Vu la procédure suivante
:
Par une requête et des mémoires enregistrés les 30 novembre 2022, 28 août 2023 et
9 février 2024, M. B C demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de lui donner acte de son désistement de ses conclusions en tant qu'elles se rapportent aux documents communiqués en cours d'instance ;
2°) d'annuler le surplus de la décision implicite par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé de lui communiquer six catégories de documents administratifs relatifs à vingt-sept missions de conseil exécutées par des cabinets privés pour le compte de ce ministère entre 2018 et 2021 ;
3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de lui communiquer les documents demandés qui n'ont pas encore été communiqués, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Il soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :
- les documents demandés sont communicables ;
- la demande de communication n'est pas abusive dès lors qu'elle est relative à un nombre limité de missions de conseil, les documents demandés ayant déjà été transmis à une commission d'enquête sénatoriale et cette demande relevant d'une obligation légale de l'administration ;
- les envois effectués par le garde des sceaux, ministre de la justice, les 7 décembre 2022 et 21 juillet 2023 sont incomplets ;
- eu égard aux documents reçus relatifs à huit des vingt-sept missions et aux explications fournies par le ministère de la justice concernant treize autres de ces missions, il se désiste des conclusions de sa requête concernant l'ensemble de ces missions ;
- il maintient ses conclusions concernant les six missions restantes ; s'agissant des deux missions " AC assistance à la transformation de l'action publique ", les bons de commande doivent être à nouveau transmis car ils ont fait l'objet d'occultations qui ne permettent pas de connaître leur montant, et les livrables ne lui ont pas été communiqués ; s'agissant des missions " appui à la réorganisation de la direction de l'administration pénitentiaire " et " Cadrage projet e-vote 2022 ", si elles ont fait l'objet de commandes de prestations par l'intermédiaire de l'UGAP, le ministère de la justice a toutefois en sa possession les documents demandés, en particulier les bons de commande et les livrables ; s'agissant de la mission " Conception et valorisation d'un baromètre social ", si le garde des sceaux, ministre de la justice, fait valoir que la communication des documents qui y sont relatifs relève du ministère de la transformation et de la fonction publiques, il a toutefois en sa possession les bons de commande et les livrables, qu'il doit pouvoir lui transmettre.
Par des mémoires en défense enregistrés les 2 août 2023 et 1er février 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les documents qui pouvaient être communiqués à M. C l'ont été, ceux n'ayant pas fait l'objet d'une communication relevant du ressort du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ou étant inexistants ou non communicables pour des raisons de sécurité ; il n'y a plus lieu, dès lors, de statuer sur les conclusions de la requête.
Le 7 février 2024, la procédure a été communiquée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Le 12 février 2024, la procédure a été communiquée au ministre de la transformation et de la fonction publiques.
Par un mémoire du 22 février 2024, le ministre de la transformation et de la fonction publiques conclut à sa mise hors de cause.
Il soutient qu'il ne dispose d'aucun élément lui permettant de produire une défense dans ce dossier, laquelle doit être prise en charge par le garde des sceaux, ministre de la justice.
Par une ordonnance du 8 mars 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 avril 2024.
Un mémoire présenté par le garde des sceaux, ministre de la justice, le 24 juin 2024 n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Massiou, première conseillère ;
- et les conclusions de M. Degand, rapporteur public.
Une note en délibéré présentée par le garde des sceaux, ministre de la justice, a été enregistrée le 2 juillet 2024 et n'a pas été communiquée.
Des pièces ont été produites dans le cadre d'une note en délibéré, enregistrée le 11 juillet 2024, présentée par le garde des sceaux, ministre de la justice et n'ont pas été communiquées.
Considérant ce qui suit
:
1. Par un courrier électronique du 30 mars 2022, M. A D, journaliste au journal " Le Monde ", a demandé au garde des sceaux, ministre de la justice, la communication d'un ensemble de documents relatif à vingt-sept missions de conseil réalisées par des cabinets privés de conseil pour le compte de son ministère entre 2018 et 2021, à savoir les documents relatifs à l'éventuel appel d'offres passé par le ministère, notamment le règlement de la consultation, le cahier des clauses techniques particulières, le cahier des clauses administratives particulières, le rapport d'analyse des offres, tout autre document communiqué aux entreprises candidates à l'appel d'offres, la correspondance entre le ministère et les candidats relative à l'appel d'offres, à l'attribution du marché, notamment l'accord-cadre, l'offre d'engagement ou l'acte d'engagement, les bons de commande, tout autre document contractuel établi entre le(s) cabinet(s) attributaire(s) et le ministère relatif à l'évaluation de la prestation, la fiche d'évaluation ou tout autre document assimilé, les " livrables " produits par le(s) cabinet(s) attributaires et, enfin, la correspondance entre le ministère et le(s) cabinet(s) attributaires relative à l'évaluation des missions de conseil. En l'absence de réponse à cette demande, M. B C, supérieur hiérarchique de
M. D a saisi la commission d'accès aux documents administratifs (CADA) le 2 mai 2022, laquelle a émis, le 23 juin 2022, un avis favorable à la communication des documents. M. C demande au tribunal l'annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le garde des sceaux, ministre de la justice, sur sa demande de communication de ces documents.
