ARRÊT
DU
16 Décembre 2022
N° 1816/22
N° RG 20/02427 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TLKV
PL/VM
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LILLE
en date du
01 Décembre 2020
(RG 18/01095 -section 5)
GROSSE :
aux avocats
le 16 Décembre 2022
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANTE :
S.A.R.L. OPICA
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Paul HENRY, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉ :
M. [C] [P]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Fabien CHIROLA, avocat au barreau de LILLE
DÉBATS : à l'audience publique du 18 Octobre 2022
Tenue par Philippe LABREGERE
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Nadine BERLY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Philippe LABREGERE
: MAGISTRAT HONORAIRE
Pierre NOUBEL
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Muriel LE BELLEC
: CONSEILLER
ARRÊT :
Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 16 Décembre 2022,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article
450 du code de procédure civile, signé par Philippe LABREGERE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles et par Gaetan DELETTREZ, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 09 Août 2022
EXPOSE DES FAITS
[C] [P] a été embauché par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 19 juin 2000 en qualité de maquettiste par la société OPICA.
Les 7 septembre 2016, il a été convenu par avenant que, compte tenu de ce que le salarié dispensait des cours à l'Institut Universitaire de Technologie de [Localité 6] et à l'Université [Localité 6] III, sa durée hebdomadaire de travail passait, durant les semaines où ses cours étaient dispensés, de 35 à 31 heures et sa rémunération mensuelle était diminuée des absences réellement constatées. Le 2 janvier 2017 et le 10 janvier 2018, les parties ont conclu un nouvel avenant contenant des dispositions similaires pour les mêmes motifs, le dernier avenant précisant que sa validité était limitée à la période du 10 janvier au 26 mars 2018.
Le 9 août 2016, un avertissement a été infligé à [C] [P] pour avoir vidé de son contenu le compte de la messagerie professionnelle « [Courriel 5] » à laquelle il avait accès, sans avoir procédé au préalable à une sauvegarde des donnés qui y figuraient.
[C] [P] a été convoqué par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 4 septembre 2018 à un entretien préalable le 14 septembre 2018 en vue de son éventuel licenciement avec mise à pied à titre conservatoire. A l'issue de cet entretien, son licenciement pour faute grave lui a été notifié par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 24 septembre 2018.
Les motifs du licenciement tels qu'énoncés dans la lettre sont les suivants :
«1.Votre contrat de travail précise clairement que vous êtes soumis à une clause d'exclusivité et que toute autre activité professionnelle est interdite sauf accord de la société.
Par ailleurs, vous ne pouvez pas quitter votre poste sans accord et autorisation préalable de la direction,
Or nous avons constaté que vous avez, sans aucune information ni autorisation préalable de la direction, décidé de votre absence les 5 septembre 2018 pour délivrer un cours en vacation à la faculté [Localité 6] 3. Lors de notre entretien, vous avez d'ailleurs reconnu avoir délivré une formation à l'université le 05 septembre sans autorisation de la direction,
Cela n'est pas tolérable.
2/ Nous constatons de nombreuses fautes dans les travaux que vous réalisez ce qui n'est pas acceptables.
Ainsi et pour exemples :
Depuis 2015, le client SICAO nous demande de réaliser son calendrier. Pour le calendrier 2019, vous n'avez pas respecté le gabarit imprimeur ; il manque les débords matières pour le rembordage. Vous étiez pourtant en possession du modèle du précédent tirage avec les instructions accompagnant la demande du client ! Le dossier n'a pas pu être lancé en fabrication.
Il en va de même pour le calendrier 2019 du client GENELEC réalisé par notre société depuis 2016, où vous n'avez pas respecté les instructions du client. Vous étiez également en possession du modèle du précédent tirage avec les instructions accompagnant la demande du client ! Vous avez volontairement crée un mauvais gabarit de travail
Le calendrier à faire pour notre propre société a, là encore, été volontairement raté puisque vous avez décidé d'ôter un chiffre du code postal alors que l'adresse de la société ne correspondait qu'a un copier-coller ! Cette action souligne votre volonté déilbérée de nuire à notre société.
