CJUE, Conclusions de l'avocat général Lenz, 8 mars 1994, C-328/92
Mots clés
produits · sécurité sociale · directive · gré · fournitures · pharmaceutiques · publication · recours · paragraphe · commission · voir · publics · marché · spécialités · adjudication
Synthèse
Juridiction : CJUE
Numéro affaire : C-328/92
Date de dépôt : 30 juillet 1992
Titre : Manquement d'Etat - Marchés publics de fournitures - Produits et spécialités pharmaceutiques.
Rapporteur : Schockweiler
Avocat général : Lenz
Identifiant européen : ECLI:EU:C:1994:88
Texte
Avis juridique important
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61992C0328
Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 8 mars 1994. - Commission des Communautés européennes contre Royaume d'Espagne. - Manquement d'Etat - Marchés publics de fournitures - Produits et spécialités pharmaceutiques. - Affaire C-328/92.
Recueil de jurisprudence 1994 page I-01569
Conclusions de l'avocat général
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Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
A Introduction
1. La Commission a introduit le présent recours afin de faire constater par la Cour que, en exigeant, dans la législation de base relative à la sécurité sociale, que l' administration attribue par procédure de gré à gré les marchés publics de fournitures de produits et de spécialités pharmaceutiques aux établissements de la sécurité sociale et l' administration de la sécurité sociale ayant décidé, en conséquence, d' attribuer par procédure de gré à gré la quasi-totalité desdites fournitures, le royaume d' Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 77/62/CEE, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures (1). De ce fait, il y a eu omission de la publication de l' avis de marché au Journal officiel des Communautés européennes prévue par l' article 9 de la directive 77/62.
2. En Espagne, l' adjudication des marchés publics est réglementée par la Ley de Contratos del Estado (loi sur les marchés de l' État, ci-après "LCE") et le Reglamento General de Contratación del Estado (2) (règlement général sur les marchés de l' État), ce dernier étant un règlement d' application. En vertu de la première disposition finale des décrets destinés à mettre la LCE et le règlement d' application en conformité avec le droit communautaire (3), ces dispositions sont également applicables aux marchés publics passés par les organes gestionnaires de la sécurité sociale.
3. L' article 2, points 3 et 8, de la LCE, qui faisait déjà l' objet de l' arrêt du 17 novembre 1993, Commission/Espagne (4), dispose que:
"Nonobstant les dispositions de l' article précédent, la présente loi ne s' applique pas aux marchés et actes juridiques de l' administration ci-après:
...
3 les opérations que l' administration réalise avec des particuliers en ce qui concerne des biens ou des droits dont le commerce est réglementé (' mediatizado' ) par des dispositions légales, ou des produits contrôlés (' intervenidos' ), soumis à un monopole (' estancados' ) ou interdits (' prohibidos' );
...
8 les marchés pour lesquels une loi établit une exception expresse."
4. L' achat de produits et de spécialités pharmaceutiques par les hôpitaux de la sécurité sociale est régi par l' article 107 de la Ley General de la Seguridad Social (5) (loi générale sur la sécurité sociale, ci-après "LGSS"). Cet article, intitulé "Achat et distribution de produits et spécialités pharmaceutiques", dispose ce qui suit:
"...
2 La sécurité sociale achète directement dans les centres de production les médicaments qui doivent être utilisés dans ses établissements ouverts ou fermés et sélectionne à cet effet, selon des critères rigoureusement scientifiques, les médicaments nécessaires aux soins dispensés dans lesdits établissements ...
3 En tout état de cause, la distribution des médicaments destinés à être utilisés en dehors des établissements visés au paragraphe précédent s' effectue par l' intermédiaire des officines (pharmacies) légalement établies, lesquelles sont tenues de procéder à cette distribution ...".
