Vu la procédure suivante
:
Par une requête, enregistrée le 12 avril 2024, Mme C D, représentée par
Me Elsaesser, demande au juge des référés :
1°) de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) de suspendre, sur le fondement des dispositions de l'article
L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de la décision du 5 avril 2024 par laquelle le président du conseil régional du Grand Est lui a refusé une bourse régionale d'études ;
3°) d'enjoindre, à titre principal, au président du conseil régional du Grand Est de lui attribuer une bourse régionale d'études pour l'année 2023-2024, dans le délai de huit jours à compter de la notification de la présente ordonnance, sous une astreinte de 500 euros par jour de retard ;
4°) d'enjoindre, à titre subsidiaire, au président du conseil régional du Grand Est de réexaminer sa situation dans un délai de huit jours à compter de la notification de la présente ordonnance, sous une astreinte de 500 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de la région Grand Est une somme de 2 000 euros hors taxes au bénéfice de son conseil en application des dispositions des articles
L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la condition d'urgence est remplie ;
- la signataire de la décision contestée ne disposait d'aucune délégation de compétence ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- le président du conseil régional du Grand Est n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation personnelle ;
- la décision contestée est entachée d'erreurs de droit ;
- elle est entachée d'une erreur dans l'appréciation de sa situation ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 avril 2024, le président du conseil régional du Grand Est conclut au rejet de la requête.
Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que Mme D ne fait état d'aucun moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la légalité de sa décision.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de l'éducation ;
- la délibération de la commission permanente du conseil régional du Grand Est n° 22CP-2044 du 18 novembre 2022, approuvant le règlement d'attribution des bourses d'études dans le secteur sanitaire et social ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné M. A pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique, tenue le 17 avril 2024, en présence de
Mme Adjacent, greffière d'audience :
- le rapport de M. Stéphane Dhers,
- les observations de Me Elsaesser, avocate de Mme D qui a repris les moyens et les éléments exposés dans sa requête et précisé que la décision par laquelle la préfète du Bas-Rhin a implicité refusé de lui délivrer un titre de séjour à compter du début de l'année universitaire 2022-2023 a été retirée ;
- les observations de M. B, représentant le conseil régional du Grand Est qui a confirmé que la décision litigieuse portait sur l'année universitaire 2023-2024.
Le juge des référés a indiqué que l'instruction était close à l'issue de l'audience publique, conformément à l'article
R. 522-8 du code de justice administrative.
Considérant ce qui suit
:
1. Mme D, ressortissante bosniaque née le 7 mars 2004, est entrée en France en août 2017. Depuis la rentrée de 2022, elle est élève à l'institut de formation en soins infirmiers de Haguenau, qui relève du secteur public, et a été admise en deuxième année de ce cursus. Elle a demandé à la région Grand Est de lui octroyer une bourse pour financier ses études. Par une décision du 18 septembre 2023, le président du conseil régional a refusé de faire droit à sa demande au motif que la formation suivie n'était " pas financée par la Région ". Elle a formé un recours contre cette décision le 15 novembre 2023, notifié le 20 novembre suivant, qui a été implicitement rejeté. Par une ordonnance du 22 mars 2024, le juge des référés a suspendu l'exécution de ces décisions et a enjoint au président du conseil régional de la région Grand Est de réexaminer la situation de Mme D. Par une décision du 5 avril 2024, ce dernier a refusé de lui octroyer une bourse d'études au motif qu'elle ne justifiait pas être en situation régulière sur le territoire français lors du début de sa formation. La requérante sollicite la suspension de l'exécution de cette décision.
Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
2. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'admettre Mme D à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Sur les conclusions à fin de suspension :
3. D'une part, aux termes de l'article
L. 4383-4 du code de la santé publique : " La région est compétente pour attribuer des aides aux élèves et étudiants inscrits dans les instituts et écoles de formation autorisés en application de l'article
L. 4383-3. La nature, le niveau et les conditions d'attribution de ces aides sont fixés par délibération du conseil régional () ". Aux termes de l'article
L. 4383-5 de ce code : " La région a la charge du fonctionnement et de l'équipement des écoles et instituts mentionnés à l'article
L. 4383-3 lorsqu'ils sont publics. Elle peut participer au financement du fonctionnement et de l'équipement de ces établissements lorsqu'ils sont privés () ". Aux termes de l'article
D. 4383-1 du même code : " Le barème des aides mentionnées à l'article
L. 4383-4 accordées sous forme de bourses d'études comporte, d'une part, des échelons auxquels correspondent des plafonds de ressources minimaux et, d'autre part, une liste de points de charges minimaux de l'élève ou de l'étudiant. A chaque échelon correspond un taux minimum exprimé en euros. Les taux minimaux des échelons, les plafonds de ressources minimaux, ainsi que la liste des points de charge minimaux de l'élève ou de l'étudiant sont déterminés par référence à ceux fixés par le ministre chargé de l'enseignement supérieur en application de l'article
D. 821-1 du code de l'éducation () ". Aux termes du 2 du règlement d'attribution des bourses d'études dans le secteur sanitaire et social, dans sa version approuvée par la délibération de la commission permanente du conseil régional Grand Est n° 22CP-2044 du 18 novembre 2022 : " La bourse constitue une aide financière apportée par la Région aux étudiants en travail social et étudiants inscrits dans les instituts et écoles de formations de certaines professions de santé, dont le niveau des ressources familiales ou personnelles est reconnu insuffisant au regard des charges occasionnées par la formation entreprise () La bourse est attribuée pour l'année scolaire en cours. La bourse est attribuée pour toute l'année scolaire ou universitaire de référence () Le renouvellement de la bourse d'études n'est pas un droit. Le cas échéant, l'attribution d'une bourse d'étude doit faire l'objet d'une nouvelle demande chaque année scolaire ou universitaire () ". Aux termes du point 2.2. de ce règlement : " Les formations ouvrant droit à une bourse d'études régionale sont dispensées () par un institut de formation autorisé et financé () par la Région Grand Est dans le cadre des quotas ou capacités d'accueil fixées par la Région pour le secteur sanitaire. En d'autres termes, ne sont pas éligibles au droit à une bourse d'études de la Région, les formations partielles ou par voie de passerelles () et les formations s'ajoutant aux quotas () Les formations ouvrant droit à bourse dans le secteur social sont les diplômes d'État suivants : () Et dans le secteur sanitaire, les diplômes d'État suivants : () Infirmier () ". Aux termes du point 3.2. de ce règlement : " Tout étudiant de nationalité française ou ressortissant de l'Union européenne peut prétendre à déposer un dossier de demande de bourse. Peut également déposer une demande de bourse tout étudiant de nationalité étrangère non ressortissant de l'Union européenne étant en situation régulière en France à la date de la rentrée. ". Aux termes du point 4.1. du même règlement : " Les conditions de ressources sont déterminées a minima par référence à celles fixées par le ministre de l'intérieur et des outre-mer en charge de l'enseignement supérieur en application de l'article
D.821-1 du code de l'éducation. Les revenus retenus pour le calcul du droit à bourse sont ceux perçus durant l'année n - 2 par rapport à l'année de dépôt de la demande de bourse et, plus précisément, ceux figurant à la ligne "revenu brut global" ou "déficit brut global" ou taux effectif mondial des avis fiscaux d'imposition, de non-imposition ou de non mise en recouvrement, de restitution ou de dégrèvement. Sont également pris en compte les revenus perçus à l'étranger () ".
4. D'autre part, aux termes de l'article
L. 431-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La détention d'un document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour () autorise la présence de l'étranger en France sans préjuger de la décision définitive qui sera prise au regard de son droit au séjour () ". Aux termes de l'article
R. 431-12 du même code : " L'étranger admis à souscrire une demande de délivrance ou de renouvellement de titre de séjour se voit remettre un récépissé qui autorise sa présence sur le territoire () ".
5. Enfin, aux termes de l'article
L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision () ". Aux termes de l'article
R. 522-1 du même code : " La requête visant au prononcé de mesures d'urgence doit () justifier de l'urgence de l'affaire. ".
En ce qui concerne la condition d'urgence :
6. Il est constant que Mme D, dont les parents sont en situation irrégulière en France, est dépourvue de ressources propres et vit en faisant appel à l'aide caritative. Par suite, la requérante justifie de l'urgence de l'affaire.
En ce qui concerne la condition tenant à l'existence d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision dont la suspension est demandée :
7. Ainsi qu'il a été dit au point 1, le président du conseil régional de la région Grand Est a refusé d'octroyer une bourse d'études à Mme D au motif qu'elle ne justifiait pas être en situation régulière en France lorsqu'elle a entamé sa formation le 1er septembre 2022. Eu égard à cette motivation, le moyen tiré de ce que la décision en litige, qui concerne l'année universitaire 2023-2024, serait contraire aux articles 2 et 3.2 du règlement d'attribution des bourses d'études précité, qui impliquent l'examen des critères d'attribution d'une bourse au début de chaque année universitaire, est propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de cette décision.
8. En tout état de cause, il est constant que Mme D avait été admise à déposer une demande de titre de séjour dès le 11 juillet 2022 et, en application des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile citées au point 4, elle bénéficiait de droit d'un récépissé de demande de titre de séjour, ce qui l'autorisait à séjourner sur le territoire français jusqu'à ce que la préfète du Bas-Rhin refusa de faire droit à sa demande par une décision implicite du 12 novembre 2022. Au surplus, cette décision implicite a été retirée par un arrêté du 27 mars 2023 qui l'a autorisée à séjourner en France jusqu'au 26 mars 2024, comme l'a d'ailleurs indiqué le tribunal dans son jugement n° 2300548 du 11 avril 2024. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la décision en litige est entachée d'une erreur sa situation en France lorsqu'elle a débuté sa formation en septembre 2022 est également propre à créer un doute sérieux quant à sa légalité.
9. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'ordonner la suspension de l'exécution de cette décision.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Aux termes de l'article
L. 511-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire () ".
11. Il résulte de ces dispositions que le juge des référés ne peut pas ordonner des mesures qui ont les mêmes effets qu'une annulation pour excès de pouvoir.
12. Par suite, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'enjoindre au président du conseil régional du Grand Est de procéder au réexamen de la situation de Mme D dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente ordonnance étant rappelé que, sauf motif nouveau valable, ce réexamen doit conduire à la délivrance d'une bourse d'études à la requérante. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur l'application des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article
37 de la loi du 10 juillet 1991 :
13. Mme D est admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire par la présente ordonnance. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles
L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Elsaesser, avocate de Mme D, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de de de la région Grand Est le versement à Me Elsaesser de la somme de 2 000 euros hors taxes. Dans le cas où l'aide juridictionnelle ne serait pas accordée à Mme D par le bureau d'aide juridictionnelle, la somme précitée sera versée à la requérante.
ORDONNE :
Article 1 : Mme D est admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.
Article 2 : L'exécution de la décision du 5 avril 2024, par laquelle le président du conseil régional du Grand Est a refusé une bourse régionale d'études à Mme D, est suspendue.
Article 3 : Il est enjoint au président du conseil régional du Grand Est de réexaminer la situation de Mme D dans le délai de quinze jours à compter de la notification de la présente ordonnance.
Article 4 : La région Grand Est versera à Me Elsaesser, avocate de Mme D, une somme de 2 000 (deux mille) euros hors taxes au titre des dispositions du deuxième alinéa de l'article
37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat. Dans le cas où l'aide juridictionnelle ne serait pas accordée à Mme D par le bureau d'aide juridictionnelle, la somme précitée sera versée à la requérante.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme C D, à Me Elsaesser et au président du conseil régional du Grand Est.
Fait à Strasbourg, le 22 avril 2024.
Le juge des référés,
S. A
La République mande et ordonne à la préfète du Bas-Rhin en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,