Vu la procédure suivante
:
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 27 janvier et 10 février 2023, M. A B, représenté par Me
Boulais, demande au juge des référés :
1°) de suspendre, en application de l'article
L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de l'arrêté du maire de la
commune de Plouha du 9 janvier 2023 portant exclusion temporaire de fonction durant deux ans à compter du 16 janvier 2023 ;
2°) d'enjoindre à la
commune de Plouha de le réintégrer et de reconstituer sa carrière à compter du 27 juin 2022, dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de la
commune de Plouha la somme de 2 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :
- la condition tenant à l'urgence est satisfaite, dès lors que la décision en litige préjudicie de manière grave et immédiate à sa situation professionnelle et financière ; il est privé de traitement et ne peut pas percevoir l'allocation de retour à l'emploi ; il ne peut plus assumer ses charges fixes et incompressibles, notamment les mensualités de son emprunt immobilier et ses charges courantes, dont il justifie ; il ne pourra percevoir que le revenu de solidarité active, insuffisant ; il ne dispose d'aucune autre source de revenus ; il n'existe pas d'intérêt public faisant obstacle à la suspension de l'exécution de la mesure d'exclusion ; en particulier, les situations de souffrance au travail ne lui sont pas imputables ;
- il existe un doute sérieux sur la légalité de la décision en litige, dès lors que :
* elle a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière : ne lui a pas été communiqué son dossier disciplinaire, en méconnaissance des dispositions de l'article
L. 532-4 du code général de la fonction publique : il a été informé, par courrier du 27 juin 2022, reçu le 2 juillet suivant, de ce que la
commune de Plouha allait engager une procédure disciplinaire à son encontre pour faute grave, envisageant une sanction du quatrième groupe, pour des faits de négligences graves, disparition de sommes d'argent, comportement perturbant le fonctionnement du service ou portant atteinte à sa réputation et suspicion de détournement ; il a consulté son dossier individuel le 6 juillet 2022, lequel ne comportait aucun élément relatif à la procédure disciplinaire ; il n'a découvert les pièces et documents de la
commune de Plouha que le jour de la séance du conseil de discipline, alors même qu'il appartenait à l'autorité disciplinaire de l'informer de ce qu'elle versait de nouveaux éléments à son dossier ; il n'a pas pu préparer utilement sa défense, ce qui l'a privé d'une garantie ;
* la matérialité de la plupart des faits n'est pas établie ; certains faits n'ont pas été retenus par le conseil de discipline et la
commune de Plouha ne rapporte pas la preuve de ce que les autres lui sont effectivement imputables ; les constats d'huissier portant sur les outils informatiques et téléphoniques ne respectent pas la norme AFNOR NF Z 67-17 relative à la validité des constats internet ;
* les faits en cause ne présentent en tout état de cause pas de caractère fautif ;
* la sanction est entachée de disproportion.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 février 2023, la
commune de Plouha, représentée par la Selarl
Cabinet Coudray, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de M. B de la somme de 2 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la condition tenant à l'urgence n'est pas satisfaite : la mesure d'exclusion durant deux ans le prive de traitement, mais ne l'empêche pas de percevoir un revenu, tiré d'un autre emploi ; la réalité de l'atteinte à sa situation financière n'est pas établie par les pièces produites ; l'intérêt public justifie le maintien de l'exécution de la sanction prononcée, eu égard au climat délétère et à la situation de souffrance au travail que le comportement de M. B crée ;
- M. B ne soulève aucun moyen propre à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision en litige ; en particulier :
* l'intéressé a été mis en mesure de consulter son dossier individuel, et a choisi de ne pas le faire ; il a été informé, aux termes des deux convocations à la séance du conseil de discipline, de son droit d'obtenir auprès de la commune la communication intégrale de son dossier et de tous les documents annexes ; la circonstance qu'il ait été invité à prendre connaissance de son dossier par le président du conseil de discipline et non par la commune est indifférente ; M. B ne peut utilement se prévaloir de la consultation de son dossier individuel à l'enclenchement de la procédure disciplinaire ;
* la matérialité de l'ensemble des faits reprochés est établie ;
* la sanction est proportionnée à leur gravité.