5. Jusqu' à la fin de l' année 1990, un accord, conclu entre l' administration de l' État et l' association nationale des firmes pharmaceutiques Farmaindustria sur le fondement de l' article 107, point 4, de la LGSS, relatif à la fixation des prix et des autres conditions financières, était applicable à l' achat et à la distribution des produits et spécialités pharmaceutiques en question. Pendant la durée de validité de l' accord, et même après, les organismes de la sécurité sociale n' ont, à quelques exceptions près, comme les vaccins, pas publié d' avis relatif à ces marchés de fournitures au Journal officiel des Communautés européennes.
6. La Commission considère que les dispositions précitées ainsi que la pratique d' attribution de marchés de fournitures qui en découle sont contraires au droit communautaire.
7. Le gouvernement espagnol, en revanche, est d' avis que les dispositions en la matière sont conformes au droit communautaire. D' après lui, le marché des produits et spécialités pharmaceutiques constitue, également en conformité avec le droit communautaire, un marché très réglementé en ce qui concerne la fabrication des produits, la fixation des prix et le respect des droits de propriété industrielle. Il considère par ailleurs que ni les dispositions légales ni l' accord conclu sur le fondement de celles-ci ne font obstacle au respect des dispositions du droit communautaire en matière de publication des marchés publics.
8. La Commission conclut à ce qu' il plaise à la Cour:
1) constater que,
- en exigeant, dans la législation de base relative à la sécurité sociale, que l' administration passe, par procédure de gré à gré, les marchés publics de fournitures de produits et de spécialités pharmaceutiques destinés aux établissements de la sécurité sociale, et
- en adjugeant de gré à gré la quasi-totalité desdites fournitures en omettant la publication d' un avis de marché au Journal officiel des Communautés européennes,
le royaume d' Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 77/62 du Conseil, du 21 décembre 1976;
2) condamner le royaume d' Espagne aux dépens.
Le royaume d' Espagne conclut à ce qu' il plaise à la Cour:
1) rejeter le recours;
2) condamner la Commission aux dépens.
9. Dans le cadre de notre analyse juridique, nous reviendrons sur les détails de l' affaire et des arguments des parties.
B - Analyse
1. Délimitation du litige
10. La Commission indique que c' est suite à une demande de décision préjudicielle (6) présentée par l' Audiencia Territorial de Sevilla (7) que son attention a été attirée sur le problème en cause. Le litige interne qui opposait la Farmaindustria au ministère de la Santé de la Junta de Andalucía concernait un appel d' offres pour l' achat de médicaments, lancé par le ministère en violation de l' accord précité.
11. Dans le cadre de cette procédure préjudicielle, la Commission avait proposé à la Cour de répondre que l' article 30 du traité CEE (8) et la directive 77/62 doivent être interprétés en ce sens qu' ils font obstacle à un système de passation de marchés publics de fournitures pharmaceutiques tel qu' il a été instauré par l' accord et sa législation de base.
12. La Cour ne s' est cependant pas prononcée sur la procédure préjudicielle en raison du désistement de la partie demanderesse dans le litige au principal (9). Malgré cela, la Commission a poursuivi l' examen de la situation juridique qui, d' après elle, était contraire au droit communautaire.
13. Le 6 juillet 1990, elle a adressé une lettre de mise en demeure au gouvernement espagnol, conformément à l' article 169 du traité CEE. Le 18 mars 1991, elle lui a envoyé un avis motivé l' invitant à prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à la situation incriminée dans un délai d' un mois, délai qui a été prolongé jusqu' au 18 juin 1991. Enfin, la Commission a introduit le présent recours en manquement le 27 juillet 1992, qui est parvenu au greffe de la Cour le 30 juillet 1992.
14. Les discussions relatives à la nature et aux conséquences juridiques de l' accord litigieux occupent une grande partie de la procédure précontentieuse. Les divergences relatives à la qualification de cet accord ont persisté même au cours de la procédure devant la Cour. L' accord a cependant pris fin le 31 décembre 1990, c' est-à-dire déjà avant l' adoption de l' avis motivé du 18 mars 1991, et donc avant l' expiration du délai fixé dans cet avis pour les mesures destinées à mettre fin à la situation incriminée. Cet accord ne saurait par conséquent faire l' objet du présent recours en manquement (10).
