Cour administrative d'appel de Paris, 7ème Chambre, 20 décembre 2013, 10PA04847

Synthèse

  • Juridiction : Cour administrative d'appel de Paris
  • Numéro d'affaire :
    10PA04847
  • Type de recours : Plein contentieux
  • Lien Légifrance :https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/CETATEXT000028430103
  • Rapporteur : M. Olivier LEMAIRE
  • Rapporteur public :
    M. BOISSY
  • Président : Mme DRIENCOURT
  • Avocat(s) : CABINET CHRISTIAN TROUSSIER
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Texte intégral

Vu le recours, enregistré le 29 septembre 2010, présenté par le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, qui demande à la Cour : 1°) d'annuler l'article 1er du jugement n° 0710566 en date du 21 mai 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à cet impôt auxquelles la société par actions simplifiée Garnier Choiseul Holding a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2002, ainsi que des pénalités correspondantes ; 2°) à titre principal, de remettre ces impositions et pénalités à la charge de la société Garnier Choiseul Holding ou, à titre subsidiaire, de remettre à la charge de cette société les cotisations d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à cet impôt dans la limite, en bases, de 2 243 174 euros, assorties des seuls intérêts de retard ; ..................................................................................................................... Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code

général des impôts et le livre des procédures fiscales ; Vu le code de justice administrative ; Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ; Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 décembre 2013 : - le rapport de M. Lemaire, premier conseiller, - et les conclusions de M. Boissy, rapporteur public ; 1. Considérant que la société Établissements Lestrade, qui avait pour activité le négoce de produits alimentaires et d'articles de collection, ainsi que la détention de titres de participation, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle la société Garnier Choiseul Holding, venant aux droits et obligations de cette société, a été assujettie à des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à cet impôt au titre de l'exercice clos en 2002, majorées des intérêts de retard et d'une pénalité de 80 % en application de l'article 1729 du code général des impôts ; que le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat relève appel du jugement en date du 21 mai 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge de ces impositions et des pénalités correspondantes ;