Sur le désistement partiel :
2. Il ressort des pièces du dossier que, par des envois des 7 décembre 2022 et 21 juillet 2023, ont été transmis à M. C par le secrétariat général du ministère des documents relatifs à au moins huit des vingt-sept missions concernées par sa demande de communication.
3. Le requérant indique avoir reçu à ce titre l'ensemble des documents souhaités au titre des missions, référencées dans un tableau comportant des lignes numérotées de 1 à 27 qu'il a versé au dossier, portant les numéros 1, 3, 4, 7, 8, 9, 15 et 24 à savoir les marchés respectivement intitulés " Multi-projets : GED, ODRIVE, PAS/DSN, Fonction financière ", " AMOA HaRmonie - Assistance à la maîtrise d'ouvrage du système d'information de ressources humaines ", " Assistance à la maîtrise d'ouvrage de l'infocentre " IRHIS " et de l'outil de prévision des emplois et de la masse salariale (" AMOA IRHIS ") ", " Assistance Déploiement Chorus DT (2020) ", " Assistance Déploiement Chorus DT (2019) ", " Cadrage de la plate-forme de consultation Etats généraux de la justice ", " Conseil stratégique en accompagnement de la Protection judiciaire de la jeunesse " et " Accord-cadre à bons de commande ayant pour objet la réalisation de prestations de conseils financiers dans le cadre du projet de refinancement du contrat de partenariat du Tribunal de Paris ".
4. En outre M. C a déclaré se désister de ses conclusions tendant à la communication des documents relatifs aux missions portant les numéros 2, 5, 6, 16 à 19, 21 à 23, et 25 à 27, à savoir celles respectivement intitulées " Assistance à maîtrise d'ouvrage pour l'établissement d'un schéma directeur immobilier pour les sites judiciaires de Nancy ", " Assistance à maîtrise d'ouvrage pour l'assistance du pilotage, définition, construction et déploiement des SI [systèmes informatiques] au bénéfice des Services Pénitentiaires d'Insertion et de Probation (SPIP) et des personnes placées sous main de justice (PPSMJ) suivies en milieu ouvert et fermé ", " Assistance à maître d'ouvrage 4 Schémas Directeurs judiciaires en Ile-de-France ", " Mission de prestations intellectuelles pour l'établissement d'un schéma directeur immobilier pour le domaine pénitentiaire de Fresne ", " Schéma directeur DNCI ", " Schéma directeur immobilier pour le domaine pénitentiaire de la MC Poissy ", " Audit téléphonie en détention ", " Evaluation externe des services de la DIRPJJ SUD ", " Médiation faits religieux et évaluation radicalisation (2021) ", " Médiation faits religieux et évaluation radicalisation (2020) ", " Méthodologie plan de lutte contre les violences ", " Prestations d'assistances juridiques, financières, techniques et économistes de la construction, dans le cadre de l'exécution de partenariats public-privé et de la passation et exécution de contrats multiservices multitechniques concourant au fonctionnement d'établissements pénitentiaires " et " Prestations de conseils juridiques et représentation en justice dans le cadre de la passation de marchés publics multiservices multitechniques concourant au fonctionnement courant d'établissements pénitentiaires ".
5. M. C doit, dès lors, être regardé comme se désistant, dans la présente instance, de ses conclusions visant à la communication de l'ensemble des documents concernant les vingt-et-une missions listées aux points 3 et 4 du présent jugement. Ce désistement étant pur et simple, rien ne s'oppose à ce qu'il en soit donné acte.
Sur l'exception de non-lieu opposée en défense :
6. Si le garde des sceaux, ministre de la justice, fait valoir que l'ensemble des documents en sa possession et non couverts par un secret protégé par la loi a été communiqué à M. C, celui le conteste s'agissant des missions restant en litige, numérotées 10, 11, 12, 13, 14 et 20, à savoir celles respectivement intitulées " Cadrage de la plate-forme de consultation Etats généraux de la justice ", " AC assistance à la transformation de l'action publique-Préparation-animation-analyse et synthèse des Etats généraux de la justice (EGJ) ", " Cadrage (prolongation) et pilotage projet e-vote 2022 ", " Cadrage projet e-vote 2022 ", " Appui à la réorganisation de la direction de l'administration pénitentiaire ", " AC assistance à la transformation de l'action publique - Préparation-animation-analyse et synthèse des Etats généraux de la justice - Réorganisation de la communication ministérielle - accompagnement au changement " et " Conception et valorisation d'un baromètre social ". Il ressort, en effet, des pièces du dossier que, comme le soutient M. C, les bons de commande ne lui ont été communiqués que de manière incomplète s'agissant des missions numérotées 10 et 20, les livrables relatifs à ces missions ne lui ayant pas été transmis. De même, concernant les missions 11 à 13 et la mission 20, les bons de commandes et les livrables n'ont pas été communiqués au requérant.
