cour d'appel confirma
21 décembre 2006
ta que
4 juillet 2006

Synthèse

  • Juridiction : CEDH
  • Numéro de pourvoi :
    25951/07
  • Dispositif : Recevable
  • Date d'introduction : 15 juin 2007
  • Importance : Moyenne
  • État défendeur : France
  • Nature : Décision
  • Décision précédente :ta que, 4 juillet 2006
  • Identifiant européen :
    ECLI:CE:ECHR:2010:0831DEC002595107
  • Lien HUDOC :https://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-100460
  • Avocat(s) : MECARY C., avocat, Paris
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Résumé

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Texte intégral

CINQUIÈME SECTION DÉCISION SUR LA RECEVABILITÉ de la requête no 25951/07 présentée par Valérie GAS et Nathalie DUBOIS contre la France La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant le 31 août 2010 en une chambre composée de : Peer Lorenzen, président, Renate Jaeger, Jean-Paul Costa, Karel Jungwiert, Rait Maruste, Isabelle Berro-Lefèvre, Zdravka Kalaydjieva, juges, et de Claudia Westerdiek, greffière de section, Vu la requête susmentionnée introduite le 15 juin 2007, Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérantes, Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérantes, Mmes Valérie Gas et Nathalie Dubois, sont des ressortissantes françaises, nées respectivement en 1961 et 1965, et résidant à Clamart. Elles sont représentées devant la Cour par Me C. Mécary, avocat à Paris. Le gouvernement défendeur était représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères. A. Les circonstances de l'espèce Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Vivant en concubinage depuis 1989 avec Madame Valérie Gas (« la première requérante »), Madame Nathalie Dubois (« la deuxième requérante ») donna naissance en France, le 21 septembre 2000, à une fille, A., conçue en Belgique par procréation médicalement assistée avec donneur anonyme. A. n'a pas de filiation établie à l'égard du père, qui est un donneur anonyme conformément à la loi belge. L'enfant vit depuis sa naissance au domicile commun des requérantes. Le 22 septembre 2000, l'enfant a été inscrite sur les registres de l'état civil de la mairie de Clamart. Elle a été reconnue par sa mère le 9 octobre 2000. Les deux requérantes conclurent ensuite un pacte civil de solidarité (PACS), enregistré le 15 avril 2002 au greffe du tribunal d'instance de Vanves. Le 3 mars 2006, la première requérante forma devant le tribunal de grande instance de Nanterre une requête en adoption simple de la fille de sa partenaire, avec le consentement exprès de celle-ci donné devant notaire. Le 12 avril 2006, le procureur de la République s'opposa à la demande d'adoption de la première requérante sur le fondement de l'article 365 du code civil (voir la partie « droit et pratique internes pertinents» ci-dessous). Par un jugement du 4 juillet 2006, le tribunal constata que les conditions légales de l'adoption étaient remplies et qu'il était démontré que les requérantes s'occupent activement et conjointement de l'enfant, lui apportant soin et affection. Toutefois, le tribunal rejeta la demande aux motifs que l'adoption demandée aurait eu des conséquences légales contraires à l'intention des requérantes et à l'intérêt de l'enfant, en transférant l'autorité parentale à l'adoptant et en privant ainsi la mère biologique de ses propres droits sur l'enfant. La première requérante interjeta appel de cette décision, et la deuxième requérante intervint volontairement dans la procédure. Devant la cour d'appel de Versailles, les requérantes réaffirmèrent leur volonté d'établir, grâce à l'adoption, un cadre juridique sécurisant pour l'enfant conforme à la réalité sociale vécue par lui. Elles soutinrent par ailleurs que la perte de l'autorité parentale subie par la mère de l'enfant pouvait être corrigée par une délégation totale ou partielle de cette autorité, et arguèrent de l'admission par d'autres pays européens de l'adoption d'enfant établissant un lien entre personnes de même sexe. Par un arrêt du 21 décembre 2006, la cour d'appel confirma le rejet de leur demande. Si, à l'instar des premiers juges, la cour releva que les conditions légales de l'adoption étaient réunies et qu'il était établi que la première requérante participait activement au bien-être affectif et matériel de l'enfant, elle confirma que les conséquences légales de cette adoption n'étaient pas conformes à l'intérêt de l'enfant, dès lors que les requérantes ne pouvaient bénéficier du partage de l'autorité parentale prévu par l'article 365 du code civil en cas d'adoption par le conjoint du père ou de la mère, et que donc Madame Dubois se trouverait privée, du fait de l'adoption, de tout droit sur son enfant. La cour estima par ailleurs qu'une simple délégation ultérieure éventuelle de l'exercice de cette autorité ne suffisait pas à pallier les risques pour l'enfant résultant de la perte de l'autorité parentale par sa mère. La requête ne répondrait dès lors, selon la cour, qu'au souhait des requérantes de consacrer et légitimer une parenté conjointe à l'égard de l'enfant. Le 21 février 2007, les requérantes formèrent un pourvoi en cassation, mais ne menèrent pas à son terme la procédure engagée devant la Cour de cassation. Le 20 septembre 2007, le premier président de la Cour de cassation rendit une ordonnance de déchéance du pourvoi. Celle-ci constatait qu'aucun mémoire contenant les