Tribunal de Grande Instance de Paris, 12 mai 2016, 2014/13431

Mots clés validité de la marque · marque complexe · partie verbale · droit de l'UE · caractère distinctif · caractère descriptif · combinaison de mots · caractère laudatif · fonction d'indication d'origine · public pertinent · consommateur d'attention moyenne · acquisition du caractère distinctif par l'usage · concurrence déloyale · absence de droit privatif · circuits de distribution identiques ou similaires · clientèle identique ou similaire · situation de concurrence · utilisation dans une publicité · banalité · imitation du conditionnement · substitution d'une marque · risque de confusion · concurrence déloyale

Synthèse

Juridiction : Tribunal de Grande Instance de Paris
Numéro affaire : 2014/13431
Domaine de propriété intellectuelle : MARQUE
Marques : BRONZAGE SUBLIME
Classification pour les marques : CL05 ; CL29 ; CL30
Parties : LABORATOIRES JUVA SANTÉ SAS ; JUVA SAS / GROUPE LÉA NATURE SA

Texte

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS JUGEMENT rendu le 12 mai 2016

3éme chambre 1ère section N° RG : 14/13431

DEMANDERESSES S.A.S. LABORATOIRES JUVA SANTE [...] 75008 PARIS

S.A.S. JUVA [...] 75008 PARIS représentées par Me Annette SION - HOELIER LAROUSSE & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0362

DÉFENDERESSE S.A. GROUPE LEA NATURE [...] – BP 47 17180 PERIGNY représentée par Maître Pierre-Louis DAUZIER de la SCP DAUZIER & Associés, avocats au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #P0224 et par Maître David P - SELARL DRAGEON & Associés, avocat plaidant

COMPOSITION DU TRIBUNAL Marie-Christine C, Vice-Présidente Carine G. Vice-Présidente Julien R. Juge assistés de Léoncia B. Greffier

DEBATS À l'audience du 29 mars 2016 tenue publiquement

JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe Contradictoirement en premier ressort

FAITS ET PROCEDURE

La SAS LABORATOIRES JUVA SANTE, créée en 1974, a pour activité principale la commercialisation de produits alimentaires et d'hygiène à usage non médical.

La SAS JUVA, filiale de la SAS LABORATOIRES JUVA SANTE, est titulaire des droits de propriété intellectuelle sur la marque semi- figurative française, déposée le 15 avril 2014 sous le n° 4084518 dans les produits et services suivants : en classe 5 : « Produits pharmaceutiques ; substances diététiques à usage médical ; compléments nutritionnels à usage médical ; préparations de vitamines ; préparation de minéraux, préparations d'oligo-éléments pour la consommation humaine » ; en classe 29 : « Produits alimentaires utilisés comme compléments non à usage médical à base de protéines, oligo éléments, minéraux, matières grasses et acides gras compris dans cette classe » ; en classe 30 : « Produits alimentaires et aliments diététiques non à usage médical pouvant contenir des protéines, lipides, peptides et/ou fibres, ou micronutriments tels que vitamines et/ou minéraux, acides aminés et/ ou végétaux ».

La SA GROUPE LEA NATURE, créée en 1997, a pour activité principale déclarée au RCS une activité de société holding.

Invoquant la commercialisation par la SA GROUPE LEA NATURE, sous le même nom, d'un produit identique aux produits alimentaires utilisés comme compléments nutritionnels destinés à favoriser le bronzage qu'elles commercialisent depuis 2007 sous la dénomination « bronzage sublime », les sociétés JUVA et LABORATOIRES JUVA SANTE ont fait dresser par huissier un procès-verbal de constat sur le site internet leanature.com le 23 juillet 2014 et ont, par courrier recommandé du 23 avril 2014, invité la SA GROUPE LEA NATURE à modifier la dénomination de leurs produits.

La SA GROUPE LEA NATURE ayant refusé d'accéder à cette demande par courrier du 5 mai 2014, le conseil des sociétés JUVA et LABORATOIRES JUVA SANTE a réitéré cette exigence par mise en demeure du 23 juin 2014.