Le client LION D'OR nous a demandé des documents avec ses logos et en tête (enveloppe, pochette, papier facture). Après des retours du client, nous avons finalement des BATs initiaux bons. Par un ultime retour client, à la fin août, il nous est demande une modification d'un label. Ce correctif fait, vous avez volontairement enlevé une adresse bonne pour insérer une mauvaise adresse sur le BAT LION D'OR 59 ! Nous avons dû refaire les BATs. L'image de marque de la société auprès du client est fortement écornée par votre comportement Là encore, cette action souligne votre volonté délibérée de nuire à notre société.
Le client BRICOMAN nous a demandé de procéder à la réalisation de 14 fiches cuisine (format triptyque} sur la base :
-sur la base du brief remis par le client
-et à partir d'une base excell fournie par le client le 5 juin 2018 dont il convenait de respecter scrupuleusement les données de codifications, les références et les prix.
Depuis cette base texte, vous deviez enrichir chaque module. Nous réalisons cette mission depuis 2015. Vous connaissez parfaitement les règles à respecter et les enjeux. Le 28 août 2018. BRICOMAN a pris contact avec la société afin d'attirer notre attention sur l'existence d'une multitude de fautes sur les documents imprimés (11 versions incriminées sur les 14) pour une opération commerciale BRICOMAN en cours depuis début août !Vous n'avez pas respecté les données et consignes. Le cilent nous demande aujourd'hui des explications et des réparations. La signature du BAT par le client ne vous exonère en rien de ces fautes.
Il est stupéfiant de constater autant de fautes sur une période si courte.
3/ Vous ne respectez pas les procédures internes
3.1/ En termes de sauvegarde informatique pour les logiciels, pour tous nos travaux de création et de remise en page informatiques, nous vous avons demandé de procéder à une sauvegarde «time machine» (avec le disque dur externe largement suffisant en terme de capacité) et une sauvegarde TRI-BACKUP.
TRI-BACKUP n'est pas paramétrée ni actualisée correctement alors que cela est essentiel. Vous vous contentez de quelques sauvegardes manuelles (donc quand vous y pensez !). Votre dernière sauvegarde date du 9 juillet 2018 ! Cela n'est pas acceptable.
Alors que votre ordinateur est doté d'une sauvegarde Time-machine, vous l'avez délibérément désactivée sur votre poste. Non seulement cela est contraire à nos consignes mais cette action de désactivation montre votre volonté de ne pas respecter nos instructions et de créer des situations potentiellement dangereuses en cas de crash informatique.
Votre attitude est intolérable.
3.2/ Nous vous avons demandé de remplir votre emploi du temps afin de nous permettre de facturer et d'assurer un contrôle de gestion
Nous constatons que votre emploi du temps n'est pas mis à jour quotidiennement sur votre poste de travail. Ainsi, votre emploi du temps est incomplet au mois de juillet 2018 et lors de votre retour de congés.
Les temps impartis sur chaque dossier de fabrication permettent d'établir la facturation finale. Il nous est donc difficile de procéder à la facturation et nous ne disposons pas de la possibilité de contrôler les temps passés sur les dossiers (ce qui nous permet de contrôler si nos prix sont bien ajustés).
Nous ne pouvons l'accepter.
4/ Vous avez manipulé la boîte mail professionnelle sans autorisation de la direction et sans faire appel à nos prestataires.
Ainsi, nous avons constaté que vous avez manipulé le compte mail «[Courriel 5] ». sur l'application Mail de votre poste de travail sans en avoir averti au préalable votre hiérarchie.
Vous avez affirmé que, à votre retour de congés, vous aviez des problèmes de connexions avec votre boîte mail qui ne fonctionnait plus. Cette affirmation est fausse et n'avait pour seul objet que de justifier vos manipulations et vos man'uvres d'effacement,
A l'issu de votre manipulation, vous avez effacé les contenus de votre boîte pro tant en réception qu'en envoi !
Cette action malveillante a eu pour conséquence l'effacement et la perte de données cilents dans votre boîte mail pro « [Courriel 5] ».