moyens de droit invoqués contre la décision attaquée n'avait été produit dans le délai légal. B. Le droit et la pratique internes pertinents Sur le pacte civil de solidarité (PACS) Le PACS est défini par l'article 515-1 du code civil comme « un contrat conclu par deux personnes physiques majeures, de sexe différent ou de même sexe, pour organiser leur vie commune ». Donnant lieu à un enregistrement par le greffe du tribunal d'instance dans le ressort duquel les partenaires fixent leur résidence commune, ce contrat fait l'objet d'une publicité. Opposable aux tiers à compter du jour de sa publication, le pacte civil de solidarité implique pour les partenaires un certain nombre d'obligations dont celles de maintenir une vie commune et de s'apporter une aide matérielle et une assistance réciproques (article 515-4 du code civil) ; le même article pose le principe d'une solidarité entre les partenaires à l'égard des tiers pour les dettes contractées par chacun d'eux au titre des dépenses de la vie courante. Le PACS confère également aux partenaires certains droits, accrus depuis l'entrée en vigueur au 1er janvier 2007 de la loi no 2006-723 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités. Les partenaires forment ainsi un seul foyer fiscal, bénéficiant des avantages attachés à l'établissement d'une déclaration fiscale commune au titre de l'impôt sur le revenu (articles 6 et 7 du code général des impôts) ; ils sont par ailleurs assimilés aux conjoints mariés pour l'exercice de certains droits, spécialement au titre de l'assurance maladie et maternité (article L. 161-14 du code de la sécurité sociale) et de l'assurance décès (article L. 361-4 du code de la sécurité sociale) ou encore des droits à congé des personnes salariées (instruction du ministère chargé du travail du 7 janvier 2000 relative à l'extension du bénéfice de certaines dispositions du travail aux personnes liées par un pacte civil de solidarité). Le partenaire survivant bénéficie également depuis le 1er janvier 2007 d'un droit à l'attribution du logement commun, identique à celui du conjoint survivant (article 515-6 du code civil). Certains effets propres au mariage restent cependant inapplicables aux partenaires du PACS, la loi notamment ne créant pas de lien d'alliance ou de vocation héréditaire entre partenaires. En particulier, la dissolution du PACS échappe aux procédures judiciaires de divorce et peut intervenir sur déclaration conjointe des partenaires ou décision unilatérale de l'un d'eux signifiée à son cocontractant, cette déclaration conjointe ou décision unilatérale étant enregistrée par le greffe du tribunal d'instance (article 515-7 du code civil). Sur la procédure d'adoption simple L'adoption simple est une forme d'adoption permettant de créer pour une personne quel que soit son âge un second rapport de filiation en plus d'une filiation d'origine fondée sur un lien de sang. Contrairement à l'adoption plénière, qui confère à l'enfant une filiation qui se substitue à sa filiation d'origine (voir les articles 355 et suivants du code civil sur les effets de l'adoption plénière), l'adoption simple n'entraîne pas de rupture du lien familial d'origine. Elle permet en particulier l'adoption d'un enfant mineur par le conjoint du père ou de la mère avec le consentement de ce dernier (articles 361, 347 et 348 du code civil). Saisi d'une requête en adoption simple, le tribunal de grande instance est chargé de contrôler la légalité de la demande (notamment les conditions d'âge de l'adoptant, de différence d'âge entre l'adoptant et l'adopté, et de consentement des père et mère), ainsi que de veiller à son opportunité, l'adoption simple devant être conforme à l'intérêt de l'adopté (articles 361 et 353 du code civil). Dans ses effets, l'adoption simple laisse tout d'abord subsister la filiation d'origine, l'adopté conservant tous les droits notamment héréditaires qui y sont attachés (article 364 du code civil). Le maintien d'un lien de filiation peut également justifier l'octroi d'un droit de visite aux membres de la famille d'origine, en particulier aux père et mère. L'adoption simple crée ensuite un lien de filiation, assimilé à une filiation légitime, entre l'adoptant et l'adopté, avec pour corollaires une obligation alimentaire réciproque, ainsi que la constitution d'une réserve héréditaire et d'empêchements à mariage. Elle confère également le nom de l'adoptant à l'adopté en l'ajoutant au nom de ce dernier (articles 363 et 366 à 368 du code civil). Vis-à-vis de l'adopté mineur, l'adoption simple réalise un transfert de l'autorité parentale au profit de l'adoptant : Article 365 du code civil « L'adoptant est seul investi à l'égard de l'adopté de tous les droits d'autorité parentale, inclus celui de consentir au mariage de l'adopté, à moins qu'il ne soit le conjoint du père ou de la mère de l'adopté ; dans ce cas, l'adoptant a l'autorité parentale concurremment avec son conjoint, lequel en conserve seul l'exercice, sous réserve d'une déclaration conjointe avec l'adoptant devant le greffier en chef du tribunal de grande instance aux fins d'un exercice en commun de cette autorité. (...) » Cette attribution de l'autorité parentale implique également l'exercice par l'adoptant de l'administration légale et du droit de jouissance légale sur les biens de l'enfant mineur (article 365 alinéa 3). Les parents d'origine perdent ainsi l'autorité parentale, et n'ont plus notamment vocation à être de plein droit investi de l'exercice de cette autorité en cas de décès ou d'empêchement de l'adoptant. Il a également été jugé que, du fait de l'adoption, le père ou la mère de l'enfant n'avait plus qualité pour saisir le juge de l'assistance éducative et contester les décisions prises par l'adoptant relativement à l'éducation du mineur (Cass. 1re civ. 11 mai 1977, Bulletin civil 1977 I no 223). La loi organise cependant une exception à ce transfert de l'autorité parentale, lorsqu'il s'agit de l'adoption de l'enfant du conjoint. Dans ce cas, l'adoptant a l'autorité parentale concurremment avec son conjoint mais ce dernier en conserve l'exercice, sauf déclaration conjointe devant le greffier en chef du tribunal de grande instance en vue d'un exercice en commun de cette autorité. Enfin l'adoption simple peut être révoquée à la demande de l'adoptant ou de l'adopté sur décision du tribunal de grande instance « s'il est justifié de motifs graves » (article 370 du code civil). Les père et mère par le sang peuvent également demander cette révocation lorsque l'adopté est mineur. L'article 370-2 du code civil précise que « la révocation fait cesser pour l'avenir tous les effets de l'adoption ». Sur l'adoption simple de l'enfant mineur du partenaire d'un PACS La Cour de cassation a statué sur cette question à plusieurs reprises. Les deux premiers arrêts rendus le 20 février 2007 concernaient des espèces mettant en cause des femmes homosexuelles vivant en partenariat (PACS) et ayant des enfants tous rattachés légalement à leur mère, la filiation paternelle n'étant pas établie. Dans les deux cas, l'adoption simple des enfants avait été demandée, avec le consentement de la mère, par la partenaire. Une des requêtes avait été accueillie favorablement par la cour d'appel de Bourges, aux motifs notamment que « l'adoption était conforme à l'intérêt de l'enfant » et l'autre avait été rejetée par la cour d'appel de Paris. Au visa de l'article 365 du code civil, la première chambre civile de la Cour de cassation cassa et annula le premier arrêt d'appel : « Qu'en statuant ainsi, alors que cette adoption réalisait un transfert des droits d'autorité parentale sur l'enfant en privant la mère biologique, qui entendait continuer à élever l'enfant, de ses propres droits, de sorte que, même si Mme Y... avait alors consenti à cette adoption, en faisant droit à la requête la cour d'appel a violé le texte susvisé ; » Elle confirma le second arrêt d'appel : « Mais attendu qu'ayant retenu à juste titre que Mme Y..., mère des enfants, perdrait son autorité parentale sur eux en cas d'adoption par Mme X..., alors qu'il y avait communauté de vie, puis relevé que la délégation de l'autorité parentale ne pouvait être demandée que si les circonstances l'exigeaient, ce qui n'était ni établi, ni allégué, et qu'en l'espèce, une telle délégation ou son partage étaient, à l'égard d'une adoption, antinomique et contradictoire, l'adoption d'un enfant mineur ayant pour but de conférer l'autorité parentale au seul adoptant, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision ; » (1re Civ. 20 février 2007, 2 arrêts, Bulletin civil 2007 I nos 70 et 71). La Cour de cassation confirma par la suite cette approche : « d'une part, que (le père ou) la mère de l'enfant perdrait son autorité parentale en cas d'adoption de son enfant alors qu'(il ou) elle présente toute aptitude à exercer cette autorité et ne manifeste aucun rejet à son égard, d'autre part, que l'article 365 du code civil ne prévoit le partage de l'autorité parentale que dans le cas de l'adoption de l'enfant du conjoint, et qu'en l'état de la législation française, les conjoints sont des personnes unies par les liens du mariage, la cour d'appel, qui n'a contredit aucune des dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme, a légalement justifié sa décision. » (1re Civ. 19 décembre 2007, Bulletin civil 2007 I no 392 ; voir aussi, dans le même sens, 1re Civ. 6 février 2008, inédit, pourvoi no 07-12948). Les deux premiers arrêts rendus le 20 février 2007 furent publiés au Bulletin d'information de la Cour de cassation, sur internet et au rapport annuel. Cette publication se terminait par le commentaire suivant : « Sur de telles questions qui touchent à l'état des personnes et, plus généralement, aux fondements de notre société, il revient en définitive au législateur de décider s'il y a lieu de modifier les textes de notre code civil ». Ces arrêts donnèrent lieu à la diffusion par le service de documentation et d'études de la Cour de cassation d'un communiqué de presse ainsi libellé : « La première chambre civile de la Cour de cassation a rendu ce jour deux arrêts relatifs aux conditions de mise en œuvre de l'adoption simple (...) dans l'hypothèse où l'adoption est demandée par la compagne de la mère naturelle de l'enfant qui n'a pas de filiation établie à l'égard du père. (...) Tranchant [une] divergence entre les juges du fond, la Cour de cassation a jugé que l'adoption simple fait perdre à la mère naturelle ses droits d'autorité parentale, l'exception prévue par l'article 365 du code civil précité n'étant possible que pour les personnes mariées, et que la délégation ou le partage de l'autorité parentale que l'une des cours d'appel avait envisagé comme permettant la reconstitution des droits de la mère naturelle était antinomique et contradictoire avec l'adoption demandée qui a