C'est dans ces conditions que, par acte d'huissier du 18 septembre 2014, les sociétés JUVA et LABORATOIRES JUVA SANTE ont assigné la SA GROUPE LEA NATURE devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de marque et pour concurrence déloyale.

Dans leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 21 septembre 2015 auxquelles il sera renvoyé pour un exposé de leurs moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile, les sociétés JUVA et LABORATOIRES JUVA SANTE demandent au tribunal, sous le bénéfice de l'exécution provisoire et au visa des dispositions des articles L 711-1 et suivants et L 713-3 du code de la propriété intellectuelle et 1382 du code civil : de débouter le groupe LEA NATURE de l'ensemble de ses demandes, de dire et juger que la société JUVA a la propriété exclusive de la marque « bronzage sublime » n°14/4084518, déposée le 15 avril 2014 pour désigner : « Produits pharmaceutiques ; substances diététiques à usage médical ; compléments nutritionnels à usage médical ; préparations de vitamines ; préparation de minéraux, préparations d'oligo-éléments pour la consommation humaine ; Produits alimentaires utilisés comme compléments non à usage médical à base de protéines, oligo éléments, minéraux, matières grasses et acides gras compris dans cette classe ; Produits alimentaires et aliments diététiques non à usage médical pouvant contenir des protéines, lipides, peptides et/ou fibres, ou micronutriments tels que vitamines et/ou minéraux, acides aminés et/ ou végétaux » ; de dire et juger que la commercialisation, par le groupe LEA NATURE de produits sous la dénomination « bronzage sublime » constitue un acte de contrefaçon de la marque « bronzage sublime » n° 14/4084518 de la Société JUVA en application des dispositions de l'article 713-3 du code de la propriété intellectuelle ; de dire et juger que la commercialisation, par le groupe LEA NATURE, du produit « bronzage sublime » constitue un acte de concurrence déloyale commis au préjudice des Laboratoires JUVA SANTE, aux termes des dispositions de l'article 1382 du code civil ; en conséquence : de condamner le groupe LEA NATURE à verser à la société JUVA la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon ; de condamner le groupe LEA NATURE à payer aux LABORATOIRES JUVA SANTE la somme de 150 000 euros à titre de dommages- intérêts en réparation du préjudice subi du fait des atteintes à ses investissements ; d'interdire au groupe LEA NATURE l'usage, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, de la dénomination « bronzage sublime », et ce sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée et par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir ; d'autoriser les sociétés JUVA et Laboratoires JUVA SANTE à faire procéder à la publication du jugement à intervenir dans 5 revues ou journaux de leurs choix, et aux frais du groupe LEA NATURE, le coût global des publications ne pouvant excéder la somme de 50 000 euros HT, ainsi que sur la page d'accueil du site internet du groupe LEA NATURE http://www.leanature.com, pendant une durée de deux mois à compter de la signification du jugement à intervenir ; de condamner le groupe LEA NATURE à payer aux sociétés JUVA et Laboratoires JUVA SANTE la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; de condamner le groupe LEA NATURE aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Annette SION, avocat aux offres de droit.

En réplique, dans ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 14 décembre 2015 auxquelles il sera renvoyé pour un exposé de ses moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la SA GROUPE LEA NATURE demande au tribunal, sous le bénéfice de l'exécution provisoire et au visa des dispositions de l'article L 711-2 du code de la propriété intellectuelle, de: à titre principal : prononcer l'annulation de la marque semi-figurative n° 14/4084518, en conséquence, débouter les sociétés JUVA et LABORATOIRES JUVA SANTE de l'ensemble de leurs demandes fins et moyens, à titre subsidiaire, constatant l'absence de contrefaçon et de concurrence déloyale, débouter les sociétés JUVA et LABORATOIRES JUVA SANTE de l'ensemble de leurs demandes fins et moyens ; en tout état de cause, condamner les sociétés JUVA et LABORATOIRES JUVA SANTE au paiement de la somme de 10 000 euros au titre des frais irrepetibles de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture était rendue le 5 janvier 2016. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, le jugement, rendu en premier ressort, sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.

