9ème Ch Sécurité Sociale
ARRÊT N°
N° RG 21/07424 - N° Portalis DBVL-V-B7F-SH3K
FIVA
C/
[V] [R]
[X] [B]
[E] [B]
CPAM DU FINISTERE
Maître [S]
Société [10]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Copie certifiée conforme délivrée
le:
à:
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 24 MAI 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Elisabeth SERRIN, Présidente de chambre
Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère
Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère
GREFFIER :
Monsieur Philippe LE BOUDEC lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 22 Mars 2023
devant Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, magistrat chargé d'instruire l'affaire, tenant seule l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Réputé contradictoire, prononcé publiquement le 24 Mai 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:
Date de la décision attaquée : 04 Juin 2020
Décision attaquée : Jugement
Juridiction : Tribunal Judiciaire de BREST - Pôle Social
Références : 17/00460
****
APPELANT :
Le Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante
[Adresse 11]
[Localité 9]
représenté par Me Vincent RAFFIN de la SELARL BRG, avocat au barreau de NANTES substitué par Me Nathalie BERTHOU, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉS :
Madame [V] [R]
[Adresse 7]
[Localité 4]
représentée par Me Frédéric QUINQUIS, avocat au barreau de PARIS
Madame [X] [B] épouse [W]
[Adresse 5]
[Localité 4]
représentée par Me Frédéric QUINQUIS, avocat au barreau de PARIS
Madame [E] [B] épouse [H]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Frédéric QUINQUIS, avocat au barreau de PARIS
LA CAISSE PRIMAIRE D ASSURANCE MALADIE DU FINISTERE
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Madame [J] [Z] en vertu d'un pouvoir spécial
Maître [S] ès qualités de mandataire ad litem de la société [10]
[Adresse 6]
[Localité 8]
non comparant, non représenté
*****
EXPOSÉ DU LITIGE :
Le 18 mai 2016, [P] [B], salarié en tant qu'électricien au sein de la société [10] (la société), a déclaré une maladie professionnelle en raison d'un 'carcinome épidermoïde pulmonaire gauche suite à une exposition à l'amiante dans le cadre du travail - tableau n°30 bis des MP'.
Le certificat médical initial, établi le 11 mars 2016, fait état d'un 'carcinome épidermoïde pulmonaire gauche chez un patient qui a été exposé à l'amiante dans le cadre de son travail = tableau n°30 bis des MP'.
Par décision du 21 septembre 2016, après instruction, la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère (la caisse) a pris en charge la maladie 'cancer broncho-pulmonaire' au titre du tableau n°30 bis des maladies professionnelles.
La date de consolidation de son état de santé a été fixée au 12 mars 2016 et son taux d'incapacité permanente partielle (IPP) évalué à 75%.
[P] [B] est décédé des suites de sa maladie le 2 décembre 2016.
Par lettre du 24 novembre 2017, ses ayants droit ont formé une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur auprès de la caisse qui a dressé un procès-verbal de carence le 13 décembre 2017.
Le 22 décembre 2017, les ayants droit de [P] [B] ont porté le litige devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Brest.
Par ailleurs, après avoir déposé une demande d'indemnisation auprès du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (le FIVA), les ayants droit de [P] [B] ont accepté les offres qui leur ont été adressées.
