Tribunal de grande instance de Paris, 10 juin 2010, 2009/09853

Synthèse

  • Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
  • Numéro de pourvoi :
    2009/09853
  • Domaine de propriété intellectuelle : DESSIN ET MODELE
  • Parties : NEUF SAS (exerçant sous le nom commercial MAISON MARTIN MARGIELA) / H&M HENNES & MAURITZ SARL

Chronologie de l'affaire

Cour d'appel de Paris
2011-09-09
Tribunal de grande instance de Paris
2010-06-10

Texte intégral

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS3ème chambre 4ème sectionN° RG : 09/09853 Assignation du : 08 Juin 2009JUGEMENT rendu le 10 Juin 2010 DEMANDERESSE Société NEUF exerçant sous le nom commercial MAISON MARTIN MARGIELA SAS[...] représentée par Me Eloïse BIGARD-PRUNET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0477 DÉFENDERESSE S.A.R.L. H&M HENNES & MAURITS[...] représentée par Me Stéphanie LEGRAND- SEP Bardhele Pagenberg Dost A, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P03 90 COMPOSITION DU TRIBUNAL Marie-Claude H, Vice-Présidente Agnès MARCADE, JugeRémy MONCORGE, Jugeassistés de Katia CARDINALE, Greffier DÉBATS A l'audience du 05 Mai 2010 tenue publiquement JUGEMENT Rendu par mise à disposition au greffeContradictoirementen premier ressort