MOTIFS DU JUGEMENT

1°) Sur la validité de la marque semi-figurative française n° 4084518

Moyens des parties

Les sociétés JUVA et LABORATOIRES JUVA SANTE soutiennent que la distinctivité de la marque doit être appréciée par rapport aux produits et services qu'elle désigne tels qu'ils figurent dans le dépôt et non à l'égard des seuls « compléments alimentaires préparant au bronzage » et en tenant compte globalement de tous les éléments, y compris figuratifs, du signe constituant la marque. Elles ajoutent que « bronzage sublime » ne désigne pas une caractéristique ou même la destination des produits couverts par la marque, les consommateurs pouvant tout au plus comprendre ces termes comme étant évocateurs du résultat obtenu par certains produits couverts ce qui n'est pas exclusif de son caractère distinctif. Subsidiairement, elles précisent que le caractère distinctif a été acquis par l'usage du signe à titre de marque.

En réplique, la SA GROUPE LEA NATURE expose que l'élément verbal « bronzage sublime » est composé de termes communs appartenant à la langue française et que, rapporté à des produits pharmaceutiques, des produits diététiques et/ou des compléments alimentaires visés en classes 5, 29 et 30 par la marque litigieuse, il désigne une caractéristique qualitative de ces produits, à savoir que leur utilisation permet d'obtenir un bronzage parfait, et possède un caractère laudatif de nature publicitaire dont la fonction est de mettre en relief la qualité positive des produits pour la présentation desquels il est utilisé. Elle en déduit que cet clément verbal sera immédiatement perçu par le public pertinent comme une formule promotionnelle qui indique une caractéristique des produits relative à leur valeur marchande et non comme une indication de leur origine commerciale. Elle précise que l'élément graphique ne donne pas au signe dans son ensemble un caractère distinctif puisqu'il se borne à souligner les éléments verbaux « bronzage sublime » et se verra donc attribuer cette fonction au sein de la marque. Elle indique enfin que l'acquisition du caractère distinctif par l'usage suppose que les demanderesses effectuent un usage à titre de marque et que cet usage soit continu, intense et de longue durée ce qui n'est pas le cas.

Appréciation du tribunal

Conformément à l'article L 714-3 du code de la propriété intellectuelle, est déclaré nul par décision de justice l'enregistrement d'une marque qui n'est pas conforme aux dispositions des articles L.711-1 et à L. 711-4, la décision d'annulation ayant un effet absolu et étant, une fois devenue définitive, transmise à l'INPI pour inscription sur ses registres par le greffe ou l'une des parties en application de l'article R 714-3 du même code.

Et, en vertu de l'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle, le caractère distinctif d'un signe de nature à constituer une marque s'apprécie à l'égard des produits ou services désignés. Sont dépourvus de caractère distinctif : a) Les signes ou dénominations qui. dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service : b) Les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l'époque de la production du bien ou de la prestation de service : c) Les signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle. Le caractère distinctif peut, sauf dans le cas prévu au c), être acquis par l'usage.

En application du droit interne interprété à la lumière du droit communautaire, les signes susceptibles de représentation graphique ne peuvent constituer des marques qu'à condition qu'ils soient intrinsèquement aptes à identifier le produit pour lequel est demandé l'enregistrement comme provenant d'une entreprise déterminée et propres à distinguer les produits ou services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises ainsi que l'a rappelé la CJUE alors CJCE dans un arrêt du 18 juin 2002 Koninklijke Philips Electronics NV c. Remington Consumer Products Ltd. Le public pertinent doit immédiatement et certainement percevoir le signe comme identifiant l'origine commerciale du produit.

