N° RG 23/07686 - N° Portalis DBVX-V-B7H-PHO2
Décision du
TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 8]
Au fond
du 13 septembre 2023
RG : 21/02966
[N]
C/
LA PROCUREURE GENERALE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
2ème chambre A
ARRET
DU 20 Novembre 2024
APPELANTE :
Mme [R] [N]
née le 20 Septembre 2002 à [Localité 6] (REPUBLIQUE DE GUINEE)
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Zaïra APACHEVA, avocat au barreau de LYON, toque : 3018
INTIMEE :
Mme LA PROCUREURE GENERALE
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Mme Laurence CHRISTOPHLE, Substitute Générale
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 24 Octobre 2024
Date des plaidoiries tenues en audience publique:13 Novembre 2024
Date de mise à disposition : 20 Novembre 2024
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Isabelle BORDENAVE, présidente
- Géraldine AUVOLAT, conseillère
- Sophie CARRERE, conseillère
assistés pendant les débats de Sophie PENEAUD, greffière
en présence de [D] [A], assistante de justice
et de Mme [F], stagiaire service civique.
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article
804 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article
450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Isabelle BORDENAVE, présidente, et par Sophie PENEAUD, greffière, auquel la minute a été remise par la magistrate signataire.
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SYNTHESE DES
FAITS ET PROCEDURE
Le 26 juillet 2020, [N] [R], se disant née le 20 septembre 2002 à Coyah (Guinée), souscrit une déclaration de nationalité française sur le fondement de l'article
21-12 du code civil auprès du directeur de greffe du tribunal judiciaire de Grenoble, en qualité de mineure de plus de 16 ans confiée au service de l'aide sociale à l'enfance.
Le 23 septembre 2020, le directeur des services de greffe judiciaires du tribunal judiciaire de Grenoble lui notifie une décision de refus d'enregistrement de sa déclaration, prise le 02 septembre 2020, considérant que les conditions de l'article
21-12 du code civil ne sont pas réunies, en ce que le délai de recueil de 3 ans prévu par cet article n'est pas atteint et ne le sera pas avant sa majorité, le 20 septembre 2020 (Pièces adverses n°8 et 9).
Par acte d'huissier du 22 mars 2021, Mme [N] [R] fait assigner le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Lyon devant ce tribunal aux fins de contester cette décision.
Par jugement contradictoire du 13 septembre 2023 auquel il est expressément renvoyé, le tribunal judiciaire de Lyon a notamment débouté Mme [N] [R] de ses demandes et dit qu'elle n'est pas de nationalité française.
Par déclaration enregistrée au greffe de la cour d'appel de Lyon, le 09 octobre 2023, Mme [N] [R] relève appel de cette décision.
MOYENS
ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 04 janvier 2024, Mme [R] demande à la cour de bien vouloir infirmer le jugement du 13 septembre 2023 sus-visé en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes, dit qu'elle n'est pas de nationalité française et l'a condamnée aux dépens.
Mme [N] [R] demande, par conséquent, à la cour de déclarer son recours recevable et bien-fondé, d'annuler la décision du 02 septembre 2020 par laquelle le directeur des services du greffe du tribunal judiciaire de Grenoble a refusé d'enregistrer la déclaration de nationalité française qu'elle a souscrite au titre de l'article 21-12,1° du code civil, de constater qu'elle a acquis la nationalité française par déclaration, sur le fondement de l'article
21-12 du code civil, à la date de la souscription de sa déclaration de nationalité auprès du tribunal judiciaire de Grenoble, d'ordonner en tant que de besoin l'enregistrement de ladite déclaration et d'ordonner les mentions prévues à l'article
28 du code civil.
Mme [R] demande à la cour de statuer ce que de droit sur les dépens et de condamner le Trésor Public, sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à payer à Me [Y] [U] la somme de 2 000 euros au titre des honoraires non compris dans les dépens, à charge pour elle, si la somme est recouvrée, de renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat.
A l'appui de son recours, Mme [R] évoque les circonstances de sa venue en France, où elle est arrivée en août 2017, après avoir fui le Sénégal. Elle précise avoir quitté son pays d'origine en 2016 à la suite d'un mariage forcé pour se rendre au Sénégal, où son mari l'a brutalisée. A son arrivée à la gare de [Localité 7], le 27 août 2017, elle a été prise en charge par l'ADATE, dispositif d'accueil d'urgence des mineurs non accompagnés, et accueillie au foyer du [5] dès le 28 août suivant.
Elle explique que le 25 octobre 2017, le procureur de la République de [Localité 7] a, par ordonnance de placement provisoire, ordonné son placement à l'aide sociale à l'enfance et saisi le juge des enfants qui, par jugement du 09 novembre 2017, l'a confiée au Conseil départemental de l'Isère jusqu'au 30 novembre 2019, avant de le proroger jusqu'au 20 septembre 2020, date de sa majorité.
Elle déclare être hébergée au Centre maternel Sud Isère, dans un appartement semi autonome, qu'elle partage avec son fils [M] [O], né le 13 juin 2018, tout en poursuivant en parallèle sa scolarité en première année de baccalauréat professionnel, option « Métiers du commerce et de la vente », après avoir obtenu son CAP « employé de commerce multi-spécialités » au lycée Jean Jaurès de [Localité 7].
Mme [R] soutient réunir les conditions d'acquisition de la nationalité française telles que posées par l'article
21-12 du code civil, ce texte ne nécessitant pas que l'accueil résulte obligatoirement d'une décision de justice, contrairement à ce que prétend le ministère public, soutenant la juste appréciation faite de cette condition par le tribunal judiciaire de Lyon.
