MINUTE N° :
JUGEMENT DU :28 Juin 2024
DOSSIER N° :N° RG 22/07788 - N° Portalis DB3T-W-B7G-T24J
AFFAIRE :[P] [M] C/ S.A.S. MERIA
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE CRETEIL
3ème Chambre
COMPOSITION DU TRIBUNAL
PRESIDENT :Monsieur VERNOTTE, Vice-Président
Statuant par application des articles
812 à
816 du Code de Procédure Civile, avis préalablement donné aux Avocats.
GREFFIER :Mme REA
PARTIES :
DEMANDEUR
Monsieur [P] [M]
né le 07 juillet 1970 à [Localité 3], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me
Laurent ABSIL, avocat au barreau du VAL-DE-MARNE, avocat postulant, vestiaire : PC 1, Me Olivier MARTIN, avocat au barreau de TOULOUSE, avocat plaidant
DEFENDERESSE
S.A.S. MERIA anciennement dénommée S.A.S. JUST MINING, dont le siège social est sis [Adresse 1]
représentée par Me Claire BOUCHENARD, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1965
Clôture prononcée le : 25 janvier 2024
Débats tenus à l'audience du : 29 avril 2024
Date de délibéré indiquée par le Président : 28 juin 2024
Jugement prononcé par mise à disposition au greffe du 28 juin 2024.
FAITS CONSTANTS ET PROCÉDURE
Monsieur [M] a ouvert, le 2 octobre 2021, un compte auprès de la plateforme JUST MINING (devenue depuis MERIA), qui propose plusieurs services sur actifs numériques, parmi lesquels, la conservation et le dépôt rémunéré d'actifs numériques, ainsi que la vente d'actifs numériques contre devises.
La société MERIA est un Prestataire de Service sur Actifs Numériques enregistré auprès de l'Autorité des Marchés Financiers sous le numéro E2021-016 pour les activités suivantes :
Conservations d'actifs numériques ;Achat/vente d'actifs numériques contre monnaie ayant cours légal ;Echange d'actifs numériques contre d'autres d'actifs numériques.
Monsieur [M] a ainsi acheté à la société MERIA, entre le 22 et le 23 décembre 2021, des monnaies virtuelles pour les montants suivants :
11 049,896231 USDT (ou « Tether », un « stablecoin » indexé sur le cours du dollar) ;59 DOT (ou « polkadot », monnaie virtuelle et jeton natif de la blockchain éponyme).
Il a également procédé, entre le 13 et le 27 janvier 2022, à plusieurs dépôts d'actifs numériques, achetés sur d'autres plateformes, entre les mains de MERIA, à hauteur de :
36 980 USDT, 19 985 DAI (stablecoin indexé sur le dollar),39 700 USDC (« USD Coin », stablecoin indexé sur le dollar).
Ainsi, Monsieur [M] a mis à disposition de la société MERIA un portefeuille d'une valeur au mois de janvier 2022 d'environ 96 189 euros composée comme suit:
48 029.896231 USDT dont la valeur était d'environ 48 029,90 Dollar US, soit 42 266 €;19 985 DAI dont la valeur était d'environ 19 985 Dollar US, soit 17 587 € ;39 700 USDC dont la valeur était d'environ 39 700 Dollar US, soit 34 936 € ;59 DOT, dont la valeur au cours du mois de janvier 2022 était d'environ 1 400 €.
L'écosystème Terra/Luna s'est effondré en mai 2022, le fondateur étant recherché par Interpol, et sous le coup d'un mandat d'arrêt dans son pays de résidence.
Dans le cadre de la restitution des actifs numériques que Monsieur [M] avait confié à la société MERIA, cette société va restituer :
30 264,247117036 USDT ;12403.30128337 DAI ;24 525,518226618 USDC ;
soit l'équivalent de 63 563 euros soit au cours moyen Euro/Dollar du mois de mai 2022.
A ces actifs numériques restitués s'ajoutent 43197.401536 USTC + un « airdrop » (attribution gratuite d'actifs numériques) de 317,60605373 LUNA décidé par la société MERIA.
Un litige est alors né entre les parties, concernant la qualification ainsi que la bonne exécution par La société MERIA de son mandat confié par M. [P] [M].
Suivant assignation délivrée le 21 novembre 2022, M. [P] [M] a attrait La société MERIA devant le tribunal judiciaire de Créteil.
EXPOSE DES PRÉTENTIONS ET MOYENS
Dans ses dernières conclusions notifiées le 15 décembre 2023, M. [P] [M] a demandé à la juridiction :
- de condamner La société MERIA au paiement des sommes suivantes :
--- à titre de dommages-intérêts au titre des pertes financières résultant des investissements faits en dépassement du mandat, la somme de 38 080 euros
--- 4 500 € au titre de l'article
700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
- de dire n'y avoir lieu d'écarter l'exécution provisoire de la présente décision, et de ne pas la subordonner aux conditions souhaitées par la défenderesse.