Il ne vous revenait pas d'intervenir dans les préférences de l'ordinateur. L'expert informatique de la société souligne qu'il faut un minimum de connaissance pour modifier les paramètres et que plusieurs étapes sont nécessaires pour effacer définitivement des données.
L'informaticien, que nous avons saisi, nous précise qu'il peut « affirmer qu'un ou plusieurs fichiers Préférences du compte (ce qui a occasionné la perte de paramètres et de connexion du compte mais pas de son contenu) ont été volontairement supprimés. »
Il s'agit donc d'actions volontaires et répétées de votre part dans l'intention de nuire à la société.
Cette attitude est d'autant plus grave que nous vous avons déjà déilvré un avertissement en 2016 pour destruction de denrées.
Vous ne pouviez donc pas ignorer, depuis 2016, nos consignes. Le caractère délibéré de l'action d'effacement souligne votre intention malveillante à l'égard de la société et votre souhait évident de dissimuler des mails sans ilen avec votre activité OPICA,
Cela est totalement inadmissible.
En conséquence et compte tenu de la gravité des faits reprochés, pris isolément et cumulativement et de leurs conséquences, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible.»
A la date de son licenciement, [C] [P] percevait un salaire mensuel brut moyen de 2358,30 euros et était assujetti à la convention collective nationale de travail du personnel des imprimeries de labeur et des industries graphiques. L'entreprise employait de façon habituelle deux salariés.
Par requête reçue le 7 novembre 2018, le salarié a saisi le Conseil de Prud'hommes de [Localité 6] afin de faire constater l'illégitimité de son licenciement et d'obtenir le versement d'un rappel de salaire, d'indemnités de rupture et de dommages et intérêts.
Par jugement en date du 1er décembre 2020, le Conseil de Prud'hommes a condamné la société à lui verser
-1906,15 euros bruts au titre des rappels de salaires liés à la mise à pied à titre conservatoire
-190,06 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur rappels de salaires liés à la mise à pied à titre conservatoire
-4716, 60 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis
-471,06 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis
-14149,80 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
ordonné à la société la délivrance d'une fiche de paie rectifiée récapitulative, l'attestation destinée à Pôle Emploi rectifiée et le certificat de travail rectifié, sous astreinte de dix euros par jour de retard et pour l'ensemble des documents à compter d'un mois après la notification du jugement,
débouté le salarié du surplus de sa demande et la société de sa demande reconventionnelle
et condamné la société au paiement de 1500 euros à titre d'indemnité procédurale conformément aux dispositions de l'article
700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Le 23 décembre 2020, la société OPICA a interjeté appel de ce jugement.
Par ordonnance en date du 9 août 2022, la procédure a été clôturée et l'audience des plaidoiries a été fixée au 18 octobre 2022.
Selon ses conclusions récapitulatives et en réplique reçues au greffe de la cour le 4 août 2022, la société OPICA appelante sollicite de la cour l'infirmation du jugement entrepris et la condamnation de l'intimé à lui verser
- 90 880 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail
- 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive
- 10 000 euros au titre de l'article
700 du code de procédure civile.