Elle rappelle que c'est sur l'absence d'un état civil probant que le tribunal l'a déboutée, faute d'avoir produit une expédition conforme à l'original du jugement supplétif d'acte de naissance sur la base duquel son acte de naissance a été établi.
Elle relève qu'il ne ressort ni des dispositions de l'article
47 du code civil, ni de celles de l'article 16 du décret du 30 décembre 1993, ni même de la jurisprudence de la Cour de cassation, que l'authenticité d'un acte soit subordonnée à la production d'une expédition de la décision.
Elle précise que s'il appartient au demandeur, lorsque l'acte d'état civil est établi sur la base d'un jugement supplétif, de produire les deux pièces, l'acte de naissance étant indissociable de la décision ordonnant son établissement (Civ 1ère 03 novembre 2021, n°20-05005), il n'en résulte aucunement l'obligation de produire l'expédition de la décision.
Elle rappelle que les actes qu'elle a produits ont fait l'objet d'une vérification par le service de la fraude documentaire de la police aux frontières, qui a émis un avis favorable sur cet acte et en a confirmé l'authenticité. Elle estime que le tribunal judiciaire a ajouté une condition non prévue par les textes, et fait enfin observer que son acte de naissance a été dûment légalisé.
En réponse, aux termes de ses conclusions notifiées le 04 avril 2024, le ministère public demande à la cour de :
- à titre principal de déclarer caduque la déclaration d'appel faute pour l'appelante d'avoir procédé à la formalité imposée par l'article
1040 du code de procédure civile,
- subsidiairement sur le fond, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que Mme [R] n'était pas de nationalité française faute pour elle de justifier d'un état civil probant au sens des articles
47 du code civil et 16 du décret n°93-1362 du 30 décembre 1993.
Il fait observer que, pour justifier de son état civil, [N] [R] a produit un jugement supplétif de naissance n°735/2017 rendu par la justice de paix de [Localité 6] le 23 août 2017, disant que [N] [R] est née le 20 septembre 2002 à [Localité 6], de [Z] [R] et de [S] [X], et une copie délivrée le 25 août 2017 par [B] [S] [T], officier de l'état civil de la communauté urbaine de [Localité 6], d'un acte de naissance guinéen n°478 dressé le 25 août 2017 par DR. [E] [W] [T], officier d'état civil de la communauté urbaine de [Localité 6], sur transcription d'un jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance n°735 de la justice de paix de [Localité 6] du 23 août 2017 ; qu'aux termes de cet acte, [N] [R] est née le 20 septembre 2002 à [Localité 6], de [Z] [R] et de [S] [X].
Il relève que le jugement produit n'est pas une expédition de la décision, c'est-à-dire une copie certifiée conforme délivrée par le greffier en chef du tribunal au vu de la minute du jugement conservée au greffe, mais une simple photocopie comportant les signatures du président et du greffier en chef présents à l'audience, sans garantie d'authenticité ; qu'il est inopposable en France, faute d'être dûment motivé, ce qui est contraire à l'ordre public international de procédure.
Sur l'acte de naissance communiqué, il fait observer qu'il a été établi en exécution d'un jugement inopposable en France, de sorte qu'il n'est pas probant au sens de l'article
47 du code civil et de plus, cet acte n'a pas été établi conformément à la législation guinéenne.
Tout d'abord, il a été établi le 25 août 2017 sur transcription d'un jugement supplétif de naissance du 23 août 2017, alors même que ledit jugement, rendu en premier ressort, était susceptible d'appel dans un délai de 10 jours conformément à l'article
601 du code de procédure civile guinéen.
Ensuite, il ne mentionne pas l'heure où il a été reçu le 25 août 2017, et ce en violation de l'article
175 du code civil guinéen, alors même que l'heure à laquelle un acte de l'état civil est dressé est une mention substantielle de cet acte.
En application des dispositions de l'article
455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux conclusions récapitulatives visées ci-dessus pour un exposé plus précis des faits, prétentions, moyens et arguments des parties.
La clôture a été fixée au 24 octobre 2024. L'affaire a été appelée à l'audience de plaidoiries du 16 novembre 2024 et mise en délibéré à ce jour.
MOTIFS
DE LA
DÉCISION
Sur la caducité de la déclaration d'appel
Aux termes de l'article
1040 du code de procédure civile, ' Dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l'assignation ou, le cas échéant, une copie des conclusions soulevant la contestation sont déposées au ministère de la justice qui en délivre récépissé. Le dépôt des pièces peut être remplacé par l'envoi de ces pièces par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.
La juridiction civile ne peut statuer sur la nationalité avant l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la délivrance du récépissé ou de l'avis de réception (...).
L'assignation est caduque, les conclusions soulevant une question de nationalité irrecevables, s'il n'est pas justifié des diligences prévues aux alinéas qui précèdent.
Les dispositions du présent article sont applicables aux voies de recours '.
Il n'est justifié d'aucun envoi ou dépôt au ministère de la Justice par Mme [N] [R] de l'acte d'appel ou de ses conclusions.
En conséquence, il y a lieu de prononcer la caducité de la déclaration d'appel.
Succombant à l'instance, [N] [R] doit être condamnée au paiement des dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après débats en audience publique, et après en avoir délibéré,
Déclare caduque la déclaration d'appel effectuée le 09 octobre 2023 par Mme [N] [R] contre le jugement rendu le 13 septembre 2023 par le tribunal judiciaire de Lyon,
Ordonne la mention prévue par l'article
28 du code civil,
Condamne Mme [N] [R] aux dépens.
Signé par Isabelle Bordenave, présidente et par Sophie Peneaud, greffière, à qui la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE