CEDH, Commission (Première Chambre), M.G. contre la GRÈCE, 12 octobre 1994, 21746/93
Mots clés
requérant · recours · requête · commission · délai raisonnable · suprême · pension · gouvernement · convention · caractère · interprétation · rectification · série · art · arrêts
Synthèse
Juridiction : CEDH
Numéro affaire : 21746/93
Dispositif : Recevable
Jurisprudence Strasbourg : Cour Eur. D.H. Arrêt König du 28 juin 1978, série A n° 27, pp. 29-30, par. 88-89;Arrêt Lombardo du 26 novembre 1992, série A n° 249-C;Arrêt Schuler-Zgraggen du 24 juin 1993, série A n° 263, p. 12, par. 46;Arrêt Massa du 24 août 1993, série A n° 265, p. 20, par. 26
Date d'introduction : 17 mars 1993
Importance : Faible
État défendeur : Grèce
Avocat(s) : SPETSAKIS, S., avocat, Athènes
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1994:1012DEC002174693
Texte
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête No 21746/93
présentée par M. G.
contre la Grèce
__________
La Commission européenne des Droits de l'Homme (Première
Chambre), siégeant en chambre du conseil le 12 octobre 1994 en
présence de
MM. A. WEITZEL, Président
C.L. ROZAKIS
F. ERMACORA
E. BUSUTTIL
A.S. GÖZÜBÜYÜK
Mme J. LIDDY
MM. M.P. PELLONPÄÄ
G.B. REFFI
B. CONFORTI
N. BRATZA
I. BÉKÉS
E. KONSTANTINOV
G. RESS
Mme M.F. BUQUICCHIO, Secrétaire de la Chambre
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 17 mars 1993 par M. G. contre la
Grèce et enregistrée le 26 avril 1993 sous le No de dossier
21746/93 ;
Vu la décision partielle de la Commission du 5 juillet 1993 ;
Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de
la Commission ;
Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur
le 4 novembre 1993 et les observations en réponse présentées par le
requérant le 10 janvier et 11 février 1994 ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
1. Circonstances particulières de l'affaire
Le requérant est un ressortissant turc, d'origine grecque, né
en 1926. Il est représenté devant la Commission par Me Stelios
Spetsakis, avocat au Barreau d'Athènes.
Les faits de la cause tels qu'ils ont été exposés par les
parties peuvent se résumer comme suit.
Le requérant a travaillé à Istanbul de 1954 à 1979 en tant
que commerçant. En 1979, il est arrivé en Grèce et s'est installé à
Kalamaki (Athènes).
Le 6 septembre 1982, le requérant déposa auprès de la Caisse
d'assurance des Commerçants (T.A.E. - Tameio Asfaliseos Emporon,
ci-après T.A.E.) une demande tendant à ce qu'il soit reconnu
titulaire d'un droit à une pension de vieillesse, assortie d'une
demande tendant à ce que ses annuités d'assurance en Turquie soient
reconnues en Grèce après rachat. Le bureau compétent du T.A.E.
rejeta cette demande, en date du 7 avril 1983, au motif qu'elle
était tardive.
Le 25 avril 1983, le requérant recourut contre cette décision
devant le Conseil d'administration du T.A.E., autorité
administrative de recours en la matière. Cette autorité rejeta le
recours en date du 25 août 1983.
Le 13 octobre 1983, le requérant saisit le tribunal
administratif (Trimeles Dioikitiko Protodikeio) d'Athènes d'un
recours en annulation de la décision susmentionnée. Le 25 juillet
1985, le tribunal rejeta ce recours.
Le 20 décembre 1985, le requérant recourut (anairesi) contre
ce jugement devant le Conseil d'Etat (Symvoulio tis Epikrateias).
Le 12 décembre 1988, suite à deux arrêts opposés rendus par
le Conseil d'Etat et la Cour de Cassation (Areios Pagos) sur
l'interprétation à donner à une disposition légale de 1980
prévoyant que le droit à pension est imprescriptible, le conseil du
requérant saisit la Cour Spéciale Suprême (Anotato Eidiko
Dikastirio), qui, le 30 juin 1989, se prononça en faveur de la
solution adoptée par le Conseil d'Etat (cf. ci-après dans "Droit et
pratique interne pertinents"). Les 7 juin et 21 septembre 1990, le
conseil du requérant introduisit devant la Cour Spéciale Suprême
deux requêtes en interprétation de l'arrêt du 30 juin 1989, qui
furent rejetées respectivement les 15 et 8 juin 1991.