L'appelante expose que l'intimé a, dans le cadre de ses fonctions, été particulièrement négligent en commettant de nombreuses fautes, mettant en danger l'avenir de la société composée de deux salariés, qu'aucun avenant n'a été conclu et aucune demande n'a été formulée par l'intimé pour dispenser des cours de vacation pour l'année universitaire 2018/2019, débutant le 5 septembre 2018, qu'il avait une parfaite connaissance de l'existence d'une clause d'exclusivité et de la nécessité de disposer d'un accord formel pour dispenser des cours, que le contrat d'engagement qu'il communique n'a jamais été porté à la connaissance de la société et ne fait état que des cours dispensés du 6 septembre 2017 au 26 mars 2018, correspondant aux avenants signés avec la société, qu'en réalité il développait parallèlement son activité propre avec, notamment comme clients, Leroy Merlin dont l'un des contacts donnait des cours au même I.U.T, C Kale et d'autres entreprises, qu'un employeur peut parfaitement justifier un licenciement sur des faits dont il a pu évoquer l'existence lors de l'entretien préalable et ce même s'ils ont eu lieu après la remise de la convocation, que la société a constaté qu'à compter de juillet 2018, l'intimé commettait de nombreuses fautes dans l'exécution de tâches habituelles de sa mission, qu'elle verse aux débats le référentiel métier du maquettiste permettant à la cour de bien appréhender les tâches et responsabilités de ce dernier, que le maquettiste a pour mission de vérifier, à chaque étape et ce jusqu'à la fabrication, la conformité du produit à la demande du client, que l'intimé n'a pas respecté ce contrôle continu du produit, lors de la réalisation du calendrier pour le client SICAD à la mi-juillet 2018, qu'il importe peu que le dirigeant de la société ait pu voir la maquette avant impression, l'intimé devant respecter les demandes faites par le client, que l'intimé a préparé un document au format 55 x 41, contraignant la société à refaire en septembre 2018 le calendrier de la société Genelec aux bonnes dimensions, à savoir 65 x 43, comme indiqué dans la demande, qu'il a commis des erreurs similaires dans le cadre de la réalisation du calendrier pour la société OPICA, qu'il n'a pas réalisé correctement la mission qui lui a été confiée pour la société Lion d'or, que la société a découvert des erreurs concernant le travail attribué à l'intimé concernant le client Bricoman et consistant en la réalisation de quatorze fiches cuisine selon un format triptyque, que la société a été contrainte de reprendre les multiples fautes constatées, que certains clients ont définitivement été perdus, que le coût des réparations s'est élevé à près de 9 000 euros, outre le mécontentement légitime des clients que la société a été contrainte de gérer, que l'intimé n'a pas respecté les procédures internes, qu'il a désactivé la sauvegarde Time Machine, créant ainsi un risque important en cas de problème informatique, qu'il n'a ni paramétré ni actualisé la sauvegarde Tri-Backup, qu'il ressort du constat d'huissier qu'il a effectué une recherche sur internet le 3 juillet 2018 intitulée «supprimer des fichiers dans bibliothèque caches», que l'effacement des données de son ordinateur a un caractère volontaire, que l'intimé ne prenait pas le temps de compléter son agenda électronique afin de permettre à la société d'avoir connaissance de sa rentabilité et d'assurer un contrôle de gestion sur les dossiers traités, qu'il a manipulé sciemment le compte mail depuis son poste de travail et a effacé le contenu de sa boîte mail professionnelle, que cette action a entraîné l'effacement volontaire de données de clients figurant dans sa boîte professionnelle le 30 août 2018, que le caractère volontaire de cette suppression a été reconnu par le rapport d'audit fait par la société C Informatic, que l'intimé avait déjà été sanctionné en août 2016 pour des faits similaires, que cette action volontaire lui a permis de supprimer de son ordinateur professionnel l'activité parallèle et concurrente qu'il avait développée pendant qu'il travaillait au sein de la société, que le caractère délibéré d'une telle suppression est confirmé par huissier de justice, que la faute grave est caractérisée, que la société n'a jamais voulu cesser son activité de création graphique qui demeure le c'ur de métier de l'entreprise, à titre subsidiaire, que l'intimé ne peut prétendre à des dommages et intérêts à hauteur de quinze mois de salaire sans aucun justificatif, qu'il exerce en Freelance depuis la rupture de son contrat, qu'il ne démontre absolument pas la faute de la société ni même le préjudice moral distinct subi, que son salaire moyen s'élevait à 2358,30 euros et non pas 2358,80 euros, qu'il convient donc de revoir le montant des indemnités sollicitées, qu'en outre l'indemnité de licenciement devrait correspondre à 10612,35 euros, que le montant prélevé sur sa fiche de paie par suite de la mise à pied conservatoire est de 1906,15 euros et non 2132,25 euros, que les investigations effectuées sur les ordinateurs de l'intimé ont permis de déterminer qu'il avait abusé de son activité salariée au sein de la société pour créer, promouvoir et développer une activité concurrente au temps des relations contractuelles, que de nombreux fichiers informatiques d'archives identifiés correspondant à plus de 6 000 fichiers appartenant à la société, seraient d'ailleurs utilisés pour son activité parallèle sous l'entité FACTORY 71, nom commercial de son activité auto-entrepreneuriale, qu'il utilisait donc son temps de travail et les moyens matériels mis à sa disposition par la société pour effectuer diverses prestations qu'il facturait par ailleurs en tant qu'indépendant, que ses clients étaient Gabnor, l'association Viandes Bio, la société C-Kale, qu'elle est en droit de solliciter des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, que cette demande est différente de celle formulée par la société à l'encontre de l'intimé dans la procédure engagée en concurrence déloyale, qui concerne uniquement des faits postérieurs au licenciement, que la procédure qu'a mise en 'uvre l'intimé est abusive, le licenciement étant parfaitement justifié.
