Cour d'appel de Grenoble, Chambre 1, 10 janvier 2023, 21/02309

Synthèse

  • Juridiction : Cour d'appel de Grenoble
  • Numéro de pourvoi :
    21/02309
  • Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
  • Décision précédente :tribunal judiciaire de Gap, 23 février 2021
  • Lien Judilibre :https://www.courdecassation.fr/decision/63be638913ef607c90ab6551
  • Président : Mme Catherine Clerc
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Chronologie de l'affaire

Cour d'appel de Grenoble
2023-01-10
tribunal judiciaire de Gap
2021-02-23

Texte intégral

N° RG 21/02309 - N° Portalis DBVM-V-B7F-K4M5 C3 N° Minute : Copie exécutoire délivrée le : à : Me Nicolas WIERZBINSKI la SCP CHAPUIS CHANTELOVE GUILLET-LHOMAT AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS COUR D'APPEL DE GRENOBLE PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT

DU MARDI 10 JANVIER 2023 Appel d'une décision (N° RG 11-20-319) rendue par le Président du Tribunal judiciaire de GAP en date du 23 février 2021 suivant déclaration d'appel du 20 mai 2021 APPELANTE : Mme [V] [F] née le 22 Février 1984 à [Localité 1] de nationalité Française [Adresse 2] [Localité 1] représentée par Me Nicolas WIERZBINSKI, avocat au barreau de HAUTES-ALPES (bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/004293 du 06/05/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de GRENOBLE) INTIMEE : LA S.A.R.L. CONTROLE TECHNIQUE AUTOMOBILE ROMANAIS - CTAR - prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège [Adresse 4] [Localité 3] représentée par Me Roselyne CHANTELOVE de la SCP CHAPUIS CHANTELOVE GUILLET-LHOMAT, avocat au barreau de GRENOBLE COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ : Mme Catherine Clerc, président de chambre, Mme Joëlle Blatry, conseiller, M. Laurent Desgouis, vice-président placé, DÉBATS : A l'audience publique du 22 novembre 2022 Mme Clerc président de chambre chargé du rapport, assistée de Mme Anne Burel, greffier, a entendu les avocats en leurs observations, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile. Elle en a rendu compte à la cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu ce jour. FAITS ET PROCEDURE Le 20 septembre 2018, Mme [V] [F] a fait l'acquisition auprès de M. [J] [I] exerçant sous l'enseigne « ELITE MOTORS » d'un véhicule d'occasion de marque et de type FIAT DOBLO affichant au compteur un kilométrage de 296 500 moyennant le prix de 2.000 euros payé pour partie au moyen d'une reprise de 900 euros. La facture d'achat mentionne « moteur remplacé kilométrage environ 125 500, distribution à jour ». Le contrôle technique effectué le 27 août 2018 par la SARL CTAR faisait état de plusieurs défaillances mineures sans nécessité d'une contre-visite. Le véhicule présentant des dysfonctionnements, l'acquéreur a fait réaliser le 23 octobre 2018 un nouveau contrôle technique, qui a notamment fait apparaître plusieurs défauts majeurs soumis à obligation de contre-visite affectant la timonerie de direction, l'orientation d'un feu de croisement, les éclairages, les feux stop, les ressorts et stabilisateurs présentant un risque à l'avant et le dispositif d'échappement présentant une fuite excessive de liquide autre que de l'eau. Le 24 octobre 2018, Mme [F] a déposé une plainte pénale pour escroquerie à l'encontre du vendeur. Par actes d'huissier du 30 novembre 2020, elle a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Gap d'une part, M. [I] en résolution de la vente pour vices cachés, restitution du prix, reprise du véhicule par le vendeur et paiement de diverses sommes à titre de dommages et intérêts, et d'autre part la SARL « Contrôle technique automobile romanais » (CTAR) en paiement de la somme de 4.500 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de sa responsabilité extra contractuelle. Assigné à dernier domicile connu M. [I] n'a pas comparu devant le tribunal. Bien qu'assignée à sa personne, la société CTAR a été également défaillante en première instance. Par jugement réputé contradictoire en date du 23 février 2021, le tribunal judiciaire de Gap a : -prononcé la résolution de la vente intervenue entre les parties le 20 septembre 2018, - condamné M. [I] à payer à Mme [F] la somme de 2.864,74 euros avec intérêts au taux légal à compter du 30 novembre 2020 au titre de la restitution du prix de vente, des a frais d'assurance, du coût du contrôle technique et du préjudice de jouissance subi par l'acquéreur, -ordonné la reprise du véhicule par M. [I], - débouté Mme [F] du surplus de ses demandes, -condamné M. [I] à payer à l'avocat de Mme [F] la somme de 800 euros en application de l'article 700 2e du code de procédure civile, et à supporter les dépens de l'instance. Le tribunal a considéré en substance que : -le second contrôle technique et le devis de réparation apportaient la preuve de l'existence des vices cachés allégués, -le véhicule ayant parcouru 2000 km entre les deux contrôles techniques, la faute du contrôleur n'était pas établie, tandis qu'il n'était pas justifié d'un préjudice en lien avec la faute alléguée. Mme [F] a relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 20 mai 2021 en intimant la seule SARL