Chronologie de l'affaire
Tribunal judiciaire de Metz 16 avril 2021
Cour d'appel de Metz 12 décembre 2022

Cour d'appel de Metz, Chambre Sociale-Section 3, 12 décembre 2022, 21/01344

Mots clés Autres demandes contre un organisme · société · caisse · professionnelle · recours · risque · preuve · delai · reconnaissance · sécurité sociale · amiante · employeur · prise · tribunal judiciaire · exposition · tableau

Synthèse

Juridiction : Cour d'appel de Metz
Numéro affaire : 21/01344
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Décision précédente : Tribunal judiciaire de Metz, 16 avril 2021
Président : Madame Clarisse SCHIRER

Chronologie de l'affaire

Tribunal judiciaire de Metz 16 avril 2021
Cour d'appel de Metz 12 décembre 2022

Texte

Arrêt n° 22/00541

12 Décembre 2022

---------------

N° RG 21/01344 - N° Portalis DBVS-V-B7F-FQF5

------------------

Tribunal Judiciaire de METZ- Pôle social

16 Avril 2021

19/01109

------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

CHAMBRE SOCIALE

Section 3 - Sécurité Sociale

ARRÊT DU

douze Décembre deux mille vingt deux

APPELANTE :

CAISSE PRIMAIRE D' ASSURANCE MALADIE DE MOSELLE

[Adresse 8]

[Adresse 8]

[Localité 2]

représentée par Mme [C], munie d'un pouvoir général

INTIMÉE :

SA [7] VENANT AUX DROITS D'[6]

Ayant siège social [Adresse 10],

[Adresse 10],

[Localité 3],

Pris en son Etablissement [Adresse 1]

représentée par Me Frédéric BEAUPRE, avocat au barreau de METZ

substitué par Me CABOCEL , avocat au barreau de METZ

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Octobre 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Anne FABERT, Conseillère, magistrat chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Clarisse SCHIRER, Présidente de Chambre

Mme Carole PAUTREL, Conseillère

Mme Anne FABERT, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MATHIS, Greffier

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Madame Clarisse SCHIRER, Présidente de Chambre, et par Madame Sylvie MATHIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. [L] [M] a travaillé pour le compte de la société [6] ([4]) de 1963 à 2005 en qualité de mécanicien puis comme chef de groupe dans les usines Sollac à [Localité 9].

Le 3 août 2018, M. [L] [M] a déclaré à la Caisse primaire d'assurance maladie de Moselle (CPAM ou Caisse) une maladie professionnelle inscrite au tableau 30B des maladies professionnelles, en joignant à sa demande de reconnaissance un certificat médical initial établi le 1er août 2018 par le docteur [N] faisant état de plaques pleurales calcifiées bilatérales.

La Caisse a informé la société [4], par courrier du 1er octobre 2018, de la réception le 11 septembre 2018 de la déclaration de maladie professionnelle.

Par décision du 18 février 2019, la Caisse a admis le caractère professionnel de la maladie de M.[M] inscrite au tableau 30B des maladies professionnelles.

La société [4] a saisi le 15 avril 2019 la commission de recours amiable (CRA) de la Caisse afin que la décision du 18 février 2019 de prise en charge de la maladie de M. [L] [M] lui soit déclarée inopposable.

En l'absence de réponse de la CRA, la société [4] a saisi le 10 juillet 2019 le Pôle social du tribunal de grande instance de Metz, devenu tribunal judiciaire de Metz depuis le 1er janvier 2020, afin de contester la décision de rejet implicite de la commission de recours amiable, de dire la décision de reconnaissance prise par la Caisse inopposable à la société [7] ([5]), venant aux droits de la société [4], et de confirmer que le caractère professionnel de la pathologie de M. [L] [M] n'est pas établi dans les rapports entre la Caisse et la société [5].

Par jugement du 16 avril 2021, le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz, nouvellement compétent, a :

- déclaré inopposable à la société [7] la décision de prise en charge de la maladie professionnelle de M. [L] [M] (tableau 30B) rendue par la CPAM de Moselle le 18 février 2019 ;

- débouté la CPAM de Moselle de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné la CPAM de Moselle aux frais et dépens engagés à compter du 1er janvier 2019.

Par courrier recommandé expédié le 25 mai 2021, la CPAM de Moselle, a interjeté appel de cette décision qui lui avait notifiée par lettre recommandée datée du 21 avril 2021 dont l'accusé de réception ne figure pas au dossier de première instance.