pour effet de conférer l'autorité parentale au seul adoptant. Elle en a déduit que la décision de la cour d'appel qui avait refusé l'adoption simple en se fondant sur l'absence d'intérêt de l'enfant à voir sa mère naturelle privée de son autorité parentale était conforme aux exigences légales. Elle a, en sens inverse, cassé le second arrêt qui lui était déféré. (...) » Ces arrêts firent également l'objet de nombreux articles de doctrine publiés dans des revues spécialisées. Sur la procédure de pourvoi en cassation En application de l'article 978 du code de procédure civile, l'auteur du pourvoi doit, à peine de déchéance constatée par une ordonnance du premier président de la Cour de cassation ou de son délégué, déposer son mémoire ampliatif dans un délai légal suivant sa déclaration de pourvoi. Au moment des faits de l'espèce, ce délai était de cinq mois (il s'agit désormais d'un délai de quatre mois depuis le 25 mai 2008, date de l'entrée en vigueur du décret no 2008-484 du 22 mai 2008). Sur l'autorité parentale et la délégation de l'exercice de l'autorité parentale Article 372 du code civil « Les père et mère exercent en commun l'autorité parentale. Toutefois, lorsque la filiation est établie à l'égard de l'un d'entre eux plus d'un an après la naissance d'un enfant dont la filiation est déjà établie à l'égard de l'autre, celui-ci reste seul investi de l'exercice de l'autorité parentale. Il en est de même lorsque la filiation est judiciairement déclarée à l'égard du second parent de l'enfant. L'autorité parentale pourra néanmoins être exercée en commun en cas de déclaration conjointe des père et mère devant le greffier en chef du tribunal de grande instance ou sur décision du juge aux affaires familiales. » La délégation de l'exercice de l'autorité parentale est prévue par les articles 377 et 377-1 du code civil, qui disposent : Article 377 « Les père et mère, ensemble ou séparément, peuvent, lorsque les circonstances l'exigent, saisir le juge en vue de voir déléguer tout ou partie de l'exercice de leur autorité parentale à un tiers, membre de la famille, proche digne de confiance, établissement agréé pour le recueil des enfants ou service départemental de l'aide sociale à l'enfance. » Article 377-1 « La délégation, totale ou partielle, de l'autorité parentale résultera du jugement rendu par le juge aux affaires familiales. » GRIEF Invoquant l'article 14 combiné avec l'article 8 de la Convention, les requérantes se plaignent du rejet de l'adoption sollicitée par la première requérante de l'enfant de sa compagne. Elles soutiennent que le motif pris des conséquences légales d'une telle adoption opérant retrait de l'autorité parentale de la mère ne constitue un obstacle définitif à l'adoption que pour les couples de même sexe, puisque, contrairement aux personnes de sexe différent, elles ne peuvent pas contracter mariage, et donc bénéficier des dispositions de l'article 365 du code civil. Elles estiment que le refus ainsi opposé, par une position de principe, de prononcer l'adoption simple de A. par la première requérante a porté atteinte à leur droit à la vie privée et familiale et ce de façon discriminatoire. Elles allèguent que cette atteinte discriminatoire, fondée sur l'orientation sexuelle, n'est pas justifiée par un but légitime ni nécessaire dans une société démocratique, en violation des articles 14 et 8 combinés de la Convention.

EN DROIT

A. Sur les exceptions d'irrecevabilité 1. Exception d'irrecevabilité tirée du défaut d'épuisement des voies de recours internes Cette exception concerne l'épuisement des voies de recours internes à la fois par voie procédurale et en substance. Le Gouvernement expose en effet que la Cour de cassation n'a pas été valablement saisie par les requérantes, et que celles-ci n'ont pas invoqué devant les autres juridictions nationales les griefs qu'elles soumettent désormais à la Cour. En ce qui concerne le défaut de saisine de la Cour de Cassation, le Gouvernement constate que les requérantes ont formé un pourvoi, mais qu'elles ont renoncé à la poursuite de leur action comme en témoigne l'ordonnance de déchéance rendue le 20 septembre 2007 par le premier président de la Cour de cassation. Or, un tel pourvoi ne saurait être voué à l'échec du seul fait de l'existence, au même moment, des arrêts défavorables rendus le 20 février 2007 par la Cour de cassation. En effet, ces deux seuls précédents, sans portée générale, ne permettent pas de déduire que le recours devant la Cour de cassation était nécessairement voué à l'échec et n'était donc pas effectif en la matière. Par ailleurs, le Gouvernement soutient que les requérantes n'ont jamais soumis aux juridictions internes, ni explicitement ni en substance, le grief qu'elles soulèvent devant la Cour. Elles auraient également omis d'invoquer les dispositions pertinentes de la Convention. Le Gouvernement conclut au rejet de la requête pour défaut d'épuisement des voies de recours internes. Les requérantes considèrent que le pourvoi en cassation formé en février 2007 était un recours dépourvu de toute chance de succès, compte tenu des arrêts rendus, dès le 20 février 2007, par la Cour de cassation et adoptant une position de principe fermant définitivement la voie de l'adoption simple aux couples de personnes de même sexe. Elles estiment donc que c'est à juste titre qu'elles ont décidé de ne pas donner suite au pourvoi initialement déposé, ne s'agissant pas d'un recours utile au sens de l'article 35 de la Convention. Quant au grief soulevé devant la Cour, elles expliquent avoir dûment invoqué la violation des dispositions de la Convention notamment dans leurs écritures devant la cour d'appel. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, l'article 35 de la Convention « ne prescrit l'épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l'effectivité et l'accessibilité voulues ; il incombe à l'Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies » (voir notamment Vernillo c. France, 20 février 1991, § 27, série A no 198, Dalia c. France, 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, Civet c. France [GC], no 29340/95, CEDH 1999-VI, et également Gautrin et autres c. France, 20 mai 1998, § 38, Recueil 1998-II). De plus, « la règle de l'épuisement des voies de recours internes ne s'accommode pas d'une application automatique et ne revêt pas un caractère absolu : en en contrôlant le respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause. Cela signifie notamment que la Cour doit tenir compte de manière réaliste du contexte juridique et politique dans lequel les recours s'inscrivent ainsi que de la situation personnelle des requérants » (Menteş et autres c. Turquie, 28 novembre 1997, § 58, Recueil 1997-VIII). En l'espèce, la Cour constate qu'en février 2007, les requérantes se sont régulièrement pourvues en cassation à l'encontre de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles. Conformément aux dispositions alors en vigueur, il leur revenait donc de régulariser ce pourvoi en déposant un mémoire ampliatif au plus tard en juillet 2007, ce qu'elles n'ont pas fait. Or, dès le 20 février 2007, la première chambre civile de la Cour de cassation rendit deux arrêts concernant des espèces similaires dans les faits à celle des requérantes, et posant la même question de droit. Mettant fin à l'interprétation divergente de deux cours d'appel, la Cour de cassation, au visa de l'article 365 du code civil, refusa l'adoption simple de l'enfant par la partenaire pacsée de sa mère. Ces arrêts, rendus sur conclusions conformes de l'avocat général, et constituant les premières décisions de la Cour de cassation en la matière, firent l'objet d'une large publication (voir partie « droit et pratique internes pertinents » ci-dessus). Ils furent ensuite confirmés par d'autres arrêts rendus, toujours par la première chambre civile de la Cour de cassation, le 19 décembre 2007 et le 6 février 2008. Eu égard à l'autorité de la Cour de cassation dans le système juridictionnel français, ainsi qu'à la nature des arrêts rendus le 20 février 2007, qui règlent clairement et sans ambiguïté une question de droit qui faisait auparavant l'objet d'interprétations divergentes par les juridictions du fond, la Cour estime que, dans un tel contexte juridique, les requérantes pouvaient légitimement déduire de la jurisprudence de la première chambre civile qu'en l'espèce, un pourvoi en cassation devant cette même instance eût été voué à l'échec. Par ailleurs, la Cour relève, avec les requérantes, que les conclusions qu'elles ont soumis à la cour d'appel de Versailles, et qu'elles produisent à l'appui de la présente requête, font état d'allégations de violation de l'article 8 de la Convention. Partant, l'exception du Gouvernement doit être rejetée. 2. Exception d'incompatibilité ratione materiae Le Gouvernement estime que la requête est irrecevable, le grief ne relevant pas du champ d'application de l'article 8 de la Convention et, partant, de l'article 14. En effet, le droit à adopter ne figure pas parmi les droits garantis par cette disposition, comme l'a récemment rappelé la Cour (E.B. c. France [GC], no 43546/02, §§ 41 et suiv., CEDH 2008-...). Dans l'affaire E.B. c. France, c'est seulement après avoir considéré que se posait davantage le problème de « la procédure d'accès à l'adoption » plutôt que celui de l'adoption elle-même et que, dans le cadre de cette procédure, la requérante soutenait avoir été victime d'une discrimination en raison de son homosexualité déclarée, que la Cour a pu ensuite relier le grief à des droits relevant de la « vie privée » protégée par l'article 8 de la Convention. Or, et a contrario, la présente espèce concerne, selon le Gouvernement, le droit à adopter en tant que tel. Elle ne saurait donc être regardée comme entrant dans le champ d'application de l'article 8, comme la Cour l'a déjà implicitement indiqué dans l'arrêt E.B. c. France précité (§ 49). Le Gouvernement en déduit que le rejet de la demande d'adoption de la première requérante ne saurait être regardé comme portant atteinte au droit de celle-ci ni à celui de la deuxième requérante au libre développement et épanouissement de leur personnalité ou à la manière dont elles mènent leur vie, en particulier leur vie sexuelle. Il conclut à l'inapplicabilité de l'article 8 de la Convention à la présente espèce et à l'incompatibilité ratione materiae de la requête avec la Convention. Les requérantes rappellent d'abord que leur foyer, constitué d'elles-mêmes et de A., constitue une famille au sens de l'article 8 de la Convention. Ensuite, elles ne revendiquent aucun droit à l'adoption, droit qui n'existe pas, et ce, quelle que soit l'orientation sexuelle des candidats à l'adoption. Néanmoins, elles estiment que l'article 14 de la Convention, combiné avec l'article 8, est applicable en l'espèce. D'une