CTAR et en critiquant le jugement exclusivement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en dommages et intérêts à l'encontre de cette dernière. Vu les conclusions n°2 déposées et notifiées le 17 février 2022 par Mme [F] qui demande à la cour, par voie de réformation partielle du jugement, de juger que la société CTAR a engagé sa responsabilité délictuelle à son égard, de condamner cette dernière à lui payer la somme de 4.500 euros à titre de dommages et intérêts, outre une indemnité de 2.800 euros au profit de son avocat, et subsidiairement d'ordonner avant dire droit une mesure d'expertise judiciaire aux fins notamment de déterminer les différences entre les défauts relevés par les contrôles techniques successifs. Elle fait valoir que : -le centre de contrôle technique, qui n'effectue pas correctement sa prestation, engage sa responsabilité délictuelle envers l'acheteur en faisant perdre à ce dernier une chance de renoncer à l'opération, -la société CTAR n'a pas détecté les neuf défaillances majeures mises en évidence par le contrôle technique volontaire réalisé à sa demande le 23 octobre 2018, moins de deux mois après le premier contrôle, -les 2000 km parcourus entre les deux contrôles ne peuvent expliquer l'apparition des graves désordres affectant le véhicule, alors notamment que le défaut majeur présentant un risque affectant le « ressort et stabilisateur » n'a pas pu apparaître avec le temps, puisqu'il résulte d'une modification réalisée sur le véhicule, laquelle n'aurait pas dû échapper au contrôleur, que le contrôle technique défectueux remis par le vendeur l'a induite en erreur sur l'état réel du véhicule, qu'elle n'aurait pas acquis si elle avait eu connaissance des conclusions du second contrôleur, -elle a ainsi été privée d'une chance de ne pas acquérir le véhicule, ce qui lui a causé un préjudice distinct justifiant l'octroi d'une somme de 4.500 euros à titre de dommages et intérêts. Vu les conclusions récapitulatives déposées et notifiées le 6 septembre 2022 par la SARL CTAR qui sollicite la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et la condamnation de l'appelante à lui payer une indemnité de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens avec recouvrement au profit de Me Roselyne Chantelove, SCP Chapuis Chantelove Guillet-Lhomat. Elle fait valoir que : -la mission du contrôleur technique définie par un arrêté ministériel modifié du 18 juin 1991 consiste à effectuer sans démontage un contrôle sur des points limitativement énumérés, -il incombe au demandeur de prouver le manquement du contrôleur à son obligation de moyens, c'est-à-dire que le défaut était nécessairement présent et visible lors des opérations de contrôle, -en l'espèce le second contrôle technique effectué le 23 octobre 2018, deux mois après le contrôle initial litigieux et plus de 2000 km parcourus, mentionne deux défaillances majeures concernant la timonerie de direction et le dispositif d'échappement, qu'elle avait elle-même relevées lors de son contrôle du 27 août 2018 et qui se sont vraisemblablement aggravées, étant observé que ces désordres n'impliquent pas des frais de remise en état importants et qu'en l'absence de fuite la mauvaise fixation de l'échappement ne nécessite pas une contre-visite, -la fuite excessive de liquide autre que de l'eau, qui n'a été décelée par l'acquéreur qu'après deux mois d'utilisation du véhicule, est de toute évidence survenue après le contrôle technique initial, la preuve contraire n'étant pas rapportée, -plusieurs défaillances majeures relevées par le second contrôle, qui en raison de leur caractère apparent sont nécessairement postérieures à la vente, concernent l'éclairage du véhicule, ce qui nécessite seulement le remplacement des ampoules et l'ajustement de la hauteur des feux, -il n'est pas établi que les défauts affectant les amortisseurs (ressorts et stabilisateurs), qui sont des pièces d'usure se détériorant dans le temps, étaient présents lorsqu'elle a examiné le véhicule, -en toute hypothèse sa faute éventuelle ne serait pas en relation causale avec le dommage allégué, alors que les défauts non signalés, n'impliquant pas de travaux importants, n'étaient pas de nature à influer sur le choix de l'acquéreur, s'agissant d'un véhicule âgé de 16 ans ayant parcouru plus de 295 000 km, -il n'est ainsi pas justifié d'une perte de chance de ne pas acquérir ou d'acquérir à un moindre prix, -Mme [F] ne justifie pas de l'existence ni de la nature d'un quelconque préjudice complémentaire non réparé dans le cadre de l'action en garantie des vices cachés dirigée contre le vendeur, -le contrôleur technique ne pourrait être condamné à garantir quelles que soient les difficultés d'exécution rencontrées, étant observé que l'acquéreur ne peut s'enrichir en obtenant une condamnation supérieure au prix d'acquisition du véhicule, -une expertise serait aujourd'hui inutile, puisqu'il est définitivement jugé que le véhicule était atteint de vices cachés et que plus de trois ans après les faits la date d'apparition des désordres ne pourrait plus être déterminée. L'instruction a été clôturée par une ordonnance rendue le 18 octobre 2022.