Aussi, pour remplir sa fonction essentielle d'identification, une marque doit être distinctive, caractère indépendant de l'originalité ou de la nouveauté qui suppose que les éléments entrant dans sa composition soient arbitraires par rapport aux produits ou services qu'elle désigne indépendamment de ses conditions d'exploitation et soient d'emblée perçus par le consommateur comme pouvant identifier l'origine du produit en le rattachant à une entreprise spécifique.

La réalité du caractère distinctif doit être appréciée au jour du dépôt de la marque et la possibilité d'acquisition du caractère distinctif par l'usage prévue par l'article L 711-2 du code de propriété intellectuelle ne constitue pas une exception à cette règle.

En effet, ainsi que l'a précisé la cour de justice de l'union européenne alors cour de justice des communautés européennes dans un arrêt Von Colson et Kamann c. Land Nordhein-Westfalen du 10 avril 1984, le juge judiciaire, juge communautaire de droit commun, est tenu d'interpréter dans toute la mesure du possible les dispositions internes conformément au texte des directives communautaires transposées ou non pour atteindre le résultat qu'elles visent.

Or, aux termes de l'article 3.3 de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques transposé à l'article L 711-2 du code de propriété intellectuelle, « une marque n'est pas refusée à l'enregistrement ou, si elle est enregistrée, n'est pas susceptible d'être déclarée nulle en application du paragraphe 1, points b), c) ou d), si, avant la date de la demande d'enregistrement et après l'usage qui en a été fait, elle a acquis un caractère distinctif. En outre, les États membres peuvent prévoir que la présente disposition s'applique également lorsque le caractère distinctif a été acquis après la demande d'enregistrement ou après l'enregistrement ». Ainsi, le principe posé par la directive est l'acquisition du caractère distinctif du signe constituant la marque au plus tard le jour du dépôt, y compris par usage, ce qu'a confirmé la CJUE dans ses arrêts Imagination Technologies c. OHMI du 11 juin 2009 et Oberbank AG, Banco Santander SA et Santander Consumer Bank AG c. Deutscher Sparkassen-und Giroverband eV du 19 juin 2014.

Dès lors, faute de disposition légale prévoyant expressément la faculté d'acquisition du caractère distinctif par un usage postérieur au dépôt, l'article L 711 -2 du code de propriété intellectuelle étant sur ce point la stricte transposition du principe et non l'affirmation de son exception en l'absence de précision sur le domaine temporel de l'acquisition par l'usage, le titulaire de la marque est tenu de démontrer la distinctivité du signe constituant la marque au jour du dépôt.

La SAS JUVA a déposé la marque semi-figurative française le 15 avril 2014. C'est à cette date que doit être apprécié le caractère distinctif de la marque.

Le public pertinent au titre de la distinctivité, qui est le consommateur des biens et services couverts par la marque ainsi que l'a jugé la CJUE alors CJCE dans son arrêt August S c. OHMI du 22 juin 2006, est le consommateur français d'une attention et jouissant d'une information moyennes, les produits opposés, tels qu'ils sont définis à l'enregistrement, étant des produits de consommation courante.

Sur la distinctivité intrinsèque

Au sens de l'article L 711-2 du code de la propriété intellectuelle, l'appréciation de la distinctivité d'une marque englobe celle de sa distinctivité intrinsèque, aptitude du signe à constituer une marque pour les produits et services visés, et celle de son caractère descriptif, relation entre le signe et la désignation les produits et services visés au dépôt ou de leurs caractéristiques.

À ce titre, en soutenant que le signe « bronzage sublime » souligné sera immédiatement et exclusivement perçu par le consommateur comme un message à caractère promotionnel, la SA GROUPE LEA NATURE dénie à la marque sa distinctivité intrinsèque. Les arguments des demanderesses sur l'absence de désignation de la destination de la totalité des produits visés au dépôt touchent au caractère éventuellement descriptif de la marque et est de ce fait sans pertinence.