Par jugement du 4 juin 2020, ce tribunal devenu le pôle social du tribunal judiciaire de Brest a :
- constaté que la demande des consorts [B] relativement à leur action concernant la reconnaissance de la faute inexcusable de la société a été présentée dans les délais légaux et n'est pas prescrite ;
- dit que la maladie professionnelle dont est atteint [P] [B] est la conséquence de la faute inexcusable de la société ;
- jugé recevable en son principe la demande du FIVA, subrogé dans les droits de [P] [B] ;
- fixé à son maximum la majoration de la rente servie à [P] [B] ante mortem, en application de l'article
L. 452-2 du code de la sécurité sociale, jusqu'à hauteur de 3 765,84 euros et jugé que cette majoration sera directement versée au FIVA par la caisse ;
- fixé à son maximum la majoration de la rente servie au conjoint survivant en application de l'article
L. 452-2 du code de la sécurité sociale et jugé que cette majoration sera directement versée au conjoint survivant par la caisse ;
- débouté le FIVA de son action subrogatoire à l'encontre de la caisse pour l'indemnisation du préjudice physique, du préjudice moral et du préjudice d'agrément qui a été versé par lui pour le compte de [P] [B] ;
- fixé comme suit l'indemnisation due aux ayants droit pour leur préjudice moral :
Mme [V] [R], sa veuve : 25 000 euros,
Mme [X] [W] née [B], sa fille : 5 000 euros,
Mme [E] [H] née [B], sa fille : 5 000 euros,
M. [M] [W], son petit-fils : 2 500 euros,
Mlle [A] [W], sa petite-fille : 2 500 euros,
M. [G] [W], son petit-fils : 2 500 euros,
M. [N] [H] son petit-fils : 2 500 euros,
Mme [F] [H], sa petite-fille : 2 500 euros,
Mme [C] [H], sa petite-fille : 2 500 euros,
- dit en conséquence que le montant que la caisse devra verser au FIVA à ce
titre, créancier subrogé, en application de l'article
L. 452-3 alinéa 3 du code de la sécurité sociale, s'élève donc à 50 000 euros ;
- dit qu'en vertu de l'article
1231-7 du code civil, l'ensemble des sommes dues porteront intérêt au taux légal à compter de la date du jugement à intervenir ;
- condamné la société au remboursement des indemnités mises à la charge de la caisse par le présent jugement en principal et intérêts ;
- condamné la société à payer au FIVA une somme de 1 500 euros en application de l'article
700 du code de procédure civile ;
- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement ;
- condamné la société aux dépens.
Par déclaration faite par communication électronique au greffe le 30 juin 2020, le FIVA a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié par lettre du 8 juin 2020, limité en ce que le FIVA a été débouté de son action subrogatoire à l'encontre de la caisse pour l'indemnisation des préjudices physique, moral et d'agrément.
Appelée à l'audience de mise en état du 16 septembre 2021, l'affaire a fait l'objet d'une radiation par mention au dossier, emportant son retrait du rang des affaires en cours.
Le 12 novembre 2021, le FIVA en a sollicité la réinscription.
Par ses écritures parvenues au greffe par le RPVA le 21 mars 2023 auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, le FIVA demande à la cour :
- d'infirmer le jugement entrepris, en ce qu'il :
* l'a débouté de ses demandes au titre des préjudices extra-patrimoniaux ;
* a jugé que la majoration de rente servie à [P] [B] ante mortem sera directement versée au FIVA par la caisse ;
Et, statuant à nouveau,
- de dire que cette majoration de rente sera directement versée par l'assurance maladie du Finistère à la succession de [P] [B] ;
- de fixer l'indemnisation des préjudices personnels de [P] [B] comme suit :
Souffrances morales : 40 900 euros,
Souffrances physiques : 20 400 euros,
Préjudice d'agrément : 20 500 euros,
Total : 81 800 euros,
- de dire que l'assurance maladie du Finistère devra verser cette somme au FIVA, créancier subrogé, en application de l'article
L. 452-3 alinéa 3, du code de la sécurité sociale ;
- de condamner la partie succombante aux dépens, en application des articles 695 et suivants du code de procédure civile.
Par leurs écritures parvenues au greffe par le RPVA le 20 mars 2023, auxquelles s'est référé et qu'a développées leur conseil à l'audience, les consorts [B] demandent à la cour :
- de déclarer recevable et bien fondé leur recours ;
- de rejeter toutes les exceptions et fins de non-recevoir invoquées ;
- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il indique que la majoration de la rente servie à [P] [B] ante mortem sera directement versée au FIVA par la caisse jusqu'à hauteur de 3 765,84 euros ;
En conséquence, dans le cadre de l'action successorale :
- de dire et juger que le montant de la majoration au maximum de la rente due à [P] [B] de son vivant sera intégralement alloué à sa succession.