part, elles expliquent que la possibilité, ouverte par l'adoption simple, d'établir un lien de filiation permettant la transmission du nom, du patrimoine et de l'exercice de l'autorité parentale durant la minorité de l'enfant constitue la reconnaissance d'une situation familiale de fait qui se situe dans le champ d'application de l'article 8. D'autre part, l'orientation sexuelle, qui fait partie de la vie privée, se situe dans le champ d'application de l'article 8 à ce titre. La Cour note que les requérantes allèguent une discrimination fondée sur leur orientation sexuelle puisque, ne pouvant, du fait de cette dernière, se marier, elles se voient refuser, ainsi que leur enfant, le bénéfice de l'adoption simple alors qu'elles se trouvent, depuis des années, dans une situation familiale de fait comparable à celle des couples hétérosexuels. La demande des requérantes visait à créer un lien de filiation entre la première requérante et A., tout en laissant subsister la filiation d'origine, et avait essentiellement pour objectif de conférer un statut juridique à une situation de fait préexistante. S'agissant de l'article 14 invoqué en l'espèce, la Cour rappelle qu'il ne fait que compléter les autres clauses matérielles de la Convention et de ses Protocoles. Il n'a pas d'existence indépendante, puisqu'il vaut uniquement pour « la jouissance des droits et libertés » qu'elles garantissent. L'application de l'article 14 ne présuppose pas nécessairement la violation de l'un des droits matériels garantis par la Convention. Il faut, mais il suffit, que les faits de la cause tombent « sous l'empire » de l'un au moins des articles de la Convention (voir, parmi beaucoup d'autres, E.B. c. France, précité, § 47). Constatant que les requérantes se fondent sur l'article 14 combiné avec l'article 8 de la Convention, la Cour rappelle d'abord que les dispositions de ce dernier ne garantissent ni le droit de fonder une famille ni le droit d'adopter, ce dont les parties conviennent (E.B. c. France, précité, § 41). Toutefois, conformément à sa jurisprudence, la Cour relève que la question de l'existence ou de l'absence d'une « vie familiale » est d'abord une question de fait, qui dépend de l'existence de liens personnels étroits (Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, § 31, série A no 31, et K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 150, CEDH 2001-VII). Elle rappelle que la notion de « famille » visée par l'article 8 ne se borne pas aux seules relations fondées sur le mariage, mais peut englober d'autres liens « familiaux » de facto, lorsque les parties cohabitent en dehors de tout lien marital (voir, entre autres, Keegan c. Irlande, 26 mai 1994, § 44, série A no 290 ; Kroon et autres c. Pays-Bas, 27 octobre 1994, § 30, série A no 297-C, et X, Y et Z c. Royaume-Uni, 22 avril 1997, § 36, Recueil 1997-II). Pour déterminer si une relation s'analyse en une « vie familiale », il peut se révéler utile de tenir compte d'un certain nombre d'éléments, comme le fait de savoir si les partenaires vivent ensemble et depuis combien de temps, et s'ils ont eu des enfants ensemble, preuve de leur engagement réciproque (voir, notamment X, Y et Z c. Royaume-Uni, précité, § 36, et aussi Emonet et autres c. Suisse, no 39051/03, § 36, CEDH 2007-XIV). En l'espèce, il s'agit de deux personnes vivant ensemble depuis 1989 et unies, depuis 2002, par un pacte civil de solidarité (PACS). Ce dernier a créé des liens contractuels entre elles, concernant l'organisation de leur vie commune (voir partie « droit et pratiques internes pertinents » ci-dessus). L'une des partenaires est la mère biologique de A., enfant qu'elles ont désirée et qui a été conçue par procréation médicalement assistée avec donneur anonyme. Les requérantes élèvent A. depuis sa naissance, et s'en occupent conjointement et activement, comme l'ont reconnu les juridictions nationales. Dans ces conditions, la Cour estime que les relations entre les requérantes et A. s'analysent en une « vie familiale » au sens de l'article 8 de la Convention. De plus, l'orientation sexuelle relève de la sphère personnelle protégée par l'article 8 de la Convention (voir Salgueiro da Silva Mouta c. Portugal, no 33290/96, §§ 23 et 28, CEDH 1999-IX, E.B. c. France, précité, § 43, et Kozak c. Pologne, no 13102/02, § 83, 2 mars 2010). Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut à l'applicabilité en l'espèce de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 8, et rejette l'exception d'irrecevabilité du Gouvernement. B. Sur le bien-fondé Les requérantes allèguent avoir subi un traitement discriminatoire fondé sur leur orientation sexuelle et portant atteinte à leur droit au respect de la vie privée et familiale. Elles invoquent l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 8, qui se lisent comme suit : Article 8 « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. » Article 14 « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. » 1. Thèses des parties a) Le Gouvernement Le Gouvernement estime, à titre principal, que pour qu'une discrimination soit constatée en l'espèce il faudrait qu'une personne se trouvant dans la même situation que la première requérante puisse bénéficier d'un traitement différent. Or, tel n'est pas le cas, puisque le refus qui a été opposé à la première requérante serait transposable à un couple hétérosexuel non marié et qui aurait, comme la loi française le permet, conclu un PACS. Ainsi, si l'article 365 du code civil établit une règle visant uniquement les conjoints, cela ne constitue pas une discrimination. Le Gouvernement souligne d'ailleurs que la jurisprudence de la Cour admet que le mariage confère un statut particulier à ceux qui le contractent. L'absence de droit au mariage ouvert en droit interne répondant à des motifs légitimes, tout comme l'existence d'un statut particulier conféré aux époux ne saurait, selon le Gouvernement, être invoqué par ricochet pour arguer d'une différence de traitement dans le cadre, homogène, du PACS. Le Gouvernement conclut qu'aucune différence de traitement ne saurait directement être constatée en l'espèce. A supposer même qu'une différence de traitement puisse être constatée, le Gouvernement soutient, à titre subsidiaire, que celle-ci est justifiée. En effet, le rejet par le juge de la demande d'adoption simple formulée par la première requérante répondrait à un but légitime, à savoir la protection de la famille fondée sur les liens du mariage. Le Gouvernement insiste dans ce cadre sur le fait que la décision serait motivée par l'intérêt de l'enfant, et non par l'orientation sexuelle de la requérante. En effet, en cas d'accueil de la demande, la mère biologique aurait perdu l'autorité parentale à l'égard de son enfant, ce qui ne pouvait en aucun cas être considéré comme conforme à l'intérêt de celui-ci. Par ailleurs, selon le Gouvernement, le refus de l'adoption simple serait proportionné au but poursuivi, puisqu'il laisse aux couples non mariés la possibilité de demander une délégation de l'exercice de l'autorité parentale, en application des articles 377 et 377-1 du code civil, comme cela a été confirmé par la jurisprudence de la Cour de cassation. Enfin, le Gouvernement souligne que le refus opposé à la demande d'adoption simple ne repose que sur une impossibilité temporaire liée à la minorité de l'enfant, et qui sera résolue à sa majorité. Il en déduit que, même si une différence de traitement devait être constatée, celle-ci ne revêtirait aucun caractère discriminatoire. La requête serait donc manifestement mal fondée. b) Les requérantes Les requérantes combattent la thèse du Gouvernement. Elles expliquent le sens de la démarche de la première requérante qui a voulu, par l'adoption simple, établir un lien de filiation qui s'ajoute au lien de filiation d'origine et permettant la transmission du nom, du patrimoine et de l'exercice de l'autorité parentale durant la minorité de l'enfant. De plus, contrairement à ce qu'affirme le Gouvernement, la situation des personnes pacsées de sexe différent et de même sexe n'est pas identique. En effet, le couple de personnes pacsées hétérosexuelles peut échapper à l'obligation imposée par l'article 365 du code civil en se mariant, tandis que le mariage civil n'est pas ouvert en France aux couples homosexuels, comme l'a confirmé la Cour de cassation. Or, même si l'arrêt rendu par la Cour de cassation fait l'objet d'un recours devant la Cour, force est de constater qu'aujourd'hui le mariage entre deux femmes ou deux hommes n'est pas possible en France. Dès lors, les personnes homosexuelles, qui ne peuvent se marier, n'ont aucun moyen d'échapper à la rigueur du texte de l'article 365 du code civil. Ainsi, un enfant élevé par un couple homosexuel ne pourra jamais être adopté par son parent de fait, même s'il vit avec lui depuis des années, ce qui est le cas de A. Il s'agirait d'une discrimination indirecte, fondée sur l'orientation sexuelle des parents, qui s'opère au détriment de l'enfant. Si la première requérante avait été une personne de sexe masculin, un mariage aurait été possible et celui-ci, suivi d'une adoption simple, aurait permis le partage de l'autorité parentale. Tel n'étant pas le cas, les requérantes estiment que le refus de l'adoption simple constitue une ingérence dans leur droit à la vie familiale. Selon elles, une telle mesure n'est pas justifiée par l'intérêt de l'enfant. De plus, elle ne saurait être considérée comme étant proportionnée au but poursuivi, puisque la délégation de l'autorité parentale n'établit aucun lien de filiation et, partant, ne permet aucune transmission du nom ni du patrimoine. Le lien créé est ainsi moins protecteur des intérêts de l'enfant. Les requérantes rappellent également qu'il existe un consensus européen pour prohiber les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle et que plusieurs Etats permettent l'adoption d'un enfant par le partenaire de même sexe de son parent d'origine, ou l'adoption conjointe d'un enfant par un couple de même sexe. Elles concluent à la violation de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 8. c) Les tiers intervenants La Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH), la Commission internationale des Juristes (ICJ), l'European Region of the International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans and Intersex Association (ILGA-Europe), la British Association for Adoption and Fostering (BAAF) et le Network of European LGBT Families Associations (NELFA) soumettent à la Cour une intervention commune. Ces organisations précisent d'abord que l'adoption par des homosexuels relève de trois situations bien distinctes : en premier lieu, il peut s'agir d'un célibataire souhaitant adopter, dans un pays membre où cela est autorisé, même à titre exceptionnel, étant entendu que tout partenaire