Selon ses conclusions récapitulatives et en réplique reçues au greffe de la cour le 28 juillet 2022, [C] [P], intimé et appelant incident sollicite de la Cour la confirmation du jugement entrepris pour les sommes allouées au titre de l'indemnité légale de licenciement, de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés, des rappels de salaire liés à la mise à pied conservatoire, des congés payés afférents, et de l'indemnité de procédure, la réformation pour le surplus et la condamnation complémentaire de la société à lui verser
- 35382 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, équivalant à quinze mois de salaires bruts
- 5000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi distinctement, compte tenu de la brutalité du licenciement et de ses répercussions sur le plan moral,
la remise sous astreinte de 50 euros par jour de retard du bulletin de paie récapitulatif ainsi que de l'attestation Pôle Emploi et du reçu pour solde de tout compte rectifiés,
et 3000 euros à titre d'indemnité procédurale conformément aux dispositions de l'article
700 du code de procédure civile.
L'intimé soutient qu'il lui a été reproché « en vrac » des faits globalement fantaisistes ou fictifs, que sur les prétendues violations de la clause d'exclusivité et abandon de poste, il dispense des cours au sein de l'Institut Universitaire Technique de [Localité 6] III depuis neuf années, que son employeur a toujours approuvé cette activité accessoire, que son activité d'enseignement lui permet d'actualiser ses connaissances sur les nouvelles technologies et le langage utilisé par les nouveaux diplômés, que le 5 septembre 2018, il s'est rendu au sein de l'institut car il s'agissait du jour de rentrée, qu'il n'a pas donné de cours, mais a déterminé avec ses élèves le planning prévisible pour faire ensuite le point avec son employeur, qu'il n'a commis aucune faute d'autant que ses fonctions étaient suspendues par l'effet de la mise à pied à titre conservatoire notifiée la veille, que sur la prétendue exécution fautive des prestations, en plus de dix-huit années de carrière, la qualité de son travail n'a jamais été contestée, que les pièces et explications produites par la société n'apportent nullement la démonstration d'un quelconque manquement justifiant le licenciement, qu'il n'exerçait que des fonctions de maquettiste et non de contrôleur, que son travail était contrôlé en interne et validé par le gérant, [E] [B], et par le client lui-même, qu'il n'intervenait que sur la forme et non sur le fond des documents, que les différentes erreurs dont fait état l'appelante sont dues au fait que le gérant n'avait rien vérifié, que, malgré une maquette validée et aboutie, ce dernier a mandaté un autre graphiste afin de refaire une nouvelle version moins aboutie dans le but de dénigrer son travail, qu'il est persuadé que [E] [B] a volontairement maintenu les erreurs afin de monter un dossier de licenciement, alors que les corrections étaient fréquentes en pratique, que sur le prétendu non-respect des procédures internes, il lui est reproché un défaut de sauvegarde de ses travaux et mises en page, qu'il s'inscrit en faux contre un tel reproche, que les pièces produites par la société démontrent que son travail était constamment sauvegardé, qu'il était contraint de procéder à des sauvegardes manuelles, et se plaignait régulièrement et verbalement de l'obsolescence et de l'insuffisance de son équipement informatique, qu'il n'a pas volontairement supprimé les messages « reçus » ou « envoyés » de sa boîte mail professionnelle, que s'il a pu commettre une erreur de manipulation, l'impact a été inexistant dans la mesure où le gérant était en copie de tous les mails, que son temps de consultation personnelle de l'outil informatique n'a été que d'environ une heure par mois, que depuis son licenciement, il exerce une activité d'auto-entrepreneur