Par ses écritures parvenues au greffe le 31 octobre 2022 auxquelles s'est référée et qu'a développées sa représentante à l'audience, la caisse demande à la cour, au visa de l'article
L. 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale, de :
- la recevoir en son intervention ;
A titre principal,
- rejeter la demande d'indemnisation présentée par le FIVA au titre des souffrances physiques et morales subies par [P] [B] ;
- rejeter la demande d'indemnisation présentée par le FIVA au titre du préjudice d'agrément subi par [P] [B] ;
A titre subsidiaire,
- si par extraordinaire, la cour faisait droit aux demandes du FIVA, condamner le mandataire de la société au remboursement des indemnités mises à la charge de la caisse au titre des préjudices personnels subis.
Régulièrement convoqué à l'audience par lettre du 10 janvier 2023, dont l'accusé de réception a été signé le 12 janvier 2023, Maître [S], ès qualités de mandataire ad litem de la société [10], n'a pas comparu ni personne pour le représenter. La décision sera en conséquence qualifiée de réputée contradictoire.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article
455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
1 - Sur la majoration de la rente versée ante mortem à [P] [B] :
Selon l'article
L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque la maladie est due à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants.
S'agissant de la réparation du préjudice de la victime directe, lorsqu'il subsiste une incapacité permanente partielle et qu'il lui a été alloué en conséquence, soit une indemnité en capital, soit une rente, ces indemnités sont majorées dans les conditions définies à l'article L 452-2 du même code.
Les premiers juges ont à juste titre ordonné la majoration de la rente à son maximum dès lors que la faute inexcusable de l'employeur a été reconnue.
Cependant, dans les motifs du jugement, il est précisé que la majoration de rente est attribuée dans le cadre de l'action successorale alors que le dispositif de la décision indique que la majoration de la rente ante mortem sera versée au FIVA par la caisse.
Il y a lieu de rectifier cette erreur matérielle et de juger que la majoration de rente sera versée par la caisse aux ayants droit de [P] [B] dans le cadre de l'action successorale.
2 - Sur la demande au titre des préjudices moraux, physiques et d'agrément :
Indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article
L. 452-2 du code de la sécurité sociale, la victime a le droit, selon l'article
L. 452-3 du code précité de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.
Tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, l'article
L. 452-3 du code de la sécurité sociale permet à la victime d'un accident du travail de demander à l'employeur dont la faute inexcusable a été reconnue la réparation d'autres chefs de préjudice que ceux énumérés, à la condition que ses préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.
Comme l'a jugé la Cour de cassation (Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvoi n° 20-23.673 et pourvoi n° n° 21-23.947) eu égard à son mode de calcul appliquant au salaire de référence de la victime le taux d'incapacité permanente défini à l'article
L. 434-2 du code de la sécurité sociale, la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent.
Ce poste de préjudice permet, pour les périodes antérieure et postérieure à la consolidation, d'indemniser les douleurs physiques et psychologiques.
Il s'en déduit que la victime d'une faute inexcusable de l'employeur peut obtenir une réparation complémentaire au titre de ces préjudices.
' S'agissant du préjudice moral, l'annonce d'un cancer broncho-pulmonaire implique la perspective, dès que le diagnostic est posé, d'avoir à se soumettre à des mesures de surveillance et à des traitements invasifs dont les effets secondaires sont en eux-mêmes préjudiciables. Elle engendre en outre dès sa formulation, par nature extrêmement brutale, l'angoisse d'une évolution défavorable s'agissant d'une pathologie encore le plus souvent incurable. Il est donc justifié de réparer en outre le préjudice moral spécifique résultant de l'anxiété permanente face au risque, à tout moment, de dégradation de l'état de santé et de menace sur le pronostic vital. (2e Civ., 13 mars 2014, pourvoi n° 13-13.507).