Vu :
- la requête au fond n° 2300495, enregistrée le 27 janvier 2023 ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le décret n° 89-677 du 18 septembre 1989 relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires territoriaux ;
- le décret n° 94-731 du 24 août 1994 portant statut particulier du cadre d'emplois des gardes champêtres ;
- le décret n° 2006-1391 du 17 novembre 2006 portant statut particulier du cadre d'emplois des agents de police municipale ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné Mme Thielen, première conseillère, pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 10 février 2023 :
- le rapport de Mme C ;
- les observations de Me
Boulais, représentant M. B, qui conclut aux mêmes fins que ses écritures, par les mêmes moyens qu'il développe ;
- les observations de Me
Guillon-Coudray, représentant la
commune de Plouha, qui persiste dans ses conclusions écrites, par les mêmes arguments qu'elle développe.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
Considérant ce qui suit
:
1. M. B a été recruté en qualité de garde champêtre stagiaire à temps complet par la
commune de Plouha le 1er mars 2007, titularisé le 1er mars 2008. Il a été promu au grade de garde champêtre chef principal par arrêté du 25 juillet 2017, à compter du 1er janvier 2017. Il a été suspendu de ses fonctions à titre provisoire, pour faute grave et dans l'intérêt du service, par arrêté du maire de la
commune de Plouha du 27 juin 2022 et a été exclu temporairement de ses fonctions pour une durée de deux ans, à compter du 16 janvier 2023, par arrêté du 9 janvier 2023, notifié le 11 courant. M. B a saisi le tribunal d'un recours en annulation contre cet arrêté portant sanction disciplinaire et, dans l'attente du jugement au fond, demande au juge des référés d'en suspendre l'exécution.
Sur les conclusions aux fins de suspension :
2. Aux termes de l'article
L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision () ".
3. Pour décider de l'exclusion temporaire de fonctions de M. B durant deux ans, le maire de la
commune de Plouha a retenu à l'encontre de l'intéressé les fautes de négligences pécuniaires, de méconnaissance des obligations générales liées au statut de fonctionnaire et de faits susceptibles de constituer des infractions pénales, constituant des manquements graves aux obligations déontologiques d'un agent assermenté, au devoir de probité et à l'obligation de réserve, portant atteinte à l'image et au fonctionnement de la commune.
4. Pour contester cette sanction, M. B soutient que la décision de sanction a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière, que la matérialité des faits n'est pas établie, que les faits reprochés ne sont en tout état de cause pas fautifs et que la sanction est entachée de disproportion.
5. En premier lieu, aux termes de l'article
L. 532-4 du code général de la fonction publique : " Le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes. / L'administration doit l'informer de son droit à communication du dossier. / Le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à l'assistance de défenseurs de son choix ".
6. Il résulte de ces dispositions qu'un agent public faisant l'objet d'une mesure prise en considération de sa personne, qu'elle soit ou non justifiée par l'intérêt du service, doit être mis à même d'obtenir communication de son dossier. Toutefois, ces mêmes dispositions n'obligent pas l'administration à communiquer spontanément l'ensemble de son dossier individuel à l'agent concerné, mais seulement à le mettre à même d'en demander la communication.
7. Il résulte de l'instruction que M. B a été informé, par courrier du 27 juin 2022 reçu le 2 juillet suivant, de ce que la
commune de Plouha engageait une procédure disciplinaire à son encontre pour faute grave et envisageait une sanction du quatrième groupe, pour des faits de négligences graves, de disparition de sommes d'argent, de comportement perturbant le fonctionnement du service ou portant atteinte à sa réputation et de suspicion de détournement. S'il est constant que l'intéressé a consulté son dossier individuel dès le 6 juillet 2022 et que ce dossier ne comportait, à cette date, aucun élément relatif à cette procédure disciplinaire, il résulte de l'instruction qu'il a été avisé, aux termes du courrier du 30 septembre 2022 portant convocation à la séance du conseil de discipline du 19 octobre suivant et signé de son président, de ce qu'il était en droit d'obtenir auprès de la
commune de Plouha la communication intégrale de son dossier et de tous les documents annexes et qu'il a été de nouveau avisé de ce droit aux termes du second courrier de convocation du 7 octobre 2022, portant report de la séance dudit conseil du 23 novembre suivant. Dans ces circonstances, M. B ne peut sérieusement soutenir qu'il n'a pas été mis en mesure de demander la communication de son dossier individuel, alors même, au demeurant, qu'il ressort des termes mêmes de son courrier du 8 juillet 2022, adressé au président du centre de gestion des Côtes-d'Armor et se plaignant de ce que le dossier consulté l'avant-veille ne comportait aucun élément relatif à la procédure disciplinaire, qu'il avait pris l'attache du service des ressources humaines de la
commune de Plouha, lequel lui avait indiqué que le dossier était en cours. Il appartenait donc à M. B de solliciter de nouveau, ultérieurement, la communication de son dossier dont il savait qu'il allait être complété. À cet égard, la
commune de Plouha n'avait en revanche pas l'obligation de l'informer de ce que des pièces étaient versées dans son dossier. Dans ces circonstances, le moyen tiré du vice de procédure pour méconnaissance des dispositions de l'article
L. 532-4 du code général de la fonction publique n'apparaît pas propre, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté en litige.