sous l'enseigne FACTORY 71, et son profil LINKEDIN a été mis à jour postérieurement à son licenciement, qu'il n'a jamais été dans ses intentions de créer une entreprise concurrente, qu'il a appris qu'il ne cessait d'être dénigré par [E] [B], que compte tenu de son ancienneté qui excédait dix-huit années et de l'impact du licenciement sur sa vie personnelle, les dommages et intérêts doivent correspondre à quinze mois de salaires bruts, que des dommages et intérêts doivent également lui être alloués en réparation du préjudice moral subi distinctement, sur la demande reconventionnelle, que la société invoquant des faits qui aurait été commis durant l'exécution de son contrat de travail, il ne peut voir engager sa responsabilité pécuniaire qu'en cas de faute lourde, que les demandes reconventionnelles formulées par la société devant la cour sont totalement fantaisistes comme le démontre le courrier de son conseil du 17 décembre 2019, que la société a intenté une action en responsabilité parallèle devant le tribunal judiciaire de Lille qui, par jugement rendu le 12 novembre 2021, a rejeté toutes ses demandes, que les fichiers en relation avec le client Leroy Merlin n'ont pas été réalisés par lui, qu'il connaît la gérante de la société C-Kale personnellement depuis de multiples années, que grâce à ce canal il a pu apporter le dossier C-Kale à la société, qu'il n'a jamais reçu le moindre centime d'euro de la part de cette société, qu'il n'a jamais travaillé pour le compte de l'association Viandes Bio, qu'il n'a jamais presté pour le compte de la société Gabnor, devenue Bio Hauts de France, qui est l'employeur de son conjoint, que la directrice de cette société confirme bien que cette dernière intervenait également dans la création et l'exécution en Publication Assistée par Ordinateur, que [E] [B] savait parfaitement qu'il détenait des logiciels de P.A.O. à titre personnel vu qu'il travaillait sur des documents de la société C-Kale, qu'il arrivait même que ce dernier interfère sur ses dossiers personnels, que le courrier du 17 décembre 2019 de son conseil est resté sans réponse.
MOTIFS
DE L'ARRÊT
Attendu en application de l'article
L1234-1 du code du travail qu'il résulte de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige que les motifs énoncés pour justifier la faute grave susceptible d'avoir été commise par l'intimé sont la dispense de cours le 5 septembre 2018 sans l'autorisation de son employeur, différentes fautes dans l'exécution de ses tâches, le non-respect des procédures internes, une manipulation de sa boîte mail professionnelle ayant entraîné l'effacement et la perte de données clients ;
Attendu, sur le premier grief, que l'intimé continuait d'être tenu au respect des obligations du contrat de travail même pendant la durée de la mise à pied conservatoire ; que toutefois le fait d'avoir éventuellement dispensé des cours à la faculté de [Localité 6] le 5 septembre 2018 n'a pas été préjudiciable à l'entreprise ; qu'en effet, l'intimé ne pouvait plus continuer de se consacrer exclusivement à cette dernière puisqu'ayant fait l'objet d'une mise à pied conservatoire, il lui était désormais interdit d'exécuter la moindre prestation de travail au profit de celle-ci ; que le manquement reproché ne saurait donc constituer un motif sérieux de licenciement ;