Sur le

moyen de décharge retenu par le tribunal : 2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 145 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux impositions litigieuses : " 1. Le régime fiscal des sociétés mères, tel qu'il est défini aux articles 146 et 216, est applicable aux sociétés et autres organismes soumis à l'impôt sur les sociétés au taux normal qui détiennent des participations satisfaisant aux conditions ci-après : / a. Les titres de participation doivent revêtir la forme nominative ou être déposés dans un établissement désigné par l'administration ; / b. Les titres de participation doivent représenter au moins 5 p. 100 du capital de la société émettrice ; ce pourcentage s'apprécie à la date de mise en paiement des droits de la participation. / (...) / c. Les titres de participation doivent avoir été souscrits à l'émission. A défaut, la personne morale participante doit avoir pris l'engagement de les conserver pendant un délai de deux ans. / (...) " ; qu'aux termes de l'article 216 du même code : " I. Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges. / (...) " ; qu'aux termes du I de l'article 219 du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable : " (...) a ter. Le régime des plus-values et moins-values à long terme cesse de s'appliquer au résultat de la cession de titres du portefeuille réalisée au cours d'un exercice ouvert à compter du 1er janvier 1994 à l'exclusion des parts ou actions de sociétés revêtant le caractère de titres de participation (...).Pour les exercices ouverts à compter de la même date, le régime des plus ou moins-values à long terme cesse également de s'appliquer en ce qui concerne les titres de sociétés dont l'actif est constitué principalement par des titres exclus de ce régime ou dont l'activité consiste de manière prépondérante en la gestion des mêmes valeurs pour leur propre compte. Pour l'application des premier et deuxième alinéas, constituent des titres de participation les parts ou actions de sociétés revêtant ce caractère sur le plan comptable. Il en va de même (...) des titres ouvrant droit au régime des sociétés mères, (...) si ces (...) titres sont inscrits en comptabilité au compte de titres de participation ou à une subdivision spéciale d'un autre compte du bilan correspondant à leur qualification comptable (...) " ; 3. Considérant qu'il résulte de l'ensemble des travaux préparatoires du régime fiscal des sociétés mères, en particulier des travaux préparatoires de l'article 27 de la loi du 31 juillet 1920 portant fixation du budget général de l'exercice 1920, de l'article 53 de la loi du 31 décembre 1936 portant réforme fiscale, de l'article 45 de la loi n° 52-401 du 14 avril 1952 portant loi de finances pour 1952, des article 20 et 21 de la loi n° 65-566 du 12 juillet 1965 modifiant l'imposition des entreprises et des revenus de capitaux mobiliers et de l'article 9 de la loi de finances pour 2001, ainsi que de la circonstance que le bénéfice de ce régime fiscal a toujours été subordonné à une condition de détention des titres depuis l'origine ou de durée minimale de détention, et, depuis 1936, à une condition de seuil de participation minimale dans le capital des sociétés émettrices, que le législateur, en cherchant à supprimer ou à limiter la succession d'impositions susceptibles de frapper les produits que les sociétés mères perçoivent de leurs participations dans des sociétés filles et ceux qu'elles redistribuent à leurs propres actionnaires, a eu comme objectif de favoriser l'implication de sociétés mères dans le développement économique de sociétés filles pour les besoins de la structuration et du renforcement de l'économie française ; que le fait d'acquérir des sociétés ayant cessé leur activité initiale et liquidé leurs actifs dans le but d'en récupérer les liquidités par le versement de dividendes exonérés d'impôt sur les sociétés en application du régime de faveur des sociétés mères, sans prendre aucune mesure de nature à leur permettre de reprendre et développer leur ancienne activité ou d'en trouver une nouvelle, va à l'encontre de cet objectif ; 4. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable : " Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : / (...) / b) (...) qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus ; / (...) / L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration use de la faculté qu'elles lui confèrent dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif, ou, que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ; 5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société Établissements Lestrade a acquis au cours de l'exercice clos en 2002, des titres composant le capital des sociétés Bothorel, Diagonale, Tout Terrain, Tissages et Créations La Prairie, Atys et Barneville Finance Conseil ; qu'elle s'est engagée à conserver ces titres de participation pendant une durée de deux ans à compter de leur acquisition ; qu'au cours du même exercice, la société Établissements Lestrade a reçu des sociétés qu'elle avait acquises des dividendes, à concurrence d'un montant total de 2 822 920 euros, auxquels elle a appliqué le régime des sociétés mères prévu par les dispositions précitées des articles 145 et 216 du code général des impôts en retranchant leurs montants de son bénéfice net total, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges ; que, parallèlement, la société Établissements Lestrade a déduit de ses résultats imposables des provisions pour dépréciation des titres litigieux, à concurrence de 2 243 174 euros au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2002 ; qu'elle a ainsi dégagé au titre de cet exercice un déficit fiscal qui lui a permis de réaliser une économie immédiate d'impôt sur les sociétés de 673 685 euros ; 6. Considérant que l'administration a estimé que les opérations susmentionnées étaient constitutives d'un abus de