La marque telle qu'elle est enregistrée se compose de la juxtaposition du nom commun « bronzage », brunissement de la peau sous l'effet du soleil, et de l'adjectif « sublime «appliqué à ce qui est très haut dans la hiérarchie des valeurs ici esthétiques, le premier, de taille légèrement supérieure, étant au-dessus du second qui surplombe une bande de couleurs faite d'un dégradé du jaune pâle au orange brun. L'agencement des termes ne modifie pas leur perception et n'ajoute rien à leur stricte juxtaposition, l'adjectif étant immédiatement appliqué au nom commun et ne pouvant être lu indépendamment de lui. La bande de couleur, qui par sa position est perçue comme un soulignage, illustre le sens des mots en figurant à l'évidence le brunissement qu'entraîne un bronzage par l'effet du soleil et n'apporte rien à la distinctivité du signe. Les éléments verbaux de la marque sont dominants tandis que l'élément figuratif est, sinon insignifiant, très accessoire et renforce par son caractère illustratif la position de ces derniers.

Ainsi, pris globalement, le signe a une fonction laudative fortement marquée par l'utilisation de l'adjectif sublime qui sera immédiatement perçu par le public pertinent comme vantant un mérite des effets des produits visés au dépôt. Il a de ce fait une fonction promotionnelle.

Dans son arrêt du 21 janvier 2010 Audi AG c. OHMI rendu sur l'application de l'article 7§ 1 du Règlement n° 40/94, la CJUE rappelait que les marques composées de signes ou d'indications utilisés en tant que slogans publicitaires, indications de qualité ou expressions incitant à acheter les produits ou les services visés par ces marques peuvent être enregistrées malgré cette utilisation et sans que l'appréciation de leur caractère distinctif implique des critères plus stricts que ceux applicables à d'autres signes. Elle ajoutait que, en dépit de l'unité des critères d'appréciation du caractère distinctif, la perception du public pertinent n'est pas nécessairement la même pour chacune de ces catégories et en déduisait que la distinctivité des marques verbales constituées de slogans publicitaires, du fait de leur nature même, était plus difficile à établir. Elle précisait enfin que le simple fait qu'une marque soit perçue par le public concerné comme une formule promotionnelle et que, eu égard à son caractère élogieux elle pourrait en principe être reprise par d'autres entreprises, n'est pas en tant que tel suffisant pour conclure que cette marque est dépourvue de caractère distinctif, la connotation élogieuse d'une marque verbale n'excluant d'ailleurs pas qu'elle soit néanmoins apte à garantir aux consommateurs la provenance des produits ou des services qu'elle désigne.

Ainsi, une marque constituée d'un terme laudatif, même banal (CJCE. 16 septembre 2004. Sat. 1 c. OHMI), peut-être distinctive à la condition qu'elle soit apte à jouer sa fonction de garantie d'origine commerciale ce qui est exclu si elle est uniquement et d'emblée perçue par le public pertinent comme un message publicitaire ou promotionnel ordinaire.

Or, confronté au signe litigieux pour désigner des produits pharmaceutiques et autres préparations à usage médical ou vétérinaire ainsi que les denrées et compléments alimentaires, le public pertinent, qui comprendra immédiatement qu'il pourra user de produits particulièrement efficaces au regard de l'objectif recherché, percevra exclusivement une appréciation qualitative tendant à vanter les mérites des produits vendus et non une garantie de leur origine commerciale. Et la société demanderesse ne rapporte pas le moindre commencement de preuve de ce que le public ou une portion du public la perçoit comme une marque.

Immédiatement et exclusivement appréhendé par le public pertinent comme un message de nature promotionnelle, le signe déposé n'est pas apte à remplir sa fonction de garantie d'origine et n'est pas intrinsèquement distinctif.

Sur l'acquisition du caractère distinctif par l'usage

Le caractère distinctif du signe devant être apprécié, même en cas d'acquisition par l'usage, au jour du dépôt, les pièces postérieures à sa date peuvent être prises en considération pour éclairer les éléments antérieurs mais ne peuvent constituer des preuves d'usage.