Par conclusions datées du 14 septembre 2022 et soutenues oralement lors de l'audience de plaidoirie par son représentant, la CPAM de Moselle demande à la cour de :

- déclarer recevable et bien fondé l'appel formé par la Caisse le 25 mai 2021 ;

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 16 avril 2021 par le tribunal judiciaire de Metz ;

Et statuant à nouveau :

- déclarer la société [4] mal fondée en son recours et l'en débouter ;

- confirmer la décision de la commission de recours amiable du 11 juillet 2019 ;

- condamner la société [4] aux dépens.

Par conclusions datées du 23 septembre 2022 et soutenues oralement lors de l'audience de plaidoirie par son conseil, la société [7], venant aux droits d'[6], demande à la cour de :

A titre principal :

- infirmer la décision implicite de rejet de la CRA de la CPAM de Moselle ;

- infirmer la décision de prise en charge de la maladie professionnelle de M. [L] [M] de la CPAM de Moselle du 18 février 2019 ;

- confirmer que le caractère professionnel de la pathologie de M. [L] [M] n'est pas établi dans les rapports entre la Caisse et [5] venant aux droits de [4] ;

- dire la décision de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie de M. [L] [M] inopposable à [5] venant aux droits de [4].

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est expressément renvoyé aux écritures des parties et à la décision entreprise.


SUR CE,


SUR LE NON RESPECT DU DELAI D'INSTRUCTION PAR LA CPAM

La société [7] soulève l'irrégularité de la procédure suivie par la Caisse, retenant l'absence de justification du délai complémentaire auquel a eu recours la Caisse, ainsi que le non-respect du délai d'instruction, dès lors notamment que la décision finale de prise en charge a été prise le 18 février 2019 en dehors des délais fixés par l'article R441-10 du code de la sécurité sociale, et en l'absence de justification d'un motif rendant nécessaire la prolongation de trois mois du délai d'instruction telle que prévue à l'article R 441-14 du même code.

La société [7] soulève enfin la violation du principe du contradictoire, dès lors que la Caisse, par sa décision implicite de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie de M.[M], ne lui a pas donné l'opportunité de contester cette décision.

La Caisse primaire d'assurance maladie de Moselle indique que la procédure d'instruction a été respectée, que le délai de trois mois a été régulièrement prolongé de trois mois supplémentaires et que la décision de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie de M. [L] [M] a été notifiée à l'employeur dans le délai de 6 mois, la société [7] ayant été informée par ailleurs de la possibilité de consulter le dossier.

**********************

Sur les délais d'instruction

L'article R 441-10 du code de la sécurité sociale, dans sa version en vigueur du 10 juin 2016 au 1er décembre 2019, énonce que la caisse dispose d'un délai de trente jours à compter de la date à laquelle elle a reçu la déclaration d'accident et le certificat médical initial ou de trois mois à compter de la date à laquelle elle a reçu le dossier complet comprenant la déclaration de la maladie professionnelle intégrant le certificat médical initial et le résultat des examens médicaux complémentaires le cas échéant prescrits par les tableaux de maladies professionnelles pour statuer sur le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie.

L'article R 441-14 de ce même code dispose que, lorsqu'il y a nécessité d'examen ou d'enquête complémentaire la caisse doit en informer la victime ou ses ayants droit et l'employeur avant l'expiration du délai prévu au premier alinéa de l'article R441-10 par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, et qu'à l'expiration d'un nouveau délai qui ne peut excéder deux mois en matière d'accident du travail ou trois mois en matière de maladie professionnelle à compter de la date de cette notification et en l'absence de décision de la caisse, le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie est reconnu.

Enfin, il sera rappelé que la seule sanction du non respect par la Caisse du délai de 3 mois prévu dans les textes précités est la reconnaissance implicite de la prise en charge de la maladie au titre des risques professionnels dont seul l'assuré peut se prévaloir, et non l'inopposabilité de la décision de prise en charge à l'employeur.