Attendu, sur les différentes fautes imputées dans la réalisation de travaux pour le compte de la société, que celles-ci concernent les clients SICAO, GENELEC, LION D'OR, BRICOMAN et la société appelante ; que pour les deux premiers, il est reproché un manque de respect du gabarit imprimeur, pour le troisième une erreur dans l'adresse, pour le quatrième des fautes dans la réalisation de fiches cuisine et pour la société une erreur dans l'indication du code postal de cette dernière sur le calendrier ; que toutefois les erreurs reprochées n'apparaissent que comme de simples négligences résultant d'un travail susceptible d'avoir été réalisé dans l'urgence comme celui commandé par le client LION D'OR ou réalisé pour la société appelante ; qu'il en est de même des erreurs affectant les calendriers des clients SICAD et GENELEC ; qu'en outre, elles n'avaient pas l'importance attribuée par l'appelante puisque le client BRICOMAN a maintenu des relations commerciales avec la société et l'a chargée de ne rééditer que cinq fiches comportant le plus d'erreurs ; que ces erreurs dans leur ensemble ne pouvaient justifier qu'un licenciement fondé sur une insuffisance professionnelle ;
Attendu, sur le défaut de mise à jour par l'intimé de son agenda électronique, qu'il n'est susceptible de concerner que la seule période des mois de juillet et août 2018 visée dans la lettre de licenciement ; que les pièces produites par l'appelante ne permettent pas de mesurer le nombre de prestations que l'intimé a pu accomplir et qui n'ont pas été reportées dans son agenda ; que les constats des 20 décembre 2018 et 22 janvier 2019 de Maitre [D] sur lequel se fonde l'appelante ne se réfèrent précisément, le premier, qu'au seul 3 septembre 2018 et le second, qu'à la seule journée du 9 octobre 2017 ; que ce grief n'est donc pas suffisamment caractérisé ;
Mais attendu, sur le non-respect des procédures internes et les manipulations de la boîte mail professionnelle, qu'il résulte des copies d'écran versées aux débats que le 30 août 2018, l'intimé a bien effectué des opérations conduisant à une suppression de données contenues dans la messagerie «[Courriel 5]» ; que par constat dressé le 20 décembre 2018, Me [G] [D], huissier de justice, a repris les conclusions du rapport d'audit rédigé le 7 septembre 2018 par le gérant de la société C. Informatic, mandaté par l'appelante ; que l'audit dont l'intimé ne conteste pas le contenu relève que la boîte réception et la boîte d'envoi du compte POP avaient été vidées ou allégées des courriers antérieurs au 30 août 2018 ; qu'il est noté qu'un ou plusieurs fichiers préférence du compte, après restauration du dossier IMAP, avaient été volontairement supprimés ; que l'intimé prétend avoir voulu régler un problème de connexion dans l'urgence, mais que n'étant pas informaticien, il avait pu commettre une erreur de manipulation ; que toutefois il n'explique pas comment la manipulation à laquelle il s'était livré a pu conduire à une suppression si volumineuse ; qu'il n'expose pas davantage les raisons pour lesquelles il n'en a pas tenu rapidement informé son employeur ni le jour même, alors que ces manipulations ont été effectuées au plus tard en tout début d'après-midi, ni les jours suivants ; que la restauration qu'a pu effectuer la société C Informatic n'a concerné qu'une partie des mails contenus dans le dossier IMAP ; qu'elle a permis d'ailleurs de constater que leur suppression était volontaire et ne résultait donc pas d'une simple erreur, comme le soutient l'intimé ; qu'elle a fait également apparaître que l'appelante ne pouvait avoir connaissance de l'ensemble de ces courriels puisque son gérant ne recevait pas copie de tous ; que cette situation est mise en évidence de façon particulière dans le second constat dressé le 22 janvier 2019 par Me [D] auquel sont annexés différents courriels, comme ceux échangés le 29 juin 2018 avec [Y] [X] de la société Leroy Merlin, relatifs à des affiches corrigées au nom de la société et intéressant l'Agence Nationale de l'Habitat ou le 13 août 2018 avec le responsable des ventes marché salle de bain de la même société, portant sur un document référencé OAAV2 ayant manifestement donné lieu à une prestation de travail accomplie par l'intimé ; que par ailleurs le compte POP dont le contenu avait été supprimé lui aussi postérieurement au dossier IMAP n'a pu être restauré ; que les éléments envoyés du compte POP ont été définitivement