AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-cinq janvier mil neuf cent quatre-vingt-seize, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire de C... de MASSIAC, les observations de la société civile professionnelle VIER et BARTHELEMY, de Me Y... et de la société civile professionnelle BORE et XAVIER, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général le FOYER de COSTIL ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Robert, contre l'arrêt de la cour d'appel de COLMAR, chambre correctionnelle, en date du 27 octobre 1993, qui l'a condamné, pour infractions au Code des douanes et fraudes fiscales, à 16 mois d'emprisonnement avec sursis, à diverses amendes et pénalités douanières, à la publication et l'affichage de la décision, et qui a prononcé sur les demandes de l'administration fiscale, partie civile ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen
de cassation, pris de la violation des articles 64 ancien du Code des douanes, 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
385,
593 et
802 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité de la procédure ;
"aux motifs que la règle selon laquelle les exceptions tirées de la nullité soit de la citation, soit de la procédure antérieure doivent être à peine de forclusion présentées avant toute défense au fond, s'applique à toutes les nullités même substantielles et touchant à l'ordre public ;
qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que le prévenu a conclu à la nullité de la procédure pour la première fois à l'audience du 8 septembre 1993, soit dans le cadre de l'instance d'appel ;
que l'affaire avait été évoquée au fond en première instance sans qu'il ait excipé de ce moyen ; qu'ainsi, ses conclusions sont irrecevables ;
"alors qu'il résulte des dispositions de l'article 8, alinéa 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qu'il ne peut y avoir ingérence de l'autorité publique dans la vie privée et familiale, le domicile et la correspondance d'une personne que si cette ingérence est expressément prévue par une loi délimitant strictement l'étendue et les conditions d'un tel pouvoir ;
qu'aucune disposition légale n'autorise la visite domiciliaire sans aucun contrôle juridictionnel ; qu'ainsi il a été porté une atteinte personnelle aux droits reconnus par les dispositions susvisées à Robert X... et que celle-ci doit être sanctionnée par la nullité de la procédure ;
que tel était le moyen de défense péremptoire invoqué par le prévenu dans ses conclusions auxquelles la cour d'appel a omis de répondre ;
que c'est à tort que la cour d'appel s'est fondée sur les dispositions de l'article
385 du Code de procédure pénale inapplicables dès lors qu'était invoquée la violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, convention internationale qui, aux termes de l'article 55 de la Constitution, s'impose à toutes les autorités publiques, sans que puisse lui être utilement opposée une disposition du droit interne, fût-elle de nature législative, comme l'article
385 du Code de procédure pénale ;
que la cour d'appel a donc méconnu par refus d'application l'article 8 de la Convention susvisée et par fausse application l'article
385 du Code de procédure pénale" ;
Attendu que, pour écarter l'exception de nullité de la procédure présentée par le prévenu et prise de l'existence, à l'origine des poursuites, d'une visite domiciliaire irrégulière, les juges du second degré énonce que, faute d'avoir été régulièrement soulevée devant les premiers juges, celle-ci était irrecevable ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, et dès lors qu'en application des dispositions de l'article
385 du Code de procédure pénale, toute exception de nullité, même prise de la violation d'une convention internationale, doit être, à peine d'irrecevabilité, présentée avant toute défense au fond, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le deuxième moyen
de cassation, pris de la violation des articles
1741,
1742,
1743,
1745 du Code général des impôts,
L. 227 du Livre des procédures fiscales,
593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de fraude fiscale au titre de l'impôt sur les sociétés dans la société Outirop Fastener ;
"aux motifs, adoptés des premiers juges, que Robert X... conteste avoir eu la qualité de gérant de fait de la société Outirop Fastener ;
que, toutefois, il convient de relever qu'avec les membres de sa famille, il possédait plus de la moitié du capital social et que, selon plusieurs témoignages, il procédait au recrutement des cadres de direction, choisis dans son entourage et prenait des décisions de gestion essentielle ;
qu'enfin, la société Outirop a bénéficié de la société Rivtac d'un prêt de 1 100 000 francs suisses, cette dernière ayant cédé sa créance en 1978 à hauteur de 600 000 francs suisses à la société Benital Finanz qui a souscrit à une augmentation de capital de la société Outirop ;
que la société Rivtac a été créée avec la participation active de Robert X... qui a perçu des commissions en espèces pour cela ;
qu'il était en possession, lors de son interpellation, de 200 feuillets vierges à en-tête Rivtac et des originaux de documents relatifs aux brevets de Rivtac ;
que ces éléments suffisent à caractériser la gestion de fait assurée par le prévenu dans la société Outirop depuis sa création jusqu'en 1980 ;
que, selon la Cour, Robert X... ne pouvait ignorer le non-respect de la législation fiscale s'agissant de la redevance de 5,5 % pour l'exploitation du brevet Rivtac ;