droit au sens des dispositions précitées de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales et a, en conséquence, remis en cause la déduction de dividendes que la société Établissements Lestrade avait opérée au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2002 sur le fondement du régime des sociétés mères prévu par les articles 145 et 216 du code général des impôts ; 7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que les sociétés dont la société Établissements Lestrade a fait l'acquisition en 2002 avaient cessé toute activité, que leurs actifs étaient constitués uniquement de liquidités et qu'elles n'employaient aucun salarié ; que si les distributions auxquelles ces sociétés ont procédé ont procuré à la société Établissements Lestrade des gains de trésorerie minimes, voire inexistants, elles ont eu pour effet de les priver définitivement de tout moyen susceptible de leur permettre de retrouver une activité ; que si la société Établissements Lestrade remplissait les conditions légales pour bénéficier du régime des sociétés mères prévu par les articles 145 et 216 du code général des impôts alors applicables, si elle a pris l'engagement de conserver les titres pendant deux ans et si les opérations litigieuses n'ont pas été rendues possibles par l'interposition de sociétés spécialement créées à cette fin, il résulte des circonstances rappelées ci-dessus que la société Établissements Lestrade n'a pris aucune mesure de nature à favoriser le développement des sociétés qu'elle venait d'acquérir et ne s'est pas comportée à leur égard comme une société mère, mais a au contraire favorisé leur disparition ; que les opérations litigieuses ont, en revanche, grâce à la déduction immédiate des provisions correspondant à la dépréciation des titres et à l'exonération d'impôt dont bénéficiaient, à l'exception d'une quote-part, les dividendes reçus des sociétés filles en application du régime des sociétés mères, permis de dégager un important déficit fiscal imputable sur les bénéfices de la société Établissements Lestrade ; qu'il suit de là que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a jugé que l'administration n'apportait pas la preuve, qui lui incombait, de ce que les opérations litigieuses avaient été inspirées par un but exclusivement fiscal et avaient méconnu les objectifs poursuivis par le législateur quand il a institué le régime des sociétés mères, et de ce qu'elles constituaient ainsi un abus de droit ; 8. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Garnier Choiseul Holding, tant en première instance qu'en appel, à l'appui de ses conclusions tendant à la réduction des impositions susmentionnées ; Sur les autres moyens soulevés par la société Garnier Choiseul Holding : 9. Considérant, en premier lieu et en tout état de cause, que le moyen tiré de ce que l'administration aurait irrégulièrement invoqué, devant le juge, des éléments nouveaux qui n'auraient pas été soumis à la procédure contradictoire de rectification manque en fait ; 10. Considérant, en deuxième lieu, que l'intérêt de retard institué par l'article 1727 du code général des impôts vise essentiellement à réparer les préjudices de toute nature subis par l'Etat à raison du non-respect par les contribuables de leurs obligations de déclarer et de payer l'impôt aux dates légales ; que si l'évolution des taux du marché a conduit à une hausse relative de cet intérêt depuis son institution, cette circonstance ne lui confère pas pour autant la nature d'une sanction, dès lors que son niveau n'est pas devenu manifestement excessif au regard du taux moyen pratiqué par les prêteurs privés pour un découvert non négocié ; qu'il suit de là que la société Garnier Choiseul Holding ne peut utilement soutenir que le taux annuel de l'intérêt de retard devait être limité au taux annuel de l'intérêt légal ; 11. Considérant, enfin, qu'eu égard aux objectifs de prévention et de répression de la fraude et de l'évasion fiscales auxquels répondent les pénalités fiscales, le principe de personnalité des peines ne fait pas obstacle à ce que, à l'occasion d'une opération de fusion ou de scission, ces sanctions pécuniaires soient mises, compte tenu de la transmission universelle du patrimoine, à la charge de la société absorbante, d'une nouvelle société créée pour réaliser la fusion ou de sociétés issues de la scission, à raison des manquements commis, avant cette opération, par la société absorbée ou fusionnée ou par la société scindée ; que la société Garnier Choiseul Holding, qui est venue aux droits et obligations de la société Établissements Lestrade, ne peut donc soutenir que la pénalité de 80 % qui lui a été infligée en application de l'article 1729 du code général des impôts ne saurait lui être réclamée faute pour elle d'avoir commis les faits reprochés ; 12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles auxquelles la société Garnier Choiseul Holding a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2002, ainsi que des pénalités correspondantes ; Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : 13. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la société Garnier Choiseul Holding demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que les conclusions présentées à ce titre par la société Garnier Choiseul Holding doivent dès lors être rejetées ;

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 1er du jugement n° 0710566 du Tribunal administratif de Paris en date du 21 mai 2010 est annulé. Article 2 : Les cotisations d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à cet impôt auxquelles la société Garnier Choiseul Holding a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2002, ainsi que les pénalités correspondantes, sont remises à sa charge. Article 3 : Les conclusions présentées par la société Garnier Choiseul Holding au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées. '' '' '' ''