Ce préjudice moral est majoré par un fort sentiment d'injustice dès lors que l'évolution fatale à plus ou moins brève échéance à laquelle la victime se trouve confrontée aurait pu être évitée si son employeur avait respecté les règles d'hygiène et de sécurité et pris des mesures pour réduire, sinon supprimer, les risques liés à l'exposition, a minima exactement informé les salariés de ceux-ci.
' S'agissant des souffrances physiques, la maladie de [P] [B] a été diagnostiquée le 11 mars 2016 et il est décédé le 2 décembre 2016 à l'âge de 67 ans.
[P] [B] n'a pu bénéficier d'une opération compte tenu de l'état d'avancement de sa maladie. Il a suivi un traitement par radiothérapie (33 séances) de mai à juillet 2016. Il a été hospitalisé à plusieurs reprises.
Il ressort des attestations de ses proches produites par le FIVA (ses pièces 19 à 24) que :
- 'progressivement la vie a changé. Il était fatigué, avait des difficultés pour respirer, pour marcher, il toussait énormément'; 'il a perdu 20 kg' (son épouse Mme [V] [B]) ;
- 'j'étais présente lors de son décès et je l'ai vu partir dans de terribles conditions s'étouffant, recherchant son oxygène' (sa fille [E] [B]);
- 'ses derniers jours ont été très douloureux pour lui' (M. [K] [W], son beau-fils) ;
- 'je le voyais régulièrement chez lui car il ne sortait plus beaucoup. Je constatais à chaque visite l'évolution de la maladie. Il était très fatigué, toussait énormément, ne communiquait plus beaucoup, il se renfermait sur lui-même et je le voyais souffrir ' (M. [U] [T], ancien collègue de travail).
Il a ainsi subi des souffrances physiques importantes liées à la perte de sa capacité respiratoire irrémédiable et irréversible et aux traitements dont il a fait l'objet.
' S'agissant du préjudice d'agrément, il est constitué par l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs. Ce poste de préjudice inclut la limitation de la pratique antérieure.
Il appartient en l'espèce au FIVA de rapporter la preuve de la pratique régulière, antérieure à l'accident du travail ou à la maladie, d'une telle activité.
Ce dernier fait valoir qu'en raison de sa maladie, [P] [B] ne pouvait plus se livrer aux activités de bricolage et de jardinage, ce qui est corroboré par l'attestation de son épouse (pièces n°19 du FIVA).
L'ensemble de ces éléments justifie que les préjudices de [P] [B] soient fixés comme suit :
- 40 900 euros au titre du préjudice moral ;
- 20 400 euros au titre des souffrances physiques ;
- 20 500 euros au titre du préjudice d'agrément.
Ces sommes seront versées au FIVA par la caisse qui en récupérera le montant auprès de l'employeur dans le cadre de son action récursoire.
3 - Sur les dépens :
Les dépens d'appel seront mis à la charge de la société [10], qui succombe à l'instance.
PAR CES MOTIFS
:
La COUR, statuant publiquement dans les limites de l'appel, par arrêt réputé contradictoire mis à disposition au greffe,
INFIRME le jugement en ce qu'il a :
- jugé que la majoration de la rente versée ante mortem sera directement versée au FIVA par la caisse ;
- débouté le FIVA de son action subrogatoire à l'encontre de la caisse pour l'indemnisation du préjudice physique, du préjudice moral et du préjudice d'agrément qui a été versé par lui pour le compte de [P] [B] ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant :
DIT que la majoration de rente ante mortem sera versée par la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère aux ayants droit de [P] [B] ;
FIXE les préjudices complémentaires de [P] [B] comme suit :
- 40 900 euros au titre du préjudice moral ;
- 20 400 euros au titre des souffrances physiques ;
- 20 500 euros au titre du préjudice d'agrément.
DIT que ces sommes seront versées au FIVA par la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère qui en récupérera le montant auprès de la société [10] dans le cadre de son action récursoire ;
CONDAMNE la société [10] aux dépens de la procédure d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT