Vu la procédure suivante
:
Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement les 29 octobre 2021 et 19 avril 2023, Mme C B, représentée par Me Dupont, demande au tribunal :
1°) d'annuler la décision du 30 avril 2021 par laquelle le directeur d'Établissement de Rennes Cesson de La Poste lui a infligé la sanction de blâme, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux ;
2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision du 30 avril 2021 a été prise à l'issue d'une procédure disciplinaire irrégulière et a méconnu les droits de la défense : d'une part, elle n'a pas été informée des griefs retenus contre elle et du droit à être assistée du défendeur de son choix, en méconnaissance de l'article 19-2 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ; d'autre part, elle n'a pas disposé d'un délai suffisant pour consulter son dossier administratif, préparer utilement sa défense et se faire assister par un représentant syndical ;
- elle réfute les faits reprochés et affirme qu'elle n'a pas procédé à l'enregistrement de l'entretien managérial du 11 février 2021 avec son téléphone ;
- cet entretien est intervenu dans un contexte de dégradation de ses conditions de travail à l'origine de la dégradation de son état de santé physique et mental ;
- la sanction contestée est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 mars 2023, la société La Poste, représentée par la SELARL Arès, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de Mme B en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun des moyens soulevés par Mme B n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;
- le code de justice administrative.
Le jugement de l'affaire a été renvoyé en formation collégiale.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Tourre,
- les conclusions de M. Moulinier, rapporteur public,
- les observations de Me Dupont, représentant Mme B,
- et les observations de Me Cosnard, représentant la société La Poste.
Considérant ce qui suit
:
1. Mme B, agent courrier de La Poste au grade d'agent professionnel qualifié de premier niveau, est affectée au service distribution de La Poste du Gast à Rennes. Elle a été sanctionnée le 30 avril 2021 par un blâme. Son recours gracieux contre cette décision a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. Mme B demande au tribunal d'annuler ces deux décisions.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Aux termes de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 : " Le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes et à l'assistance de défenseurs de son choix. L'administration doit informer le fonctionnaire de son droit à communication du dossier () " L'article 1er du décret du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'État précise que : " L'administration doit dans le cas où une procédure disciplinaire est engagée à l'encontre d'un fonctionnaire informer l'intéressé qu'il a le droit d'obtenir la communication intégrale de son dossier individuel et de tous les documents annexes et la possibilité de se faire assister par un ou plusieurs défenseurs de son choix () ".
3. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.
4. Par courrier du 23 mars 2021, Mme B a été informée qu'elle était invitée par M. A, responsable exploitation services clients, à se rendre à un " entretien managérial " fixé au 25 mars suivant dans le cadre d'une " procédure disciplinaire initiée à son encontre "
et qu'" à ce stade de la procédure, et pour cet entretien managérial, [elle] ne pouv[ait] pas [se] faire assister ". Mme B a demandé le report de cet entretien qui a finalement été fixé au 1er avril 2021 par un courrier du 26 mars 2021, reprenant exactement les termes précités du courrier du 23 mars 2021. Par courrier du 12 avril 2021, le directeur d'établissement a informé Mme B qu'il envisageait, en conclusion de l'enquête disciplinaire, de prendre à son encontre une sanction de premier groupe, l'informant de la faculté d'accéder à son dossier ou de faire consulter son dossier par la ou les personnes chargées, le cas échéant de défendre ses intérêts. Par décision du 30 avril 2021, Mme B s'est vue infliger la sanction de blâme fondée sur le motif suivant : " comportement irrespectueux à l'égard de sa hiérarchie, caractérisé par l'enregistrement via son téléphone personnel de l'entretien managérial à l'insu du Directeur d'établissement et de la Responsable des Ressources Humaines ". Cette décision précise que Mme B a été invitée à être entendue sur les faits reprochés lors de l'entretien du 1er avril 2021 et que cet entretien n'a pas permis de modifier l'appréciation de ces faits. Il résulte de ces éléments que les courriers des 23 et 25 mars 2021 mentionnant l'engagement d'une procédure disciplinaire à l'encontre de Mme B, d'une part, n'indiquent pas à l'intéressée les griefs qui lui sont reprochés, et, d'autre part, l'informent qu'elle ne peut pas se faire assister. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que Mme B n'a à aucun moment été informée de son droit à se faire assister du défenseur de son choix, le courrier du 12 avril 2021 précisant seulement que son dossier pouvait être également consulté dans les mêmes conditions par la ou les personnes chargées, le cas échéant de défendre ses intérêts. Dans ces conditions, la décision attaquée est intervenue au terme d'une procédure irrégulière et Mme B est fondée à soutenir que, privée de garanties prévues en matière disciplinaire, elle n'a pas été mise à même de préparer sa défense.
5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la décision du 30 avril 2021 par laquelle la société La Poste a infligé à
Mme B la sanction disciplinaire de blâme doit être annulée.
Sur les frais liés au litige :
6. Aux termes de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
7. Les dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme B, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la société La Poste demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société
La Poste la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par Mme B et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La décision du 30 avril 2021 par laquelle le directeur d'Établissement de Rennes Cesson de La Poste a infligé à Mme B la sanction de blâme et la décision implicite de rejet de son recours gracieux sont annulées.
Article 2 : La société La Poste versera à Mme B une somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société La Poste au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à Mme C B et à la société La Poste.
Délibéré après l'audience du 14 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Descombes, président,
Mme Tourre, première conseillère,
Mme Le Berre, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 septembre 2023.
La rapporteure,
Signé
L. Tourre Le président,
Signé
G. Descombes
Le greffier,
Signé
J-M. Riaud
La République mande et ordonne au ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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