Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème Chambre, 5 mai 2022, 20LY01459

Synthèse

  • Juridiction : Cour administrative d'appel de Lyon
  • Numéro d'affaire :
    20LY01459
  • Type de recours : Fiscal
  • Dispositif : Satisfaction partielle
  • Décision précédente :Tribunal administratif de Lyon, 17 mars 2020
  • Lien Légifrance :https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/CETATEXT000045766853
  • Rapporteur : M. François BOURRACHOT
  • Rapporteur public :
    M. VALLECCHIA
  • Président : M. BOURRACHOT
  • Avocat(s) : VOGEL
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Chronologie de l'affaire

Cour administrative d'appel de Lyon
2022-05-05
Tribunal administratif de Lyon
2020-03-17

Texte intégral

Vu la procédure suivante

: Procédure contentieuse antérieure La société par actions simplifiée (SAS) Financière JPG a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2012, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 20 000 euros au titre des frais liés au litige. Par un jugement n° 1808835 du 17 mars 2020, le tribunal administratif de Lyon a rejeté ses demandes. Procédure devant la cour Par une requête et un mémoire, enregistrés le 15 mai 2020 et le 18 décembre 2020, la SAS Financière JPG, représentée par Me Vogel, demande à la cour : 1°) d'annuler ce jugement ; 2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2012, ainsi que des pénalités correspondantes ; 3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 20 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - le jugement a insuffisamment motivé sa réponse au moyen tiré de l'erreur de droit que constituerait la prise en compte de liens familiaux indirects pour apprécier le risque d'illiquidité des titres non cotés ; - contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, l'application d'une décote pour illiquité ne pouvait être refusée en raison du caractère intrafamilial de la transaction, lequel ne rend pas sans objet la contrainte d'illiquité pesant sur le cessionnaire lors de la revente ultérieure des titres et influençant ainsi leur prix au moment de l'achat ; un tel correctif devait être appliqué en l'espèce eu égard aux méthodes de valorisation retenues par l'administration, conduisant à une valeur de titres supposés être liquides, ainsi qu'à leurs modalités de mise en œuvre ; - c'est à tort que le tribunal a refusé de tenir compte d'une décote de taille, dont l'application est justifiée exclusivement par la petite taille de la société, indépendamment de ses résultats ; - la valeur de la société ATC est par ailleurs défavorablement affectée par sa dépendance à un homme-clé ; - en calculant la valeur de productivité de la société ATC en appliquant un taux de capitalisation porté à 9,44% ainsi qu'une décote de 30% tenant compte du défaut de liquidité des titres, de la petite taille de l'entreprise et de sa dépendance à M. C... B..., et en combinant cette valeur à la valeur mathématique retenue par l'administration, selon la formule de pondération appliquée par le service, l'écart entre la valeur vénale des titres et leur prix de cession s'établit à 8,67%, voire 14% en retenant le taux de capitalisation admis par la commission départementale des impôts ; - ces écarts n'étant pas significatifs, l'administration n'apporte pas la preuve qui lui incombe d'une libéralité consentie par la société Financière JPG à la société Financière JBPA à l'occasion de la cession des titres de la société ATC. Par un mémoire en défense, enregistré le 30 octobre 2020, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés. Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ; - le code de justice administrative ; Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ; Après avoir entendu au cours de l'audience publique : - le rapport de M. Bourrachot, président, - les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public, - et les observations de Me Vogel, représentant la SAS Financière JPG ;

Considérant ce qui suit

: 1. La SAS Financière JPG a cédé à la SAS Financière JBPA, à la date du 1er janvier 2012, 3 960 titres lui appartenant dans le capital social de la SAS Assistance Technique et Commercialisation (ATC), spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de spécialités chimiques pour l'industrie du cuir, au prix convenu de 9 999 000 euros, soit 2 525 euros par action. A l'issue d'une vérification de la comptabilité de la SAS Financière JPG, l'administration fiscale a estimé que la valeur vénale des titres cédés avait été sous-évaluée et que la minoration de prix ne relevait pas d'une gestion commerciale normale mais était constitutive d'une libéralité à l'égard de la SAS Financière JBPA, laquelle a été concomitamment regardée comme ayant bénéficié d'une distribution de fonds sociaux. Par proposition de rectification du 17 décembre 2015, l'administration fiscale a en conséquence assujetti la SAS Financière JPG à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre de l'année 2012, assises sur l'insuffisance de prix, et assorties de pénalités pour manquement délibéré. Les rectifications ont été réduites après l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires du 10 février 2017 puis mises en recouvrement à hauteur d'une somme de 1 722 484 euros, en droits et pénalités. La SAS Financière JPG demande à la cour d'annuler le jugement du 17 mars 2020 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions supplémentaires maintenues à sa charge du chef de cette rectification. Sur le bien-fondé de l'imposition : 2. Aux termes de l'article 38 du code général des impôts, rendu applicable à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " 1. (...) le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d'éléments quelconques de l'actif, soit en cours, soit en fin d'exploitation. / 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés (...) ". 3. Le fait, pour une entreprise, de céder à l'un de ses actionnaires des titres d'une de ses filiales à un prix notablement inférieur à leur valeur réelle ne relève pas, en règle générale, d'une gestion normale, sauf s'il apparaît qu'en consentant un tel avantage, l'entreprise a agi dans son propre intérêt. S'il appartient à l'administration d'apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour estimer que l'avantage consenti sans contrepartie à l'occasion de cette cession de titres constitue un acte anormal de gestion, à concurrence de l'insuffisance du prix stipulé, elle est réputée apporter cette preuve dès lors que cette entreprise n'est pas en mesure de justifier qu'elle a bénéficié en retour de contreparties. 4. La valeur vénale d'actions non admises à la négociation sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir un montant aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où la cession est intervenue. En l'absence de transactions portant sur des sociétés similaires à celle pour laquelle l'administration doit calculer la valeur vénale des titres, celle-ci peut légalement se fonder sur l'une des méthodes destinées à déterminer la valeur de l'actif ou sur la combinaison de plusieurs de ces méthodes. Elle est également en droit de prendre en compte les éléments propres à la cession. 5. Il résulte de l'instruction que, pour rehausser au montant de 3 379 euros, après avis de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, la valeur unitaire des titres de la SAS ATC, l'administration, en l'absence, non discutée, de termes de comparaison pertinents, a calculé la valeur mathématique, s'établissant à 2 569 euros par titre, puis la valeur de productivité, retenue en dernier lieu à hauteur de 5 001 euros par titre, des parts de la SAS ATC, puis a combiné ces deux méthodes d'évaluation selon une pondération privilégiant, à hauteur des 2/3, la valeur mathématique. Il résulte également de l'instruction que l'associé majoritaire, à hauteur de 99,88%, de la SAS Financière JPG est M. C... B..., qui détient également 2% de la SAS Financière JBPA, laquelle est détenue pour le surplus à parts égales par ses fils, A.... Jean-Baptiste et Pierre-Antoine B..., associés à hauteur de 49% chacun et également détenteurs de 0,04% chacun du capital social de la SAS Financière JPG. 6. En premier lieu, il résulte des termes de la proposition de rectification et de l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, sur le point admis par le service, que la valeur de productivité des titres de la SAS ATC a été calculée en appliquant au résultat net courant de l'entreprise des multiples ou taux tirés du marché, qu'il s'agisse du taux sans risque, de la prime de risque historique ou du coefficient de risque propre à l'entreprise évaluée. Il s'ensuit qu'aucune des méthodes d'évaluation des titres de la SAS ATC ne tient compte, par elle-même, de l'étroitesse du marché de ces titres non cotés sur un marché réglementé et de leur défaut subséquent de liquidité. La circonstance que l'approche mathématique et l'approche par la rentabilité aient été combinées ne suffit pas davantage à inclure dans l'évaluation de la valeur vénale ainsi obtenue la perte résultant pour de tels biens de l'impossibilité de les convertir immédiatement en liquidités sur un marché organisé. Il ne résulte par ailleurs pas de l'instruction qu'un mécanisme particulier permettrait en l'espèce de compenser la faible liquidité de ces titres. Enfin, la circonstance que la cession en litige ait porté sur une part majoritaire des titres ne supprime pas, par elle-même et à elle seule, leur moindre liquidité pour l'acquéreur. Si la requérante n'est pas fondée à invoquer l'application supplémentaire d'une décote particulière résultant de contraintes contractuelles, dès lors que les clauses du pacte d'associés dont elle se prévaut ne portent pas directement sur la liquidité des titres, elle peut en revanche à bon droit demander l'application d'une décote en raison de la faible liquidité des titres cédés. 7. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que le taux de prime de risque et le coefficient de risque utilisés pour déterminer la valeur de productivité proviennent de données issues de l'observation des marchés boursiers, et il n'est pas contesté qu'une entreprise de plus petite taille, à l'instar de la SAS ATC, est susceptible d'être davantage sensible au risque, justifiant l'ajustement à la baisse de sa valeur pour un investisseur. Contrairement à l'affirmation non circonstanciée du vérificateur, reprise dans les écritures en défense, il n'est pas établi que la SAS ATC exercerait son activité sur une niche du marché, alors que la requérante établit à l'inverse, au demeurant sans contradiction sérieuse, exercer son activité sur un marché international extrêmement concurrentiel, dominé par de grandes entreprises du secteur de la chimie, lesquelles disposent d'un savoir-faire au moins équivalent à celui de la société cédée. Il n'est d'ailleurs pas contesté que la SAS ATC n'exploite aucun brevet et qu'elle ne bénéficie d'aucun contrat d'exclusivité avec ses distributeurs à l'étranger. Il n'est, dans ces conditions, pas sérieusement contestable qu'elle est fortement exposée à un risque de substitution de ses produits par ceux de ses concurrents. Par ailleurs, si la présence de la SAS ATC dans 40 pays différents est un facteur de réduction de risques, il n'est toutefois pas davantage sérieusement contestable qu'elle demeure exposée à des risques de pertes de changes et de défaut de paiement, compte tenu par ailleurs de la petite taille de nombre de ses partenaires étrangers. Elle est en conséquence fondée à se prévaloir, en dépit de ses bons résultats passés, d'une décote liée à sa taille. Enfin, si la dépendance technique et commerciale de la SAS ATC vis-à-vis de M. C... B... n'est pas suffisamment établie, la société demeure toutefois, compte tenu de la structure de détention du capital et de la taille de l'entreprise, dépendante de ses dirigeants. Par suite, la SAS Financière JPG est fondée à soutenir que la détermination de la valeur de productivité de la SAS ATC nécessitait l'application d'une décote, au taux global de 30% qui ne fait l'objet par lui-même d'aucune critique, en raison de la faible liquidité des titres, de la taille de la société, et de sa relative dépendance à ses dirigeants. 8. Il résulte par ailleurs de l'instruction, quel que soit par ailleurs l'éventuel bien-fondé des critiques adressées par la requérante au taux sans risque corrigé de l'inflation sous-jacente appliqué par le service, que la valeur vénale des titres de la SAS ATC, telle qu'évaluée par l'administration et après application de la décote de 30% précitée, excède de moins de 15% le prix de cession constaté, lui-même au demeurant très proche de la valeur mathématique calculée par l'administration et retenue à hauteur de 2/3 dans sa pondération. Dans ces conditions, en l'absence d'autre élément susceptible de conduire à majorer la valeur vénale des titres, l'écart de prix ne présente pas un caractère significatif et n'est, dès lors pas constitutif d'une minoration de prix relevant d'une gestion commerciale anormale. 9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement, que la SAS Financière JPG est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2012, ainsi que des pénalités correspondantes. Sur les frais liés au litige : 10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante dans la présente instance, une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1808835 du tribunal administratif de Lyon du 17 mars 2020 est annulé. Article 2 : La SAS Financière JPG est déchargée des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2012 du fait de la remise en cause du prix de cession des titres de la SAS ATC, ainsi que des pénalités correspondantes. Article 3 : L'Etat versera à la SAS Financière JPG une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : Le surplus des conclusions est rejeté. Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Financière JPG et au ministre de l'économie, des finances et de la relance. Délibéré après l'audience du 7 avril 2022, à laquelle siégeaient : M. Bourrachot, président de chambre, Mme Dèche, présidente assesseure, Mme Rémy-Néris, première conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 mai 2022. Le président, rapporteur, F. BourrachotLa présidente-assesseure, P. Dèche La greffière, C. Langlet La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. Pour expédition, La greffière, 2 N° 20LY01459 ar