AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le onze mai mil neuf cent quatre vingt douze, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller HEBRARD, les observations de la société civile professionnelle MASSE-DESSEN, GEORGES et THOUVENIN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général PERFETTI ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
A... Michel,
contre l'arrêt de la cour d'appel de DOUAI, 4ème chambre, en date du 13 juin 1991 qui l'a condamné, pour complicité d'escroquerie, complicité d'abus de confiance, recel, corruption passive et abus de confiance, à 42 mois d'emprisonnement, 600 000 francs d'amende, et à 10 ans d'interdiction des droits énumérés à l'article
42 du Code pénal, et qui a prononcé sur les réparations civiles ; d
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen
de cassation pris de la violation des articles
49,
60 et
405 du Code pénal,
591 et
593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable de complicité d'escroquerie commise au préjudice de la caisse d'Epargne ;
"aux motifs adoptés que le demandeur, sachant parfaitement que les dossiers de demande de crédit étaient composés de faux devis afin d'obtenir une ouverture de crédit supérieure à celle autorisée par la loi, avait usé de sa qualité et de sa compétence pour faciliter l'acceptation de ses dossiers par la commission des prêts ; que les membres de la commission avaient pris l'habitude de s'en remettre à son avis limitant leur contrôle à un examen de pure forme ;
"alors que la complicité par aide et assistance suppose que soit caractérisé un acte positif et concret ; qu'en dehors d'une disposition textuelle précise, une simple abstention ne saurait être assimilée à une action positive; qu'en l'espèce, le simple fait de ne pas avoir averti la commission d'attribution des prêts, seule autorité chargée de la décision d'ouverture des crédits, du caractère fantaisiste de certains dossiers, ne pouvait suffire à caractériser un acte positif et concret d'aide ; qu'il ne constituait qu'une simple omission non pénalement répréhensible" ;
Sur le deuxième moyen
de cassation pris de la violation des articles
59,
60 et
408 du Code pénal,
591 et
593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable de complicité d'abus de confiance commis au préjudice des bénéficiaires des prêts ;
"aux motifs adoptés qu'en remettant lui-même les sommes obtenues par la production de faux devis et dont il savait qu'une partie était destinée à être détournée par Annette X..., il se rendait bien complice de l'abus de confiance en fournissant les moyens de sa réalisation ;
"alors que l'abus de confiance est un délit d instantané qui se consomme par le détournement ou la dissipation de la chose préalablement confiée, la remise de celle-ci étant une condition préalable à l'infraction, non pénalement répréhensible ; que dès
lors, la complicité par fourniture de moyens n'est constituée que si le moyen fourni est destiné à faciliter la perpétration de l'infraction et non la réalisation de la condition préalable ; qu'en l'espèce, la seule remise à la mandataire des clients des sommes confiées en exécution des contrats de prêt ne pouvait donc suffire à caractériser un acte de complicité" ;
Sur le troisième moyen
de cassation pris de la violation des articles
460 du Code pénal,
591 et
593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable de recel d'abus de confiance et l'a condamné de ce chef ;
"aux motifs propres et adoptés qu'il n'était pas contesté que le demandeur avait reçu une somme d'argent pour chaque dossier de prêt consenti et que, conscient de l'escroquerie et de l'abus de confiance réalisés par Annette X... avec sa complicité, il ne pouvait ignorer l'origine frauduleuse des fonds qui lui étaient remis en liquide et sous enveloppe ; que le fait que le demandeur eût agi dans la continuité des fautes commises par ses prédécesseurs ne suffisait nullement à oblitérer toute intention coupable de sa part mais pouvait expliquer une diminution de son sens moral et de la perception subjective qu'il pouvait avoir de la gravité de ses agissements dont il lui restait cependant un niveau de perception suffisamment conscient pour caractériser une intention coupable pénalement punissable ;
"alors que le délit de recel ne saurait être constitué par la seule détention de la chose mais suppose une mauvaise foi qui consiste dans la connaissance certaine de l'origine frauduleuse de cette chose établie à partir d'éléments concrets et précis ; qu'en se bornant à affirmer de façon abstraite que, malgré les circonstances, le prévenu conservait un niveau de perception suffisamment conscient pour caractériser l'intention coupable, bien qu'il eût été établi et reconnu que tout le personnel de la caisse d'épargne, y compris la hiérarchie, approuvait l'attribution de prêts à 100 % et la rémunération du demandeur, l'arrêt attaqué n'a caractérisé à son d encontre aucune connaissance certaine et personnelle de l'origine frauduleuse des fonds ;