15. L' accord ayant constitué un élément essentiel des discussions au cours de la procédure précontentieuse, il convient de se poser la question de savoir dans quelle mesure l' objet de la procédure en manquement, déjà défini dans le cadre de la procédure précontentieuse (11), correspond à l' objet de la requête. Si le recours avait un objet - du moins partiellement - nouveau, cela pourrait avoir pour conséquence l' irrecevabilité du recours (12).
16. La lettre de mise en demeure visait principalement le fondement juridique de l' accord, à savoir l' article 107, points 4 et 5, de la LGSS, l' accord lui-même ainsi que l' incompatibilité alléguée de celui-ci avec la directive 77/62 et l' article 30 du traité CEE. Ces éléments se retrouvent dans l' avis motivé. Ce dernier critique cependant également l' article 107, points 2 et 3, de la LGSS, qui, d' après l' interprétation de la Commission, prescrit l' attribution des marchés de fournitures de gré à gré. A la page 9 de l' avis, la Commission critique de manière générale le système espagnol de fournitures de spécialités pharmaceutiques aux établissements de la sécurité sociale prévu par l' article 107 de la LGSS, qui consiste dans l' attribution des marchés de gré à gré. Elle souligne que, quel que soit le type de contrat retenu par la sécurité sociale pour passer les marchés, les dispositions de la directive doivent être respectées.
17. Dans les conclusions de l' avis motivé, la violation alléguée du traité est également formulée de manière générale: en exigeant, dans la législation relative à la sécurité sociale, que l' administration passe par procédure de gré à gré les marchés publics de fournitures de spécialités pharmaceutiques destinées aux établissements de la sécurité sociale et l' administration de la sécurité sociale ayant décidé en conséquence d' adjuger de gré à gré la totalité desdites fournitures en faveur de l' association nationale des firmes pharmaceutiques, en omettant de publier un avis de marché au Journal officiel des Communautés européennes, le royaume d' Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 77/62 et de l' article 30 du traité CEE. Le contenu de ces conclusions concorde pour l' essentiel avec celui des conclusions de la requête.
18. L' accord n' est pas l' élément principal du recours introduit par la Commission et il ne fait d' ailleurs l' objet d' aucune mention dans les conclusions. Le recours omet toute référence à l' article 30 du traité CEE, ce qui ne pose aucun problème dans la mesure où cette omission correspond à une limitation de l' objet du litige. Dans le mémoire en réplique (13), la Commission indique de manière expresse que l' article 30 ne fait pas l' objet du présent litige.
19. En conséquence, il convient de considérer que l' objet du litige, délimité par l' avis motivé et concrétisé par la requête, consiste en la critique de la réglementation de l' adjudication des marchés publics de fournitures de produits et de spécialités pharmaceutiques destinés aux établissements de la sécurité sociale, telle qu' elle découle de l' article 107 de la LGSS et de la pratique de l' attribution des marchés de gré à gré.
2. Applicabilité de la directive 77/62
20. Il convient de partir du principe que, depuis le 1er janvier 1991, c' est-à-dire depuis l' expiration de l' accord à l' origine du litige, l' intégralité des marchés publics de fournitures de produits et de spécialités pharmaceutiques aux établissements de la sécurité sociale ont - à quelques exceptions près (14) - été attribués par procédure de gré à gré. Il y a eu omission systématique de la publication d' un avis de marché au Journal officiel des Communautés européennes. La période d' observation de la Commission couvre plus d' un an et demi, à savoir la période du 1er janvier 1991 à fin juillet 1992, c' est-à-dire jusqu' à l' introduction du recours.
21. Les marchés publics de fournitures, c' est-à-dire les contrats à titre onéreux conclus par écrit (15) entre un fournisseur et un des pouvoirs adjudicateurs au sens de l' article 1er, sous b), de la directive, ne tombent dans le champ d' application de la directive 77/62 que lorsqu' il s' agit de marchés dont le montant estimé égale ou dépasse 200 000 écus (16). Aux termes de la directive 88/295, pour laquelle le délai applicable au royaume d' Espagne pour la mise en conformité de la législation nationale avec les dispositions de la directive a expiré au 1er mars 1992 (17), ce montant minimal est même réduit à 130 000 écus dans le cas de certaines entités contractantes (18).