FAITS ET PROCEDURE

La société NEUF a pour activité la création, la fabrication et la commercialisation de vêtements et accessoires haut de gamme sous le nom commercial Maison Martin Margiela. Dans le cadre de cette activité, a été créé en 1999 un blouson pour homme dénommé « blouson 5 zips ». La société NEUF a appris fin 2008 que les magasins H&M commercialisaient un modèle de blouson qui reprenait, selon elle, l'ensemble des caractéristiques du « blouson 5 zips ». Elle a alors fait procéder à un constat d'achat le 27 février 2009 dans le magasin H&M du boulevard Haussmann à Paris. Elle a ensuite adressé le 5 mars 2009 à la société H&M une lettre de mise en demeure puis à fait procéder le 15 mai 2009 à deux saisies contrefaçon au siège parisien de la société H&M Hennés & Mauritz dans le 9ème arrondissement de Paris ainsi que dans la boutique précitée du 8eme arrondissement. C'est dans ces circonstances que la société NEUF a fait assigner par acte du 8 juin 2009 la société H&M Hennés & Mauritz devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon du modèle de blouson 5 zips, concurrence déloyale et indemnisation. Dans ses dernières écritures en date du 24 mars 2010, la société H&M Hennés & Mauritz (ci-après H&M) entend voir annuler l'ensemble des opérations de saisie- contrefaçon en date du 15 mai 2009 ainsi que le procès-verbal de constat du 27 février 2009 et déclarer irrecevable la société NEUF en l'ensemble de ses demandes. Elle sollicite également l'allocation de la somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que la condamnation de la société demanderesse aux dépens. Sur la nullité des saisies contrefaçon, elle soutient que l'ordonnance ayant autorisé la saisie n'avait pas autorisé la requérante à faire procéder à deux saisies simultanées par deux huissiers différents et qu'aucun des deux actes de signification de la copie de l'ordonnance ou des procès-verbaux de saisie contrefaçon ne présente une expédition exécutoire de l'ordonnance ni ne mentionne la présentation de la minute de l'ordonnance avant le début des opérations de saisie. Elle ajoute qu'alors que les huissiers instrumentales avaient tous deux expressément constaté qu'aucun blouson argué de contrefaçon ne se trouvait sur les lieux de la saisie, ils ont néanmoins procédé dans les deux cas à des interpellations d'employés de la société H&M aux fins d'obtenir des documents et informations comptables et ce en présentant à la personne interrogée le blouson argué de contrefaçon. Sur la nullité du procès-verbal de constat d'achat du 27 février 2009, elle soutient qu'il s'agit d'une saisie-contrefaçon déguisée au motif que l'huissier procède à une description du blouson incriminé de telle sorte qu'il s'agit d'une saisie descriptive. Elle ajoute que l'huissier n'a nullement pu constater l'achat du modèle en cause car la personne qui l'a effectuée échappait à son regard et que cette personne, qui n'est autre que le conseil en propriété industrielle de la demanderesse, ne présente aucune neutralité ni objectivité. Elle en déduit que ces opérations sont contraires à l'article 6-1 de la CEDH. Sur la contrefaçon, elle conteste la titularité des droits de la société demanderesse et donc sa qualité à agir estimant que celle-ci ne verse aux débats aucun document ayant date certaine et établissant avec certitude une divulgation au public sous son nom, du blouson présentant les caractéristiques qu'elle revendique. Elle fait en outre valoir que la demanderesse ne démontre nullement l'originalité du modèle sur lequel elle revendique une protection au titre du droit d'auteur. Elle ajoute que l'existence de nombreuses créations antérieures démontre l'absence de caractère original du blouson en cause, la présence de deux fermetures à glissière de part et d'autre de la fermeture centrale et s'éloignant en biais du haut vers le bas étant banale. Enfin, à supposer les opérations de saisie et de constat valables, elle conteste la contrefaçon au motif que la forme du col et les coutures à l'arrière du blouson supposé contrefait ne seraient pas reprises dans le modèle querellé. Sur les faits de concurrence déloyale et de parasitisme, elle argue de l'absence de faits distincts de ceux de la contrefaçon. Enfin, elle conteste le montant des dommages et intérêts réclamés estimant que la masse contrefaisante est au maximum de 44 articles. Par dernière conclusions du 17 mars 2010, la société NEUF maintient ses demandes au titre de la contrefaçon de l'œuvre constituée par le « blouson 5 zips » et de la concurrence déloyale et parasitaire. Elle sollicite, outre des mesures d'interdiction, de destruction, de publication de la décision et de communication des comptes certifiés, la condamnation de la société H&M à lui payer à titre de dommages et intérêts les sommes de 400.000 €, sauf à parfaire, au titre de la contrefaçon et de 400.000 €, sauf à parfaire, au titre de la concurrence déloyale. Elle demande également l'allocation de la somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que la condamnation de la société défenderesse aux dépens en ce compris les frais de constats d'huissiers. Elle fait valoir que le blouson en cause qui présente plusieurs caractéristiques originales, est notoire dans le monde entier. Sur la validité des actes d'huissier, elle fait valoir qu'il ne s'agit pas de nullité de fond au sens de l'article 117 du Code de procédure civile mais de nullité de forme et que la défenderesse ne s'appuie sur aucun texte ni ne démontre aucun grief. Elle ajoute que lors des opérations de saisie-contrefaçon, l'huissier n'a nullement outrepassé la mission qui lui était confiée et qu'au demeurant, les deux moyens de nullité tenant à l'intervention de deux huissiers au lieu d'un et à l'introduction sans autorisation sur les lieux de l'objet contrefaisant sont irrecevables car ils n'ont pas été soulevés in limine litis. En tout état de cause, elle soutient que ces constats même irréguliers peuvent être utilisés à titre de renseignement. Sur la titularité des droits, elle soutient avoir divulgué sous son nom le modèle en cause dès la saison printemps été 1999. Sur l'originalité, elle invoque la combinaison des caractéristiques suivantes :- blouson homme à manches longues tombant au niveau du bas des reins,col rond remontant légèrement à la base du cou ;fermé par une fermeture à glissière au centre, du bas vers le haut ;caractérisé par ses longues fermetures à glissière de part et d'autre de la fermeture centrale s'éloignant en biais du haut vers le bas de cette dernière ; présentant sous le dessous de chaque manche, en son embout, une fermeture à glissière cousue au niveau de la couture. Elle considère que la comparaison des deux modèles de blouson en cause rend évidente la contrefaçon. S'agissant des faits de concurrence déloyale et parasitaire, elle invoque l'annonce depuis novembre 2008 sur son site Internet par H&M de la commercialisation du blouson en cause et le risque de confusion que cela a pu engendrer dans l'esprit du public qui a pu croire qu'il s'agissait d'un modèle Maison Martin Margiela, la société H&M faisant régulièrement appel à des couturiers de renom pour dessiner quelques modèles d'une collection. Au titre du préjudice, elle invoque tant un préjudice financier que moral et fait état d'un manque à gagner, d'une perte subie sur l'un des modèles phares de sa collection par la commercialisation d'un modèle bas de gamme et fait état d'une masse contrefaisante de 130 articles pour deux magasins à 79,90 € l'unité alors que les produits originaux sont commercialisés entre 1535 € et 1640 € avec une marge de 960 €. Elle invoque également une perte due à la vulgarisation de son modèle, de la dégradation de son image ainsi que le détournement de ses investissements. La clôture de la procédure a été ordonnée le 25 mars 2010.

