1. |
Les recours dans lesquels nous présentons aujourd'hui nos conclusions ont été formés par des entreprises françaises, allemandes, belges et hollandaises, dont certaines produisent du gritz, d'autres du quellmehl. Comme vous le savez, Messieurs, le premier produit est une semoule de maïs utilisée pour la fabrication de la bière; le second produit provient d'une transformation du maïs ou du blé tendre et est utilisé avant tout pour la panification. Les deux catégories d'entreprises bénéficient depuis longtemps d'un même traitement, dans le cadre de la réglementation communautaire des restitutions à la production; en particulier l'article 11 du règlement no 120/67/CEE du Conseil du 13 juin 1967 (portant organisation commune des marchés dans le secteur des céréales) a institué des restitutions obligatoires au bénéfice des deux catégories ainsi qu'au bénéfice des producteurs d'amidon, en raison des «possibilités de substitution entre les amidons et fécules, d'une part, et le quellmehl ainsi que les gruaux et semoules de maïs, d'autre part» (voir le dixième considérant du règlement mentionné). Par la suite, toutefois, alors que la restitution dans le secteur de l'amidon était maintenue, elle a été supprimée pour la production de quellmehl et du gritz; en effet les règlements no 1125/74 du 29 avril 1974 et no 665/75 du 4 mars 1975 du Conseil ont modifié la rédaction de l'article 11 du règlement no 120/67 cité précédemment, de sorte qu'aucune restitution n'était plus prévue en faveur de l'un et ensuite de l'autre des produits en question. Les entreprises victimes de la suppression de l'aide communautaire ont réagi, sur le plan judiciaire, suivant deux lignes distinctes: certaines ont intenté des actions devant des juridictions nationales, à l'égard des organismes nationaux compétents pour octroyer en pratique les restitutions et d'autres ont intenté des actions devant la Cour, à l'encontre du Conseil, pour obtenir, conformément à l'article 215 du traité CEE, la réparation des dommages résultant des mesures d'abrogation. Nous noterons à cet égard que deux des affaires actuellement soumises à votre appréciation tirent leur origine de recours intentés contre le Conseil dès l'année 1976; il s'agit des recours introduits par les sociétés Dumortier frères et Maïseries du Nord, respectivement les 8 juillet et 2 décembre de cette année-là. Mais, avant de statuer sur ces recours, la Cour a déjà eu l'occasion de se prononcer sur la base de demandes préjudicielles formées par des juridictions nationales (le Finanzgericht de Hambourg d'une part et les tribunaux administratifs de Nancy et de Châlons-sur-Marne d'autre part), qui ont donné lieu aux affaires jointes 117/76 — 16/77 et 124/76 — 20/77. Vous vous rappellerez qu'il a été mis fin à ces affaires par deux arrêts parallèles du 19 octobre 1977 (Recueil 1977, p. 1753 et 1795); la Cour a constaté que la situation juridique créée par les deux règlements no 1125/74 et no 665/75 cités, en abrogeant implicitement les règles qui prévoyaient les restitutions obligatoires dans les secteurs du quellmehl et du gritz était incompatible avec le principe d'égalité, étant donné que la restitution avait été maintenue dans le secteur concurrent de l'amidon. Quant aux mesures nécessaires pour remédier à cette incompatibilité, la Cour a déclaré qu'elles devaient être prises par les institutions communautaires compétentes en matière de politique agricole commune. Ainsi la Cour n'a pas prononcé l'invalidité des règles d'abrogation implicite contenues dans les règlements que nous venons d'indiquer, mais elle a qualifié d'illégal le comportement du législateur communautaire dans la mesure où celui-ci a aboli les restitutions pour le gritz et le quellmehl et elle a déclaré qu'il appartenait au Conseil et à la Commission d'adopter les mesures aptes à porter remède à cette illégalité. A la suite de cette décision, les règlements nos 1125 et 1127/78 du Conseil — complétés par le règlement d'application no 1570/78 du 4 juillet 1978 de la Commission — ont rétabli l'égalité de traitement entre l'amidon, le quellmehl et le gritz jusqu'à la fin de la campagne de commercialisation 1978-1979, et cela en réintroduisant les restitutions à la production pour le maïs et le blé tendre utilisés pour la fabrication de quellmehl destiné à la panification ainsi que pour le maïs utilisé pour la production de gritz destiné à la brasserie. La date à laquelle cette mesure devait prendre effet a été fixée au 19 octobre 1977: sur demande des intéressés, les restitutions peuvent être accordées à partir de cette date (qui coïncide avec celle des arrêts de la Cour que nous avons cités). Par contre la situation créée par les mesures d'abrogation de 1974 et 1975 n'a pas été modifiée pour la période qui s'est écoulée entre la date à laquelle ces mesures ont sorti leurs effets (1er août 1974 pour le quellmehl, 1er août 1975 pour le gritz) jusqu'au 19 octobre 1977. C'est donc en ce qui concerne cette période que les requérantes font valoir leur demande en dommages-intérêts. Le point commun à tous les recours est la demande visant à obtenir la condamnation de la Communauté à payer des sommes équivalentes aux restitutions qui n'ont pas été versées au cours de la période que nous venons de mentionner. Certaines des entreprises françaises productrices de gritz demandent, en outre, la réparation des préjudices ultérieurs qu'elles affirment avoir subis à la suite de la suppression des restitutions entre le mois d'août 1975 et le mois d'octobre 1977; cette suppression leur aurait causé en effet de graves difficultés de fonctionnement et des pertes financières importantes et, dans un cas, elle aurait obligé l'entreprise à cesser totalement son activité. Le groupe des entreprises allemandes, belges et hollandaises, productrices de gritz, et, avec elles, la requérante dans l'affaire 238/78, Ireks-Arkady, productrice de quellmehl, demandent en outre à titre subsidiaire que le Conseil soit condamné à «habiliter et obliger» les États membres intéressés (république fédérale d'Allemagne, Belgique, Pays-Bas) à leur verser des montants correspondant aux restitutions dont elles n'ont pas bénéficié. Il y a lieu de noter encore que les requérantes dans les affaires 238/78, 261/78 et 262/78 évaluent le dommage par rapport à la quantité de quellmehl utilisée dans tout le secteur de l'alimentation humaine et non seulement en vue de la panification. L'entreprise Ireks-Arkady a cru opportun de formuler à cet effet également une demande en constatation: elle voudrait que la Cour interprète les articles 2 et 4 du règlement no 1570/78 de la Commission en ce sens que la restitution à la production pour le quellmehl est due chaque fois que celui-ci est vendu en vue de l'alimentation humaine. L'entreprise Interquell, enfin, a inclus dans le montant des dommages-intérêts demandés la somme correspondant aux restitutions à la production pour le quellmehl destiné à l'alimentation des animaux et non seulement à l'alimentation humaine. |
2. |
Les parties défenderesses ont soulevé un certain nombre d'exceptions d'irrecevabilité. Il nous semble possible de les examiner avant de passer à l'examen au fond; nous commencerons par examiner celles qui ont une portée générale (même si toutes n'ont pas été soulevées dans toutes les affaires) et nous examinerons ensuite celles qui sont spécifiques à certains recours. Une première exception peut se résumer de la façon suivante: ce que les requérantes demandent c'est le montant des restitutions à la production pour la période indiquée précédemment; or, le paiement des restitutions en matière agricole rentre dans le champ de compétence des organismes nationaux chargés de gérer la politique agricole communautaire à l'intérieur de chaque État membre et c'est la raison pour laquelle les demandes devaient être adressées à ces organismes, éventuellement au moyen d'actions en justice devant les juridictions nationales. Ensuite, ces juridictions, si elles l'avaient estimé nécessaire, auraient pu soumettre à la Cour des demandes de décision à titre préjudiciel au sens de l'article 177 du traité CEE. Nous sommes d'avis que pour apprécier le bien-fondé de cette exception, il est indispensable d'individualiser les actions judiciaires présentées par les requérantes; à cet effet, il faut tenir compte non seulement du petitum, c'est-à-dire de la demande, mais également de la causa petendi, c'est-à-dire du titre sur lequel se fonde la demande. Or, si les sommes que réclament les requérantes sont équivalentes aux restitutions qu'elles n'ont pas perçues au cours de la période qui s'est écoulée entre la date à laquelle les mesures d'abrogation ont sorti leurs effets et le 19 octobre 1977, toutefois, elles réclament aujourd'hui ces sommes à titre de dommages-intérêts, sachant parfaitement que l'absence d'une réglementation spécifique concernant la période en question ne les mettrait pas en mesure de les réclamer à titre de restitutions! Renvoyer les requérantes devant les juridictions nationales signifierait dans ce cas leur indiquer une voie de recours destinée à un échec certain: en effet, une action en dommages-intérêts serait mal venue devant ces juridictions, dans la mesure où le dommage découle d'actes émanant des institutions communautaires et doit par conséquent être apprécié par la Cour conformément aux articles 178 et 215 du traité CEE, alors qu'une action visant au paiement des restitutions serait nécessairement rejetée, étant donné que pour la période litigieuse il n'existe pas de normes de droit communautaire dérivées autorisant ou obligeant les organismes nationaux à verser des restitutions pour le gritz et le quellmehl. La jurisprudence de la Cour que le Conseil cite à l'appui de sa thèse ne peut à notre avis être invoquée pour en démontrer le bien-fondé. Dans l'affaire Société des Grands Moulins des Antilles/ Commission (affaire 99/74), tranchée par un arrêt du 26 novembre 1975 (Recueil 1975, p. 1531), la requérante déclarait réunir, sur la base du droit communautaire en vigueur, toutes les conditions lui donnant droit à des restitutions déterminées; étant donné qu'elle les avait demandées en vain aux autorités administratives nationales et ensuite à la Commission, elle avait intenté à l'encontre de cette dernière une action en réparation du dommage qui lui avait été causé par le rejet implicite de l'insitution en question. La Cour a constaté que la requérante cherchait à obtenir le paiement par la Commission, à la place de l'autorité compétente de l'Etat concerné, des sommes qui lui seraient dues en vertu du droit communautaire (attendu 21) qu'il appartenait donc aux juridictions nationales compétentes de statuer sur la légalité de ces actes, en application du droit communautaire (attendu 23), et, en conclusion, elle a déclaré que «attendu que la requérante n'ayant pas fait valoir un préjudice découlant d'un acte ou d'une omission de la Communauté susceptible de lui faire grief, son recours était irrecevable au titre de l'article 178 du traité» (attendu 25). Dans les présentes affaires, la situation est complètement différente. Les entreprises requérantes ne soutiennent absolument pas que la réglementation communautaire en vigueur en matière de restitutions à la production dans le secteur des céréales leur donne droit à de telles restitutions pour le quellmehl et le gritz produits pendant la période qui s'est écoulée du mois d'août 1974 (1975 pour le gritz) au 19 octobre 1977, et, par conséquent, elles ne soulèvent aucun problème concernant une appréciation erronée des conditions exigées d'elles pour bénéficier de l'aide communautaire. Les requérantes allèguent au contraire le dommage causé du fait de la violation par le Conseil du principe d'égalité, violation à laquelle il n'a toujours pas été remédié pour la période durant laquelle les règlements nos 1125 et 1127/78 n'ont pas rétabli l'égalité de traitement entre les producteurs d'amidon, de quellmehl et de gritz. C'est pourquoi il résulte logiquement de ce que la Cour a affirmé à l'attendu 25 de l'arrêt cité que les recours actuels s'avèrent, de ce point de vue, recevables. Des considérations analogues peuvent être faites à propos de l'arrêt rendu le 27 janvier 1976 dans l'affaire 46/75, IBC (Recueil 1976, p. 65). Dans cette affaire, l'entreprise requérante, qui avait du verser aux autorités douanières italiennes certaines sommes en application d'un règlement communautaire dont elle contestait la validité, voulait récupérer les sommes payées au moyen d'une action en dommages-intérêts intentée contre la Commission. La Cour a constaté que le recours concernait la légalité de la perception des sommes litigieuses et tendait à obtenir de la Communauté le remboursement des sommes indûment perçues; elle a reconnu que, sur la base du droit communautaire, la perception devrait relever des autorités nationales et a conclu en conséquence qu'il appartenait aux juridictions nationales de statuer sur la légalité des actes de ces autorités, après utilisation éventuelle de l'article 177 du traité CEE en ce qui concerne la validité des normes communautaires appliquées. Mais, dans les affaires actuellement soumises à votre appréciation, la possibilité pour les requérantes d'obtenir les sommes qu'elles réclament ne dépend pas de la validité ou non des normes communautaires qui ont contraint les autorités nationales à rejeter les demandes des intéressées. N'oublions pas que la Cour a déjà été appelée à se prononcer sur la validité des règles supprimant les restitutions dans les secteurs du quellmehl et du gritz, contenues dans les règlements nos 1125/74 et 665/75, et qu'elle a déclaré illégale la situation normative déterminée par la suppression en question, au lieu d'invalider les articles qui avaient la portée d'une mesure d'abrogation. C'est donc l'incompatibilité avec le droit communautaire du traitement différent réservé aux producteurs de quellmehl et de gritz par rapport aux producteurs d'amidon qui est, comme nous l'avons vu, à l'origine des recours que nous avons à examiner aujourd'hui; et il semble logique, outre que légitime, que les conséquences préjudiciables pour les particuliers d'un choix contraire au droit opéré par les institutions communautaires soient contestées à l'égard de ces institutions au moyen de recours en dommages-intérêts. A ce propos, qu'il nous soit permis de renvoyer également à nos conclusions dans l'affaire récente 90/78 Granaria. L'argumentation développée pourrait être contestée si on considérait les présents recours comme des moyens destinés à contester la légalité des règlements nos 1125 et 1127/78, dans la mesure où ils ont réintroduit les restitutions en faveur des producteurs de quellmehl et de gritz seulement à partir du 19 octobre 1977. Nous nous réservons de retourner plus tard sur ce point afin de préciser les caractères du fait illégal auquel se rattachent les demandes en dommages-intérêts. Toutefois, nous estimons opportun de souligner dès maintenant que ces demandes — comme on l'a répété à plusieurs reprises au cours de la procédure écrite et de la procédure orale — sont destinées à obtenir la réparation du préjudice résultant de l'illégalité qui a été constatée par la Cour dans les arrêts du 19 octobre 1977 et qui se concrétise dans la violation du principe de non-discrimination à l'égard des producteurs de gritz et de quellmehl. |
3. |