En l'espèce, il appert que le premier délai imparti à la CPAM de Moselle pour statuer expirait le 11 décembre 2018, soit trois mois après la réception de la demande effectuée le 11 septembre 2018, mais qu'à l'intérieur de ce délai, soit le 7 décembre 2018 (pièce n°8 de la Caisse), la Caisse a notifié à la société [4], un délai complémentaire d'instruction, lequel apparaissait totalement justifié, l'instruction étant en cours, l'ingénieur conseil régional de la CARSAT Alsace-Moselle, interrogé par la caisse ne s'étant prononcé que le 29 janvier 2019 et l'employeur n'ayant pas répondu au questionnaire qui lui a été adressé par la Caisse le 1er octobre 2018.

Ensuite, il ressort de l'examen des pièces du dossier qu'avant l'expiration du délai pour statuer, soit avant le 7 mars 2019, la Caisse a notifié à la société [4] le 18 février 2019 sa décision de prise en charge d'une maladie professionnelle (pièce 12 de la caisse).

Il résulte de ce qui précède que la caisse a statué dans les délais légaux .

Le moyen tiré du non respect des délais est rejeté.

Sur le moyen pris de la violation du principe du contradictoire

L'article R 441-14, alinéa 3, du code de la sécurité sociale dans sa version applicable au présent litige édicte que « Dans les cas prévus au dernier alinéa de l'article R 441-11 [réalisation d'une enquête], la caisse communique à la victime ou à ses ayants droit et à l'employeur au moins dix jours francs avant de prendre sa décision, par tout moyen permettant d'en déterminer la date de réception, l'information sur les éléments recueillis et susceptibles de leur faire grief ainsi que sur la possibilité de consulter le dossier mentionné à l'article R 441-13 ».

L'alinéa 4 de l'article R 441-14 du code de la sécurité sociale précise que « la décision motivée de la caisse est notifiée, avec mention des voies et délais de recours par tout moyen permettant de déterminer la date de réception, à la victime ou ses ayants droit, si le caractère professionnel de l'accident, de la maladie professionnelle ou de la rechute n'est pas reconnu, ou à l'employeur dans le cas contraire. Cette décision est également notifiée à la personne à laquelle la décision ne fait pas grief ».

En l'espèce, la Caisse a adressé à la société [4] le 28 janvier 2019 une lettre l'informant de la possibilité de consulter le dossier avant décision sur la maladie professionnelle (pièce 11 de la caisse), précisant que la décision interviendrait le 17 février 2019 et que l'employeur pouvait venir consulter les pièces constitutives du dossier.

Il s'ensuit que, par cet avis, la Caisse a communiqué une information suffisante pour mettre l'employeur en mesure de prendre connaissance des éléments susceptibles de lui faire grief et de faire valoir ses arguments. La Caisse a ensuite pris sa décision de prise en charge de la maladie professionnelle ,le 18 février 2019, de sorte que le délai de 10 jours francs laissé à l'employeur pour faire valoir ses observations a été respecté.

Il s'ensuit que le moyen tiré de la violation du principe du contradictoire est rejeté.

SUR L'EXPOSITION PROFESSIONNELLE AU RISQUE

La CPAM de Moselle sollicite l'infirmation du jugement entrepris, estimant avoir apporté la preuve que les conditions légales pour établir l'origine professionnelle de la maladie de M. [L] [M] se trouvent réunies à l'égard de la société [7]. Elle relève que cette exposition au risque est établie par les éléments du dossier, et notamment par les réponses apportées par M. [L] [M] au questionnaire que la Caisse lui a adressé, par l'avis de l'inspection du travail et par l'avis de la CARSAT. La Caisse énonce enfin que la société [7] n'apporte aucun élément de preuve de nature à faire tomber la présomption d'origine professionnelle de la maladie dont est atteint M. [L] [M].

La société [7] sollicite la confirmation du jugement entrepris. Elle soutient que la Caisse a pris en charge la maladie déclarée sans que les conditions de fond du tableau n°30B ne soient remplies, dès lors que la Caisse ne rapporte pas la preuve d'une exposition du salarié au risque d'inhalation des poussières d'amiante durant l'exercice de ses emplois successifs au sein de l'entreprise.

La société [7] fait valoir qu'il ne résulte ni du questionnaire rempli par M. [L] [M], ni des autres éléments du dossier, notamment en l'absence de témoignages et en l'absence de courrier circonstancié de la DIRECCTE, la moindre preuve d'une exposition au risque d'inhalation de poussières d'amiante de l'intéressé.

**********************

Aux termes de l'article L 461-1 du code de la sécurité sociale, est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions désignées dans ce tableau.