MOTIFS

Sur la validité des procès-verbaux de saisie-contrefaçon en date du 15 mai 2009 II convient tout d'abord de préciser que la saisie-contrefaçon est un moyen de preuve de la contrefaçon et sa nullité n'entraîne pas l'extinction de la procédure ni ne la rend irrégulière mais a pour effet le rejet des prétentions du demandeur si aucun autre moyen de preuve n'est fourni aux débats. La contestation de la validité de la saisie-contrefaçon constitue non une exception de procédure définie à l'article 73 du Code de procédure civile mais un moyen de défense au fond qui n'a pas à être soulevé in limine litis. Il ressort des procès-verbaux de saisie contrefaçon versés aux débats que, sur la base de la même Ordonnance en date du 11 mai 2009 autorisant la saisie, la société NEUF a fait concomitamment procéder le 15 mai 2009 à deux saisies contrefaçon par deux huissiers différents, soit Maître F, huissier de justice à Paris, au siège parisien du la société H&M [...] dans le 9eme arrondissement de Paris et Maître C, huissier de justice à Paris, dans le magasin H&M [...] dans le 8ème arrondissement de Paris. Or, ainsi que le fait pertinemment remarquer la société H&M, la simultanéité des opérations de saisie empêchait l'un des huissiers instrumentaires d'être porteur de la minute ou de l'expédition revêtue de la formule exécutoire de l'Ordonnance et ce en contravention avec les articles 495 et 503 du Code de procédure civile. En outre, il ressort des deux procès-verbaux de saisie contrefaçon dressés le 15 mai 2009 susvisés que les huissiers n'ont découvert sur les lieux des saisies aucun article argué de contrefaçon mais ont recueilli des déclarations des personnes présentes sur les objets argués de contrefaçon en décrivant le blouson en cause ou en présentant le modèle argué de contrefaçon. Si l'ordonnance présidentielle précitée autorisait l'huissier à présenter au saisi les pièces annexées à la présente requête et notamment le modèle original et celui argué de contrefaçon, celle-ci n'autorisait pas l'huissier, en l'absence de découverte préalable sur les lieux de la saisie d'objets argués de contrefaçon, de recueillir les déclarations spontanées des personnes présentes quant aux actes argués de contrefaçon. En procédant comme ils l'ont fait, les huissiers instrumentaires ont excédé les limites de leur mission. Au vu de l'ensemble de ces éléments, il convient d'annuler les procès-verbaux de saisie-contrefaçon dressés le 15 mai 2009 respectivement par Maître C et Maître F. Sur la validité du procès-verbal de constat en date du 27 février 2009 II ressort du procès-verbal du 27 février 2008 que celui-ci a été dressé par Maître A, huissier de justice à Paris, à la demande de la société NEUF qui désirait faire procéder au constat d'achat d'un blouson doté de deux fermetures à glissière en biais sur l'avant du vêtement et à la description de ce blouson acheté, pour la défense de ses droits et actions. L'huissier instrumentaire a alors constaté que Madame Sophie J qui l'accompagnait, se rendait dans le magasin à l'enseigne H&M [...] et en ressortait avec un sac comportant l'inscription H&M contenant son achat qu'elle lui remettait. De retour à son étude, l'huissier de justice a effectué une description du blouson, y a apposé un scellé et a annexé à son procès-verbal une photographie du blouson ainsi qu'une copie du ticket de caisse. Il apparaît ainsi que les opérations de l'huissier de justice ont été effectuées aux fins d'établir l'existence d'une contrefaçon et ont abouti à la description détaillée du blouson litigieux de telle sorte qu'elles réalisent une saisie-descriptive telle que prévue par l'article L 332-1 du Code de la propriété intellectuelle sans que les règles édictées par cet article ait été respectées et en particulier sans que la société requérante ait obtenu l'autorisation préalable du juge. Ainsi, l'acte réalisé en dehors du cadre légal doit être déclaré nul. Il sera donc écarté des débats. Sur la recevabilité à agir de la société NEUF sur le fondement du droit d'auteur II est constant que l'exploitation d'une œuvre par une personne morale sous son nom fait présumer, en l'absence de revendication judiciaire du ou des auteurs contre elle, à l'égard des tiers recherchés pour contrefaçon, que cette personne est titulaire sur l'œuvre du droit de propriété incorporelle de l'auteur. En l'espèce, pour justifier être titulaire de droits sur le modèle « blouson 5 zips », la société NEUF verse aux débats :- les parutions presse en 1999 du blouson en cause (pièces numéros 2 et 33) ;un croquis représentant un blouson comportant en haut les mentions manuscrites