L'usage visé à l'article L 711-2 du code de la propriété intellectuelle n'est efficace que s'il remplit des critères spatiaux, qualitatifs et quantitatifs. Ainsi, la CJUE alors CJCE a jugé dans son arrêt du 7 septembre 2006 Bovemij Verzekeringen c. Benelux-Merkenburea que, pour les marques nationales, il est nécessaire de démontrer que la marque a acquis par l'usage un caractère distinctif dans toute la partie du territoire de l'État membre dans laquelle il existe un motif de refus et que, dans la zone linguistique ainsi définie, il y a lieu d'apprécier si une fraction significative des milieux intéressés identifie les produits et services de l'entreprise grâce à la marque. Et, l'usage du signe doit être fait, conformément à la fonction essentielle de la marque, à titre de marque (arrêt de la CJCE Nestlé c. mars UK du 7 juillet 2005), pour identifier ou promouvoir dans la vie des affaires aux yeux du public pertinent les produits et services visés au dépôt et opposés à la défenderesse : il doit être tourné vers l'extérieur et public et non interne à l'entreprise ou au groupe auquel elle appartient. Cet usage doit enfin être sérieux en ce sens que le titulaire doit démontrer d'une part l'importance de l'usage de sa marque et d'autre part son incidence sur son caractère distinctif, les efforts du titulaire ne pouvant être pris en considération que dans la mesure où ils ont des résultats objectifs dans la perception de la marque par le public pertinent. La CJCE précisait à cet égard dans son arrêt du 22 juin 2006 August S c. OHMI que pouvaient notamment être prises en considération la part de marché détenue par la marque, l'intensité, l'étendue géographique et la durée de l'usage de cette marque, l'importance des investissements faits par {'entreprise pour la promouvoir, la proportion des milieux intéressés qui identifie le produit comme provenant d'une entreprise déterminée grâce à la marque ainsi que les déclarations de chambres de commerce et d'industrie ou d'autres associations professionnelles.

Pour prouver l'acquisition du caractère distinctif de la marque litigieuse par l'usage, la SAS JUVA produit : des montages réalisés à partir d'impressions d'écran qui n'ont pas de date certaine et dont l'origine ne peut être authentifiée et qui n'ont de ce fait pas de force probante (pièce 9). À supposer qu'elles aient une valeur probatoire, tous les articles évoquent les produits sous la dénomination « Juvamine Bronzage sublime » ou « Bronzage sublime Juvamine ». Les produits photographiés comportent systématiquement l'élément verbal « Bronzage sublime », l'élément figuratif n'apparaissant qu'à la date prétendue de 2012, sous la marque « JUVAMINE » mise en exergue par sa position supérieure et sa taille plus importante. Or, cette dernière étant distinctive et dominante, l'élément verbal « Bronzage sublime » sera immédiatement et exclusivement perçu par le consommateur moyen comme un message strictement promotionnel et à défaut comme la dénomination du produit au sein d'une gamme marquée « JUVAMINE ». Cet usage, par ailleurs récent puisqu'il est invoqué à compter de 2011, n'est pas fait à titre de marque ; des communiqués de presse de mars 2012 et mars 2013, le troisième n'étant pas daté (pièce 17) et une pièce 28 relative aux opérations promotionnelles menées dans la grande distribution entre 2007 et 2014 qui souffrent des mêmes limites que la pièce 9, des publicités de 2011 à 2014 (pièces CD ROM 10 et 26, respectivement 7 et 2 clips publicitaires dont un projet d'agence de publicité de 2014 en pièce 10) qui, à l'exception de 2 publicités de 2011/2012 et 2014 (dites «tag solaire»), ne concernent pas spécifiquement la marque litigieuse qui n'est alors pas nommée, seul figurant l'emballage sur lequel elle est apposée et dont les carences ont déjà été soulignées. La seule marque citée est « JUVAMINE » ainsi que le slogan « Laboratoires Juvamine, si juvabien c'est juvamine ». Dans 2 publicités générales, 6 produits sont concernés, le produit porteur de la mention « Bronzage sublime » étant présenté parmi des articles comportant, eux aussi sous la marque « JUVAMINE », les termes : « Prêle queue de cerise », « Thé vert guarana », « Magnésium marin vitamine B6 », « 12 vitamines 8 minéraux » ou « multivitamine » et « cocktail minceur 4 actions ». De fait, l'élément verbal de la marque, associé par le consommateur à d'autres mentions purement descriptives des produits vendus, apparaît comme la stricte désignation du produit pour l'identifier au sein d'une gamme dont l'origine commerciale n'est déterminée que par le signe « JUVAMINE ». D'ailleurs, les deux seules publicités énonçant la marque litigieuse font précéder son annonce par la phrase « encore un produit meilleur que nos pub » qui révèle que le rôle qui lui est exclusivement assigné est celui de l'identification du produit et non de sa provenance commerciale.