En cas de recours de l'employeur, il incombe à l'organisme social qui a décidé d'une prise en charge de rapporter la preuve de la réunion des conditions exigées par le tableau.

Pour renverser cette présomption, il appartient à l'employeur de démontrer que la maladie est due à une cause totalement étrangère au travail.

En l'espèce, il n'est pas contesté que la maladie dont se trouve atteint M. [L] [M] répond aux conditions médicales du tableau n°30B. Seule est contestée l'exposition professionnelle de M. [L] [M] au risque d'inhalation de poussières d'amiante.

Il convient de rappeler que le tableau n°30B désigne les plaques pleurales confirmées par un examen tomodensitométrique comme maladie provoquée par l'inhalation de poussières d'amiante. Ce tableau prévoit un délai de prise en charge de 40 ans et une liste indicative des principaux travaux susceptibles de provoquer cette affection.

S'agissant de l'exposition au risque, il appartient à l'assuré, ou à la CPAM en sa qualité de subrogé dans les droits de son assuré, de rapporter la preuve d'une exposition effective et habituelle au risque d'inhaler les poussières et fibres d'amiante.

Au soutien de sa position tendant à voir démontrée l'exposition professionnelle de M. [L] [M] au risque d'inhalation de poussières d'amiante, la CPAM de Moselle verse aux débats le questionnaire « assuré » rempli par M. [L] [M] (pièce n°5 de la caisse) dans lequel il précise avoir exercé au sein de la société employeur les fonctions de chaudronnier-soudeur entre le 13 septembre 1963 et le 30 juin 2005, et avoir accompli des tâches de soudure sur pièces (350°/400°), d'emprise, d'allonge (refroidissement lent sous matelas d'amiante).

L'employeur interrogé par la caisse dans le cadre de l'instruction de la maladie professionnelle n'a pas renseigné le questionnaire qui lui a été adressé et n'a fourni aucune description des postes de travail tenus par son salarié. ; Il doit par conséquent être admis qu'il ne conteste pas les tâches décrites par son salarié, Monsieur [M].

La CPAM produit également un courrier de l'inspecteur du travail (DIRECCTE du Grand Est) du 29 novembre 2018 (pièce n°7 de la caisse) dans lequel celui-ci précise, après avoir rappelé que les types d'activités présents sur le site de production de métaux de [Localité 9] et la nature des équipements présents sur ce site entraînaient, jusqu'à l'interdiction de l'amiante, une forte utilisation de matériaux amiantés, que M. [L] [M], « compte tenu de son emploi et de sa période d'emploi a été amené à être en contact avec des matériaux amiantés, à travailler à proximité de matériaux amiantés, à intervenir sur des pièces contaminées par des fibres d'amiante » Il en conclut : « Dès lors, une exposition professionnelle de Monsieur [L] [M] à de fibres d'amiante semble avérée. »

L'Ingénieur conseil régional interrogé par la caisse, dans un courrier du 17 janvier 2019, conclut également à une possible exposition de M. [L] [M] au risque d'inhalation de poussière d'amiante.

Au vu de ces éléments, et en l'absence de toute contradiction apportée par l'employeur lors de l'instruction de la maladie professionnelle, la caisse était fondée à considérer que l'exposition au risque amiante de M. [M] était établie.

Dès lors , en l'absence de toute preuve contraire de l'existence d'une cause totalement étrangère au travail,il doit être admis que la maladie, plaques pleurales de Monsieur [M], revêt un caractère professionnel.

Le jugement entrepris est, en conséquence, infirmé et la société [7] est débouté de son recours en inopposabilité de la décision de prise en charge.

L' intimée qui succombe est condamnée aux dépens d'instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS



La cour,

INFIRME le jugement entrepris du Pôle social du tribunal judiciaire de Metz du 16 avril 2021.

Statuant à nouveau,

DEBOUTE la société [7] venant aux droits de la société [6] de son recours en inopposabilité de la décision de la CPAM de Moselle du 18 février 2019 de prise en charge , au titre de la législation sur les risques professionnels, de la maladie, plaques pleurales , de Monsieur [L] [M].

En conséquence,

DECLARE opposable à la société [7] ladite décision de la caisse du 18 février 2019.

CONDAMNE la société [7] aux dépens d'instance et d'appel.

Le greffier Le Président