perdus puisqu'ils n'avaient pas donné lieu à une sauvegarde ; que cette perte est exclusivement imputable à l'intimé puisqu'il avait désactivé la sauvegarde Time-Machine ; que les sauvegardes devaient désormais être effectuées manuellement, les dernières ayant été effectuées le 9 juillet 2018 ; que l'intimé avait fait l'objet d'une avertissement non contesté pour des faits similaires survenus le 25 juillet 2016 ; qu'en effet cette sanction était consécutive à la suppression par l'intimé du contenu du compte de la messagerie professionnelle ; qu'à cette occasion il avait été rappelé à ce dernier, qui invoquait des dysfonctionnements de son ordinateur et une erreur de manipulation, l'obligation d'avertir immédiatement sa hiérarchie et de sauvegarder à l'avance les données de la messagerie ; que le non-respect des procédures internes et les manipulations reprochées étant caractérisés sont bien constitutives de faits fautifs répétés légitimant le licenciement et rendant impossible le maintien de l'intimé dans l'entreprise même pendant la durée limitée du préavis ;
Attendu que la responsabilité du salarié n'est engagée envers son employeur qu'en cas de faute lourde qui est caractérisée par l'intention de nuire à l'employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d'un acte préjudiciable à l'entreprise ;
Attendu qu'il résulte du rapport technique de [T] [A], expert désigné par ordonnance du 15 mai 2019 qu'à la date du 28 décembre 2017 au moins, l'entreprise en nom individuel sous la dénomination Factory 71, sise [Adresse 1] à [Localité 3] que l'intimé dirigeait de fait, existait bien et non à compter de septembre 2018 comme il l'avait indiqué à Me [D] ; que dans ce cadre et à la date du 28 décembre 2017, l'intimé avait communiqué à l'association Viandes Bio un devis n°2017/0112 évalué à 1200 euros hors taxes, pour la réalisation d'un « site internet responsive » ; qu'il avait également noué, au moins à la date du 6 février 2018, des relations commerciales avec [S] [V], responsable commerciale de la société Network express, qui lui avait commandé la création de cartes de visite et la confection d'un logotype « network affaires » ; que des relations commerciales étaient également entretenues à la même époque avec [F] [H], gérante d'une société de services C-Kalé, en vue de la confection d'un logo « Valadeo en pantome 151-312 » ; que le 10 mai 2018 l'intimé a transmis un récapitulatif de ses prestations sous la forme d'une facture au nom de Factory71 qui devait être réglée par un chèque émis au profit de son conjoint [M] [N] ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que, comme le soutient l'appelante, l'intimé avait développé, durant l'exécution du contrat de travail, une activité concurrente au moyen d'une entreprise au nom de Factory 71 qu'il dirigeait de fait ; que toutefois, si cette situation a bien été préjudiciable à la société, l'existence d'une intention de nuire à son employeur, à l'occasion de la commission des faits fautifs reprochés, n'est pas pour autant démontrée ; qu'ils ne peuvent donc être requalifiés en faute lourde ;
Attendu qu'il n'est pas établi que l'action engagée par l'intimé ait dégénéré en abus de droit ;
Attendu qu'il ne serait pas équitable de laisser à la charge de l'appelante les frais qu'elle a dû exposer tant devant le Conseil de Prud'hommes qu'en cause d'appel et qui ne sont pas compris dans les dépens ; qu'il convient de lui allouer une somme de 3000 euros sur le fondement de l'article
700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
INFIRME le jugement déféré,
ET STATUANT A NOUVEAU,
DÉBOUTE [C] [P] de sa demande,
DÉBOUTE la société OPICA de sa demande reconventionnelle,
CONDAMNE [C] [P] à verser à la société OPICA 3000 euros au titre de l'article
700 du code de procédure civile,
LE CONDAMNE aux dépens.
LE GREFFIER
G. DELETTREZ
LE PRÉSIDENT
P. LABREGERE