AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société anonyme Métallique Gibard IMG, dont le siège est ... (Creuse), en cassation d'un arrêt rendu le 9 mars 1992 par la cour d'appel de Limoges (1ère chambre civile), au profit de :
1 ) M. Pierre X..., demeurant 9, place Aristide Briand à Chatillon Coligny (Loiret),
2 ) la SARL Pierre X..., dont le siège est ... (Loiret),
3 ) l'Entreprise Solemo, dont le siège est ... (Indre),
4 ) la compagnie d'assurances La Concorde, dont le siège est ... (Indre), défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 23 mars 1994, où étaient présents : M. Beauvois, président, M. Chapron, conseiller référendaire rapporteur, MM. Douvreleur, Capoulade, Deville, Melle Fosserreau, MM. Chemin, Fromont, Villien, Bourrelly, conseillers, Mme Cobert, conseiller référendaire, M. Sodini, avocat général, Melle Jacomy, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire Chapron, les observations de Me Cossa, avocat de la société Métallique Gibard IMG, de la SCP Delaporte et Briard, avocat de M. X... et de la société X..., de Me Vuitton, avocat de l'entreprise Solemo, de la SCP Le Bret et Laugier, avocat de la compagnie La Concorde, les conclusions de M. Sodini, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le premier moyen
:
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Limoges, 9 mars 1992), qu'en octobre 1986, M. X... a chargé de la construction d'un bâtiment à usage de magasin la société Métallique Gibard IMG (société IMG), laquelle a sous-traité une partie des travaux à la société Solemo, assurée auprès de la compagnie La Concorde ; que le 16 décembre 1986, une travée supplémentaire a été commandée ; que M. X..., invoquant des désordres, a assigné en réparation la société IMG, qui a appelé en garantie son sous-traitant et la compagnie La Concorde ;
que la société Pierre X..., à laquelle M. X... avait donné à bail le bâtiment, est intervenue volontairement à l'instance pour demander réparation de son préjudice économique et financier ;
Attendu que la société IMG fait grief à l'arrêt de la condamner à réparer les désordres et de la débouter de son recours en garantie contre la compagnie La Concorde, alors, selon le moyen, "que la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves ; que, dès lors, en décidant, en l'espèce, que le maître de l'ouvrage n'avait pas réceptionné l'ouvrage en raison des réserves qu'il avait émises, la cour d'appel a violé l'article
1792-6 du Code civil ; 2 ) qu'en décidant que le maître de l'ouvrage n'avait pas réceptionné l'ouvrage en raison des réserves émises, sans répondre au moyen des conclusions d'appel de l'entrepreneur faisant valoir que le maître de l'ouvrage, en prenant possession des lieux, avait manifesté sans équivoque sa volonté de réceptionner l'ouvrage litigieux, la cour d'appel a violé l'article
455 du nouveau Code de procédure civile" ;
Mais attendu qu'ayant exactement relevé qu'en l'absence de procès-verbal, la réception ne pouvait résulter que de la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage d'accepter les travaux, la cour d'appel a légalement justifié sa décision de ce chef en retenant que la société IMG n'avait pas fait procéder à la réception, que, dès le 6 janvier 1987, M. X... s'était plaint d'anomalies, que les discussions s'étaient poursuivies entre les parties, que le bâtiment était impossible à utiliser conformément à sa destination, que M. X... avait refusé de payer le solde du marché et que la volonté de M. X... de recevoir l'ouvrage n'était pas établie ;
Sur le deuxième moyen
:
Attendu que la société IMG fait grief à l'arrêt de la condamner à payer la somme de 316 025 francs à la société Pierre X... en réparation de son préjudice économique et financier, alors, selon le moyen, "1 ) que les travaux commandés les 3 octobre et 16 octobre 1986 auprès de la société IMG l'ont été par M. Pierre X... ; que, dès lors, en condamnant la société IMG à payer à la société X... la somme de 316 025 francs en réparation de son préjudice économique et financier qui serait résulté des malfaçons invoquées par M. Pierre X..., la cour d'appel a violé l'article
1165 du Code civil ; 2 ) que la société X... n'étant pas partie au marché de travaux conclu entre M. Pierre X... et la société IMG, la réparation du préjudice économique prétendument subi par la société X... ne pouvait intervenir que sur le fondement de la responsabilité quasi délictuelle ; qu'en condamnant cependant la société IMG sur le fondement de la responsabilité contractuelle, la cour d'appel a violé les articles
1147 et
1382 du Code civil ; 3 ) que ne peut donner lieu à réparation que le préjudice direct ; que ne revêt pas ce caractère le préjudice commercial et financier qu'aurait subi la société X..., non partie au marché de travaux conclu entre M. Pierre X... et la société X..., à la suite de malfaçons affectant ces travaux ; qu'en condamnant cependant la société IMG à verser à la société X... la somme de 316 025 francs en réparation de son préjudice économique et financier, la cour d'appel a violé l'article
1382 du Code civil ; 4 ) qu'en toute hypothèse, ne donne lieu à réparation que le préjudice qui a un caractère certain ; que dès lors, en retenant comme date de fin du manque à gagner le 9 septembre 1992, postérieure à l'arrêt attaqué lui-même, la cour d'appel a accordé réparation d'un préjudice purement éventuel et futur et ainsi violé l'article
1382 du Code civil" ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la société IMG n'avait émis aucune objection sur la qualité de la société Pierre X... à invoquer un préjudice causé par les manquements imputables à la société IMG, la cour d'appel, qui ne s'est pas fondée sur la responsabilité contractuelle et n'a pas réparé un préjudice éventuel, a légalement justifié sa décision de ce chef en retenant que le préjudice invoqué devait, faute de contestation, être réputé subi directement par la société Pierre X... et en constatant que la fin du sixième mois après la décision correspondait à la date de la fin du manque à gagner subi par cette société ;
Mais
sur le troisième moyen
:
Vu l'article
1150 du Code civil, ensemble l'article
1147 du même code ;
Attendu que le débiteur n'est tenu que des dommages-intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n'est point par son dol que l'obligation n'est point exécutée ;
Attendu que, pour exclure la garantie de la société Solemo quant au préjudice économique et financier subi par la société Pierre X..., l'arrêt retient que, si la part de responsabilité de la société Solemo doit être fixée à la moitié des sommes mises à la charge de la société IMG au titre des désordres, la société Solemo ne saurait être tenue à garantir l'entrepreneur principal qu'en fonction du dommage normalement prévisible dans les limites du contrat de sous-traitance, ce qui exclut le préjudice économique et financier ;
Qu'en statuant ainsi, sans préciser les éléments rendant imprévisible le préjudice économique et financier pouvant résulter des manquements aux obligations des locateurs d'ouvrage, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision de ce chef ;
PAR CES MOTIFS
:
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a exclu la garantie de la société Solemo pour le préjudice économique et financier, l'arrêt rendu le 9 mars 1992, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Riom ;
Dit n'y avoir lieu à indemnité en application de l'article
700 du nouveau Code de procédure civile au profit de la société Solemo ;
Condamne la société Solemo aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Limoges, en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du onze mai mil neuf cent quatre-vingt-quatorze.