Aucun usage à titre de marque n'étant établi, les pièces destinées à démontrer son caractère sérieux telles les attestations des directeurs administratif et financier des agences de publicité chargée des campagnes « bronzage sublime » ou du président de l'Agence KR MEDIA France en charge de l'achat d'espaces publicitaires pour le compte de la SAS LABORATOIRES JUVA SANTE ou celles relatives au volume des ventes sont sans intérêt. Ainsi en est-il également de la pièce 16 intitulée « Factures justifiant des investissements publicitaires réalisés par la société Laboratoires JUVA SANTE de février 2013 à mai 2014 » qui comprend en réalité des factures du 22 octobre 2012 au 1er avril 2015 ainsi que des «fiches d'imputation frais généraux et immos », les pièces, qui ne concernent spécifiquement que de manière très résiduelle les produits vendus sous la marque litigieuse, n'étant de surcroît ni numérotées ni classées ce qui interdit toute vérification de la régularité et de la loyauté de la communication.

Dès lors, dépourvue de distinctivité intrinsèque, la marque semi- figurative française n° 4084518 n'a pas acquis ce caractère par l'usage qui en a été fait avant son dépôt.

En conséquence, l'enregistrement de cette marque sera annulé pour tous les produits visés au dépôt.

Privée de droit sur sa marque, la SAS JUVA n'a ni qualité ni intérêt à agir en contrefaçon, Ses demandes au titre de la contrefaçon sont irrecevables en application des articles L. 716-5 du code de la propriété intellectuelle et 31, 32 et 122 du code de procédure civile.

2°) Sur la concurrence déloyale et parasitaire Moyens des parties Au soutien de ses prétentions, la SAS LABORATOIRES JUVA SANTE explique qu'elle commercialise les produits « bronzage sublime» et que l'exploitation faite par le groupe LEA NATURE de la dénomination non nécessaire « bronzage sublime » sur un produit identique, à savoir des compléments alimentaires destinés à favoriser le bronzage, constitue un acte de concurrence déloyale commis à son préjudice, l'identité de produits et de dénomination générant un risque de confusion d'autant plus que ceux-ci sont distribués dans les mêmes grandes surfaces et dans les mêmes rayons.

La SA GROUPE LEA NATURE réplique qu'elle utilise les éléments verbaux « bronzage sublime » pour décrire une caractéristique qualitative des gélules solaires mises en vente et que, ce signe dépourvu de caractère distinctif n'assurant aucune fonction d'identification, aucune confusion par le consommateur sur l'origine commerciale des produits n'est envisageable.

Appréciation du tribunal

En vertu des dispositions des articles 1382 et 1383 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce qui implique qu'un signe qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce.

L'appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des laits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté d'usage, l'originalité et la notoriété de la prestation copiée.