Une seconde exception d'irrecevabilité consiste en substance à affirmer que ce à quoi visent effectivement les requérantes — obtenir le bénéfice des restitutions pour la période durant laquelle elles ne les ont pas perçues — ne peut être obtenu que par l'adoption d'un nouveau règlement; mais un tel objectif, s'il ne peut être réalisé au moyen des recours prévus par les articles 173 et 175 du traité CEE, ne pourrait pas l'être non plus au moyen du recours en dommages-intérêts. En même temps que cette exception, il y a lieu d'examiner la troisième soulevée dans ce groupe d'affaires dans lesquelles les requérantes ont demandé à titre subsidiaire que les gouvernements allemand, belge et hollandais soient habilités et obligés par le Conseil à verser les sommes correspondant aux restitutions octroyées jusqu'à présent; à cet égard, la Commission objecte que demander une décision adressée à des sujets autres que les requérants est exclu par l'article 175, troisième alinéa, du traité CEE, et pareillement devrait être considéré comme exclu dans le cadre de la procédure prévue à l'article 178. Le fondement logique de ces deux exceptions s'avère être le même dans la mesure où on transpose dans le domaine du recours en indemnité les conditions restrictives édictées par le traité pour les recours en annulation d'actes communautaires ou pour les recours en carence des institutions et cela sur la base de l'argumentation selon laquelle, si le résultat que le requérant veut obtenir est en substance le même que celui auquel aboutirait une des deux dernières actions, les restrictions doivent, elles aussi, être les mêmes. En réalité une transposition de ce genre est arbitraire. La Cour a eu à plusieurs reprises l'occasion de préciser que l'action en indemnité prévue aux articles 178 et 215 du traité a été instituée comme une voie autonome, ayant sa fonction particulière dans le cadre du système des voies de recours et subordonnée à des conditions d'exercice conçues en vue de son objet spécifique: voir les arrêts du 2 décembre 1971 dans l'affaire 5/71, Aktien-Zuckerfabrik Schöppenstedt (Recueil 1971, p. 975; du 13 juin 1972 dans les affaires jointes 9 et 11/71, Compagnie d'approvisionnement, de transport et de crédit (Recueil 1972, p. 391; du 24 octobre 1973 dans l'affaire 43/72, Merkur (Recueil 1973, p. 1055), et du 2 juillet 1974 dans l'affaire 153/73, Holtz & Willemsen (Recueil 1974, p. 675). Dans toutes ces affaires, l'action en réparation des dommages a été estimée recevable bien que les institutions défenderesses aient excipé du fait qu'elle tendait en réalité à obtenir un résultat comparable à celui d'une action en annulation ou d'un recours en carence, en échappant aux conditions restrictives édictées par les articles 173 et 175 du traité CEE. Cela admis, eu égard à l'exception d'irrecevabilité de caractère général que nous avons exposée précédemment, nous ferons observer qu'il ne semble pas juste de considérer les demandes des requérantes comme des moyens destinés à obtenir l'adoption d'un nouveau règlement et encore moins de considérer que la reconnaissance du bien-fondé de ces demandes conduirait nécessairement à l'adoption d'un tel règlement, en vue de reconnaître le droit des producteurs de gritz et de quellmehl à percevoir les restitutions relativement à la période litigieuse. La jurisprudence que nous venons de citer, en soulignant le caractère autonome de l'action en indemnité et la différence qu'elle présente par rapport à l'action en annulation ou au recours en carence, a mis en évidence le fait que l'action en indemnité conduit, si elle est reconnue fondée, à verser certaines sommes d'argent aux victimes d'un préjudice (et, bien entendu, aux victimes d'un préjudice oui ont pris l'initiative de saisir la Cour). C'est ce qui se produira en l'espèce si les demandes des requérantes sont considérées comme fondées: la Communauté devra leur verser certaines sommes d'argent déterminées dans la mesure nécessaire à la réparation du préjudice, selon les critères que vous fixerez dans votre décision. Un nouveau règlement en matière de restitutions à la production ne serait, à notre avis, absolument pas nécessaire, en tout cas pas pour accorder aux requérantes l'indemnité qui serait la conséquence directe des arrêts de la Cour. Certes, si l'égalité de traitement en faveur des producteurs de gritz et de quellmehl par rapport à ceux d'amidon avait été rétablie de façon générale, avec efficacité rétroactive à partir du jour même où les normes abrogatives des restitutions à la production ont sorti leurs effets, l'action en indemnité serait dépourvue de toute base juridique; toutefois cela ne signifie pas que l'issue positive de ce litige doive conduire à l'adoption de mesures de caractère général. Un certain nombre de considérations diverses s'impose à propos de l'autre exception d'irrecevabilité: celle qui a été soulevée à l'égard de demandes subsidiaires de certaines des entreprises requérantes, dans l'affaire 238/78 et dans les affaires jointes 241, 242, 245 à 250/78. A vrai dire, au cours de la procédure écrite, les requérantes ont prétendu que leur demande subsidiaire avait pour seul but d'épargner à la Cour un certain nombre de vérifications de fait et qu'en l'absence de contestation relative aux quantités de quellmehl ou de gritz fabriquées, elles ne maintiendraient pas leur demande. Or, il nous semble également opportun de relever que, lorsqu'une partie requérante demande que le Conseil soit condamné à obliger chaque Etat membre à payer certaines sommes déterminées aux entreprises requérantes, il s'agit là d'une demande irrecevable dans le cadre d'une procédure fondée sur les articles 178 et 215 du traité CEE. En effet, ou bien le paiement devrait se faire à titre de réparation du dommage qui est censé devoir être constaté grâce aux présentes affaires, et dans cette hypothèse on ne voit pas sur quelle base juridique la Communauté pourrait mettre à la charge d'un ou de plusieurs gouvernements des États membres l'obligation de réparer le préjudice causé par un acte émanant d'une institution communautaire; ou bien le paiement devrait intervenir à titre de restitution, et alors l'adoption d'un nouveau règlement serait effectivement nécessaire sur le plan communautaire, adoption qu'en aucun cas les entreprises requérantes ne sont habilitées à demander. En effet, il s'agirait d'une mesure de nature juridique et de portée générale, entièrement différente des mesures de nature économique et de portée spécifique qui découlent de la reconnaissance du bien-fondé d'un recours en indemnité. Toujours sur le plan des exceptions d'irrecevabilité fondées sur des affirmations de principe, il est nécessaire de faire quelques remarques concernant la thèse selon laquelle les demandes subsidiaires mentionnées précédemment tendraient à obtenir une «restitution en nature» et seraient de ce fait irrecevables, parce que cette forme de réparation n'a pas sa place en droit public. Nous croyons inutile de vérifier si ce dernier point est exact ou non parce que nous excluons le fait que les demandes en question tendent à obtenir une restitution «en nature». A notre avis la ligne de séparation entre réparation et «restitutio in integrum» coïncide avec la distinction entre le paiement d'une somme d'argent et une prestation d'une autre nature, susceptible de restaurer le patrimoine de celui qui a subi le dommage (par exemple, la réparation matérielle de l'objet endommagé). Il ne fait pas de doute que n'importe quelle forme de réparation du dommage tend à rétablir le patrimoine de la victime dans l'état dans lequel il se serait trouvé si le fait dommageable ne s'était pas produit; mais le versement d'une somme d'argent doit toujours être qualifié de réparation, même lorsque le préjudice a consisté dans la privation de certains montants monétaires. Ce qui contribue à le démontrer est également le fait que la demande en dommages-intérêts est normalement accompagnée de la demande d'intérêts moratoires. Eu égard au cas d'espèce, en outre, il convient de souligner encore une fois que l'objet des demandes des requérantes (principales et subsidiaires) n'est pas la récupération des restitutions à la production, mais le versement de sommes d'argent équivalantes aux restitutions non perçues. L'exception dont il est question nous semble en conséquence dépourvue de fondement. |
4. |
Une exception de litispendance a été soulevée par le Conseil dans les affaires présentées par les sept sociétés françaises productrices de gritz, dans la mesure où, après avoir demandé à l'ONIC, organisme français d'intervention en matière agricole, le paiement des restitutions à la production pour la période allant du 1er août au 31 décembre 1975, elles avaient attaqué les décisions de refus de l'ONIC devant les juridictions françaises compétentes, en demandant leur annulation. Dans trois de ces procès, la décision de refus a été annulée compte tenu des arrêts de la Cour du 19 octobre 1977 dans les affaires 167/78 et 28/79, qui ont précisément statué sur des demandes à titre préjudiciel émanant de deux des tribunaux administratifs saisis par les sociétés intéressées (l'annulation a été prononcée par un jugement du 31 juillet 1978 du tribunal administratif de Nancy, sur recours de l'entreprise Moulins-Huileries de Pont-à-Mousson, par un jugement du 12 décembre 1978 du tribunal administratif de Châlons-sur-Marne, sur recours de la Coopérative Providence Agricole de la Champagne, et par un jugement du 11 mai 1979 du tribunal administratif d'Orléans, dans l'affaire introduite par les Maïseries de Beauce). Par la suite, l'ONIC a attaqué devant le Conseil d'État français le jugement du tribunal administratif de Nancy, alors qu'il a, semble-t-il, laissé acquérir force de chose jugée au jugement du tribunal administratif de Châlons-sur-Marne. On sait que la litispendance au sens propre implique que deux juridictions soient saisies en même temps du même litige; elle implique par conséquent l'identité des parties, de l'objet et du titre. Le Conseil semble estimer que l'on peut parler de litispendance dans le cadre des rapports existant entre une juridiction nationale et la Cour de justice communautaire, même si devant la Cour la partie défenderesse est une institution communautaire alors que devant les juges d'un État membre c'est un organisme national, chargé de gérer la politique agricole commune. Or, sans soulever la question de terminologie, on peut comprendre que le rapport entre deux procès intentés par la même partie requérante contre l'institution communautaire et contre l'organisme national de gestion soulève des problèmes de priorité, si tout au moins l'objet et le titre sont identiques. Mais, en l'espèce, il n'en est certainement pas ainsi: entre un recours en annulation d'un acte et une action en indemnité, il existe une différence évidente d'objet et de base juridique. De plus, une décision d'annulation fait entièrement abstraction du fait que la partie requérante a ou non droit à réparation du préjudice éventuellement subi. Dans le cas d'espèce, le Conseil voit un cas de litispendance dans le fait que, à son avis, un même litige dans lequel on réclame certaines sommes déterminées est soumis aux juridictions nationales et à la Cour de justice communautaire. Toutefois, le Conseil sait très bien que les tribunaux administratifs français, qui se sont déjà prononcés sur des recours intentés par certains producteurs de gritz, n'ont pas pu aller au-delà d'une décision d'annulation du refus opposé par l'ONIC à la demande de paiement des restitutions à la production pour la période postérieure au 1er août 1975 et même ils n'ont pu prononcer l'annulation que dans la mesure où la Cour, dans les arrêts cités du 19 octobre 1977, avait donné la réponse que l'on sait aux questions préjudicielles qui lui avaient été soumises. L'intérêt qu'ont les requérantes à obtenir les sommes d'argent correspondant aux restitutions non perçues ne peut recevoir satisfaction au moyen de décisions des juges nationaux, étant donné que la base normative communautaire sans laquelle les autorités nationales ne peuvent effectuer de paiements pour le compte du FEOGA fait défaut. C'est la raison pour laquelle les intéressés ont choisi la voie du recours en dommages-intérêts, qui, par sa nature, se différencie radicalement des procès intentés devant les tribunaux administratifs nationaux, comme nous l'avons déjà dit précédemment. Où est donc le même litige soumis à deux juridictions différentes? Selon l'institution défenderesse, les recours présentés sur la base des articles 178 et 215 seraient en outre irrecevables en tout état de cause, du fait que les requérantes auraient la possibilité d'introduire une action de pleine juridiction devant les tribunaux administratifs nationaux et du fait que cette action visant à obtenir le paiement des restitutions à la production aurait priorité par rapport à l'action en indemnité. Il nous semble évident que si on parle du rapport entre cette dernière action qui est un fait accompli et un recours hypothétique de pleine juridiction devant les tribunaux administratifs nationaux (recours hypothétique parce qu'il n'apparaît pas que celui-ci ait été introduit en réalité), on abandonne le terrain de la soi-disant litispendance. Quant à la thèse selon laquelle la voie judiciaire appropriée serait celle d'une action en paiement des restitutions qui devrait être introduite à l'intérieur de chaque État membre, nous estimons superflu de répéter les objections que nous avons déjà exprimées lorsque nous avons examiné la première exception de caractère général fondée sur cette idée. A l'appui de l'exception de litispendance, le Conseil a cité l'arrêt du 14 juillet 1967 rendu par la Cour dans les affaires jointes 5, 7 et 13 à 24/66, Kampffmeyer (Recueil 1967, p. 317). Toutefois, il ne nous semble pas que cette référence soit de nature à corroborer le point de vue du Conseil. Les requérantes dans les affaires Kampffmeyer avaient en effet engagé deux actions en indemnité, l'une contre la république fédérale d'Allemagne devant un tribunal allemand et l'autre contre la Communauté devant la Cour de justice, et cela dans la mesure où elles avaient subi un préjudice résultant d'un acte considéré comme illégal tant au regard du droit communautaire qu'au regard du droit allemand. La Cour a déclaré qu'il convenait «d'éviter que les requérantes ne soient, en raison d'appréciations différentes sur les mêmes dommages par deux juridictions différentes appliquant des règles de droit différentes, ni insuffisamment ni abusivement indemnisées», et, en conséquence, elle a estimé nécessaire que le juge national se prononce sur la responsabilité éventuelle de la République fédérale avant d'établir le montant de la réparation à la charge de la Communauté. Il est évident que cette prise de position a été dictée par la situation qui vient d'être décrite et en particulier par le fait que les actions intentées devant les deux juridictions différentes étaient toutes les deux des actions en indemnité. Tel n'est pas le cas en l'espèce, et par conséquent il n'est pas pertinent de se référer à la jurisprudence mentionnée. En conclusion, il faut exclure que le fait que des tribunaux administratifs français soient saisis de recours en annulation des décisions de refus que l'ONIC a prises à l'égard des producteurs de gritz (décisions de refus de payer les restitutions pour la période postérieure au 1er août 1975) puisse constituer une exception d'irrecevabilité à l'égard des actions en indemnité que les mêmes entreprises ont engagées devant la Cour contre le Conseil. |
5. |
Un problème particulier de recevabilité se pose dans le cadre de l'affaire 238/78, introduite par un recours de la société Ireks-Arkady, du fait que cette dernière a agi par subrogation consentie par la victime du préjudice, sur la base d'une cession du droit à indemnité (c'est-à-dire de la créance contestée). La victime du préjudice se trouvait être une autre société du même groupe, à savoir la société Ruckdeschel, laquelle avait précédemment cherché à faire reconnaître son droit aux restitutions à la production (pour la période en question) au moyen d'une action intentée auprès d'une juridiction allemande, action qui avait donné lieu à l'affaire préjudicielle 117/76. La Commission fait observer que les systèmes juridiques des États membres n'admettent pas tous que le cessionnaire d'un droit à réparation d'un dommage résultant d'un fait illégal est habilité à agir en justice. Une telle possibilité serait en particulier exclue par le droit anglais. C'est la raison pour laquelle la Commission se demande si l'action en question est conforme aux principes généraux communs aux droits des États membres auxquels se réfère l'article 215, deuxième alinéa, du traité CEE. En outre, la Commission craint que les cessions de droits ne donne lieu à une utilisation abusive qui pourrait aller jusqu'au risque de voir certaines entreprises se spécialiser dans l'exercice contre la Communauté d'actions en indemnité qu'il appartiendrait, à l'origine, à des tiers d'exercer. En ce qui concerne ce dernier point, nous pouvons faire observer qu'en l'espèce le cessionnaire du droit à indemnité et la victime du préjudice, tout en étant des sujets juridiquement distincts, ne sont pas étrangers l'un à l'autre. La société Ruckdeschel a en effet cédé à la société Ireks-Arkady (qui constitue aujourd'hui un holding) l'ensemble de son exploitation, en échange d'une participation financière. Or, nous savons parfaitement que l'appartenance de plusieurs entreprises à un même groupe économique a été jugée plusieurs fois, tant par la Commission que par la Cour, comme un élément suffisant pour considérer que ces entreprises constituaient une unité substantielle en ce qui concerne l'appréciation de leur comportement sur le marché. Cette appréciation unitaire de phénomènes juridiques formellement distincts a entraîné des conséquences importantes sur le plan du droit communautaire de la concurrence. Cela admis, il nous semble justifié d'affirmer que les dangers redoutés par la Commission n'existent pas dans le cas d'une cession de droit à indemnité intervenue entre entreprises d'un même groupe. A vrai dire, celle-ci reconnaît qu'en l'espèce la cession ne constitue pas un artifice de procédure et ne peut être qualifiée d'expédient abusif. Toutefois, selon la Commission, cette circonstance ne suffit pas à vaincre les difficultés résultant de l'absence en droit communautaire d'une règle relative à la cession en question et du fait que les droits internes des États membres manquent d'uniformité, tout au moins pour ce qui est des effets d'une cession de créance au regard du débiteur de même que sur le plan de la procédure. A notre avis, l'article 215 du traité CEE n'oppose aucun obstacle à la solution du problème. Cette disposition réglemente le mécanisme de la responsabilité extracontractuelle de la Communauté (et partant les critères sur lesquels elle se fonde, ses limites, les conséquences qui en résultent), mais non pas un phénomène, comme la cession du droit à indemnité, et appartient à une plus large figure juridique qui est la cession des créances soumise au droit national des contrats. Le fait qu'un contrat de cession a pour objet une créance (encore contestée bien entendu) qui a son origine dans un fait illégal, d'où découle la responsabilité extra-contractuelle de la Communauté, ne semble pas suffisant pour établir entre la cession de créance et le fait illégal de la Communauté un rapport tellement étroit et direct que le contrat de cession du droit conclu entre particuliers devrait rentrer dans le cadre de la réglementation de la responsabilité extra-contractuelle communautaire. Le droit applicable aux contrats entre particuliers est le droit interne de chaque Eut membre et, à notre avis, il n'existe aucune raison de soustraire à ce régime juridique le contrat de cession d'une créance à l'égard de la Communauté. C'est du reste ce que la Cour a reconnu dans l'ordonnance rendue par son président le 25 septembre 1963 dans l'affaire 85/63 (Recueil 1963, p. 397) qui s'est référé au Code civil belge en matière de cession de salaire par un fonctionnaire de la Commission à une société belge. Il résulte de ce qui précède que la façon dont le droit des différents États membres réglemente la cession des créances pour des dommages extra-contractuels est dépourvu d'importance au regard du droit communautaire. Le cessionnaire devra être considéré comme habilité à introduire un recours sur la base de l'article 215 du traité CEE chaque fois que, sur la base de l'ordre juridique interne applicable, il sera valablement devenu titulaire du droit de créance appartenant originairement à la victime. En l'espèce, il ne nous semble pas que l'on ait contesté la régularité au regard du droit allemand de la cession intervenue entre les entreprises Ruckdeschel et Ireks-Arkady (le droit allemand est du reste l'un des moins formaliste en la matière), ni le fait que cette cession était apte à produire des effets à l'égard du débiteur (potentiel). C'est pourquoi l'action introduite par la société Ireks-Arkady doit être considérée comme recevable. Toujours dans le cadre de l'affaire 238/78, une seconde exception soulevée par le Conseil pan de l'idée que le recours serait tout au moins partiellement fondé sur une illégalité résultant de la limitation dans le temps instituée pour les restitutions par le règlement no 1570/78 de la Commission; il serait alors inadmissible de faire grief au Conseil d'un fait illégal émanant de la Commission. Cette exception est manifestement très peu consistante; il suffirait de répliquer que la limitation dans le temps apportée au droit à réclamer des arriérés de restitutions résulte des règlements du Conseil nos 1125 et 1127/78, avant de résulter du règlement no 1570/78 de la Commission et que, de toute façon, dans l'affaire 238/78 tant le Conseil que la Commission sont parties défenderesses. Mais l'objection principale est d'une autre nature et elle a été avancée à juste titre par la requérante: l'illégalité d'où découle le droit à indemnité est la violation du principe d'égalité résultant des modifications apportées à l'article 11 du règlement du Conseil no 120/67 en 1974 et en 1975 et à cette illégalité Revient pas s'ajouter un autre fait illégal résultant des règlements de 1978 qui viennent d'être cités: tout au plus pourrait-on constater que ces derniers n'ont pas entièrement remédié à l'incompatibilité avec ledit principe d'égalité. Il existe enfin une troisième exception d'irrecevabilité soulevée par les parties défenderesses à l'encontre de la demande en constatation contenue dans le recours no 238/78. Comme nous l'avons rappelé au début, cette demande vise à faire constater par la Cour que les articles 2 et 4 du règlement no 1570/78 de la Commission doivent être interprétés en ce sens que la restitution à la production pour le quellmehl est due lorsque celui-ci est vendu, sans autre transformation et sans être mélangé à d'autres substances, exclusivement à des fins d'alimentation humaine. Cette exception nous semble fondée. En principe on peut considérer comme recevable une demande en constatation dans le cadre d'un recours en réparation de dommages extra-contractuels, s'il s'agit de déterminer l'interprétation d'une norme dont dépend la constatation de l'illégalité ou de la responsabilité ou du droit à indemnité. Or, en l'espèce, le règlement no 1570/78 n'a rien à voir avec la constatation de l'illégalité ou de la responsabilité: c'est ce que nous avons vu précédemment en examinant la seconde exception soulevée par le Conseil dans la même affaire. L'interprétation demandée concerne en réalité le droit aux restitutions à la production et non le droit à la réparation du dommage. Enfin, il convient de relever que l'objet des présentes affaires est circonscrit aux conséquences résultant de l'abolition des restitutions en faveur des producteurs de quellmehl ou de gritz pour une période antérieure au 19 octobre 1977, alors que la demande d'interprétation se réfère à un règlement qui a sorti ses effets postérieurement à cette date. C'est pourquoi il ne peut même pas s'agir là d'un argument à l'appui de la demande en indemnité concernant le quellmehl utilisé pour l'alimentation humaine dans des secteurs autres que la panification. |
6. |
Après avoir examiné les exceptions d'irrecevabilité qui ont été soulevées à l'encontre des demandes principales, nous pouvons maintenant passer à l'examen des problèmes au fond. Nous pensons que, étant donné la nature des actions, il est opportun de préciser tout d'abord quelle est l'illégalité dont la Communauté est appelée à répondre et dans quelle mesure on peut dire que l'existence de cette illégalité a déjà été constatée. Dans la succession des événements qui ont conduit aux présentes affaires, les circonstances suivantes ont revêtu une importance déterminante: tout d'abord la suppression des restitutions pour le quellmehl et le gritz, en vertu des règlements no 1125/74 et no 665/75; ensuite les arrêts de la Cour du 19 octobre 1977: enfin, les règlements du Conseil et de la Commission qui ont réintroduit les restitutions pour les deux produits indiqués à partir du 19 octobre 1977. Nous savons que les arrêts cités ont constaté l'illégalité de la supression des restitutions du fait que celle-ci a méconnu le principe d'égalité (voir les attendus 10 et 11 de l'arrêt rendu dans les affaires 117/76 et 16/77; les attendus 23 et 24 de l'arrêt rendu dans les affaires 124/76 et 20/77). L'illégalité à propos de laquelle il s'agit d'établir si la Communauté est responsable des dommages causés est donc précisément celle-ci: en modifiant l'article 11 du règlement no 120/67 au moyen des règlements no 1125/74 et no 665/75, les institutions communautaires ont-elles violé à l'égard des producteurs de gritz et de quellmehl le principe général d'égalité «qui appartient aux principes fondamentaux du communautaire» (attendus 7 et 16 respectivement des deux arrêts cités)? C'est ce qu'ont affirmé à plusieurs reprises les requérantes, mais leur position n'est pas toujours apparue cohérente avec cette affirmation, dans la mesure où elles ont parfois déplacé l'accent sur la prétendue illégalité des règlements du Conseil no 1125 et no 1127/78 (et du règlement d'application de la Commission no 1570/78). Ces règlements, en réintroduisant les restitutions seulement à partir du 19 octobre 1977, auraient laissé subsister, pour la période antérieure, la situation d'illégalité constatée par la Cour et auraient ainsi méconnu tant le principe d'égalité (pour la seconde fois) que les arrêts du 19 octobre 1977. A notre avis, il faut éviter de tomber dans l'équivoque consistant à lier les actions en indemnité à la violation d'une obligation hypothétique de la Communauté de réintroduire rétroactivement les restitutions supprimées qui résulterait des arrêts cités du 19 octobre 1977. Les parties défenderesses ont raison d'objecter qu'une telle obligation n'a pas été établie par les arrêts en question qui se sont limités à investir les institutions communautaires compétentes du pouvoir et du devoir de «prendre les mesures nécessaires pour remédier à cette incompatibilité». Il ne fait pas de doute que les règlements no 1125 et no 1127/78, ainsi que le règlement d'application de la Commission, sont des mesures destinées à remédier à l'illégalité constatée par la Cour: il suffit de lire les second et troisième considérants du règlement no 1125/78, qui se réfèrent aux arrêts que nous avons cités à maintes reprises et déclarent que «l'octroi d'une restitution à la production pour les produits en cause constitue un moyen de se conformer aux conclusions de la Cour». Le fait que de telles mesures puissent être inadéquates ne permet pas de les considérer comme illégales, dans la mesure où elles iraient à l'encontre des arrêts cités: plus exactement elles doivent être considérées comme un moyen — mais pas nécessairement un moyen suffisant — pour se conformer aux décisions de la Cour et, par conséquent, comme un moyen qui pourrait avoir remédié seulement en partie à la situation d'illégalité créée par les règlements de 1974 et de 1975, sans toutefois donner lieu de ce fait à une nouvelle illégalité. Il nous reste à résoudre un problème de caractère formel qui a d'importantes incidences de principe. Les arrêts du 19 octobre 1977 ont été prononcés au terme de procédures préjudicielles: c'est pourquoi la constatation de la violation du principe d'égalité était destinée en premier lieu à sortir ses effets à l'égard des juges nationaux qui avaient saisi la Cour et dans le cadre des procédures qui avaient donné lieu aux questions préjudicielles. Mais quels effets doit-on reconnaître à cette constatation au-delà de ce cadre, et plus précisément dans le cadre des présentes affaires? Vous connaissez, Messieurs, les hésitations de la doctrine en ce qui concerne l'existence ou non d'effets erga omnes résultant de l'invalidation d'actes communautaires prononcée par la Cour en vertu de l'article 177 du traité CEE et vous connaissez aussi les arguments principaux qui sont avancés à l'appui d'une réponse positive ou négative: d'un côté, la difficulté de concevoir qu'un acte soit valide (en l'espèce légal) à l'égard de certains et invalide (ou illégal) à l'égard d'autres; de l'autre côté, inversement, la différence entre l'action en annulation et la procédure sur la base de l'article 177. Il ne nous semble pas opportun de nous attarder ici sur les données théoriques du problème; permettez-moi seulement de noter que nous trouvons assez singulière la tendance à attribuer «en principe» des effets relatifs aux décisions préjudicielles, ajoutant ensuite que, «en pratique», elles ont des effets erga omnes, comme si les juristes ne devaient pas adapter leurs notions à la pratique et même les élaborer compte tenu de cette dernière. Aux fins des présentes affaires, la circonstance qui à notre avis mérite une attention particulière est la suivante: déjà deux fois, la Cour s'est récemment fondée sur ses propres décisions par lesquelles elle avait prononcé à titre préjudiciel l'illégalité de certains règlements déterminés du Conseil pour statuer sur des recours en indemnité introduits par des sujets différents des parties aux procès nationaux dans le cadre desquels avaient été rendues les décisions préjudicielles. Nous nous référons à l'arrêt du 25 mai 1978 dans les affaires jointes 83 et 94/76, 4, 15 et 40/77 (dites du lait en poudre, Recueil 1978, p. 1209) — relatif à la responsabilité des institutions communautaires du fait de l'adoption du règlement no 563/73, invalidé par trois arrêts du 5 juillet 1977 dans les affaires 114, 116, 119 et 120 de 1976 — et à l'arrêt du 28 mars 1979 dans l'affaire 90/78, Granaria, relatif à la responsabilité de la Communauté du fait de la suppression des restitutions en faveur du quellmehl, suppression déclarée illégale, comme nous le savons, par la décision rendue le 19 octobre 1979 dans les affaires jointes 117/76 et 16/77. Dans les deux arrêts cités, la valeur des décisions préjudicielles précédentes qui avaient invalidé certains règlements n'a pas été mise en doute aux fins du procès en indemnité. Même si on ne veut pas y voir une confirmation de la thèse de l'effet erga omnes qui s'attache à ce type de décision, on peut tout au moins considérer que la Cour a admis que quiconque s'estime lésé par des actes communautaires invalidés au moyen d'une décision rendue sur la base de l'article 177 a le droit d'engager la procédure prévue aux articles 178 et 215 du traité CEE, sans devoir exciper à nouveau de l'illégalité de l'acte, c'est-à-dire de la source de la responsabilité communautaire. Si tel est le cas, comme nous le pensons, il est justifié d'affirmer que l'objet des présents recours reste circonscrit à l'existence ou non d'une responsabilité communautaire à l'égard des requérantes du fait de la violation du principe d'égalité résultant de la suppressions des restitutions pour le quellmehl et le gritz durant la période mentionnée à plusieurs reprises, étant donné qu'il y a lieu de considérer que l'existence de l'illégalité consistant précisément dans cette violation a été constatée par les arrêts du 19 octobre 1977. En conséquence, il est superflu de discuter à nouveau de problèmes qui ont été examinés et résolus dans le cadre des affaires auxquelles ces arrêts ont mis fin. Nous nous référons ici, entre autres, à la question de la possibilité effective de substituer l'amidon de maïs au gritz pour la fabrication de la bière, qui a été soulevée à nouveau par le défenseur du Conseil: nier une telle possibilité ne peut être d'aucune utilité lorsqu'il s'agit de contester le fait que les deux produits ont droit à un traitement égal, étant donné que ce droit a été reconnu par la Cour. Il me semble opportun d'éclaircir ici un autre point, relatif aux effets dans le temps des déclarations d'invalidité ou d'illégalité d'actes communautaires prononcées sur la base de l'article 177 du traité CEE. On affirme communément que ces déclarations ont un effet ex nunc, ou plus précisément que l'acte déclaré invalide devient inapplicable à la situation juridique qui fait l'objet du litige. Or, une déclaration d'invalidité ou d'illégalité accompagnée d'un effet ex nunc n'offrirait aucune base pour des demandes en indemnisation de dommages antérieurs, de sorte qu'il serait inutile pour les sujets ayant intérêt à introduire de telles demandes de se référer à la décision préjudicielle qui a constaté l'existence de l'illégalité. Nous estimons que cette conséquence est inadmissible et que c'est plutôt l'hypothèse que nous avons faite qui doit être juste: en réalité l'effet ex nunc des décisions préjudicielles a toujours été considéré en rapport avec l'inapplicabilité des actes invalidés, alors que si on reconnaît que ces décisions peuvent avoir des effets également aux fins d'actions en indemnité intentées par d'autres sujets, on doit admettre que l'invalidité ou l'illégalité peuvent être constatées ex tunc. Il convient à ce propos de rappeler que vos arrêts du 19 octobre 1977 dans les affaires du quellmehl et du gritz ont mentionné la possibilité «de porter remède au préjudice éventuellement causé aux intéressés»; ainsi ils ont prévu une suite qui s'explique seulement si on attribue des effets ex tune à la constatation d'illégalité contenue dans ces arrêts. |
7. |
Il est nécessaire de vérifier maintenant si les conditions dont dépend, selon votre jurisprudence, une responsabilité éventuelle de la Communauté à l'égard des particuliers pour des actes normatifs qui impliquent des choix de politique économique sont réunies. Nous dirons tout de suite à cet égard que nous ne partageons pas les doutes exprimés par les entreprises françaises requérantes en ce qui concerne la qualification d'actes impliquant des choix de politique économique, appliquée aux règlements portant suppression des restitutions pour le quellmehl et le gritz; il nous semble évident que, même si l'objectif poursuivi par le Conseil a été de faire des économies au détriment d'un groupe d'entreprises, il s'est agi de toute façon d'un choix relatif à certains instruments déterminés de la politique agricole communautaire, laquelle rentre de toute évidence dans le cadre plus large de la politique économique. Les conditions de la responsabilité extra-contractuelle de la Communauté pour des actes de ce genre se résument dans des termes qui ont été réaffirmés dans de nombreux arrêts de la Cour: on doit être en présence «d'une violation suffisamment caractérisée d'une règle supérieure de droit protégeant les particuliers» (voir les arrêts déjà cités du 2 décembre 1971 dans l'affaire 5/71, du 13 juin 1972 dans les affaires jointes 9 et 11/71, du 24 octobre 1973 dans l'affaire 43/72, du 2 juillet 1974 dans l'affaire 153/73; il faut ajouter les arrêts du 14 mai 1975 dans l'affaire 74/74, CNTA, Recueil 1975, p. 534, du 31 mars 1977 dans les affaires 54 à 60/76, Compagnie industrielle et agricole du Comté de Loheac, Recueil 1977, p. 645, et du 25 mai 1978 dans les affaires jointes 83 et 94/76, 4, 15 et 40/77, Bayerische HNL et autres, Recueil 1978, p. 1209). Les conclusions que nous avons présentées dans ces dernières affaires nous ont donné l'occasion d'analyser les caractères distinctifs d'une «violation grave», et au terme de cette analyse nous avons conclu: qu'il convenait de tenir compte de l'importance de la règle violée, dans le système communautaire; que l'examen du caractère «excusable» ou non du choix fait par les institutions communautaires était superflu et que la valeur du dommage était sans importance. Toutefois, pour le cas où la Cour estimerait devoir lier la gravité de la violation à la valeur de celui-ci, nous avons dit qu'il conviendrait de fixer dans ce cas une formule générale définissant les limites du dommage tolérable. L'arrêt qui a suivi ces conclusions a implicitement, à notre avis, accueilli le critère de l'importance de la règle violée, en constatant que «l'interdiction de discrimination éconcée à l'article 40, paragraphe 3, alinéa 2, du traité, violé par le règlement no 563/76, a effectivement pour fonction de protéger les intérêts des particuliers et qu'on ne saurait méconnaître son importance dans le système du traité» (attendu 5). Toutefois, cet arrêt s'est inspiré en même temps de la «conception restrictive» qui se dégage des principes qui, dans le système juridique des États membres, régissent la responsabilité des pouvoirs publics pour les préjudices causés aux particuliers par des actes normatifs, alors que, dans nos conclusions, nous avions exprimé la conviction qu'il était logique que ce soit la solution la plus sévère en matière de responsabilité des pouvoirs publics qui soit retenue pour ce qui est du Conseil des Communautés, «lequel détient à la fois le pouvoir législatif et l'autorité administrative, sans avoir pour autant cette investiture démocratique, cette capacité d'exprimer la souveraineté populaire qui peuvent justifier l'immunité du législateur par rapport aux règles générales de la responsabilité». C'est pourquoi l'arrêt a ajouté deux autres critères à celui de l'importance de la règle violée: l'institution doit avoir «méconnu, de manière manifeste et grave, les limites qui s'imposent à l'exercice de ses pouvoirs» et le dommage doit dépasser les «limites raisonnables» à l'intérieur desquelles le particulier doit supporter certains effets préjudiciables à ses intérêts économiques, engendrés par un acte normatif (attendu 6). Malheureusement, les limites du dommage tolérable n'ont par été suffisamment précisées, même si dans la partie plus détaillée des attendus (attendu 7), l'arrêt fournit un certain nombre d'indications supplémentaires, en se référant au nombre des opérateurs économiques lésés — celui-ci agissant comme un facteur susceptible d'atténuer le préjudice subi par les entreprises individuelles — à l'incidence sur les coût de production, à la comparaison entre l'augmentation des prix due au règlement en question et aux augmentations dues à d'autres causes et enfin à l'incidence sur la rentabilité des exploitations, en relation avec l'amplitude des risques économiques inhérents à l'activité exercée. Dans le cas d'espèce, il est indiscutable qu'il y a eu violation d'une règle supérieure protégeant les particuliers et présentant une importance fondamentale dans le système du droit communautaire. Nous savons qu'il s'agit de l'interdiction de discrimination et nous pourrions par conséquent nous contenter de renvoyer à l'attendu 5 déjà cité des motifs de l'arrêt du 25 mai 1978 dans les affaires Bayerische HNL et autres (même si cet arrêt fait apparaître la violation de l'article 40, paragraphe 3, deuxième alinéa, traité CEE, alors qu'ici, c'est le principe général de non-discrimination qui a été violé). Mais il nous semble nécessaire de souligner que la situation qui a donné lieu aux présents recours présente un caractère plus grave. En effet, dans les affaires du lait en poudre, la violation de l'article 40, paragraphe 3, résultait de l'imposition d'une obligation d'achat faite aux producteurs et importateurs de fourrages et, partant, ne concernait qu'indirectement les utilisateurs qui demandaient la réparation des dommages dus à l'augmentation des coûts. On pouvait parler à l'égard de ces derniers de discrimination indirecte découlant précisément des coûts plus élevés des fourrages, de sorte que l'on peut mettre en doute l'existence dans ce cas d'une lésion proprement dite de droits subjectifs (nous avons vu que l'attendu 5 des motifs de l'arrêt cité mentionnait l'interdiction de discrimination comme un moyen de protéger les intérêts des particuliers). Par contre, dans les cas qui sont soumis à notre examen, nous nous trouvons en présence d'une discrimination directe; il y a eu violation du droit subjectif fondamental des requérantes à l'égalité de traitement en ce qui concerne l'octroi d'aides communautaires, par rapport aux producteurs d'amidon de maïs, avec lesquels les intéressées se trouvent en concurrence. Étant donné le caractère spécifique de cette violation, il ne sert à rien d'objecter (comme le fait la Commission) que n'importe quel préjudice subi par une catégorie de sujets du fait d'une mesure prise par les pouvoirs publics représente une forme de discrimination et qu'il serait en conséquence inadmissible que les sujets victimes d'une telle mesure aient droit à une indemnisation dans la mesure où ils ont fait l'objet d'une discrimination. La vérité est qu'il y a une différence entre parler de façon générale de discrimination et constater une violation précise du principe de non-discrimination; en l'espèce cette violation a déjà été constatée par la Cour et c'est sur la base de cette constatation que les demandes en indemnité ont été présentées. L'orientation qui se dégage de l'arrêt du 25 mai 1978 dans les affaires du lait en poudre nous conduit à examiner si en l'espèce les deux conditions supplémentaires exigées par cet arrêt pour qu'il y ait responsabilité de la Communauté en raison d'actes normatifs émanant de celle-ci sont réunies, et cela bien que, à notre avis, les considérations qui précèdent concernant la violation du droit subjectif des requérantes à l'égalité de traitement suffisent à démontrer l'existence d'«une violation suffisamment caractérisée» et, partant, la responsabilité extra-contractuelle de la Communauté. L'illégalité commise par le Conseil présente la nature d'une méconnaissance «manifeste et grave» de la règle violée: c'est ce qui résulte, à notre avis, tant de la nature de cette règle (il convient de répéter qu'elle «fait partie des principes fondamentaux du droit communautaire», comme l'ont affirmé les arrêts du 19 octobre 1977) que des modalités du fait illégal. Il ne s'est pas agi de l'adoption d'une mesure favorable pour certaines entreprises et du défaut d'adoption d'une mesure équivalente en faveur d'autres entreprises concurrentes, mais bien d'une modification du régime existant jusqu'alors et qui avait réalisé l'égalité de traitement, précisément pour sauvegarder les capacités concurrentielles de deux catégories de producteurs par rapport à une troisième. Il convient donc de dire que le Conseil savait ce qu'il faisait et la Cour a mis en lumière le fait que la décision supprimant les restitutions a été prise bien qu'il n'existât pas de circonstances objectives de nature à justifier le changement du régime préexistant (voir les attendus 10 et 22 des motifs respectifs des arrêts du 19 octobre 1977 dans les affaires 117/76 — 16/77 et 124/76 — 20/77). Nous pouvons enfin ajouter, pour corroborer le caractère manifeste de la violation, que la Cour a été en mesure de constater celle-ci avant tout parce que les institutions défenderesses n'ont fourni aucune donnée technique et économique, ni apporté aucune preuve à l'appui d'éléments de fait ayant pu servir de base valable à la nouvelle politique adoptée en 1974 et en 1975 à l'égard des producteurs de quellmehl et de gritz. Cela équivaut a dire qu'en soi cette nouvelle ligne de conduite apparaissait arbitraire. Il est plus difficile de prendre dès maintenant position sur le problème de l'importance du dommage subi par chacune des requérantes afin d'établir si ce dommage reste à l'intérieur de limites «raisonnables», tolérables pour n'importe quelle entreprise exposée aux risques du marché. Il est clair que si on admet que la condition de la responsabilité communautaire du fait d'actes normatifs illégaux est l'existence d'un préjudice grave, la question de l'existence d'une telle responsabilité ne peut être résolue qu'après avoir précisé quels sont les dommages indemnisables et quelle est leur importance. Sous cette réserve, nous croyons pouvoir formuler pour le moment les remarques suivantes:
L'argumentation développée jusqu'à présent permet de dire que, si on applique aux cas d'espèce les critères indiqués à l'attendu 7 des motifs de l'arrêt cité du 25 mai 1978 dans les affaires Bayerische HNL et autres, on ne voit pas de raison d'exclure la responsabilité communautaire. Bien entendu, la question de l'importance du dommage qu'il est nécessaire d'évaluer, également pour trancher le point de savoir s'il a un caractère «tolérable», reste ouverte. |
8. |