M. [P] [M] a soutenu :
- que La société MERIA est un intermédiaire en gestion de portefeuilles de cryptomonnaies ;
- que La société MERIA s'est comportée comme un véritable mandataire tenue par un mandat de gestion et non par un simple mandat de réception-transmission d'ordres ("RTO");
- que dans le cadre de son mandat, elle a commis une faute de gestion, un dépassement de mandat ;
- que La société MERIA s'est engagée contractuellement à ne pas dépasser une exposition de 30 % ; que cette exposition a malheureusement été dépassée ;
- que le geste de 1200 $ consenti par La société MERIA est loin de compenser le préjudice subi par M. [P] [M].
Dans ses dernières conclusions notifiées le 12 janvier 2024, La société MERIA a demandé au tribunal :
- de débouter M. [P] [M] de ses prétentions ;
- de dire n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement à intervenir ; et à titre subsidiaire, de subordonner une telle exécution provisoire à la constitution par M. [M] d'une garantie, réelle ou personnelle, suffisante ;
- de condamner M. [P] [M] à payer à La société MERIA la somme de 20.000 € au titre de l'article
700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
La société MERIA a soutenu :
- que M. [P] [M] est un investisseur averti en cryptomonnaies ; qu'il a investi dans plusieurs protocoles qui exigent un dépôt en UST qui est le protocole de la monnaie Terra Luna ;
- que dans ses conditions générales, La société MERIA avertit à de nombreuses reprises ses clients des risques à investir dans les cryptomonnaies ;
- que le plafond d'engagement de 30 % porte sur le placement sur un seul protocole ; que cet engagement a été respecté ; que cela n'empêchait pas, contractuellement, une exposition supérieure sur une cryptomonnaie ;
- qu'en l'espèce, ce n'est pas une cryptomonnaie qui a dévissé, mais un protocole ;
- que dès l'origine, M. [P] [M] supportait une exposition à 37 % sur la cryptomonnaie UST ;
- que les protocoles ENCORE et CONVEX/CURVE sur lesquels M. [P] [M] a opéré ses conversions, sont demeurés limités à une exposition de 30 %, conformément aux engagements contractuels ;
- que les conditions de la force majeure ne sont pas remplies ;
- qu'il n'existe pas de mandat de gestion, mais qu'il s'agit uniquement de RTO ;
- que La société MERIA n'a fait qu'exécuter les ordres de M. [P] [M].
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures déposées, en application de l'article
455 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 janvier 2024, l'affaire a été fixée à l'audience du 29 avril 2024 et mise en délibéré au 28 juin 2024.
MOTIFS
DE LA
DÉCISION
Sur les demandes principales
- Sur la nature du mandat conclu entre les parties
En vertu de l'article
1103 du code civil, « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. »
En l'espèce, le contrat conclu entre M. [P] [M] et La société MERIA délimite très précisément la mission de La société MERIA. Son article 2.3 stipule ainsi que « Le Client donne mandat à Just Mining d'exécuter en son nom et pour son compte une ou plusieurs instructions de transferts de Cryptoactifs dans le cadre des Activités DeFi et CeFi du Client et notamment de son activité de Lending.
Dans ce cadre, le Client est informé et reconnait que le rôle de Just Mining consiste à fournir un service de réception-transmission d'ordres sur Cryptoactifs tel que visé à l'article D. 54-101, 5-1 du Code monétaire et financier. Le Client est informé et reconnait que par les présentes CSV il donne mandat à Just Mining d'agir en son nom et pour son compte afin de transférer les Cryptoactifs lui appartenant afin de les mettre à la disposition des différents protocoles DeFi et des intermédiaires ».
Aucune stipulation dans les conditions générales ne permettent de dire que M. [P] [M] a remis à son mandataire le soin d'administrer en son nom les avoirs portés en compte.
A l'inverse, les conditions générales du mandat de gestion d'actifs numériques proposé par La société MERIA à ses clients confient expressément un pouvoir d'appréciation et de décision au mandataire. L'article 3.1 stipule ainsi que « ce mandat (…) emporte pouvoir d'administration et de disposition des actifs numériques confiés par le client. En conséquence, le client reconnaît expressément et de manière irrévocable qu'il n'est pas autorisé, pendant toute la durée du mandat, à intervenir dans la gestion du ou des comptes sous mandat désignés dans le cadre du présent contrat ». Ce n'est pas le cas du contrat litigieux, qui permet explicitement à M. [P] [M] de passer lui-même ses ordres.