22. Même si, en raison de l' absence d' éléments concrets relatifs aux différents marchés, on ne peut que procéder à une estimation du volume des marchés attribués pour la fourniture de produits et de spécialités pharmaceutiques aux établissements de la sécurité sociale, il convient de partir du principe que, au vu de l' importance des établissements de la sécurité sociale en Espagne, le volume des marchés est considérable. Compte tenu de l' omission systématique de la publication prévue par l' article 9 de la directive 77/62, il convient de conclure a contrario que, parmi les marchés attribués de gré à gré, il y avait également des marchés dont le montant tombe dans le champ d' application de la directive.
23. Lors de l' estimation du montant des marchés de fournitures, il convient en outre de tenir compte de l' article 5, paragraphes 2 et 3, de la directive. Pour les marchés présentant un caractère de régularité ou destinés à être renouvelés au cours d' une période donnée - un type de marché qui, en raison de la nature des produits, figure très probablement parmi les marchés de fournitures passés par les établissements de la sécurité sociale - l' article 5, paragraphe 2, précise que "leur montant cumulé pendant l' année suivant la première fourniture ou pendant la période du contrat, dans la mesure où celle-ci est supérieure à douze mois, doit être pris comme base ...". Pour les fournitures homogènes, l' article 5, paragraphe 3, prévoit que:
"Lorsqu' un achat de fournitures homogènes envisagé peut donner lieu à des marchés passés en même temps par lots séparés, la valeur estimée de la totalité de ces lots doit être prise comme base ...".
24. Il en découle que les marchés de fournitures de produits et de spécialités pharmaceutiques aux établissements de la sécurité sociale tombent en principe dans le champ d' application de la directive.
25. Le gouvernement espagnol a fait valoir que le marché des produits pharmaceutiques constitue un marché fortement réglementé, pour lequel des mécanismes en matière de fixation et de réglementation des prix sont autorisés, voire même obligatoires, dans l' intérêt de la santé publique. Le gouvernement espagnol renvoie à la législation communautaire concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques (19). Il invoque en outre la directive 89/105/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d' application des systèmes nationaux d' assurance-maladie (20), qui a pour objet d' "obtenir une vue d' ensemble des accords nationaux en matière de fixation des prix ..." (21). Il en déduit que les accords en matière de fixation des prix ne violent pas le droit communautaire. Pour lui, la législation espagnole est conforme à tous ces textes communautaires.
26. Par le biais de ces arguments, le gouvernement défendeur cherche manifestement à justifier l' inapplicabilité de la directive 77/62.
27. L' objet des dispositions relatives à la réglementation des produits, à la transparence du marché et à la fixation des prix n' est pas la réglementation de la procédure d' adjudication des marchés publics. Même si toutes ces dispositions ont, au sens le plus large, pour objectif de favoriser la libre circulation des marchandises, cela ne signifie pas que l' observation de l' une d' entre elles dispense de l' observation des autres. L' objectif et les destinataires de ces réglementations sont divers. C' est précisément parce que ces différentes réglementations poursuivent, en définitive, le même but qu' elles ne s' excluent pas mutuellement.
28. Les réglementations applicables au commerce de certains produits ne sont par conséquent pas susceptibles d' écarter les règles de procédure relatives à l' adjudication des marchés publics (22). Or, c' est uniquement l' observation de ces dernières qui est visée dans la présente procédure. Il en découle que les obligations imposées par la directive 77/62 en matière de publication sont également applicables au secteur des produits pharmaceutiques, sous réserve d' éventuelles exceptions.