Avant d'examiner les demandes en indemnité présentées par les requérantes, il convient de vérifier quelles sont les données qui, en matière de réparation du dommage, résultent explicitement ou implicitement des arrêts du 19 octobre 1977, étant donné que les parties s'y sont souvent référées pour en tirer des arguments à l'appui de leurs points de vue respectifs. Une première constatation qui s'impose, à propos des arrêts en question, est qu'en prononçant l'illégalité de l'article 11 du règlement no 120/67 dans le libellé en vigueur à la suite de la modification introduite par l'article 5 du règlement no 1125/74 (pour le quellmehl) et par l'article 3 du règlement no 663/75 (pour le gritz), ils ont soulevé le problème relatif à. la nécessité d'«effacer» cette illégalité — c'est là le terme utilisé par la Cour — non seulement pour le futur mais également pour le passé. Le fait que les deux arrêts prévoient expressément que l'égalité de traitement des deux produits en cause devra être rétablie et que le préjudice éventuellement causé aux intéressés devra être réparé suffirait à le démontrer; le rétablissement pouvait intervenir ex nunc ou ex tunc; la réparation était destinée à garantir qu'il serait complètement remédié à la situation illégale pour le passé. On peut toutefois ajouter un autre ordre de considérations. Nous savons que les demandes préjudicielles auxquelles les deux arrêts ont donné une réponse concernaient la validité des modifications apportées au règlement no 120/67, à la suite desquelles les restitutions en faveur du quellmehl et du gritz avaient été supprimées et nous savons que la Cour ne s'est pas prononcée dans le sens de l'invalidité essentiellement pour une raison de technique juridique: les modifications avaient eu lieu sous la forme d'une substitution de l'ancienne norme par une nouvelle, qui ne mentionnait plus le quellmehl d'abord et ensuite le gritz («l'illégalité de la disposition réside ainsi dans ce qu'elle ne prévoit pas, plutôt que dans une partie quelconque de son texte» ont déclaré les deux arrêts). Si cet obstacle technique n'avait pas existé et si la suppression des restitutions avait eu lieu sous la forme de normes d'abrogation explicites, la Cour aurait assurément prononcé leur invalidité, indépendamment du fait que la détermination du montant des restitutions auquel avaient droit les producteurs de quellmehl et de gritz exigeait ou non un acte ad hoc du Conseil (tel était l'objet de la seconde question posée par le Finanzgericht de Hambourg dans les affaires jointes 117/76 et 16/77). Ainsi aurait été ouverte la voie pour reconnaître, devant les juridictions internes, le droit des entreprises intéressées à obtenir les restitutions à la production à partir de la date de leurs demandes respectives. Or, la nature différente de la réponse que la Cour a donné aux juges nationaux, en raison de la difficulté technique mentionnée et les conséquences qui en sont résultées ne changent pas la nature du problème qui est resté celui de l'inégalité de traitement subie par les producteurs de gritz et de quellmehl par rapport aux producteurs d'amidon, celui de l'appréciation juridique de cette inégalité et de la façon de l'effacer ab initio. En second lieu, il convient d'approfondir les implications des options que les arrêts du 19 octobre 1977 ont laissées aux institutions communautaires, lorsqu'ils ont admis l'existence de «plusieurs possibilités pour rétablir l'égalité de traitement des deux produits en cause et pour porter remède au préjudice éventuellement causé aux intéressées», et lorsqu'ils ont affirmé «qu'il appartient aux institutions compétentes en matière de politique agricole commune d'apprécier les facteurs économiques et politiques dont dépendront ces options». Évidemment, pour le futur, on pouvait imaginer trois mesures possibles: réintroduire les restitutions pour le gritz et le quellmehl en laissant inchangées les restitutions pour l'amidon, ou bien abolir les restitutions pour tous les produits en question, ou enfin fixer un nouveau taux commun (la seconde et la troisième possibilité auraient pu à la rigueur être accompagnées de mesures d'aide d'un autre genre). Pour le passé, par contre, compte tenu du fait que les restitutions versées aux producteurs d'amidon n'auraient pas pu être abrogées sans léser des droits acquis, les possibilités se réduisaient à notre avis à deux: rétablir les restitutions pour le gritz et le quellmehl au moyen d'une mesure de caractère général ayant des effets ex tunc ou réparer les dommages à chacune des entreprises intéressées qui en auraient fait la demande (peut-être même une mesure générale d'indemnisation forfaitaire, sous réserve d'évaluer les différents cas de dommages ultérieurs, aurait pu contribuer à résoudre le problème). Nous noterons à cet égard que l'hypothèse formulée par le Conseil, selon laquelle on aurait pu supprimer rétroactivement la restitution pour l'amidon et rétablir ainsi un traitement identique pour les trois catégories, mais sans prétendre à la récupération des restitutions versées aux producteurs d'amidon, consiste en une construction formaliste et qui n'est pas convaincante: même dans une telle hypothèse, en effet, les producteurs de gritz et de quellmehl auraient prétendu à la réparation du dommage lié à la violation de leur droit à une égalité effective (et pas seulement formelle) de traitement par rapport aux producteurs d'amidon. La façon dont le Conseil a ensuite exercé sa faculté de choix conduit à faire un certain nombre d'autres considérations. Nous avons vu que les règlements nos 1125 et 1127/78 ont réintroduit les restitutions pour le quellmehl et le gritz selon le même taux que celles versées aux producteurs d'amidon; en d'autres termes, ils ont adopté la première des trois solutions possibles que nous avons mentionnées précédemment (tout au moins jusqu'à la fin de la campagne de commercialisation 1978-1979). Mais ce choix n'a pas été fait seulement pour le futur: les règlements, entrés en vigueur le 2 juin 1978, ont accordé les restitutions à partir du 19 octobre précédent, sur demande des intéressés (voir article 6 du règlement no 1127/78). Ainsi le rétablissement des restitutions pour le quellmehl et le gritz a également eu une fonction de dédommagement pour la période du 19 octobre 1977 au 1er juin 1978: en effet, étant donné qu'à la date à laquelle les règlements mentionnés sont entrés en vigueur, cette période appartenait désormais au passé, il n'était plus possible de penser que les restitutions avaient pour fonction spécifique d'aider à la commercialisation de produits agricoles déterminés. Cette circonstance ne nous semble pas démentie par ce qu'affirme l'avant-dernier considérant du règlement no 1125/78, à savoir qu'il convient de donner un effet rétroactif à cette mesure, étant donné que le Conseil a dû respecter les procédures prévues par le traité. En fait, la Commission, qui était défavorable à une application rétroactive (voir le mémoire de la Commission du 4 décembre 1978 dans l'affaire 238/78), était consciente de l'utilisation anormale de l'instrument des restitutions qu'impliquait la rétroactivité des règlements n os 1125 et 1127/78. De toute façon, du fait de l'orientation adoptée, la période écoulée entre la suppression des restitutions pour les deux produits en cause et l'entrée en vigueur de la mesure qui a réintroduit les restitutions a fini par se diviser en deux: du 19 octobre 1977 au 1er juin 1978 les restitutions ont été octroyées rétroactivement; pour la période allant du mois d'août 1974 (pour le quellmehl) et 1975 (pour le gritz) au 19 octobre 1977, la question de la réparation des dommages reste ouverte. L'uniformité des mesures relatives aux deux phases de la période indiquée, pour le passé et pour le futur par rapport aux règlements nos 1125 et 1127/78, aurait été la solution la plus fidèle à l'objectif poursuivi par les arrêts du 19 octobre 1977 et visant à effacer l'illégalité existante: mais une uniformité substantielle est encore possible. Enfin, il existe un aspect de ces arrêts auquel les institutions défenderesses ont attribué une grande importance: le fait qu'il y soit question de porter remède au préjudice éventuellement causé aux intéressés. Le raisonnement des parties défenderesses peut se résumer de la façon suivante. Le préjudice dont les requérantes demandent aujourd'hui le dédommagement est la perte des recettes provenant des restitutions et cette perte est in re ipsa, elle n'a pas un caractère, «éventuel», alors que la Cour a parlé de préjudice «éventuellement» causé, et, partant, a implicitement exclu la possibilité de porter remède à la perte des restitutions. A notre avis, il est excessif de présumer que la Cour, en utilisant l'expression citée ci-dessus, ait voulu prendre position sur le problème du préjudice réparable dans le contexte d'arrêts rendus au terme de procédures préjudicielles, alors que la question de la nature des préjudices n'avait pas encore été approfondie. Il semble plus raisonnable de supposer que les termes adoptés visaient à ne pas anticiper ni préjuger une appréciation qui aurait pu intervenir seulement au moyen d'une procédure appropriée. A part cela, il ne faut pas oublier que l'existence et l'importance du préjudice étaient, à la date des arrêts, des éléments variables, dépendant du choix que le Conseil aurait fait en ce qui concerne le rétablissement de l'égalité de traitement entre l'amidon d'une part et le gritz et le quellmehl d'autre part; si ce rétablissement s'était traduit (comme il était parfaitement possible) par un rétablissement ex tunc des restitutions pour les deux produits injustement sacrifiés, il aurait dû être éventuellement porté remède seulement aux préjudices «ultérieurs». En lisant la phrase «pour rétablir l'égalité de traitement des deux produits en cause et pour porter remède au préjudice éventuellement causé aux intéressés», il ne faut pas oublier en somme que la réalisation intégrale du premier objectif aurait pu absorber le second, ou le rendre marginal. En outre, sur un plan général, il convient de rappeler que, pour l'identification du préjudice indemnisable, d'autres facteurs entrent également en jeu: le préjudice provoqué par un acte normatif communautaire ayant un caractère «tolérable» ou se situant à l'intérieur de limites «raisonnables», l'obligation pour la Communauté de le réparer peut être exclue ou bien il se peut qu'existent des profits capables de compenser la perte subie (ce point sera repris plus tard). En résumé l'examen des arrêts du 19 octobre 1977 permet d'affirmer que:
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On sait que le concept juridique de «préjudice» englobe tant une perte affectant le patrimoine au sens strict, à savoir une diminution du patrimoine de l'intéressé, que l'exclusion d'un accroissement du patrimoine qui aurait eu lieu en l'absence du fait préjudiciable (ces deux possibilités sont respectivement indiquées par les expressions «danno emergente» (perte subie) et «lucro cessante» (manque à gagner). Dans le cas de préjudice dû à un fait illégal extra-contractuel, la violation de la norme lèse l'intérêt protégé par celle-ci — et qui, comme dans le cas d'espèce, coïncide avec un droit subjectif individuel — en même temps que le patrimoine du sujet. La réparation du préjudice tend à mettre le patrimoine de celui qui a subi un dommage dans l'état dans lequel il se serait trouvé en l'absence du fait illégal ou tout au moins dans l'état le plus proche de celui qui aurait été le sien si le fait illégal ne s'était pas produit: le caractère hypothétique de ce rétablissement implique souvent un certain degré d'approximation. Il nous semble opportun de souligner que ces notions générales ne sont pas limitées au domaine du droit civil, mais qu'elles s'appliquent également à la responsabilité des pouvoirs publics, et plus particulièrement à la responsabilité extra-contractuelle communautaire. C'est ainsi par exemple que la Cour a eu à affronter un problème de «lucro cessante» dans l'affaire Kampffmeyer déjà citée du 14 juillet 1967, alors que la question de l'évaluation du préjudice devant donner lieu à réparation a été l'objet d'observations intéressantes faites par la Cour dans l'arrêt du 9 décembre 1965 dans les affaires jointes 29, 31, 36, 39 à 47, 50 et 51/63, SA des laminoirs, hauts fourneaux, forges, fonderies et usines de la Providence et autres (Recueil 1965, p. 1124): on y lit, entre autres, que dans l'évaluation de leur préjudice, les requérantes ont employé la seule méthode possible, consistant à imaginer la situation qui se serait produite (en matière d'achat des ferrailles) si les promesses de parité de transport, qui représentaient le fait dommageable, n'avaient pas été faites par la Haute Autorité. Si nous en venons à la matière des présents recours, il ne faut pas oublier que du fait de la violation du principe d'égalité, le Conseil a lésé l'intérêt — et même le droit — des sociétés requérantes à obtenir le même traitement que les producteurs d'amidon en ce qui concerne l'octroi de restitutions à la production, et, partant, l'intérêt à l'accroissement des patrimoines respectifs, accroissement qui aurait eu lieu si les restitutions n'avaient pas été supprimées dans les Secteurs du quellmehl et du gritz. Il est évident que ce second aspect du préjudice n'aurait aucune importance juridique indépendamment du premier: en d'autres termes, le préjudice porté au patrimoine doit être réparé parce qu'il s'est produit du fait de la lésion d'un droit absolu. Et même si ce préjudice s'identifie au manque à gagner, il entre en ligne de compte du point de vue juridique parce qu'il a comporté en même temps un désavantage économique injuste, un handicap dans la concurrence avec les producteurs d'amidon, qui ont continué à bénéficier de l'aide communautaire. En bref, la disparité de traitement a eu des répercussions économiques et des répercussions sur le patrimoine; s'agissant d'un fait contraire au droit, l'indemnisation y porte remède sur le plan du patrimoine et rétablit ainsi ex post l'équilibre économique. A la lumière du concept de réparation du préjudice que nous avons rappelé il y a peu de temps, l'indemnisation du dommage causé aux requérantes exige, dans les présentes affaires, que l'on cherche à rétablir la situation du patrimoine dans laquelle elles se seraient trouvées entre le 1er août 1974 (pour le quellmehl) ou le 1er août 1975 (pour le gritz) et le 19 octobre 1977 si le Conseil n'avait pas supprimé de façon illégale les restitutions à la production dont elles bénéficiaient. Cette tentative de rétablissement d'une situation qui peut seulement donner lieu à des suppositions a naturellement ses limites: c'est à juste titre que l'arrêt cité du 9 décembre 1965 dans les affaires 29, 31, 36, 39 à 47, 50 et 51/63 a fait observer que «lorsqu'il est nécessaire de considérer une situation qui se serait produite si la faute n'avait pas été commise, le juge doit, tout en exigeant le maximum le justifications, se contenter d'approximations sérieuses …» En l'espèce, il n'est plus possible désormais d'établir comment les requérantes auraient utilisé les sommes qui leur auraient été octroyées à titre de restitutions; il se peut qu'elles les auraient utilisées pour moderniser leurs installations, améliorant ainsi la productivité des entreprises, ou pour fixer des prix de vente à des niveaux plus compétitifs ou pour acheter de plus grandes quantités de matières premières. Suivant le succès ou l'échec de ces initiatives, les patrimoines des entreprises intéressées auraient pu subir des variations imprévisibles, et qu'il n'est plus possible d'évaluer aujourd'hui. Toutefois, une chose est certaine: les ressources financières des producteurs de gritz et de quellmehl ont été inférieures à celles dont ont pu disposer les producteurs d'amidon dont le patrimoine a bénéficié des restitutions à la production pour la période que nous avons indiquée précédemment. Si, par conséquent, il est vrai, comme nous le pensons, que le préjudice subi par les requérantes doit être évalué en relation avec l'intérêt lésé, qui est celui de l'égalité de traitement par rapport aux producteurs d'amidon, la solution juste consiste à mesurer le préjudice en fonction de l'inégalité. Celle-ci est exprimée en termes financiers par le montant des restitutions qui n'ont pas été versées aux producteurs de gritz et de quellmehl, alors qu'elles ont été versées aux producteurs