7. Dans ces conditions, l'exception de non-lieu à statuer opposée par le garde des sceaux, ministre de la justice, doit être écartée.
Sur le surplus des conclusions à fin d'annulation :
8. Aux termes de l'article
L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Sous réserve des dispositions des articles
L. 311-5 et
L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article
L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ". Aux termes de l'article
L. 300-2 du même code : " Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions ". Aux termes de l'article
L. 311-6 du même code : " Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l'administration mentionnée au premier alinéa de l'article
L. 300-2 est soumise à la concurrence () ". Aux termes de l'article L. 311-7 du même code : " Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles
L. 311-5 et L. 311-6 mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ".
9. Il résulte de ces dispositions et il ressort de l'avis rendu par la CADA le 23 juin 2022 que l'ensemble des documents dont M. C a demandé la transmission sont des documents administratifs, en ce inclus les marchés publics, une fois signés, et les documents qui s'y rattachent et qu'ils sont communicables, sous réserve de l'occultation des mentions couvertes par le secret des affaires et de la transmission de certains documents relatifs aux dossiers des candidats non retenus. Seuls ne sont pas communicables les documents qui reflètent la stratégie commerciale de l'entreprise opérant dans un secteur d'activité et sont ainsi susceptibles de porter atteinte au secret commercial, tel le bordereau des prix unitaires de cette entreprise.
10. Il ressort des pièces du dossier que le garde des sceaux, ministre de la justice, a transmis à M. C les bons de commande relatifs aux missions numérotées 10 et 14 en occultant l'ensemble des mentions financières incluant le montant global du montant de chacun de ces bons. Cette donnée n'étant pas de nature à porter atteinte au secret des affaires, la décision attaquée est entachée d'illégalité en tant qu'elle porte refus de communiquer les bons de commande avec la mention de leur montant global.
11. En outre si le garde des sceaux, ministre de la justice, soutient que les livrables relatifs aux missions numérotées 10 et 14 n'ont pas été communiqués à M. C au motif qu'ils contiennent des données confidentielles, il n'est pas établi que la présence de ces données fait obstacle à ce que les documents concernés soient transmis au requérant après occultation des mentions dont il s'agit.
12. Enfin, la circonstance que les missions numérotées 11, 12, 13 et 20 portent sur des marchés conclus par l'intermédiaire, selon les cas, de l'union groupement d'achats publics (UGAP) ou du ministère de la transformation et de la fonction publiques ne fait pas obstacle à ce que le ministre de la justice lui communique les bons de commande et livrables de ces marchés, comme il l'a d'ailleurs fait pour la mission numérotée 9.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la décision attaquée doit être annulée en tant qu'elle refuse à M. C la communication des bons de commande ne comportant pas d'occultation de leur montant global relatifs aux missions numérotées 10 et 14, des bons de commande des missions numérotées 11, 12, 13 et 20 et des livrables de l'ensemble de ces six missions, sous réserve, le cas échéant, de l'occultation des mentions couvertes par un secret protégé par la loi.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
14. Eu égard à ses motifs, le présent jugement implique nécessairement que le garde des sceaux, ministre de la justice, communique à M. C les bons de commande ne comportant pas d'occultation de leur montant global relatifs aux missions numérotées 10 et 14, ceux des missions numérotées 11, 12, 13 et 20 ainsi que les livrables de l'ensemble de ces six missions, sous réserve, le cas échéant, de l'occultation des mentions couvertes par un secret protégé par la loi. Par suite, sur le fondement de l'article
L. 911-1 du code de justice administrative, il y a lieu de lui enjoindre de les communiquer dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
D E C I D E :
Article 1er : Il est donné acte du désistement des conclusions de M. C tendant à la communication de l'ensemble des documents relatifs aux missions numérotées 1 à 9, 15 à 19 et 21 à 27.
Article 2 : Le surplus de décision implicite de rejet du garde des sceaux, ministre de la justice, est annulé en tant que cette décision porte refus de communiquer à M. C les bons de commandes ne comportant pas d'occultation de leur montant global relatifs aux missions numérotées 10 et 14, ceux des missions numérotées 11 à 13 et 20, ainsi que les livrables de l'ensemble de ces six missions, sous réserve, le cas échéant, de l'occultation des mentions couvertes par un secret protégé par la loi.
Article 3 : Il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de communiquer à M. C ces documents, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. B C, au garde des sceaux, ministre de la justice, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de la transformation et de la fonction publiques.
Délibéré après l'audience du 28 juin 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Aubert, présidente,
M. Julinet, premier conseiller,
Mme Massiou, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juillet 2024.
La rapporteure,
B. MASSIOU
La présidente,
S. AUBERT La greffière,
A. LOUART
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.