3. Exceptions à l' application de la directive 77/62
29. Lors de la recherche d' éventuelles exceptions, il convient de partir du principe qu' elles ne sont autorisées que dans le cadre prévu par la directive (23), afin de ne pas porter atteinte à l' objectif de la directive, à savoir la coordination des procédures d' adjudication des marchés par l' instauration de conditions égales de participation et la garantie d' une transparence (24).
30. Le neuvième considérant de la directive 77/62 est libellé comme suit:
"considérant qu' il importe de prévoir des cas exceptionnels dans lesquels les mesures de coordination des procédures peuvent ne pas être appliquées, mais qu' il importe aussi de limiter ces cas expressément".
31. Il convient par conséquent de vérifier si l' attribution de gré à gré de marchés de fournitures de produits pharmaceutiques est couverte par les exceptions autorisées par la directive.
32. L' article 2, paragraphe 2, de la directive 77/62 exclut certains adjudicateurs du champ d' application de la directive. Il s' agit des organismes qui gèrent des services de transport (25), des services de production, de transport et de distribution d' eau et d' énergie ainsi que des services qui opèrent dans le domaine des télécommunications (26). L' article 2, paragraphe 2, sous c), de la directive 77/62, dans la version résultant de la directive 88/295, fait par ailleurs une exception pour certaines fournitures à caractère secret ou nécessitant des mesures de sécurité. Les exceptions prévues par l' article 2 de la directive ne sont certainement pas applicables en l' espèce. Ne sont pas non plus applicables les dispositions de l' article 3, qui exclut du champ d' application de la directive les marchés publics régis par des règles procédurales différentes et qui sont passés en vertu d' accords internationaux (27) ou en vertu de procédures spécifiques d' un organisme international (28).
33. L' article 6 de la directive 77/62 contient une énumération de cas dans lesquels les pouvoirs adjudicateurs sont dispensés de l' obligation de passer les marchés par le biais d' une "procédure ouverte" (29) ou d' une "procédure restreinte" (30). Dans ces cas, qui sont décrits de manière précise, il est par conséquent également licite d' attribuer des marchés de gré à gré, et donc de se passer de la publication de l' avis prévu par l' article 9, paragraphe 1, de la directive.
34. Le gouvernement espagnol est d' avis que tant les dispositions de l' article 6, paragraphe 1, sous b), que celles de l' article 6, paragraphe 1, sous d), sont applicables en l' espèce. Aux termes de l' article 6, paragraphe 1, sous b), des marchés de fournitures peuvent être passés de gré à gré "pour les fournitures dont la fabrication ou la livraison, en raison de leur spécificité technique, artistique ou pour des raisons tenant à la protection des droits d' exclusivité, ne peut être confiée qu' à un fournisseur déterminé".
35. Le gouvernement espagnol fait valoir que, dans le secteur des produits pharmaceutiques, on est fréquemment tenu de respecter des droits d' exclusivité, ce qui exclut, dès le départ, la possibilité de choisir parmi différents fabricants. La liberté de prescription des médecins, qui d' après le gouvernement espagnol est, du reste, conforme au droit communautaire (31), conditionnerait l' approvisionnement en certains produits pharmaceutiques auprès des fabricants qui sont titulaires du droit d' exclusivité (32).
36. Nous ne contestons pas que, sur le marché des produits pharmaceutiques, on puisse trouver des droits d' exclusivité, voire même que ceux-ci soient très fréquents. La protection des droits d' exclusivité, comme les marques déposées ou les licences de commercialisation, ne peut cependant justifier l' attribution d' un marché de gré à gré que lorsqu' il s' agit d' un produit "dont la fabrication ou la livraison ... ne peut être confiée qu' à un fournisseur déterminé (33)" (34). La protection des droits d' exclusivité sur le marché des médicaments ne saurait en aucun cas aller jusqu' à exclure toute concurrence pour la quasi-totalité des produits. C' est cependant ce que semble suggérer le gouvernement espagnol lorsqu' il invoque la protection des droits d' exclusivité pour justifier l' omission systématique de la publication d' un avis au Journal officiel des Communautés européennes pour les marchés publics de fournitures. Cette analyse ne correspond pas à la réalité, car le marché des produits pharmaceutiques est un marché où la concurrence existe bel et bien.