Le 30 novembre 1992, le Conseil d'Etat rejeta le recours
introduit par le requérant le 20 décembre 1985.
2. Droit et pratique interne pertinents
- Acte N° 165/1963 du Conseil des Ministres, établissant un
droit à pension, moyennant rachat, qui devait être exercé
dans un délai d'un an à partir de l'arrivée en Grèce des
ressortissants grecs qui, le 1er janvier 1956, avaient leur
résidence permanente au sud de la République Arabe Unie et
qui l'avaient définitivement quittée.
- Décrets-loi N° 4377 et 4378 du 5/10 octobre 1964, disposant
que les ressortissants grecs qui avaient été contraints de
quitter Istanbul pourraient racheter, moyennant des
versements à l'I.K.A., des annuités d'assurance en Turquie,
afin que celles-ci soient prises en considération pour fonder
en Grèce un droit à une pension de vieillesse.
- Série des arrêts du Conseil d'Etat du début des années 1970,
établissant que les privilèges prévus ci-dessus pour les
citoyens grecs devaient également s'appliquer aux
ressortissants turcs d'origine grecque : pour ceux ayant
quitté la Turquie avant le 30 juin 1966, la demande devait
être déposée jusqu'au 30 juin 1967, et pour ceux ayant quitté
la Turquie après cette date, la demande devait être déposée
dans un délai d'un an à partir de leur arrivée en Grèce (à
l'instar des dispositions de l'acte N° 165/1963 du Conseil
des Ministres), et, au plus tard, avant le 31 décembre 1975.
- Article 31 de la loi N° 1027/1980, disposant que le droit à
pension est imprescriptible.
- Arrêt N° 1731/1988 de la Cour de Cassation (Areios Pagos),
jugeant que le délai d'un an, prévu par l'acte N° 165/1963 du
Conseil des Ministres, est supprimé après l'entrée en vigueur
de l'article 31 de la loi N° 1027/1980.
- Arrêt N° 339/88 du Conseil d'Etat, s'opposant à l'avis de la
Cour de Cassation.
- Arrêt du 30 juin 1989 de la Cour Spéciale Suprême, levant
ladite contestation et suivant en cela l'avis du Conseil
d'Etat.
GRIEF
Le requérant se plaint de la durée de la procédure visant à
ce qu'il soit reconnu titulaire d'un droit à une pension de
vieillesse, qui a commencé le 25 avril 1983 et qui s'est terminée
le 30 novembre 1992. Il invoque l'article 6 par. 1 de la
Convention.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
La requête a été introduite le 17 mars 1993 et enregistrée le
26 avril 1993.
Le 5 juillet 1993, la Commission (Première Chambre) a décidé
de porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur,
en l'invitant à lui présenter par écrit ses observations sur la
recevabilité et le bien-fondé du grief tiré de la durée de la
procédure. Elle a déclaré la requête irrecevable pour le surplus.
Le Gouvernement a présenté ses observations, après une
prorogation du délai, le 4 novembre 1993. Le requérant y a répondu
le 10 janvier et 11 février 1994.
EN DROIT
Le requérant allègue que sa cause n'a pas été examinée dans
un délai raisonnable au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la
Convention ainsi libellé :
"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
... dans un délai raisonnable, par un tribunal ... qui
décidera des contestations sur ses droits et obligations
de caractère civil..."
Le Gouvernement estime que le droit à pension revendiqué par
le requérant ne se rattache pas à un contrat de travail régi par le
droit grec, mais a son origine dans un acte unilatéral de la
puissance publique, soumis à une législation spéciale. Cette
législation exprime un choix politique, dicté par une volonté de
protection sociale des nationaux, étendue par la suite aux
étrangers d'origine grecque. Le Gouvernement soutient, dès lors,
que l'exercice dudit droit après l'expiration du délai imparti par
la loi ne donne au requérant aucun droit de caractère civil au sens
de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
Le Gouvernement relève, par ailleurs, qu'il y avait eu en
l'espèce contestation sur le point de savoir si le délai exclusif
d'un an, prévu par les décrets-lois N° 4377/1964 et 4378/1964,
devrait être maintenu après la prise d'effet de l'article 31 de la
loi N° 1027/1980. Il relève que, suite à deux arrêts opposés rendus
en la matière par le Conseil d'Etat et la Cour de cassation, le
conseil du requérant saisit, le 12 décembre 1988, la Cour Spéciale
Suprême. Il relève, en outre, que la contestation en cause s'est
levée par arrêt du 30 juin 1989 et que le 7 juin 1990, ainsi que le
21 septembre 1990, le conseil du requérant introduisit devant la
Cour Spéciale Suprême deux requêtes de rectification et
d'interprétation de l'arrêt du 30 juin 1989, qui furent rejetées
respectivement les 15 et 8 juin 1991.