d'amidon. C'est la raison pour laquelle les demandes principales des requérantes, tendant à obtenir ledit montant à titre de réparation des dommages, doivent, à notre avis, être déclarées fondées. Cette solution nous semble conforme aux principes généraux qui s'appliquent aux conséquences du fait illégal extra-contractuel dans les ordres juridiques des États membres. Si, en effet, réparer le dommage signifie verser une somme d'argent équivalente au préjudice subi — et rétablir ainsi, dans toute la mesure possible, la situation modifiée du fait de l'acte illégal — l'unique façon de mettre en oeuvre ce critère en l'espèce est de payer une indemnité correspondant aux restitutions supprimées. Nous ferons en outre observer que c'est le même critère qui a été appliqué par le Conseil lorsque celui-ci a décidé que les règlements nos 1125 et 1127/78 sortiraient leurs effets rétroactivement à la date du 19 octobre 1977: nous avons déjà expliqué précédemment que le paiement de restitutions pour la période antérieure à la date de l'entrée en vigueur de ces règlements ne pouvait être justifié qu'à titre de dédommagement et il ne nous reste plus qu'à souligner que, par cette décision, le Conseil a quantifié l'indemnité à un niveau égal aux restitutions pour les mois écoulés entre le 19 octobre 1977 et le 1er juin 1978. En ce qui concerne ensuite les caractères que doit présenter un dommage pour pouvoir donner lieu à indemnisation, il est facile de constater qu'il s'agit en l'espèce: a) d'un préjudice direct, c'est-à-dire directement causé par l'acte illégal. Le rapport de causalité est évident: la suppression des restitutions pour le quellmehl et le gritz a directement provoqué l'inégalité de traitement par rapport aux producteurs d' et l'absence de perception des restitutions; b) d'un préjudice certain: il est en effet incontestable que les restitutions pour le quellmehl et le gritz n'ont pas été payées à partir respectivement des 1er août 1974 et 1er août 1975 jusqu'au 19 octobre 1977. Le problème de la charge de la preuve ne se pose pas, étant donné que le fait est évident; c) d'un préjudice spécifique: les victimes du préjudice sont les producteurs de quellmehl et de gritz qui avaient droit à l'aide communautaire et qui ont continué à fabriquer l'un ou l'autre produit durant la période (ou une partie de la période) que nous avons mentionnée; d) d'un préjudice grave: c'est ce qui ressort des considérations que nous avons déjà faites au sujet de l'incidence sur les coûts de production des mesures supprimant les restitutions et c'est ce qui est confirmé par les objections mêmes du Conseil relatives à l'importance des paiements qui devraient être effectués pour verser des indemnités équivalentes aux restitutions supprimées. Ce dernier caractère du préjudice permet de maintenir le point de vue selon lequel, en l'espèce, les conditions générales de la responsabilité communautaire du fait d'actes normatifs sont réunies, même si on applique les critères restrictifs adoptés par votre jurisprudence récente. |
10. |
Voyons maintenant comment il est possible de répondre aux arguments que les institutions défenderesses ont soulevé à l'encontre des demandes présentées par les entreprises requérantes. Il nous semble qu'un certain nombre de ces arguments se fondent sur une conception du préjudice différente de celle que nous avons précédemment exposée et que cet aspect constitue en réalité un des points essentiels du litige. En effet, le Conseil et la Commission s'attardent longuement sur les conditions — à leur avis — florissantes de la plupart des producteurs de gritz (notamment des producteurs allemands, belges et hollandais) et des producteurs (allemands) de quellmehl, durant la période au cours de laquelle les aides communautaires n'ont pas été versées: à leur avis, la production et la vente auraient augmenté au lieu de diminuer et la. marge de profit serait restée satisfaisante, de sorte qu'il n'y aurait pas eu de pertes affectant le patrimoine. Or nous savons que seuls les producteurs français de gritz, bien plus certains d'entre eux, demandent à être indemnisés pour une perte subie outre le manque à gagner; à part cela, le préjudice dont toutes les requérantes demandent réparation coïncide avec l'absence de perception des restitutions et celle-ci est en soi un préjudice — comme nous avons essayé de le démontrer précédemment — sans qu'il soit nécessaire qu'elle s'accompagne de pertes de diverse nature affectant le patrimoine. D'autre part, la prétendue capacité des producteurs de gritz et de quellmehl à soutenir la concurrence sans aucun soutien communautaire pourrait justifier une suppression (ou réduction) des aides pour le futur, et éventuellement également une différence de traitement par rapport à l'amidon, au cas où les institutions disposeraient de données suffisantes pour démontrer qu'une telle différence de traitement ne viole pas le principe de non-discrimination; mais, pour le passé, la disparité de traitement par rapport à l'amidon est un fait accompli et les conditions plus ou moins florissantes de l'industrie du gritz et du quellmehl ne peuvent effacer ni cette disparité ni son caractère illégal, lesquels sont à l'origine de l'obligation communautaire de réparer le dommage. La conception du dommage soutenue par le Conseil et la Commission est clairement exprimée lorsque ces institutions nient le fait que la perte des aides communautaires constitue en soi un préjudice pouvant donner lieu à réparation: un dommage de ce genre ne pourrait donner lieu à réparation que dans le cadre du droit privé. Nous sommes parti d'un point de vue opposé parce que nous estimons qu'à cet égard le droit public a puisé dans le droit privé la notion de dommage sans la limiter. Nous avons mentionné en outre le précédent qui existe dans la jurisprudence de la Cour, à savoir l'affaire Kampffmeyer (arrêt du 14 juillet 1967 dans les affaires jointes 5, 7 et 13-24/66): il s'agissait alors des dommages subis par des importateurs à la suite d'une décision illégale de la Commission (qui avait maintenu une mesure de sauvegarde allemande consistant en la suspension de la délivrance de certificats d'importation) et, parmi ces dommages, un certain nombre de requérantes avaient inclu le manque à gagner sur des lots de marchandises qui avaient été achetées et qui n'avaient pas été importées. La Cour n'a absolument pas contesté que ce genre de dommage puisse éventuellement donner lieu à réparation, mais elle a estimé que «le manque à gagner dont la Communauté devrait être considérée comme responsable» ne dépassait pas 10 % de ce que les requérantes auraient payé à titre de prélèvement, et cela parce que le préjudice reposait «sur des éléments de nature essentiellement spéculative». D'autres demandes analogues ont été rejetées parce que les opérations d'importation n'avaient même pas été commencées; les importations ayant été simplement envisagées, le «caractère substantiel» faisait défàut. Comme on le voit, la Cour aurait eu parfaitement la possibilité d'assumer une position de principe contraire à celle consistant à considérer que le manque à gagner ne pouvait donner lieu à réparation; mais elle ne l'a pas fait, bien plus, elle a examiné le problème de l'évaluation de l'importance du dommage, reconnaissant ainsi explicitement que celui-ci aurait pu donner lieu à réparation. Les institutions défenderesses, de leur côté, se sont référées à plusieurs reprises à l'arrêt du 15 juin 1976 dans l'affaire 74/74, CNTA (Recueil 1976, p. 797), dans laquelle la situation était la suivante: un règlement de la Commission avait supprimé avec effet immédiat l'application des montants compensatoires monétaires pour les graines de colza et de navette sans prendre de mesures transitoires; par un arrêt interlocutoire du 14 mai 1975 (Recueil 1975, p. 534) la Cour a déclaré la Commission responsable pour avoir violé le principe de la confiance légitime; les requérantes demandaient à titre de réparation une somme Correspondant aux montants compensatoires auxquels elles auraient eu droit. Cette demande a été rejetée, mais sur la base d'un motif précis, à savoir dans la mesure où il résultait de l'arrêt interlocutoire que la perte pouvant donner lieu à réparation était celle liée au fait que l'intéressé s'était trouvé exposé à un nouveau risque de change contre lequel il pouvait s'estimer protégé par le système des montants compensatoires monétaires (voir attendus 45 et 46 des motifs de l'arrêt interlocutoire et 6 et 7 des motifs de l'arrêt définitif). La Cour avait en fait précisé que le maintien des montants compensatoires ne pouvait être considéré comme assuré aux entreprises et que, par conséquent, la protection à laquelle le requérant pouvait prétendre en raison du principe de la confiance légitime se limitait à le mettre à l'abri de pertes du fait de l'abrogation subite de ces montants. En substance, la réparation du dommage était à juste titre évaluée en fonction de la nature et de la portée du fait illégal: le principe de la confiance légitime avait été violé non pas parce que les montants compensatoires avaient été abolis, mais parce que leur abolition, légale en soi, avait été effectuée selon des modalités telles que le requérant avait été exposé à un risque de change dans les opérations commerciales qu'il s'était déjà engagé à effectuer. La différence par rapport à la situation dont il est question dans les présentes affaires concerne évidemment un point décisif: en l'espèce, l'abolition des restitutions à la production pour le quellmehl et le gritz représente en soi un fait illégal, étant donné qu'il y a eu violation du principe de non-discrimination; si on raisonne logiquement à partir des deux arrêts rendus dans l'affaire CNTA, la réparation du dommage doit être évaluée en fonction de la nature et de la portée du fait illégal, lequel s'identifie cette fois avec l'inégalité créée entre producteurs de gritz et de quellmehl d'une part et producteurs d'amidon d'autre part, pour ce qui est des restitutions qui ont été refusées aux premiers et octroyées aux seconds. Par conséquent, l'affaire CNTA n'offre à notre avis aucun argument valable à opposer à l'encontre du fait que le manque à gagner peut éventuellement donner lieu à réparation. Les institutions défenderesses ont tenté de soutenir que, lorsque la perte porte sur une aide financière accordée sur des fonds publics, il n'est plus question de manque à gagner; cette notion devrait rester liée au phénomène de gain ou de bénéfice commercial, fruit de l'activité exercée par l'entreprise, que celle-ci était en droit d'attendre et qui a été supprimé par suite du fait illégal. D'un point de vue linguistique, une telle restriction du manque à gagner peut également sembler juste; mais cela n'empêche pas que n'importe quelle sorte d'accroissement du patrimoine et particulièrement de gain financier dont le sujet intéressé aurait bénéficié si le fait illégal ne s'était pas produit, rentre dans la notion commune de manque à gagner. Et il existe sur le plan de l'équité de meilleures raisons d'indemniser celui qui a perdu un gain auquel il avait droit (comme en l'espèce, si les institutions avaient respecté le principe d'égalité) plutôt que celui qui a perdu le bénéfice ou le gain normalement lié à son activité. On pourrait discuter — mais le problème présente un intérêt seulement théorique — si le manque à gagner d'une somme qui en principe aurait dû être octroyée doit être qualifiée de «danno émergente» au lieu de «lucro cessante» ou si elle présente des critères «mixtes». D'autre part, le fait de souligner le caractère de subvention publique que présente en l'espèce le gain supprimé risque d'engendrer une équivoque: il ne fait pas de doute que la suppression de subventions publiques accordées sans un engagement de durée pour l'autorité même qui les a octroyées et dans la limite de ses pouvoirs est normalement un fait légal qui ne comporte aucune indemnité de quelque espèce que ce soit; mais il ne faut pas oublier que dans les cas dont il est question maintenant la suppression a constitué un fait discriminatoire, illégal dans la mesure où elle a donné lieu à une inégalité, et que le droit à réparation naît de la violation du droit à l'égalité de traitement. Les institutions défenderesses ont soulevé deux autres objections, qu'elles ont réaffirmées à plusieurs reprises, et qui s'opposeraient à ce que la demande principale des requérantes soit déclarée fondée: en premier lieu, une indemnisation d'un montant équivalant aux restitutions qui n'ont pas été versées serait en réalité une mesure rétroactive de paiement des restitutions, mesure qui n'a absolument pas été imposée aux institutions communautaires par les arrêts du 19 octobre 1977; en second lieu, un paiement ex post altérerait la fonction propre des restitutions, qui est celle d'un stimulant et d'une aide à l'écoulement de produits déterminés, mais qui ne peut pas être considérée comme l'octroi d'un bénéfice commercial. L'examen de ces deux arguments nous force à revenir sur ce que nous avons déjà dit; nous essayerons de le faire brièvement. Il est exact que les arrêts du 19 octobre 1977 n'ont pas établi une obligation à la charge des institutions communautaires de verser rétroactivement les restitutions aux producteurs de quellmehl et de gritz; toutefois, elles ont imposé à ces mêmes institutions le devoir de prendre les mesures nécessaires pour remédier à la situation d'incompatibilité avec le principe d'égalité existant à partir du moment où les restitutions ont été supprimées, de façon à effacer le fait illégal. Étant donné que les producteurs d'amidon avaient bénéficié d'une aide communautaire sans interruption, l'égalité par rapport à ces derniers pouvait être rétablie, pour le passé, seulement de deux façons: en rétablissant les restitutions ex tune ou en réparant le dommage. Le Conseil a déjà donné au rétablissement des restitutions un effet rétroactif limité, comme nous l'avons noté précédemment: il lui reste à réparer le préjudice causé aux requérantes pour la période antérieure au 19 octobre 1977. La correspondance entre le montant du taux minimum d'indemnisation et le montant des restitutions non versées n'exclut pas que la cause et la nature du paiement soient différentes; en pratique cette différence se manifeste notamment par le fait que le rétablissement des restitutions ex tune aurait exigé un règlement, alors que maintenant il s'agit de mesures spécifiques d'indemnisation; d'autre part il est possible que certaines entreprises aient droit à des sommes supérieures, parce qu'elles ont subi des dommages ultérieurs. En tout état de cause, il est absolument normal, quand le fait illégal non contractuel consiste dans le défaut de versement de sommes dues, que l'indemnisation coïncide avec le paiement des sommes en question. Ces considérations facilitent la réponse à donner à la seconde objection à laquelle nous avons fait référence précédemment. S'il est vrai que la solution, actuellement, ne consiste pas à payer des restitutions à titre rétroactif, il est inutile d'objecter qu'un paiement à ce titre est en contradiction avec la fonction propre des restitutions. D'autre part, c'est précisément ce critère qui nous a donné l'occasion de mettre en évidence le fait que le rétablissement rétroactif des restitutions décidé par le Conseil dans ses règlements nos 1125 et 1127 de 1978 pour la période allant du 19 octobre 1977 au 1er juin 1978 avait la nature d'une indemnisation. |