37. En l' espèce, il n' est pas possible, faute d' informations précises sur ce point, d' établir quelle est, par rapport à la totalité des besoins des établissements de la sécurité sociale, l' importance du volume des médicaments ne pouvant, en raison de la protection des droits d' exclusivité, être obtenus qu' auprès d' un fabricant déterminé. Il est cependant certain que cette catégorie de produits ne recouvre pas l' intégralité des produits et spécialités pharmaceutiques et qu' il appartient à l' État membre qui invoque la disposition dérogatoire de justifier son point de vue.
38. Il en découle qu' un État membre ne peut faire valoir l' applicabilité de l' article 6, paragraphe 1, sous b), que pour une partie des marchés de fournitures de produits pharmaceutiques désignée de manière précise.
39. La liberté de prescription ne doit, quant à elle, en aucun cas être mise en question. Le principe de la liberté de prescription n' a cependant, comme la Commission l' a souligné à juste titre, aucun lien avec la couverture générale des besoins du département pharmaceutique d' un hôpital. Si, dans des cas particuliers, il y a prescription d' un médicament non disponible, on est normalement en présence d' une urgence impérieuse au sens de l' article 6, paragraphe 1, sous d), de la directive.
40. L' article 6, paragraphe 1, sous d), de la directive autorise l' attribution de marchés de gré à gré "dans la mesure strictement nécessaire, lorsque l' urgence impérieuse résultant d' événements imprévisibles pour les pouvoirs adjudicateurs en question n' est pas compatible avec les délais exigés par les procédures prévues à l' article 4, paragraphes 1 et 2" (35).
41. Toutes les conditions fixées par cette disposition dérogatoire doivent être réunies de manière cumulative. C' est ce que la Cour a décidé pour la disposition correspondante prévue par la directive 71/305/CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (36) (37).
42. Dans les cas où il ne peut être satisfait de manière immédiate à une prescription médicale parce que le département pharmaceutique concerné ne dispose pas du médicament prescrit, la possibilité pour le pouvoir adjudicateur d' invoquer l' article 6, paragraphe 1, sous d), ne fait aucun doute. S' agissant de commandes isolées de ce type, le montant du marché de fournitures est en règle générale tellement réduit qu' il ne tombe de toute façon pas dans le champ d' application de la directive. L' article 6, paragraphe 1, sous d), ne peut donc en principe pas non plus être utilisé pour justifier la procédure d' attribution des marchés publics de fournitures de produits pharmaceutiques incriminée par la Commission.
4. La législation espagnole relative à l' adjudication des marchés publics de fournitures de produits et de spécialités pharmaceutiques aux établissements de la sécurité sociale
43. La violation de l' obligation de publicité telle que prévue par la directive 77/62 trouve son fondement dans l' article 107 de la LGSS en combinaison avec l' article 2, points 3 et 8, de la LCE et les dispositions correspondantes du règlement d' application. L' article 2, point 3, de la LCE, c' est-à-dire de la loi générale sur les marchés de l' État, exclut expressément du champ d' application de celle-ci les opérations portant sur des biens ou des droits dont le commerce est réglementé ou sur des produits qui sont contrôlés, soumis à un monopole ou interdits. L' article 2, point 8, en revanche, se limite à renvoyer aux autres exceptions expressément prévues par la loi. La possibilité de réglementer de manière dérogatoire les marchés des fournitures de la sécurité sociale est concrétisée par l' article 107 de la LGSS.
44. Les articles 2, points 3 et 8, de la LCE et 2, points 3 et 8, du règlement d' application correspondant ont déjà fait l' objet de l' affaire C-71/92, précitée. Dans son arrêt, rendu le 17 novembre 1993, la Cour a jugé qu' en maintenant ces dispositions le royaume d' Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 77/62, en litige en l' espèce, ainsi qu' en vertu de la directive 71/305. Dans ses motifs, la Cour constate que les articles 2, paragraphe 2, et 3 de la directive 77/62, qui énumèrent les marchés publics de fournitures auxquels celle-ci n' est pas applicable, ne définissent pas les exceptions par rapport à la nature juridique des produits considérés, à la différence de la réglementation espagnole (38).