n'aura aucun droit à l'égard de l'enfant adopté (adoption individuelle) ; en deuxième lieu, l'un des membres d'un couple du même sexe peut souhaiter adopter l'enfant de son partenaire, permettant ainsi aux deux membres de ce couple d'exercer l'autorité parentale vis-à-vis de l'enfant adopté (adoption par un second parent) ; enfin, les deux membres d'un couple du même sexe peuvent vouloir adopter ensemble un enfant qui n'a aucun lien avec eux, de sorte que les deux partenaires acquièrent simultanément les droits parentaux à l'égard de l'enfant adopté (adoption conjointe). Dans l'affaire E.B. c. France précitée, la Cour s'est prononcée en faveur d'un accès égal à l'adoption simple pour toute personne, quelle que soit son orientation sexuelle. En l'espèce, c'est l'adoption par un second parent qui est en cause. Or, la seule question supplémentaire qui se pose dans ce cas est celle de savoir s'il existe des raisons de nier au second parent la possibilité de devenir le deuxième « parent juridique » de l'enfant, et donc d'officialiser les liens qui l'unissent de facto à l'enfant. Avoir deux « parents juridiques » plutôt qu'un seul relève de l'intérêt supérieur de l'enfant, puisque cela implique le doublement de la protection qui en découle (obligations de soutien financier, droits successoraux, et, dans la vie courante, autorité parentale pour traiter avec les écoles, les hôpitaux et les autorités d'immigration). Cela permet également d'éviter que, en cas de décès de la mère biologique et juridique, l'enfant soit enlevé au seul parent qui lui reste et qu'il connaisse, et transféré vers un autre foyer. Autoriser l'adoption par le second parent signifie adapter le régime juridique à la réalité de la vie de l'enfant. Certes, cette adaptation entraîne une modification de certains régimes juridiques nationaux existants. Toutefois, à partir d'une analyse de la législation des Etats membres du Conseil de l'Europe ainsi que de celle du Canada, des Etats-Unis, d'Australie et d'Afrique du Sud, les organisations intervenantes soulignent que, si des différences persistent, se dessine une tendance croissante visant à permettre l'adoption par le second parent pour les couples homosexuels. Cela est justifié par la protection de l'intérêt supérieur de l'enfant, motivation explicitée par diverses juridictions, en Afrique du Sud, aux Etats-Unis et en Allemagne. Selon les organisations intervenantes, les affaires du type de la présente comportent plusieurs formes de différences de traitement, à la fois directes et indirectes, et fondées sur l'orientation sexuelle. De telles différences de traitement ne présentent pas de justification objective et raisonnable. d) Réponses des parties à la tierce intervention Le Gouvernement relève d'abord que les différences existant entre les systèmes juridiques décrits par les tiers intervenants témoignent de la marge d'appréciation nationale devant exister en la matière. Ensuite, le Gouvernement expose qu'il lui paraît inexact de considérer, comme le font les tiers intervenants, que l'intérêt supérieur de l'enfant ne puisse être garanti que dans un système permettant l'adoption d'un enfant par la compagne de sa mère biologique. Il se réfère à nouveau à l'article 377 du code civil qui permet l'exercice partagé de l'autorité parentale entre la mère biologique et sa compagne. Il cite à cet égard un arrêt rendu par la cour d'appel de Rennes, accordant l'exercice partagé de l'autorité parentale à la mère biologique de l'enfant et à son ex-partenaire, les deux femmes étant désormais séparées. Un tel partage de l'exercice de l'autorité parentale permettrait, selon le Gouvernement, d'éviter la rupture du lien de filiation dénoncée par la Cour dans l'arrêt Emonet. Les requérantes répliquent que l'adoption simple et la délégation d'autorité parentale sont des mesures différentes de par leur nature et leurs effets. Seule la première permet d'établir un lien juridique irrévocable qui se traduit par la transmission du nom, du patrimoine et l'exercice de l'autorité parentale. Le lien de filiation adoptif s'ajoute au lien de filiation d'origine qui demeure. En revanche, en délégation partage, il y a absence de lien de filiation, ce qui est précisément l'objet de la demande d'adoption simple. Par ailleurs, les requérantes estiment que l'argumentation selon laquelle la délégation éviterait la rupture du lien de filiation entre la mère biologique et l'enfant repose sur une confusion. En effet, s'il est interrompu par l'adoption plénière, le lien de filiation ne l'est pas par l'adoption simple, qui permet l'ajout du lien de filiation adoptif au lien d'origine. Elles expliquent qu'il est possible en droit français de voir le juge prononcer dans un premier temps l'adoption simple, qui serait ensuite suivie d'une délégation partage de l'autorité parentale au bénéfice du parent qui ne l'a plus. Si cette solution a été adoptée pour des couples hétérosexuels, elle a été refusée aux requérantes en raison de leur orientation sexuelle. 2. Appréciation de la Cour La Cour estime, à la lumière de l'ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s'ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d'irrecevabilité n'a été relevé.

Par ces motifs

, la Cour, à l'unanimité, Déclare la requête recevable, tous moyens de fond réservés. Claudia Westerdiek Peer Lorenzen Greffière Président

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