Les stipulations contractuelles établissent ainsi sans équivoque possible que les instructions exécutées par MERIA dans le cadre du mandat de réception transmission d'ordres, sont purement limitées à un rôle d'exécution d'instructions des clients, sans que cette dernière ne dispose du pouvoir d'administrer et de disposer des portefeuilles de ses clients.
Par ailleurs, les opérations litigieuses passées par La société MERIA pour le compte de M. [P] [M], ponctuellement et dans l'urgence, pour réagir face au plus important crash de l'histoire des cryptomonnaies, sont des actes isolés qui ne sauraient avoir pour effet de requalifier l'entière relation contractuelle en mandate tacite de gestion d'actifs numériques.
La preuve n'est donc pas rapportée par M. [P] [M] de ce que La société MERIA a géré son portefeuille d'actifs numériques au titre d'un mandat de gestion, exprès ou tacite. Au contraire, la qualification de mandat de RTO sur actifs numériques doit être retenue.
- Sur la demande indemnitaire de M. [P] [M]
En vertu de l'article
1231-1 du code civil, « Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure. »
En vertu des articles 1989 et 1992 du même code, « Le mandataire ne peut rien faire au-delà de ce qui est porté dans son mandat : le pouvoir de transiger ne renferme pas celui de compromettre.
[Il] répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu'il commet dans sa gestion. »
En l'espèce, il ressort de la lecture des conditions générales du mandat de RTO sur actifs numériques conclu entre M. [P] [M] et La société MERIA, que cette dernière ne dispose d'aucun pouvoir d'appréciation ni de décision sur l'opportunité des transactions à réaliser. La société MERIA revendique d'ailleurs cette absence d'autonomie de gestion dans ses conclusions.
Cependant, La société MERIA reconnait dans ses dernières écritures qu'en réaction à l'effondrement brutal et soudain des actifs USTC et LUNA, et afin de limiter la dévalorisation des portefeuilles de ses clients parmi lesquels M. [P] [M], elle a discrétionnairement « fait le choix de sortir les positions des clients ayant souscrit au Lending » et qu'elle a ainsi conclu des transactions en cryptomonnaies pour le compte de M. [P] [M], sur le portefeuille d'actifs détenus par celui-ci.
Ce faisant, alors que rien dans le contrat de mandat de RTO sur actifs numériques ne l'y autorisait, La société MERIA a commis une faute dans l'exécution de son mandat. La société MERIA est par ailleurs mal fondée à exciper de la clause de non-responsabilité stipulée au contrat. « La responsabilité de Just Mining [devenue MERIA] étant limitée à la bonne exécution des instructions de transfert dans le cadre du service de réception-transmission d'ordres sur Cryptoactifs. » (page 35 des conditions générales), celle-ci est encourue lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, le mandataire exécute une transaction pour le compte de son client sans ordre de ce dernier, en violation de son mandat.
Cependant, M. [P] [M] ne démontre pas que cette faute lui a causé le moindre préjudice, qu'il soit économique ou de perte de chance de limiter ses pertes. En effet, il ne fournit aucune pièce établissant que lorsque La société MERIA a réagi en urgence pour limiter les effets de l'effondrement des cryptomonnaies qui a concerné les investisseurs du monde entier, il avait passé ou envisageait de passer des ordres qui lui auraient permis de limiter dans des proportions plus favorables la perte de valeur des actifs figurant dans son portefeuille. Autrement dit, même si M. [P] [M] avait agi, il n'aurait pu empêcher la dévalorisation de son portefeuille ni la réduire, vu l'ampleur et la brutalité du crash.
Dès lors, faute pour M. [P] [M] de démontrer l'existence d'un préjudice, il convient de déduire que les conditions de la responsabilité contractuelle de La société MERIA ne sont pas établies.
Dans ces circonstances, il convient de débouter M. [P] [M] de ses demandes indemnitaires
Sur les autres mesures
En application de l'article
696 du Code de procédure civile, il convient de condamner M. [P] [M] aux entiers dépens.
L'équité commande de ne pas allouer d'indemnité en application de l'article
700 du Code de procédure civile.
Il convient enfin de rappeler que l'exécution provisoire est de droit, conformément à l'article
514 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant par décision contradictoire mise à disposition des parties par le greffe et en premier ressort,
DEBOUTE M. [P] [M] de l'intégralité de ses prétentions ;
CONDAMNE M. [P] [M] aux entiers dépens ;
DIT n'y avoir lieu à indemnité en application de l'article
700 du Code de procédure civile ;
RAPPELLE que l'exécution provisoire de la présente décision est de droit.
Fait à CRÉTEIL, l'an DEUX MIL VINGT-QUATRE ET LE VINGT-HUIT JUIN
Le présent jugement a été signé par le Président et le Greffier présents lors du prononcé.
Le GREFFIER Le PRÉSIDENT