Le parasitisme, qui s'apprécie dans le même cadre que la concurrence déloyale dont il est une déclinaison mais dont la constitution est toutefois indifférente au risque de confusion, consiste dans le fait pour une personne physique ou morale de profiter volontairement et déloyalement sans bourse délier des investissements, d'un savoir- faire ou d'un travail intellectuel d'autrui produisant une valeur économique individualisée et générant un avantage concurrentiel.

Les éléments dont la reprise ou l'imitation est invoquée par la demanderesse ne sont l'objet d'aucun droit privatif à son bénéfice : dans un contexte de libre concurrence, ils sont par principe libres de droit et peuvent être utilisés dans le commerce sans entrave sauf faute démontrée générant un risque de confusion ou captation indue d'investissements prouvée.

Il est constant que les parties commercialisent des produits identiques dans les mêmes réseaux de distribution et qu'elles s'adressent à une même clientèle. Elles sont en concurrence directe.

Toutefois, l'étude déjà réalisée des publicités et des emballages des produits commercialisés par la SAS LABORATOIRES JUVA SANTE établit que celle-ci utilise les termes « bronzage sublime » pour référencer les articles sur lesquels ils sont apposés au sein d'une gamme offerte à la vente sous la marque « JUVAMINE » et que cette association de mots est perçue par le consommateur comme un message exclusivement promotionnel. La SA GROUPE LEA NATURE fait un usage strictement identique de ce signe qui ligure sur le conditionnement de ses compléments alimentaires sous la marque «FLORESSANCE». Étrangère à l'identification de l'origine commerciale et indifférente à l'acte d'achat, la reprise de cette dénomination n'est en elle-même pas fautive, et ce d'autant moins que, rapportée à des compléments alimentaires destinés à faciliter le bronzage, elle est éminemment banale et n'est pas susceptible d'être appropriée à un titre quelconque par un concurrent. L'absence de risque de confusion est confirmée par le fait que les emballages des produits sont très différents (taille, couleurs, nature et police des autres éléments verbaux, éléments figuratifs) et que ceux-ci sont certes présentés dans les mêmes rayons mais clairement regroupés selon les marques « JUVAMINE »et « FLORESSANCE »qui vont seules guider, prix et qualités intrinsèques des produits mis à part, le consommateur dans son choix.

En conséquence, aucune faute n'étant imputable à la SA GROUPE LEA NATURE, les demandes de la SAS LABORATOIRES JUVA SANTE au titre de la concurrence déloyale seront rejetées.

3°) Sur les demandes accessoires

Succombant au litige, les sociétés JUVA et LABORATOIRES JUVA SANTE, dont les demandes au titre des frais irrepetibles seront rejetées, seront condamnés in solidum à payer à la SA GROUPE LEA NATURE la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens de l'instance.

Au regard de la nature du litige et de sa solution l'exécution provisoire du jugement ne se justifie pas au sens de l'article 515 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort et mis à la disposition par le greffé le jour du délibéré,

Prononce la nullité de l'enregistrement de la marque semi-figurative française déposée le 15 avril 2014 sous le n° 4084518 pour tous les produits visés au dépôt :

Ordonne la communication de la présente décision, une fois celle-ci devenue définitive, à l'INPI à l'initiative de la partie la plus diligente, pour inscription sur ses registres :

Déclare irrecevables les demandes de la SAS JUVA au titre de la contrefaçon de marque :

Rejette les demandes de la SAS LABORATOIRES JUVA SANTE au titre de la concurrence déloyale et parasitaire :

Rejette les demandes des sociétés JUVA et LABORATOIRES JUVA SANTE au titre des frais irrepetibles :

Condamne in solidum les sociétés JUVA et LABORATOIRES JUVA SANTE à paver à la SA GROUPE LEA NATURE la somme de CINQ MILLE euros (5 000 €) en application de l'article 700 du code de procédure civile :

Condamne in solidum les sociétés JUVA et LABORATOIRES JUVA SANTE à supporter les entiers dépens de l'instance :

Dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire du jugement.