MOTIFS

Un arrêté du 18 juin 1991 définit les modalités du contrôle technique obligatoire des véhicules automobiles . Son annexe I contient la liste détaillée des points de contrôle, tandis que l'annexe 2 rappelle que la visite est effectuée sans démontage et porte sur l'ensemble des points visés par l'arrêté. Il est de principe que la mission d'un centre de contrôle technique se bornant , en l'état de l'arrêté du 18 juin 1991, à la vérification, sans démontage du véhicule, d'un certain nombre de points limitativement énumérés par ce texte, sa responsabilité ne peut être engagée en dehors de cette mission ainsi restreinte, qu'en cas de négligence susceptible de mettre en cause la sécurité du véhicule. La responsabilité du contrôleur est ainsi incontestablement engagée s'il néglige de détecter un défaut, perceptible, concernant un point qu'il a mission de vérifier, mais aussi s'il n'a pas révélé des vices graves, constatés sans démontage, qui ne relèvent pas normalement des points qu'il doit contrôler. Dans ce dernier cas il appartient alors au vendeur ou à l'acheteur d'apporter le preuve de la faute commise par le contrôleur technique. En l'espèce la responsabilité quasi délictuelle de la société CTAR n'est pas recherchée dans le cadre de son obligation générale de moyens de détecter les vices graves affectant le véhicule, mais, au vu d'un contrôle technique ultérieur, pour avoir failli à sa mission réglementaire en ne mentionnant pas divers défauts relevant des points de contrôle limitativement énumérés par l'arrêté du 18 juin 1991 modifié. La comparaison entre le procès-verbal de contrôle technique rédigé le 27 août 2018 pour les besoins de la vente du véhicule et le procès-verbal de contrôle volontaire du 23 octobre 2018 établi à la demande de l'acquéreur fait apparaître tout d'abord que les défauts portant sur l'état de la timonerie de direction (capuchon antipoussière endommagé ou détérioré) et sur le dispositif d'échappement ont été signalés par la société CTAR, qui n'encourt donc aucune responsabilité à ce titre, même si les deux contrôleurs techniques n'ont pas eu la même appréciation sur la gravité de ces désordres qualifiés de majeurs par la société CTHA. La cour observe à cet effet que l'acquéreur a parcouru 2000 km entre les deux contrôles, ce qui a nécessairement aggravé les désordres affectant le dispositif d'échappement eu égard à l'âge (16 ans) et au kilométrage total du véhicule (près de 300 000 km), et ce qui peut donc expliquer que la société CTAR n'ait pas décelé l'impossibilité de contrôle des émissions à l'échappement, ni la fuite excessive de liquide autre que de l'eau qui ont été mises en évidence par le second contrôleur. En revanche la société CTAR, contrairement au second contrôleur technique, n'a pas mentionné que les ressorts et stabilisateurs avant gauche et avant droit avaient subi une modification présentant un risque, ce qui constitue un manquement à ses obligations, puisqu'il s'agit d'une défaillance relevant du point de contrôle 5.3.1.d.2 de l'annexe I à l'arrêté du 18 juin 1991 modifié. Ce défaut n'a pas pu apparaître, en effet, à l'usage comme résultant d'une modification réalisée par le vendeur professionnel, qui au vu de la facture de vente du 10 septembre 2018 a réalisé d'importants travaux de réparation et de rénovation du véhicule. La société CTAR a également manqué à son obligation de vérification s'agissant des points de contrôle réglementaires portant sur les dispositifs d'éclairage, peu important le coût modique des réparations nécessaires, dès lors qu'elle n'a pas notamment signalé l'orientation