Le Gouvernement relève, ensuite, qu'entre le 12 décembre 1988
et le 15 juin 1991, il y eut ajournement d'office de toute affaire
mettant en cause les dispositions de la loi de 1980, dont l'affaire
du requérant, qui était à l'époque pendante devant le Conseil
d'Etat. Il ajoute que, après la publication des arrêts rendus par
la Cour Spéciale Suprême, le Conseil d'Etat ne pouvait plus
trancher différemment sur la question juridique en cause et chercha
à réunir tous les recours en cassation qui étaient pendants, afin
de tenir une seule audience.
Le Gouvernement estime, dès lors, que la procédure devant le
Conseil d'Etat n'a pas dépassé le délai raisonnable prévu par
l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
Le requérant soutient que son droit à pension est un droit de
caractère civil et invoque l'affaire Lombardo c/ Italie (Cour Eur.
D.H., arrêt du 26.11.1992, série A, N° 249-C).
Le requérant soutient, en outre, que la procédure litigieuse
a débuté le 25 avril 1983, lorsqu'il introduisit son recours devant
le Conseil d'administration du T.A.E. Rien n'explique selon lui le
retard à statuer mis par les juridictions internes entre le 25
avril 1983 et le 12 décembre 1988, date à laquelle la Cour Spéciale
Suprême fut saisie pour lever la contestation sur l'interprétation
à donner à l'article 31 de la loi N° 1027/1980. Il relève par
ailleurs que la requête introduite devant la Cour Spéciale Suprême
fut notifiée au T.A.E. le 18 janvier 1989 et que ce n'est donc qu'à
partir de cette date, et jusqu'au 30 juin 1989, que le Conseil
d'Etat se trouva dans l'obligation de suspendre l'examen de son
affaire. Quant aux deux requêtes en interprétation de l'arrêt du 30
juin 1989 de la Cour Spéciale Suprême, le requérant relève qu'elles
visaient à la rectification et à l'interprétation du dispositif
dudit arrêt et qu'elles ne justifiaient aucunement la suspension de
l'examen de son affaire par le Conseil d'Etat.
En ce qui concerne l'applicabilité de l'article 6 par. 1
(art. 6-1) de la Convention, la Commission rappelle la
jurisprudence de la Cour européenne, selon laquelle la notion de
droits et obligations de caractère civil ne peut s'interpréter par
simple référence au droit interne de l'Etat défendeur. Seul compte
le caractère du droit en question (cf. arrêt König du 28 juin 1978,
série A n° 27, pp. 29-30, par. 88-89).
La Commission rappelle, en outre, que l'intervention de la
puissance publique par une loi ou un règlement n'a pas empêché la
Cour, dans plusieurs affaires, de conclure au caractère privé, donc
civil, des droits litigieux (cf. notamment Cour eur. D.H., arrêt
Schuler-Zgraggen du 24 juin 1993, Série A N° 263 par. 46, p. 12).
En l'espèce, l'Etat grec a décidé d'attribuer un droit à
pension moyennant rachat, au profit d'étrangers d'origine grecque
ayant été dans l'obligation de quitter la Turquie. La Commission
constate, dès lors, que le requérant revendiquait un droit
résultant de règles précises de la législation en vigueur, mais
revêtant aussi un caractère personnel, patrimonial et subjectif qui
le rapprochait de la matière civile (cf. Cour eur. D.H., affaire
Massa, arrêt du 24 août 1993, série A, n° 265, p. 20, par. 26).
La Commission estime, dès lors, que le droit du requérant
doit être considéré comme un "droit de caractère civil" au sens de
l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, lequel trouve donc
à s'appliquer en l'espèce.
En ce qui concerne la durée de la procédure litigieuse, la
Commission estime qu'à la lumière des critères dégagés par la
jurisprudence des organes de la Convention en matière de "délai
raisonnable" (complexité de l'affaire, comportement du requérant et
des autorités compétentes), et compte tenu de l'ensemble des
éléments en sa possession, ce grief doit faire l'objet d'un examen
au fond.
Par ces motifs
, la Commission, à l'unanimité
DECLARE LE RESTANT DE LA REQUETE RECEVABLE, tous moyens de
fond réservés.
Le Secrétaire de la Le Président de la
Première Chambre Première Chambre
(M.F. BUQUICCHIO) (A. WEITZEL)