Sur le quatrième moyen
de cassation pris de la violation des articles
177 du Code pénal,
591 et
593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable d'avoir reçu des dons pour s'abstenir de faire des actes de sa fonction et l'a condamné de ce chef ;
"aux motifs adoptés que le demandeur connaissait parfaitement le contenu erroné ou faux du dossier de crédit puisque c'était lui qui en révélait le mécanisme et que la somme perçue par lui était la rémunération de son silence sur ce point auprès de la commission des prêts, bien que sa fonction l'eût obligé à rejeter ces demandes de crédit ;
"alors que le délit de corruption n'est caractérisé que si une convention passée entre le corrupteur et le corrompu a précédé l'abstention qu'elle avait pour objet de rémunérer ; que, dès lors, à défaut d'avoir constaté l'existence d'un pacte corrupteur antérieur à l'abstention reproché au demandeur et au versement de sommes d'argent, la cour d'appel ne pouvait déclarer constitué le
délit de corruption de fonctionnaire" ;
Sur le cinquième moyen
de cassation pris de la violation des articles
408 du Code pénal,
591 et
593 du Code de procédure pénale, contradiction et défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable d'avoir détourné au préjudice de la caisse d'épargne qui en était détentrice des sommes qui ne lui avaient été remises qu'à titre de dépôt ou de mandat, à charge d'en faire un usage déterminé, soit :
une somme de 30 000 francs en dépôt sur le compte de M. C...,
une somme de 9 600 francs en dépôt sur le compte de M. Z...,
une somme de 9 600 francs en dépôt sur le compte du syndicat Suaccet,
une somme de 2 300 francs en dépôt sur le compte de M. B...,
une somme de 310 000 francs en dépôt sur le compte de M. F..., d une somme de 43 800 francs en dépôt sur le compte de M. E...,
une somme de 276 000 francs en dépôt sur le compte de M. D...,
les sommes de 42 000 francs, 10 000 francs, 11 486 francs et 2 313 francs en dépôt sur le compte de M. Y...,
une somme de 53 000 francs en dépôt non affecté,
une somme de 2 238,89 représentant les intérêts dus à un nommé Delahaye ;
"aux motifs adoptés que le demandeur avait, de par ses fonctions, un mandat général de gestion des comptes crédit et des dossiers de prêt ; qu'il devait les gérer au mieux des intérêts de ses clients avec obligation de faire un usage déterminé des sommes manipulées ; que le demandeur ne contestait pas avoir fait usage à des fins personnelles de sommes figurant sur les comptes clients et avoir ainsi commis les délits d'abus de confiance ;
"alors que, la cour d'appel ne pouvait sans contradiction, d'un côté, déclarer le demandeur coupable d'avoir détourné au préjudice de la caisse d'épargne les treize sommes susvisées, telles qu'inscrites sur les comptes clients, de l'autre, le condamner à une peine privative de liberté de ces chefs, tout en affirmant sur les intérêts civils que, dans le cadre des malversations commises par le demandeur seul aux dépens de la caisse d'épargne, celle-ci avait subi un unique préjudice de 8 663,01 francs correspondant à la spoliation pendant 68 jours des intérêts à 15 % sur une somme de 310 000 francs" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué et des motifs non contraires du jugement entrepris mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction et répondant aux articulations essentielles de l'argumentation dont elle était saisie, a caractérisé en tous leurs éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnel, les délits dont elle a déclaré le prévenu coupable, soit comme auteur, soit comme complice, et ainsi justifié l'allocation, au profit de la partie civile, de l'indemnité propre à réparer le préjudice découlant desdites infractions ; d
D'où il suit que les moyens, qui reviennent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus devant eux, ne sauraient être accueillis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux dépens ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Tacchella conseiller doyen, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Hébrard conseiller rapporteur, MM. Gondre, Hecquard, Culié, Pinsseau conseillers de la chambre, M. Bayet conseiller référendaire, M. Perfetti avocat général, Mme Gautier greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;