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La ligne de défense des institutions communautaires comporte encore un point important sur lequel il nous semble nécessaire de nous attarder. Nous nous référons au point de vue selon lequel il faudrait établir si les producteurs de gritz et de quellmehl ont répercuté — ou ont eu la possibilité de répercuter — sur la clientèle, au moyen d'augmentations de leurs prix de vente, les pertes subies du fait du défaut de paiement des restitutions: dans l'affirmative, elles soutiennent qu'il n'y aurait plus lieu à indemnisation du dommage (ou tout au moins que celle-ci devrait être réduite dans la mesure où la perte serait compensée par une augmentation des recettes dues à l'augmentation des prix). Nous ferons observer avant tout qu'il y a une différence entre soutenir — comme le fait le Conseil dans les affaires introduites par les producteurs français de gritz — qu'il y a eu répercussion du manque à gagner sur les prix et se limiter à affirmer qu'une telle répercussion aurait été possible (c'est là généralement la position du Conseil dans les affaires introduites par les producteurs allemands, belges et hollandais). Il s'agit en réalité de deux thèses différentes et la diversité existant entre elles influe sur la recherche des principes de nature à les justifier dans le cadre de la réglementation de la responsabilité extra-contractuelle de la Communauté. Une répercussion effective pourrait annuler, ou réduire, le montant du dommage pouvant éventuellement donner lieu à réparation, si on pouvait appliquer le principe de la compensation entre le préjudice et l'avantage éventuel nés du même fait illégal (compensatio lucri cum danno). Or, en l'espèce, l'avantage prétendument lié à l'augmentation des prix ne pourrait jamais être considéré comme ayant sa cause dans la suppression des restitutions à la production: il est en réalité le fruit d'une décision autonome des producteurs. En d'autres termes: la compensation du dommage par le gain présuppose que tous deux sont les conséquences immédiates, automatiques, du fait illégal, alors qu'en l'espèce l'abolition de l'aide communautaire n'a directement donné lieu à aucun profit dans le chef des victimes du dommage. Le Conseil n'a pas examiné ce problème de principe, mais s'est référé aux affaires jointes Bayerische HNL et autres, dans lesquelles se posait également un problème de répercussion du dommage sur la clientèle. Effectivement, dans les conclusions que nous avons prononcées le 1er mars 1978 dans ces affaires, nous avons estimé important, pour déterminer l'indemnisation, d'établir s'il y avait eu répercussion de l'augmentation des coûts des fourrages sur les prix de vente pratiqués par les éleveurs (comme les prix des poussins et des oeufs par exemple). Toutefois, la situation était complètement différente: étant donné qu'il s'agissait du dommage provoqué par l'obligation d'acheter du lait en poudre, que la Communauté avait imposée aux importateurs et aux producteurs d'aliments pour animaux, le dommage indirect que faisaient valoir les éleveurs, dans la mesure où ils étaient acheteurs d'aliments pour animaux, en raison de l'augmentation du coût de ces derniers, aurait été en réalité supporté par leurs clients, si les prix de vente des produits de l'élevage avaient été augmentés en fonction de l'augmentation des prix des aliments pour animaux. De toute façon, la question n'a pas été approfondie et elle n'a eu aucune incidence sur la décision de la Cour. Quant à l'idée selon laquelle la réparation serait exclue du fait de la simple possibilité de répercuter les dommages subis sur la clientèle, on pourrait songer à la ramener à un autre principe: celui en vertu duquel le préjudice, qu'une conduite diligente de la part de la victime du dommage aurait permis d'éviter, ne pourrait donner lieu à réparation. Toutefois il ne faut pas oublier qu'en l'espèce le préjudice a consisté dans un manque à gagner et s'il est vrai que les victimes de ce préjudice pouvaient, dans une certaine mesure, compenser l'incidence sur leur patrimoine de ce préjudice, en augmentant leurs autres recettes, ils n'étaient certainement pas en mesure d'éviter, par leur diligence, que le gain dont ils bénéficiaient soit supprimé. En outre, on peut douter que la répercussion sur la clientèle du dommage, résultant de la suppression d'une aide publique, rentre dans le cadre de la «diligence ordinaire» d'un producteur. Il ne faut pas oublier que les entreprises agissent selon la logique du profit et sur la base des conditions de marché. Cela signifie que, si le marché le permet, elles ont tendance à fixer des prix de nature à assurer des bénéfices plus élevés et, réciproquement, si le marché n'autorise pas d'augmentations des prix, elles doivent s'en abstenir, même si elles y étaient disposées parce qu'elles ont subi le préjudice résultant d'un manque à gagner. C'est la raison pour laquelle il serait injuste de considérer comme un principe de diligence l'obligation pour un producteur d'augmenter ses prix de vente lorsqu'une aide financière publique cesse de lui être versée: dans de nombreux cas, une décision de ce genre pourrait constituer une grave erreur commerciale. La complexité des facteurs qui déterminent les oscillations des prix rend également difficile de distinguer, en matière d'augmentations des prix, celles qui peuvent être précisément considérées comme des «répercussions» d'une incidence négative subie par l'entreprise sur son patrimoine. Pour lier une augmentation au préjudice qu'elle serait censée (à titre d'hypothèse) réduire, il faudrait disposer d'éléments de nature à démontrer que l'augmentation n'aurait pu intervenir pareillement, à des fins purement spéculatives, en l'absence de tout préjudice dérivant d'un fait illégal. De plus, l'augmentation ne devrait pas correspondre à un accroissement des coûts (par exemple, le coût de la main-d'œuvre ou des matières premières); sinon le profit de l'entreprise ne serait pas augmenté et le préjudice ne serait pas compensé. Ces difficultés apparaissent clairement sur le terrain des preuves. A cet égard, nous ferons observer que les opinions auxquelles nous venons de nous référer se différencient des objections précédemment analysées, dans la mesure où elles ne représentent pas une négation radicale du droit à une indemnisation équivalant au manque à gagner provenant de la perte des restitutions, mais présupposent que les requérantes ont droit à une telle indemnisation et y opposent une circonstance (l'augmentation ou la possibilité d'augmentation des prix de vente) capable de réduire ou même d'annuler le montant du dommage pouvant donner lieu à réparation. Sur le plan de la procédure, opposer à la demande en indemnisation une des opinions en question signifie soulever une exception; par conséquent, la charge de la preuve incombe à celui qui la formule. Or, dans les affaires introduites par les producteurs français de gritz, le Conseil a indiqué une série de chiffres relatifs aux augmentations des prix, mais il n'a pas prouvé que ces augmentations avaient été déterminées par la suppression des restitutions ni qu'elles avaient entraîné un bénéfice pour les requérantes (lesquelles, de leur côté, ont fourni des données destinées à contester l'un et l'autre point). Il faut également prendre en considération le fait que, dans cette affaire, le Conseil conteste les dommages plus élevés dont se plaignent les requérantes et qu'on ne sait pas jusqu'à quel point ces arguments sont destinés à corroborer cette contestation ou bien la thèse de la répercussion du dommage sur les prix de vente. Il est encore moins facile de démontrer que dans les autres cas existait la possibilité de répercuter sur la clientèle le dommage correspondant à la cessation de versement des restitutions: la discussion qui s'est déroulée à ce sujet entre les parties n'a pas, à notre avis, permis de parvenir à aucune conclusion solide. En résumé, par conséquent: les justifications de principe valables permettant de considérer la réparation comme étant exclue, ou réduite, par suite de la répercussion, effective ou possible, sur les prix de vente, du préjudice consistant dans un manque à gagner des producteurs font défaut; de toute façon, en l'espèce, la partie à qui il aurait appartenu de prouver de telles circonstances n'en a fourni aucune démonstration convaincante. Les considérations qui viennent d'être exposées et les conclusions auxquelles elles ont conduit servent également à confirmer le point de vue selon lequel l'accroissement éventuel des profits des entreprises lésées par la suppression des restitutions ne peut être juridiquement considéré comme un facteur de réduction ou d'annulation du préjudice causé par la suppression en question. Un profit plus élevé peut découler de la capacité des intéressés à organiser plus rationnellement la production et la vente, le cas échéant en réduisant les coûts, et à réussir ainsi à maintenir les marges de profit ou même à les accroître, en dépit de la perte des aides communautaires supprimées de façon illégale. Admettre (en dehors de toute règle juridique) la compensation entre une telle perte et l'accroissement des profits des entreprises équivaudrait à reconnaître à l'auteur du fait illégal un avantage en vertu de l'initiative et de l'habileté de celui qui a subi le dommage. Nous répétons que les conditions florissantes de certains producteurs de gritz et de quellmehl, en dépit de la suppression temporaire de l'aide communautaire, pourraient servir à démontrer que cette aide était superflue; mais ce point n'est pas pertinent ici, étant donné que la Cour a jugé qu'il était nécessaire de remédier à la disparité de traitement par rapport aux producteurs d'amidon et étant donné que le Conseil a réintroduit pour le futur le régime des restitutions pour le gritz et le quellmehl. C'est la raison pour laquelle la solution du problème de la réparation du dommage, qui fait l'objet des présentes affaires, doit faire abstraction des résultats éventuellement positifs de la gestion des entreprises requérantes au cours de la période pendant laquelle l'aide financière de la Communauté n'a plus été versée. |
12. |
Nous avons rappelé au début que certaines des entreprises françaises productrices de gritz ont demandé, outre l'indemnisation correspondant à l'inégalité de traitement par rapport aux producteurs d'amidon pour le manque à gagner résultant de la suppression des restitutions à la production, également l'indemnisation «des autres éléments du préjudice découlant du non-rétablissement de cette restitution». Il s'agit précisément des sociétés Dumortier et Maïseries du Nord (affaires 64 et 113/76) qui affirment avoir dû réduire leur production et vendre à des prix qui n'étaient pas rémunérateurs, et avoir perdu malgré cela une partie de leur clientèle; de la société Moulins et Huileries de Pont-à-Mousson (affaire 167/68) qui aurait été contrainte de licencier de nombreux employés, ce qui l'a obligée à supporter les frais de liquidation des indemnités y relatives et à cesser la production de gritz; de la société Costimex (affaire 27/79), qui se plaint d'avoir dû fermer son usine de Valenciennes; de la société Maïseries alsaciennes (affaire 45/79), dont les difficultés financières ont rendu nécessaire le licenciement de tout le personnel, le dépôt du bilan et la cessation de son activité. Le Conseil a contesté ces demandes d'indemnisation supplémentaire, brossant un tableau dans l'ensemble positif de la situation économique des producteurs français de gritz et indiquant, en rapport avec nombre des difficultés dont les requérantes se sont plaintes, des causes autres que la suppression de la restitution au cours de la période que nous connaissons (comme la mauvaise gestion, la vétusté des installations ou la concurrence de produits de fabricants étrangers jouissant d'une position géographique favorable). Le fait que les demandes d'indemnisation en question s'ajoutent aux demandes d'une indemnisation équivalente au manque à gagner par suite de la suppression des restitutions pose un problème de compatibilité entre les premières et les secondes. Comme nous l'avons précédemment expliqué, le versement à titre d'indemnisation d'un montant correspondant aux restitutions non perçues tend à porter remède à la disparité illégale existant entre producteurs d'amidon d'une part et producteurs de gritz et de quellmehl d'autre part, et, partant, à remédier au handicap dans la concurrence qui a pesé sur ces deux dernières catégories. Or, l'indemnisation des «autres éléments du dommage» demandée par les entreprises qui viennent d'être indiquées servirait à remédier à certains aspects de la disparité en question (par exemple, au détournement de la clientèle vers les producteurs d'amidon, dont se sont plaintes les entreprises Dumortier et Maïseries du Nord et qui est manifestement dû au fait que le produit concurrent convient mieux) ou à certaines de ses conséquences (diminution de la liquidité financière, nécessité de réduire le personnel, cessation d'activité, etc.). Si tel est le cas, il y a lieu de considérer que l'indemnisation au titre de ces «éléments du dommage» ne peut être cumulée avec l'indemnisation au titre du défaut de perception des restitutions, parce que, s'il en était autrement, le même préjudice finirait par être indemnisé deux fois. En réalité, cette indemnisation est destinée à couvrir toutes les pertes de chaque entreprise liée à la diminution des liquidités financières ou, de toute façon, dérivant de l'inégalité de traitement par rapport aux producteurs d'amidon, pertes qui, dans leur ensemble, sont inférieures au montant des restitutions non perçues. C'est seulement au cas où une entreprise aurait subi des pertes supérieures à ce montant qu'une demande supplémentaire en dommages-intérêts, visant à obtenir l'équivalent de la différence entre le préjudice provoqué par la suppression de la restitution et l'indemnisation correspondant aux restitutions non perçues, peut, à notre avis, être justifiée. Il ne servirait à rien de faire observer à l'encontre de cette opinion que la perte subie et le manque à gagner sont normalement cumulables. Le critère du cumul vaut, en effet, pour le manque à gagner entendu comme une absence de profit résultant d'une activité commerciale (ou professionnelle); mais en l'espèce nous savons que la notion de manque à gagner a été entendue et appliquée dans son sens plus large de défaut de recouvrement d'une rentrée d'argent et que ce défaut de recouvrement concernait une aide financière communautaire destinée à soutenir les fabricants de gritz et de quellmehl en renforçant leur capacité compétitive. C'est la raison pour laquelle le versement par les institutions communautaires d'une indemnité équivalente aux aides supprimées pour un certain temps serait une forme de réparation de nature à couvrir également le montant correspondant des dommages liés à l'affaiblissement de la capacité compétitive des entreprises intéressées. Il est possible que des dommages plus importants, susceptibles d'être indemnisés, aient été causés; toutefois, il ne nous semble pas admissible d'additionner un montant équivalant au montant de la restitution et un autre montant destiné à réparer tous les «éléments du dommage» auxquels se réfèrent les producteurs français de gritz déjà mentionnés. Cela admis, il nous semble indiscutable que la preuve des dommages plus élevés était à la charge des cinq entreprises intéressées et qu'il incombait également à ces dernières de démontrer le lien de causalité existant entre la suppression des restitutions et ces dommages plus élevés. En effet, les requérantes ont fourni une série d'éléments et d'indications; de son côté, le Conseil a soulevé de nombreuses contestations et fourni d'autres données. Toutefois ce débat est resté, à notre avis, sur un plan trop général: la discussion a porté sur les circonstances qui peuvent expliquer les difficultés particulières des producteurs de gritz situés dans le Nord de la France, où se trouvent d'importantes fabriques d'amidon, et en Alsace, où la concurrence allemande se fait sentir de plus près; sur la propension traditionnelle et inchangée, suivant le Conseil, des brasseurs français à utiliser le gritz, contrairement à la thèse faisant état d'une plus grande consommation d'amidon au cours de la période en question; sur la signification des augmentations du prix de gritz pratiqué depuis 1975 par les entreprises requérantes (en tentant d'établir si, ou dans quelle mesure, ces augmentations ont été seulement une conséquence de l'augmentation du coût de la matière première); enfin sur le développement global des ventes du gritz en France. Ainsi le thème de la condition générale des producteurs de gritz après la suppression des restitutions, celui de la répercussion du manque à gagner sur les prix de vente et, enfin, celui, spécifique, des pertes subies par les cinq entreprises qui voudraient être indemnisées des dommages ultérieurs, se sont trouvés entrelacés et confondus. Par contre, ce que ces entreprises auraient dû — et ce qu'à notre avis elles n'ont pas réussi — à faire était lier de façon précise les indications et les éléments fournis avec les chiffres qui figurent dans leurs conclusions à titre d'indemnisation pour les autres éléments du dommage et vaincre les objections du Conseil quant aux causes de leurs difficultés. En bref, la causalité n'a pas été suffisamment démontrée et la quantification du dommage n'est pas apparue convaincante. Même dans le cas où un certain nombre de faits sont incontestés et pourraient, du fait de leur importance, constituer effectivement la base d'une demande en dommages-intérêts plus large, la question fondamentale du lien de causalité est restée dans le vague. Nous nous référons, en particulier, à la cessation de l'activité productrice de la société Moulins & Huileries de Pont-à-Mousson (affaire 167/78), durant le mois de mai 1978, à la fermeture de l'usine de Valenciennes de la société Costimex (affaire 27/79), au dépôt de bilan effectué en septembre 1976 par la société Maïseries alsaciennes (affaire 45/79): dans quelles mesures ces événements ont-ils été l'effet de la suppression des restitutions? Les affirmations des requérantes n'ont pas été corroborées par des expertises techniques et le Conseil a eu beau jeu d'objecter que la première des sociétés mentionnées avait des installations vétustes, qu'elle n'avait pas modernisées à temps, que la fermeture de l'usine de Valenciennes avait été un épisode normal dans le cadre de la restructuration de l'entreprise (comme le démontrerait le fait qu'une autre usine de la même société a plus que doublé sa production pendant la même période) et qu'enfin le dépôt de bilan de la société Maïseries alsaciennes doit être attribué à une politique d'investissements effectués à tort par cette société ainsi qu'aux difficultés financières qui en ont découlé. Naturellement, les sociétés intéressées ont répliqué, mais, à notre avis, le moins que l'on puisse dire est que la confrontation des deux points de vue opposés n'a pas abouti à des résultats précis et certains. Dans ces conditions, la Cour pourrait purement et simplement donner acte de ce que l'existence de dommages ultérieurs, provoqués par la suppression des restitutions, n'a pas été prouvée par les entreprises intéressées. Nous pensons du reste qu'il est juste de tenir compte de la difficulté objective de la preuve et du fait que les mêmes requérantes ont demandé à la Cour (tout au moins dans les affaires 64 et 113/76, 27 et 45/79) d'ordonner une expertise aux fins de l'évaluation du dommage. Nous ajouterons que, si les intéressés se voient accorder la possibilité de compléter la documentation produite et de préciser leurs prétentions avant l'expertise, elles auront également l'avantage de connaître entre-temps dans quelle mesure la Cour estime les demandes d'indemnisation pour manque à gagner du fait de la suppression des restitutions compatibles avec les demandes d'indemnisation pour des dommages ultérieurs. Il convient donc à notre avis que votre décision apporte une solution à ce point de principe et accorde ensuite aux entreprises requérantes les possibilités que nous avons mentionnées — à condition qu'un accord sur le montant global des réparations ne soit pas directement conclu entre elles et le Conseil, à l'intérieur d'un délai à fixer — en vue d'une expertise destinée à clarifier l'origine des éléments du préjudice dont se plaignent les entreprises requérantes (s'ils s'avèrent réellement existants) et à en faire une évaluation monétaire précise. |
13. |
Les recours introduits par les producteurs de quellmehl soulèvent un problème particulier, concernant les limites des restitutions qui leur seraient revenues si le Conseil avait respecté le principe de l'égalité de traitement par rapport aux producteurs d'amidon, restitutions qui représentent, comme on le sait, l'élément de référence pour calculer le montant de la réparation du dommage qui est aujourd'hui demandée. En effet, les sociétés Ireks-Arkady, Interquell Staerke-Chemie et Diamalt (affaires 238/78, 261/78 et 262/78) ont évalué la réparation du dommage par rapport aux quantités de quellmehl destinées à l'alimentation humaine, alors que l'entreprise Interquell voudrait être indemnisée dans une mesure qui inclut également le quellmehl utilisé pour l'alimentation des animaux. En vue de mieux illustrer les données du problème, il convient de rappeler que, d'une part, dans son dispositif, l'arrêt du 19 octobre 1977 dans les affaires jointes 117/76 et 16/77 a déclaré contraire au principe d'égalité la disparité de traitement entre le quellmehl et l'amidon gonflé sans distinguer entre les diverses utilisations du quellmehl et que d'autre part les règlements du Conseil nos 1125 et 1127/78 du 22 mai 1978 ont réintroduit la restitution à la production pour le maïs et le blé tendre utilisés pour la fabrication d'amidon et de quellmehl destinés à la panification. A ce propos, nous observerons tout d'abord que l'orientation choisie par le Conseil lorsqu'il a réintroduit les restitutions pour le futur ne peut avoir d'incidence directe sur le problème des limites de l'indemnisation pour manque à gagner du fait de la suppression des restitutions: c'est l'arrêt du 19 octobre 1977 qui doit fournir les critères destinés à résoudre ce problème, étant donné que l'indemnisation sert à remédier à la violation du principe d'égalité et doit donc être évaluée en fonction de l'importance de cette violation. L'intérêt des règlements cités est plutôt dans le fait qu'ils reflètent l'interprétation de l'arrêt en question donné par le Conseil: en effet nous avons déjà eu l'occasion d'observer que les second et troisième considérants du règlement no 1125/78 se réfèrent à l'arrêt de la Cour et déclarent que l'octroi d'une restitution à la production pour les produits en cause constitue un moyen pour se conformer aux conclusions de la Cour. Dans les considérants des deux règlements du 22 mai 1978, la référence à la «possibilité de substitution dans le secteur de la boulangerie entre l'amidon et le quellmehl» (1er considérant du règlement no 1127/78) et au fait que «l'amidon peut se trouver en compétition directe avec le quellmehl destiné à la panification» (1er considérant du règlement no 1125/78) est également explicite. Un élément important pour la solution du problème est l'arrêt récent de la Cour dans l'affaire 90/78, Granaria, du 28 mars 1979. Vous vous rappellerez que la société Granaria, productrice de quellmehl, après avoir demandé en vain au Conseil et à la Commission le versement des restitutions à la production pour la période postérieure au 1er août 1974, a assigné les deux institutions devant la Cour, présentant en même temps un recours en carence et un recours en indemnité. L'arrêt rendu a déclaré le premier recours irrecevable et a rejeté le second pour défaut de preuve quant au fait que le quellmehl avait été «utilisé aux fins visées par ce régime» (des restitutions). Dans ses motifs, la Cour a examiné l'arrêt rendu le 19 octobre 1977 dans les affaires jointes nos 117/76 et 16/77, étant donné qu'il s'agissait d'en établir la portée exacte et elle l'a interprété en ce sens que le «principe d'égalité n'est violé au préjudice des producteurs de quellmehl que dans l'hypothèse où celui-ci est utilisé aux fins qui sont traditionnellement les siennes dans l'alimentation humaine». La Cour a ajouté qu'au cours de la procédure dans l'affaire en question, les parties n'avaient apporté aucun élément nouveau qui pourrait modifier cette appréciation. La société Interquell Staerke-Chemie, partie requérante dans l'affaire 261/78, a maintenant produit une documentation tendant à prouver que l'amidon gonflé et le quellmehl seraient interchangeables pour la fabrication de certains aliments pour animaux; en particulier, elle s'est référée à l'avis d'un expert, le professeur Herman Zucker, du 29 mars 1979 qui affirme que les deux produits sont interchangeables et qu'ils ont été utilisés concurremment dans le secteur des aliments pour animaux entre 1974 et 1977. Toutefois, la Commission a répliqué que ces affirmations ne réussissaient pas à démontrer qu'il y avait eu effectivement une large consommation d'amidon dans le secteur indiqué. Ensuite, à propos d'une lettre de la confédération de l'industrie allemande des aliments pour animaux, contenue dans la documentation produite par la requérante, la Commission a fait observer qu'elle s'était limitée à insérer l'amidon de maïs parmi les produits dont la présence était autorisée dans les aliments pour animaux. Enfin le Conseil et la Commission ont soutenu qu'également des amidons de type différent de celui produit à partir du maïs étaient utilisés dans l'alimentation animale; à cet égard, étant donné qu'il s'agit de produits différents de celui qui bénéficie du régime des restitutions, l'éventuel rapport de concurrence avec le quellmehl ne servirait pas à démontrer que le dernier produit a droit à l'aide communautaire même s'il est destiné à l'alimentation animale. Pour parvenir à des conclusions satisfaisantes sur ce problème, il serait nécessaire que la Cour ordonne une expertise destinée à établir non seulement si et dans quelle mesure l'amidon de maïs a été utilisé dans l'alimentation animale entre 1974 et 1977, mais également quel a été le degré effectif d'interchangeabilité entre l'amidon et le quellmehl, du point de vue de la convenance économique et de l'aptitude technique (le Conseil a fait valoir entre autres que l'amidon ne peut être utilisé comme aliment pour le bétail si on n'y ajoute pas d'autres éléments nutritifs, à la différence du quellmehl). Toutefois, nous estimons qu'on doit opposer à l'encontre de la demande de la société Interquell Staerke-Chemie un autre ordre de considérations. Nous avons déjà observé que le montant de l'indemnisation doit être mesuré par rapport à l'importance du fait illégal, tel qu'il a été déterminé par l'arrêt du 19 octobre 1977; en effet, nous avons vu précédemment que la question de la constatation de l'illégalité ne se trouve pas rouverte dans les présentes affaires, mais que les constatations faites par la Cour dans l'arrêt en question servent ici de postulat. D'autre part, la Cour, interprétant ce même arrêt dans sa décision dans l'affaire 90/78, Granaria, a estimé entre autres que le régime des restitutions pour le quellmehl avait pour but de soutenir ce produit dans la mesure où il est utilisé pour l'alimentation humaine (c'est ce qui résulte clairement de l'attendu 10 déjà cité). Nous noierons entre parenthèses que cette interprétation coïncide avec celle qui ressort du troisième considérant du règlement no 1125/74, au terme duquel «la restitution à la production pour le quellmehl a initialement été octroyée pour favoriser la destination de ce produit à certaines utilisations spécifiques dans le domaine de l'alimentation humaine, compte tenu des possibilités éventuelles de concurrence avec certains autres produits». Or, s'il est vrai que le quellmehl bénéficiait de l'aide communautaire en fonction du but mentionné, le problème de l'égalité de traitement avec l'amidon et le problème de l'éventuelle discrimination n'a pas de raison de se poser pour le quellmehl destiné à l'alimentation animale: le produit destiné à une telle utilisation, se situant en dehors de l'économie du régime des restitutions, n'aurait sans doute pu prétendre à un traitement assimilé à celui de l'amidon, indépendamment des utilisations de ce dernier. Il ne servirait non plus à rien d'opposer que, jusqu'au 1er août 1974, les restitutions étaient versées en fait pour toutes les quantités de quellmehl produites; n'oublions pas qu'à partir de cette date le Conseil a supprimé les restitutions (et a tenté par la suite de justifier cette mesure en se référant également à une plus grande utilisation du quellmehl comme aliment pour le bétail), ni que nous discutons aujourd'hui de l'indemnisation du dommage provoqué par la violation du principe de l'égalité ni enfin que la Cour n'a pas estimé que la suppression des restitutions pour le quellmehl destiné à l'alimentation animale constituait une inégalité de traitement illégale, étant donné l'interprétation limitative adoptée en ce qui concerne le rôle du régime des aides communautaires. Il reste à aborder la question commune aux affaires 238, 261 et 262/78, à savoir si l'indemnisation doit être évaluée par rapport aux quantités de quellmehl utilisées pour l'alimentation humaine ou limitées aux quantités utilisées pour la panification (selon l'orientation adoptée par les règlements nos 1125 et 1127/78). Pour nous, il semble que si la solution doit dépendre de la détermination des limites du fait illégal telle qu'on peut la déduire des arrêts du 19 octobre 1977, en s'aidant de l'interprétation donnée par l'arrêt du 28 mars 1979 dans l'affaire Granaria, il est juste de pencher pour la thèse la plus large. En effet les deux arrêts se réfèrent au quellmehl utilisé «pour l'alimentation humaine» (attendu 9 des motifs dans l'un et l'autre arrêt). C'est la raison pour laquelle il faut considérer comme donnant lieu à réparation également le préjudice consistant dans le manque à gagner du fait de la suppression des restitutions pour le quellmehl destiné à l'alimentation humaine éventuellement autre que la panification. |
14. |
Nous concluons en proposant à la Cour qu'elle statue de la façon suivante sur les recours présentés conformément aux articles 178 et 215 du traité CEE par les entreprises productrices de quellmehl et de gritz (affaires jointes 64 et 113/76, 167 et 239/78, 27, 28 et 45/79; affaire 238/78; affaires réunies 241, 242, 245 à 250/78 et affaires jointes 261 et 262/78):
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