"alors que, d'une part, Robert X... faisait valoir dans ses conclusions d'appel qu'il n'était pas démontré qu'il exerçait les fonctions de dirigeant de fait de la société Outirop, qu'en effet, il était uniquement membre du conseil de surveillance de cette société, et qu'en cette qualité, il était tenu de s'informer de sa bonne marche ;
que de plus, il résulte des déclarations de M. Striby, président du directoire de la société Outirop à compter de 1979 et de M. B... qui l'a remplacé en 1982, que Robert X... ne s'immisçait pas dans la gestion de la société ;
que le témoignage de M. Z..., simple technicien, ne saurait être retenu ; que, par suite, la cour d'appel qui n'a relevé l'existence d'aucun acte d'immixtion imputable à Robert X... dans la gestion de la société, a violé les textes visés au moyen ;
"alors, d'autre part, qu'en application de l'article
L. 227 du Livre des procédures fiscales, les juges qui prononcent une condamnation sur le fondement de l'article
1741 du Code général des impôts ne peuvent se borner à analyser les éléments matériels de la prévention, mais doivent également caractériser l'élément intentionnel et dont la preuve incombe au ministère public et à l'administration fiscale ;
qu'en l'espèce, le prévenu avait fait valoir dans ses conclusions d'appel délaissées que, selon la cour administrative d'appel de Nancy, les redevances versées par la société Outirop à la société Rivtac étaient constitutives de charges déductibles et qu'ainsi, aucune fraude fiscale ne pouvait être relevée à ce titre ;
que la cour d'appel, qui s'est bornée à relever que le demandeur ne pouvait ignorer le non-respect de la législation fiscale, s'agissant de la redevance de 5,5 % pour l'exploitation du brevet Rivtac, n'a pas caractérisé l'élément intentionnel de l'infraction poursuivie" ;
Sur le troisième moyen
de cassation, pris de la violation des articles
1741,
1742,
1743,
1745 du Code général des impôts,
L. 227 du Livre des procédures fiscales,
593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de fraude fiscale au titre de l'impôt sur les sociétés dans la société Outirop Fastener ;
"aux motifs que Robert X... ne pouvait ignorer le non-respect de la législation fiscale, s'agissant de la redevance de 5,5 % pour l'exploitation du brevet Rivtac ;
"alors que par un arrêt définitif en date du 26 mars 1992, la cour administrative d'appel de Nancy a décidé que "pour la détermination des bases de l'impôt sur les sociétés assigné à la société Outirop Fastener au titre des années 1977, 1978, 1979 et 1980, les redevances de brevets et de marques sont admises en déduction des bases d'imposition à hauteur de 2 % du chiffre d'affaires. En conséquence, les montants des redevances imposables sont ramenés de 5,5 % à 3,5 % des chiffres d'affaires réalisés au titre de chacune desdites années" ;
qu'en l'état de cette décision du juge de l'impôt, motivée par la considération que seul le brevet français qui n'était plus en vigueur et qui était de ce fait tombé dans le domaine public avait donné lieu à des redevances pouvant être regardées comme dépourvues de contrepartie et à supposer qu'on pût, par impossible, considérer Robert X... comme dirigeant de fait de la société Outirop Fastener, il ne pouvait être condamné pour fraude fiscale en raison de la redevance de 5,5 % acquittée par cette société, dès lors que le principe même de cette redevance avait été admis par le juge de l'impôt, que seul était en cause le taux de ladite redevance et qu'une erreur commise, sans intention frauduleuse, dans l'appréciation de ce taux ne pouvait être constitutive de fraude ;
qu'en condamnant néanmoins Robert X... pour fraude fiscale de ce chef, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme que Robert X... a été notamment poursuivi, en sa qualité de dirigeant de droit ou de fait des sociétés X... et Outirop Fastener, du chef de fraude à l'impôt sur les sociétés, pour avoir versé des redevances de brevet à une société suisse ;
Que Robert X... a fait valoir sur ce point, pour sa défense, qu'il avait obtenu un dégrèvement d'imposition, la juridiction administrative ayant admis, au titre des charges, en déduction des bases d'imposition, partie du montant des redevances versées ;
Attendu que, pour écarter les conclusions du prévenu et le déclarer coupable des faits visés à la prévention, la cour d'appel énonce qu'il ressort des éléments du dossier, notamment du témoignage du dirigeant de droit de la société, que Robert X... a été le fondateur et le véritable dirigeant de celle-ci et qu'abstraction faite des sommes qui ont fait l'objet d'un dégrèvement, il est patent que Robert X... a indûment passé, en comptabilité, des charges qu'il savait n'être pas réellement dues, la redevance à laquelle ces sommes se rapportaient n'ayant aucune raison d'être ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a, sans insuffisance, justifié sa décision ;
Que les moyens, qui reviennent à remettre en question l'appréciation, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus, ne peuvent qu'être écartés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Le Gunehec président, M. de Mordant de Massiac conseiller rapporteur, MM.
Culié, Roman, Schumacher, Martin, Mmes Françoise D..., Chevallier conseillers de la chambre, M. de A... de Champfeu conseiller référendaire, M. le Foyer de Costil avocat général, Mme Mazard greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;