défectueuse du feu de croisement avant droit et le défaut affectant la couleur de la lumière émise par les phares, qui existaient nécessairement au jour de son contrôle. Ces insuffisances engagent la responsabilité quasi délictuelle de la société CTAR à l'égard de Mme [F], qui a ainsi nécessairement perdu une chance de ne pas acquérir le véhicule ou de payer un prix moindre. Contrairement à ce qui est affirmé il est en effet établi, devis à l'appui, que le coût des travaux de réparation nécessaires était équivalent au prix d'achat du véhicule, tandis que l'acquéreur a été privé d'une information importante relative à la sécurité du véhicule s'agissant de la modification apportée aux ressorts et stabilisateurs avant. Le jugement sera par conséquent réformé en ce qu'il a exonéré le contrôleur technique de toute responsabilité envers l'acquéreur. L'appelante, qui a obtenu satisfaction dans ses rapports avec le vendeur, lequel a été condamné à la restitution du prix versé, outre dommages et intérêts, y compris en réparation d'un préjudice de jouissance, n'est cependant pas fondée à solliciter en réparation de sa perte de chance le paiement d'une indemnité forfaitaire manifestement excessive de 4.500 euros, qui fait double emploi avec le préjudice déjà indemnisé dans le cadre de l'action en résolution de la vente pour vices cachés, le contrôleur technique ne pouvant être condamné à garantir le vendeur. Le préjudice distinct non encore réparé, qui a été nécessairement subi en lien avec la faute du contrôleur technique, ne peut correspondre dès lors qu'à une fraction du préjudice constitué par les multiples désagréments engendrés par l'acquisition d'un véhicule se révélant rapidement impropre à son usage, ainsi que par la nécessité dans laquelle Mme [F] s'est trouvée de solliciter en justice la résolution de la vente, l'insolvabilité du vendeur, qui est attestée par l'huissier de justice chargé de l'exécution du jugement, ayant aggravé ce préjudice de désagrément. Il sera par conséquent alloué de ce chef à Mme [F] une indemnité de 1.000 euros correspondant à une fraction significative du préjudice subi en l'état d'une perte de chance importante de pas acquérir, eu égard à la nature des désordres qui auraient dû être portés à sa connaissance. Cette dernière est bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, et il n'apparaît pas toutefois inéquitable de faire application en cause d'appel au profit de son avocat des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

PAR CES MOTIFS

LA COUR statuant publiquement, dans les limites de l'appel, par arrêt contradictoire, Réforme le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme [V] [F] de ses demandes dirigées contre la SARL CTAR et statuant à nouveau de ce chef : Déclare la SARL CTAR responsable à l'égard de Mme [V] [F] d'un défaut de vérification dans le cadre de sa mission réglementaire de contrôle technique automobile, Condamne la SARL CTAR à payer à Mme [V] [F] la somme de 1.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice de perte de chance de ne pas acquérir ou d'acquérir à un prix moindre, Déboute Mme [V] [F] du surplus de sa demande indemnitaire, Dit n'y avoir lieu à application au profit de l'avocat de l'appelante des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, Condamne la SARL CTAR aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux lois sur l'aide juridictionnelle. Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Signé par Madame Clerc, président, et par Madame Burel, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire. LE GREFFIER LE PRESIDENT