45. La technique qui consiste à instituer des dérogations en fonction des produits (39) ainsi que des dérogations par renvoi à d' autres lois (40) est contraire aux règles de droit communautaire fixées par la directive 77/62. Dans la mesure où les dispositions de l' article 2, points 3 et 8, de la LCE (41) sont contraires au droit communautaire, il doit en être de même pour les textes légaux auxquels renvoie l' article 2, point 8, à savoir notamment l' article 107 de la LGSS.
46. Il est vrai que le gouvernement espagnol se défend en faisant valoir que cette disposition n' exclut pas l' application de la directive 77/62. Il a cependant déjà admis dans le cadre de l' affaire C-71/92 (42) que la réglementation de base relative aux marchés publics exclut de son champ d' application le marché relatif aux médicaments.
47. Il n' est cependant pas nécessaire de déterminer si les normes juridiques de l' État membre excluent obligatoirement les règles générales relatives à la publication des marchés et, par là même, la directive 71/62 ou si elles ne font qu' offrir la possibilité d' une procédure différente, au-delà des exceptions de la directive 77/62, car l' intégralité des exceptions - même facultatives - non couvertes par la directive sont incompatibles avec celle-ci.
48. L' article 107, point 2, de la LGSS, qui stipule que "la sécurité sociale achète directement dans les centres de production les médicaments qui doivent être utilisés dans ses établissements ouverts ou fermés ...", est contraire au droit communautaire, même s' il n' a pas institué l' obligation, mais seulement la possibilité d' une attribution de marchés de gré à gré.
Dépens
49. Conformément à l' article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s' il est conclu en ce sens.
C - Conclusion
50.
Par ces motifs
, nous proposons à la Cour de statuer comme suit:
" - En exigeant, dans la législation relative à la sécurité sociale, que l' administration passe par procédure de gré à gré les marchés publics de fournitures de produits et de spécialités pharmaceutiques aux établissements de la sécurité sociale et
- la quasi-totalité des marchés de fournitures ayant été passée de gré à gré, de sorte qu' il y a eu omission de la publication d' un avis de marché au Journal officiel des Communautés européennes,
le royaume d' Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 77/62/CEE.
Le royaume d' Espagne est condamné aux dépens."
(*) Langue originale: l' allemand.
(1) - Du Conseil, du 21 décembre 1976 (JO 1977, L 13, p. 1), modifiée en dernier lieu par la directive 88/295/CEE du Conseil, du 22 mars 1988 (JO L 127, p. 1), qui, d' après son article 20, n' est applicable au royaume d' Espagne qu' à compter du 1er mars 1992; l' intégralité de la procédure précontentieuse relative au présent recours en manquement s' est déroulée avant cette date.
(2) - Tels qu' ils ont été modifiés, pour les conformer aux directives de la Communauté économique européenne, respectivement par le Real Decreto Legislativo (décret royal législatif) n 931, du 2 mai 1986 (BOE n 114, du 13 mai 1986, p. 16920), et le Real Decreto (décret royal) n 2528, du 28 novembre 1986 (BOE n 297, du 12 décembre 1986, p. 40546).
(3) - Real Decreto Legislativo n 931/86 et Real Decreto n 2528/86.
(4) - C-71/92, non encore publié au Recueil.
(5) - Tel qu' il résulte du décret n 2065, du 30 mai 1974, approuvant le texte codifié de la loi générale sur la sécurité sociale (BOE n 174, du 20 juillet 1974, p. 1482).
(6) - Demande de décision préjudicielle du 8 mai 1989, dans l' affaire C-179/89 (JO C 160, p. 10).
(7) - Depuis le 23 mai 1989: Tribunal Superior de Justicia de Andalucía (BOE n 119, du 19 mai 1989, p. 14896).
(8) - Traité CE depuis le 1er novembre 1993, conformément au traité sur l' Union européenne du 7 février 1992 (JO C 191, p. 1).
(9) - Radiation de l' affaire du registre de la Cour (voir JO 1989, C 301, p. 7).
(10) - Sur les conséquences de la cessation de la violation du traité avant l' expiration du délai fixé dans l' avis motivé, voir nos conclusions présentées le 26 février 1992 dans l' affaire Commission/Italie (C-362/90, Rec. p. I-2353, points 10 et suiv.).
(11) - Voir l' arrêt de la Cour du 12 janvier 1994, Commission/Italie (C-296/92, non encore publié au Recueil, point 11).
(12) - Voir affaire Commission/Italie, précitée (C-296/92).
(13) - P. 2 du mémoire en réplique.
(14) - Principalement les vaccins.
(15) - Voir article 1er, sous a), de la directive 77/62.
(16) - Voir article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 77/62.
(17) - Voir article 20, deuxième alinéa, de la directive 88/295.
(18) - Voir article 5, paragraphe 1, sous a), deuxième tiret, de la directive 77/62, dans la version résultant de la directive 88/295.
(19) - Voir p. 5 du mémoire en défense; directive 65/65/CEE du Conseil, du 26 janvier 1965, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques (JO 1965, 22, p. 369); directive 75/318/CEE du Conseil, du 20 mai 1975, relative au rapprochement des législations des États membres concernant les normes et protocoles analytiques, toxico-pharmacologiques et cliniques en matière d' essais de spécialités pharmaceutiques (JO L 147, p. 1); deuxième directive 75/319/CEE du Conseil, du 20 mai 1975, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives aux spécialités pharmaceutiques (JO L 147, p. 13), ainsi que les directives modificatives postérieures: directives 87/19/CEE (JO L 15, p. 31), 87/21/CEE (JO L 15, p. 36) et 89/341/CEE (JO L 142, p. 11).
(20) - JO L 40, p. 8.
(21) - Voir cinquième considérant de la directive 89/105.
(22) - Affaire C-71/92, précitée, point 15.
(23) - Affaire C-71/92, précitée, points 10, 22 et 36.
(24) - Voir deuxième considérant de la directive 77/62.
(25) - Article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 77/62.
(26) - Voir article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 77/62.
(27) - Voir article 3, sous a) et b), de la directive 77/62.
(28) - Voir article 3, sous c), de la directive 77/62.
(29) - Voir article 4, paragraphe 1, de la directive 77/62.
(30) - Voir article 4, paragraphe 2, de la directive 77/62.
(31) - Avec renvoi à l' arrêt du 18 mai 1989, Royal Pharmaceutical Society of Great Britain (266/87 et 267/87, Rec. p. 1295).
(32) - Avec renvoi aux arrêts du 23 mai 1978, Hoffmann-La Roche (102/77, Rec. p. 1139), et du 10 octobre 1978, Centrafarm (3/78, Rec. p. 1823).
(33) - Mis en italiques par l' auteur.
(34) - Voir article 6, paragraphe 1, sous b).
(35) - Procédures ouvertes et procédures restreintes .
(36) - JO L 185, p. 5, modifiée en dernier lieu par la directive 90/531/CEE (JO L 297, p. 1).
(37) - Voir le point 36 de nos conclusions présentées le 13 janvier 1987 dans l' affaire Commission/Italie, (199/85, Rec. 1987, p. 1039, 1047); arrêts du 18 mars 1992, Commission/Espagne, (C-24/91, Rec. p. I-1989, point 13), et du 2 août 1993, Commission/Italie, (C-107/92, non encore publié au Recueil, point 12).
(38) - Voir point 11 de l' arrêt C-71/92, précité.
(39) - Voir point 18 de l' arrêt C-71/92, précité.
(40) - Voir point 26 de l' arrêt C-71/92, précité.
(41) - Ainsi que les dispositions correspondantes du règlement d' application.
(42) - Voir point 12 de l' arrêt C-71/92, précité.