SGC#1, 30PK025 A.I. 99-00 et en bas Juillet 2008, S S 09 (pièce numéro 3) et un autre croquis représentant toujours le modèle de blouson avec les mentions manuscrites BC1 Homme BAS P/E 99 (pièce numéro 32);des copies d'étiquettes portant l'inscription Maison Martin M et des références (pièce numéro 22) ; un look-book Maison Martin M automne Hiver 99-00 (pièce numéro 34) ;- une liste de références comportant le nom de Martin M sur laquelle figure la représentation du blouson en cause avec des références différentes selon les années qui s'échelonnent entre 2003 et 2009 (pièce numéro 35) ;- des factures de la société Staff International, fabricant exclusif des articles de la société NEUF, datées de 1998 jusqu'à fin 2008 et portant notamment sur les références correspondant au modèle en cause identifié sous la mention caban en peau (pièces numéro 30 et 31) ;- un modèle de blouson portant une étiquette sur laquelle est inscrit : « Prodotto da Staff international SPA, noventa vicentina (VI) Italy Martin M ». Il ressort également des pièces versées aux débats par la demanderesse que son nom commercial est MAISON MARTIN M (pièce numéro 1) et que Martin M est également le nom d'un créateur bien connu (pièce numéro 23). Ainsi que le fait valoir la société défenderesse, il appartient à la société NEUF qui revendique être titulaire de droits d'auteur sur la création constituée par le « blouson 5 zips » et qui invoque à ce titre la présomption ci-dessus rappelée, de démontrer de manière certaine qu'elle a exploité publiquement et sans équivoque ce modèle sons son nom. Or, la plupart des pièces versées aux débats (pièces 2, 3, 22, 3à, 31, 32, 33, 34 et 35) sont des documents internes et ne peuvent participer à la démonstration que l'œuvre en cause a été exploitée publiquement sous son nom. En outre, les quelques coupures de presse en langue étrangère comme le blouson versé aux débats montrent, contrairement à ce que soutient la société demanderesse, que le modèle en cause est exploité publiquement non sous le nom commercial « Maison Martin Margiela » de la société qui revendique aujourd'hui des droits d'auteur sur cette création mais sous le nom de Martin M qui est celui d'un créateur renommé. La société NEUF ne justifie donc pas d'une exploitation publique et paisible de l'œuvre en cause et donc être titulaire de droits sur la création « blouson 5 zips ». Elle doit donc être déclarée irrecevable à agir sur le fondement de la contrefaçon du droit d'auteur. Sur la concurrence déloyale A l'appui de ses demandes au titre de la concurrence déloyale et parasitaire, la société NEUF fait état de la mise en ligne dès novembre 2008 sur le site Internet de la société H&M du modèle de blouson litigieux annonçant sa future commercialisation. Elle ajoute que la société H&M a voulu laisser croire qu'elle commercialise une version du véritable modèle original créé par Maison Martin M et de générer ainsi un fort risque de confusion entre les modèles. Elle considère en outre que la société H&M a commis des actes de parasitisme à son préjudice en tirant profit du savoir-faire, du travail intellectuel et des lourds investissements relatifs à la création de la ligne homme Maison Martin M. Toutefois, il n'est nullement établi par les pièces versées aux débats que la société NEUF commercialise le « blouson 5 zips » en cause et qu'elle est donc l'objet d'une concurrence déloyale ou d'agissement parasitaire de la part de la société H&M. La société NEUF est donc déboutée de ses demandes au titre de la concurrence déloyale et parasitaire. - Sur les autres demandes. La société NEUF, partie perdante, sera condamnée aux dépens. Elle devra en outre être condamnée à verser à la société H&M Hennés & Mauritz, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 5.000 €.L'exécution provisoire, sans objet, ne sera pas ordonnée.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et rendu en premier ressort, -DIT nuls les procès-verbaux de saisie contrefaçon dressés le 15 mai 2009 par Maître C et Maître F ; -DIT nul le procès-verbal de constat dressé par Maître A le 27 février 2009 ; - DIT la société NEUF irrecevable à agir sur le fondement du droit d'auteur faute de qualité ; -DEBOUTE la société NEUF de ses demandes au titre de la concurrence déloyale et des agissements parasitaires ; - DIT n'y avoir lieu à l'exécution provisoire ; -CONDAMNE la société NEUF à payer à la société H&M Hennés & Mauritz la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; -DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ; -CONDAMNE la société NEUF aux dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.