8. En second lieu, aux termes de l'article
L. 531-1 du code général de la fonction publique : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale ". Aux termes de son article L. 533-1 : " Les sanctions disciplinaires pouvant être infligées aux fonctionnaires sont réparties en quatre groupes : / () / 3° troisième groupe : / () ; / b) L'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de seize jours à deux ans. / () ".
9. Il incombe à l'autorité investie du pouvoir disciplinaire d'établir les faits sur le fondement desquels elle inflige une sanction à un agent public. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
10. Il résulte de l'instruction que lors du confinement du printemps 2020, M. B s'est fait photographier à plusieurs reprises en tenue de travail, sur la voie publique, notamment une aire de jeux pour enfants et un banc public, dans des positions peu compatibles avec l'exercice de ses fonctions, alors même qu'il était susceptible d'être vu par la population. L'intéressé reconnaît également avoir signé, le 20 juin 2022, un arrêté portant autorisation d'occupation du domaine public, sans bénéficier d'aucune délégation de signature en la matière. À cet égard, il ressort des échanges durant le conseil de discipline que l'intéressé n'a manifestement pas conscience de ses droits et obligations en tant qu'agent public pas davantage que de la répartition des compétences et fonctions au sein de la commune, ce qui ne saurait être excusé par la seule circonstance que les pratiques antérieures des autorités communales auraient éventuellement été critiquables et illégales. Il résulte également de l'instruction que M. B a commandé sur ses deniers personnels, en envisageant d'en obtenir le remboursement par la
commune de Plouha, des éléments d'uniforme siglés " police municipale ". À supposer même que l'intéressé n'ait pas porté les vêtements en cause, un tel achat caractérise non seulement un non-respect délibéré de la procédure et de la voie hiérarchiques normales pour l'achat d'équipements et de fournitures, mais révèle ou corrobore une méconnaissance par cet agent de ses fonctions et de son statut au sein de la collectivité, les gardes champêtres assurant les missions qui leur sont spécialement confiées par les lois et les règlements en matière de police rurale, quand les membres du cadre d'emplois des agents de police municipale exécutent, sous l'autorité du maire, les missions de police administrative et judiciaire relevant de la compétence de celui-ci en matière de prévention et de surveillance du bon ordre, de la tranquillité, de la sécurité et de la salubrité publiques. Il résulte par ailleurs de l'instruction, ainsi que M. B l'a admis devant le conseil de discipline, qu'il a installé sur son poste informatique une application cinéma, ce qui est susceptible d'avoir affecté la sécurité du réseau informatique de la
commune de Plouha, sans qu'ait d'incidence la circonstance que la commune n'ait pas rédigé de charte informatique prohibant l'installation de ce type d'application. Il résulte en outre de l'instruction, ainsi que M. B l'a également reconnu devant le conseil de discipline, qu'il a synchronisé son téléphone professionnel avec son compte Google personnel, au demeurant sans expliquer la nécessité d'une telle manipulation, ce qui a fait apparaître sur le téléphone, pourtant susceptible d'être utilisé par des tiers, des onglets de connexion vers des sites de rencontre, fréquentés par des personnes usant de pseudonymes particulièrement explicites. Il résulte enfin de l'instruction que, le 27 juin 2022, M. B a proféré, devant témoins, une menace à l'encontre du maire, lorsqu'il s'est vu notifier sa suspension de fonctions à titre conservatoire. Dans ces circonstances, les moyens tirés du défaut de matérialité des faits et d'erreur dans leur qualification juridique n'apparaissent pas propres, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté en litige. Eu égard à la gravité des manquements constatés, qui ont, pour certains, été de nature à porter atteinte à la crédibilité et l'image de la
commune de Plouha et de ses services, le moyen tiré du caractère disproportionné de la sanction prononcée n'apparaît pas davantage propre, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté en litige.
11. Il résulte de tout ce qui précède que l'une des conditions auxquelles les dispositions de l'article
L. 521-1 du code de justice administrative subordonnent la suspension d'une décision administrative n'est pas remplie. Les conclusions de M. B tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté du maire de la
commune de Plouha du 9 janvier 2023 portant exclusion temporaire de fonction durant deux ans ne peuvent, par suite et sans qu'il soit besoin de statuer sur la condition d'urgence, qu'être rejetées.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
12. La présente ordonnance n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction présentées par M. B ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de laisser à la charge de chaque partie les frais d'instance exposés et non compris dans les dépens.
O R D O N N E :
Article 1er : La requête de M. B est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la
commune de Plouha présentées au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A B et à la
commune de Plouha.
Fait à Rennes, le 17 février 2023.
Le juge des référés,
signé
O. CLa greffière,
signé
P. Lecompte
La République mande et ordonne au préfet des Côtes-d'Armor en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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