Tribunal administratif de Montreuil, 9ème Chambre, 13 octobre 2023, 2200403

Synthèse

  • Juridiction : Tribunal administratif de Montreuil
  • Numéro d'affaire :
    2200403
  • Type de recours : Excès de pouvoir
  • Dispositif : Satisfaction partielle
  • Nature : Décision
  • Rapporteur : M. Combes
  • Avocat(s) : MOUTET
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Texte intégral

Vu la procédure suivante

: Par une requête et un mémoire, enregistrés les 10 janvier et 26 juillet 2022, M. A C, représenté par Me Moutet, doit être regardé comme demandant au tribunal, dans le dernier état de ses écritures : 1°) d'annuler l'arrêté interdépartemental du 14 octobre 2021 par lequel le préfet de police de Paris et le préfet de la région Pays de la Loire, préfet de la Loire-Atlantique, ont abrogé la décision du 29 octobre 2020 par laquelle il a été habilité à accéder aux zones de sûreté à accès réglementé des plateformes aéroportuaires ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux du 5 novembre 2021 formé contre cet arrêté ; 2°) d'enjoindre à l'administration de lui délivrer une habilitation à accéder aux zones de sûreté à accès réglementé des plateformes aéroportuaires sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement à intervenir ; 3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que l'arrêté attaqué est entaché d'erreurs de fait et d'une erreur d'appréciation. Par des mémoires en défense, enregistrés les 17 juin et 12 juillet 2022, le préfet de police de Paris conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que les moyens invoqués par M. C ne sont pas fondés. La requête a été communiquée au préfet de la région Pays de la Loire, préfet de la Loire-Atlantique qui n'a pas produit de mémoire en défense. Par une ordonnance du 17 juin 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 19 août 2022. Un mémoire, présenté pour le requérant, a été enregistré le 11 septembre 2023. Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'aviation civile ; - le code des transports ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme Nour, - les conclusions de M. Combes, rapporteur public, - et les observations de M. C, présent à l'audience et de son avocate, Me Legendre, substituant Me Moutet. Le préfet de police de Paris et le préfet de la région Pays de la Loire, préfet de la Loire-Atlantique, n'étaient ni présents ni représentés.

Considérant ce qui suit

: 1. M. A C, officier pilote de ligne, a été habilité, par une décision du 29 octobre 2020, valable jusqu'au 28 octobre 2023, à accéder aux zones de sûreté à accès réglementé des plateformes aéroportuaires. Par un arrêté interdépartemental du 14 octobre 2021, le préfet de police de Paris et le préfet de la région Pays de la Loire, préfet de la Loire-Atlantique ont conjointement abrogé la décision du 29 octobre 2020 par laquelle M. C a été habilité à accéder aux zones de sûreté à accès réglementé des plateformes aéroportuaires. M. C a formé un recours administratif le 5 novembre 2021, tendant au retrait de l'arrêté du 15 octobre 2021, rejeté implicitement par le préfet de police de Paris et le préfet de la région Pays de la Loire, préfet de la Loire-Atlantique. Par la présente requête, M. C demande l'annulation de ces décisions. Sur les conclusions à fin d'annulation : 2. Aux termes de l'article L. 6342-3 du code des transports : " Les personnes ayant accès aux zones de sûreté à accès réglementé des aérodromes ou aux approvisionnements de bord sécurisés, ainsi que celles ayant accès au fret, aux colis postaux ou au courrier postal, sécurisés par un agent habilité ou ayant fait l'objet de contrôles de sûreté par un chargeur connu et identifiés comme devant être acheminés par voie aérienne, doivent être habilitées par l'autorité administrative compétente. () ". Aux termes du II de l'article R. 213-3-1 du code de l'aviation civile : " L'habilitation peut être retirée ou suspendue par le préfet territorialement compétent lorsque la moralité ou le comportement de la personne titulaire de cette habilitation ne présente pas les garanties requises au regard de la sûreté de l'Etat, de la sécurité publique, de la sécurité des personnes, de l'ordre public ou sont incompatibles avec l'exercice d'une activité dans les zones de sûreté à accès réglementé des aérodromes, dans les lieux de préparation et stockage des approvisionnements de bord, ou des expéditions de fret ou de courrier postal sécurisées et devant être acheminées par voie aérienne, ainsi que dans les installations mentionnées au III de l'article R. 213-3. () ". En ce qui concerne la proximité de M. C et M. B : 3. Pour refuser le renouvellement de l'habilitation qui avait été délivrée à M. C, le préfet de police de Paris et le préfet de la région Pays de la Loire, préfet de la Loire-Atlantique ont relevé que l'intéressé est connu pour sa proximité avec M. B, officier pilote de ligne et ancien collègue de M. C, ayant exercé tous deux au sein de la compagnie Air Algérie de 2015 à 2017, M. B étant connu pour sa pratique rigoriste de l'islam et ayant été licencié d'Air Algérie en raison de son comportement inadapté et dangereux lié à sa pratique rigoriste de l'islam. Toutefois, M. C, qui conteste fermement entretenir des liens étroits avec M. B, fait valoir que la nature de leurs liens n'est que professionnelle et qu'étant, à la date de l'arrêté attaqué, salarié d'une autre compagnie européenne, il n'a plus de contact avec ce dernier. M. C ajoute qu'il n'a pas connaissance d'une appartenance de M. B à une mouvance radicale et que la seule circonstance d'avoir été en relation de travail avec une personne radicalisée ne révèle pas qu'il aurait lui-même un comportement radicalisé. En défense, le préfet de police de Paris se borne à soutenir que le caractère étroit de leurs liens ressort des notes blanches, qu'il verse au dossier, lesquelles se bornent à faire mention de telles relations. Ces seules affirmations, dépourvues de précisions et d'éléments justificatifs, ne permettent pas de démontrer la proximité de M. C avec M. B. 4. En outre, il ressort des pièces du dossier, notamment d'un courrier de démission adressé par M. B à la compagnie Air Algérie en date du 26 août 2018, que ce dernier a démissionné de son poste de pilote de ligne et n'a pas fait l'objet d'un licenciement à raison de son comportement radicalisé par la compagnie Air Algérie. Par suite, la matérialité de ce fait n'est pas établie, ainsi que le reconnaît d'ailleurs le préfet de police de Paris dans ses écritures en défense. En ce qui concerne la fréquentation, par M. C, d'individus proches de la mouvance islamiste radicale : 5. L'arrêté attaqué fait grief à M. C d'entretenir des relations avec des individus connus comme appartenant ou étant proches de la mouvance islamiste radicale. Le préfet de police de Paris se prévaut à cet égard de notes blanches, qu'il verse au dossier, lesquelles se bornent à faire mention de telles relations sans même préciser qui sont les individus concernés ni l'intensité des relations alléguées. Ces seules affirmations, dépourvues de précisions et d'éléments justificatifs, ne permettent pas de démontrer la réalité de la fréquentation, par M. C, d'un réseau relationnel proche de la mouvance islamiste radicale. En ce qui concerne le comportement radicalisé de M. C : 6. Le préfet de police de Paris, qui demande dans ses écritures de ne plus tenir compte du motif selon lequel M. C présenterait un comportement radicalisé " à travers le partage des mêmes convictions rigoristes et contraires aux valeurs de la République " avec M. B , fait valoir que, selon les notes blanches des 14 octobre 2021, 4 février et 13 avril 2022, M. C dispose d'un " réseau relationnel proche du milieu de l'islam radical et de liens étroits entretenus avec M. B " et a déployé une " stratégie de duplicité ". Le préfet de police de Paris estime ainsi que ces éléments révèlent le comportement radicalisé de l'intéressé, au regard des critères énoncés par deux référentiels portant sur la radicalisation, établis par le comité interministériel de prévention de la délinquance et le secrétariat général du ministère de l'intérieur. 7. Or, ainsi qu'il a été dit aux points 3 et 5, le préfet de police de Paris n'établit pas que M. C dispose d'un " réseau relationnel proche du milieu de l'islam radical et de liens étroits entretenus avec M. B ". En outre, le préfet se borne à faire valoir le déploiement d'une stratégie de duplicité par M. C, sans aucune autre précision, de sorte qu'une telle stratégie de duplicité n'est pas établie. 8. En outre, il ressort du témoignage émanant de l'épouse de M. C, avec laquelle il est marié depuis 2013 et dont il est en instance de divorce, que l'intéressé " n'est absolument pas extrémiste dans sa pratique religieuse " et est par ailleurs " ouvert d'esprit ", qu'ils fréquentaient ensemble en vacances des " endroits avec de la musique et de l'alcool ". 9. Il ressort également des nombreux témoignages émanant de ses collègues, de supérieurs hiérarchiques et de résidents de la commune de Levallois-Perret où il vit et a travaillé, que l'intéressé n'a aucunement montré une pratique extrémiste rigoriste de sa religion ou même de signe ou d'attitude ostentatoires en lien avec sa religion et ne s'est jamais livré à des actes de prosélytisme. Il apparaît que M. C a, au contraire, une pratique modérée de sa religion, a toujours " revendiqué son attachement aux valeurs de la République ", est ouvert d'esprit, tolérant et respectueux de tous, et ce, quel que soit le genre ou les convictions religieuses des personnes et a participé aux moments de convivialité avec ses collègues dans des bars, restaurants, et piscines fréquentés par les équipages à l'occasion d'escales. Il en ressort également que M. C est apprécié de ses collègues comme de ses supérieurs hiérarchiques, lesquels reconnaissent son professionnalisme et ses compétences. Eu égard à ces éléments, M. C doit être regardé comme contredisant utilement les affirmations figurant dans les notes blanches selon lesquelles son comportement serait radicalisé. 10. Enfin, M. C conteste fermement les éléments figurant dans les notes blanches des 4 février et 13 avril 2022, au demeurant postérieures à l'arrêté attaqué. Il soutient que le préfet n'apporte aucun élément précis sur la prétendue " vision rigoriste " de la religion musulmane qu'il adopterait. Il précise qu'il ne s'est rendu qu'occasionnellement dans les mosquées évoquées dans la note du 4 février 2022, qu'aucun élément du dossier ne permet de supposer qu'il s'agit de " mosquées radicalisées " et que leur fréquentation ne permet pas de caractériser un comportement radicalisé. M. C ajoute qu'il fréquente habituellement une autre mosquée, celle de Levallois- Perret, commune dans laquelle il réside et que cette mosquée a été l'une des premières à signer la Charte de la laïcité. Par ailleurs, M. C conteste fermement avoir déjà prié pendant les vols ou les briefings, contrairement à ce que mentionne la note du 4 février 2022, précise que le seul endroit où il a déjà prié sur son lieu de travail est l'espace confessionnel réservé à cet effet et cite sur ce point le témoignage de son ancien supérieur hiérarchique. En outre, il fait valoir que la seule circonstance qu'il se soit rendu dans " l'espace beauté de l'aéroport " ne saurait révéler un signe de radicalisation. M. C dément formellement avoir jeûné à bord d'un avion dans lequel il était en fonction, contrairement à ce que mentionne la note précitée. Le requérant conteste également fermement l'allégation, ressortant de la note blanche du 13 avril 2022, concernant la " stratégie de la taupe " qu'il aurait mise en œuvre avec M. B et qui aurait consisté à solliciter des témoignages pour identifier les personnes qui refuseraient d'attester de leur bonne moralité et ainsi confondre celles à l'origine de leur signalement. Enfin, M. C soutient qu'est erronée l'affirmation que comporte cette note, selon laquelle " " des personnels navigants techniques et commerciaux ont ainsi fait savoir qu'ils useraient de leur droit de retrait en cas de nouveaux vols planifiés avec Monsieur A C dans la mesure où ils n'ont pas confiance en lui ". Il précise qu'il a demandé à la compagnie Hop!, par un courrier du 15 février 2022, " si un membre du personnel naviguant avait déjà manifesté le souhait de ne pas voler avec lui, ce à quoi, par un courrier du 18 février 2022, le directeur des opérations aériennes de la Société Hop ! a répondu par la négative. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, précis et circonstanciés, M. C doit être regardé comme remettant en cause sérieusement les affirmations contenues dans la note blanche en litige. Par suite, le grief tiré du comportement radicalisé de M. C n'est pas établi. 11. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 à 10 que les éléments au regard desquels le préfet de police de Paris et le préfet de la région Pays de la Loire, préfet de la Loire-Atlantique ont pris les décisions attaquées, figurant dans les notes blanches des services de renseignement en date des 14 octobre 2021, 4 février 2022 et 13 avril 2022, contestés par M. C et contredits par les nombreuses pièces qu'il produit dans la présente instance, ne peuvent être regardés comme établis. Dans ces conditions, ces éléments ne permettent pas de considérer que la moralité et le comportement de M. C ne présentent pas les garanties requises au regard de la sûreté de l'Etat, de la sécurité publique, de la sécurité des personnes, de l'ordre public ou sont incompatibles avec l'exercice d'une activité dans les zones de sûreté à accès réglementé des aérodromes. Par suite, M. C est fondé à soutenir que les décisions attaquées sont entachées d'erreurs de fait et d'erreur d'appréciation. 12. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. C est fondé à demander l'annulation de l'arrêté interdépartemental du 14 octobre 2021 par lequel le préfet de police de Paris et le préfet de la région Pays de la Loire, préfet de la Loire-Atlantique, ont abrogé la décision du 29 octobre 2020 par laquelle il a été habilité à accéder aux zones de sûreté à accès réglementé des plateformes aéroportuaires ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux du 5 novembre 2021. Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte : 13. Eu égard aux motifs d'annulation retenus, l'exécution du présent jugement implique nécessairement d'enjoindre au préfet de police de Paris et au préfet de la région Pays de la Loire, préfet de la Loire-Atlantique, sous réserve d'un changement de circonstances de fait ou de droit, de délivrer à M. C une habilitation d'accès aux zones de sûreté à accès réglementé des aérodromes dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement. En revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte. Sur les frais liés au litige : 14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à M. C sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : L'arrêté interdépartemental du 14 octobre 2021 par lequel le préfet de police de Paris et le préfet de la région Pays de la Loire, préfet de la Loire-Atlantique, ont abrogé la décision du 29 octobre 2020 par laquelle M. C a été habilité à accéder aux zones de sûreté à accès réglementé des plateformes aéroportuaires ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux du 5 novembre 2021 sont annulés. Article 2 : Il est enjoint au préfet de police de Paris et au préfet de la région Pays de la Loire, préfet de la Loire-Atlantique, de délivrer à M. C une habilitation d'accès aux zones de sûreté à accès réglementé des aérodromes dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement. Article 3 : L'Etat versera à M. C une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C est rejeté. Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. A C, au préfet de police de Paris, au préfet de la région Pays de la Loire, préfet de la Loire-Atlantique et au ministre de l'intérieur. Délibéré après l'audience du 21 septembre 2023, à laquelle siégeaient : Mme Jimenez, présidente, Mme Courneil, conseillère, Mme Nour, conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 octobre 2023. La rapporteure, C. Nour La présidente, J. JimenezLe greffier, C. Chauvey La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.