ARRET N°246
N° RG 21/02328 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GKWK
[C]
C/
[M]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
1ère Chambre Civile
ARRÊT DU 03 MAI 2022
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/02328 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GKWK
Décision déférée à la Cour : ordonnance du 05 juillet 2021 rendue par le Juge de la mise en état de NIORT.
APPELANTE :
Madame [W] [C]
Résidence Le Belem 4 rue Manuel
85000 LA ROCHE SUR YON
ayant pour avocat Me Frédéric MADY de la SELARL MADY-GILLET-BRIAND-PETILLION, avocat au barreau de POITIERS
INTIMEE :
Madame [Z] [M]
née le 01 Septembre 1965 à EPESSES (85590)
LA MEILLERAYE
85590 LES EPESSES
ayant pour avocat Me Jean-michel MILOCHAU, avocat au barreau de LA ROCHE-SUR-YON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des articles
907 et
786 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 21 Mars 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant :
Monsieur Philippe MAURY, Conseiller
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Thierry MONGE, Président de Chambre
Madame Anne VERRIER, Conseiller
Monsieur Philippe MAURY, Conseiller
GREFFIER, lors des débats : Mme Elodie TISSERAUD,
ARRÊT :
- Contradictoire
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article
450 du Code de procédure civile,
- Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre, et par Mme Elodie TISSERAUD, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par jugement du 22 novembre 2012, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de LA ROCHE-SUR-YON homologuait la convention de divorce de M. [E] [N] et de Mme [Z] [M].
La convention a été rédigée par Mme [W] [C], avocate.
Il était convenu entre les parties que M. [E] [N] verserait à Mme [Z] [M] une prestation compensatoire de 148 000 euros, en capital, payable en trois annuités.
Mme [Z] [M] a fait l'objet d'un redressement fiscal.
Invoquant un manquement de l'avocat à son devoir de conseil, par acte du 11 mai 2020, Mme [Z] [M] a fait assigner Mme [W] [C] devant le tribunal judiciaire de NIORT aux fins de voir :
- condamner Mme [W] [C] à lui payer la somme de 17 732 euros de dommages et intérêts;
- condamner Mme [W] [C] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article
700 du code de procédure civile.
Par conclusions d'incident en réponse, Mme [W] [C] demandait au juge de la mise en état de :
- déclarer la demande irrecevable, comme prescrite ;
- condamner Mme [Z] [M] à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l'article
700 du code de procédure civile ;
- condamner Mme [Z] [M] aux entiers dépens ;
- autoriser son avocat à recouvrer directement les dépens dont il aurait fait l'avance, par application des dispositions de l'article
699 du code de procédure civile.
Par conclusions d'incident, Mme [Z] [M] demandait au juge de la mise en état de :
- dire l'action non prescrite ;
- condamner Mme [W] [C] à lui payer la somme de 17 732 euros de dommages et intérêts ;
- condamner Mme [W] [C] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article
700 du code de procédure civile.
Par ordonnance contradictoire en date du 05/07/2021, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de NIORT a statué comme suit :
'REJETTE la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action ;
RENVOIE l'affaire à la mise en état du 16 septembre 2021 à 9h00
et FAIT injonction à Mme [W] [C] de conclure au fond pour le 10 septembre 2021 au plus tard ;
RÉSERVE les dépens et les frais irrépétibles'.
Le premier juge a notamment retenu que :
- sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription, Mme [W] [C] fait valoir que la prescription de l'action en responsabilité de l'avocat est de 5 ans, à compter de la fin de sa mission, conformément à l'article
2225 du code civil.
- Contrairement à ce que soutient la demanderesse, l'article
2224 du code civil n'est pas applicable. Il s'applique à l'activité de l'avocat au titre de son activité de rédacteur d'acte et de conseil mais en l'espèce il y a eu une instance judiciaire en divorce. La fin de la mission de l'avocat est le jour où le divorce a été transcrit à l'état civil. Il appartient à Mme [Z] [M] de produire son acte de naissance.
- Mme [Z] [M] réplique que son action est régie par les articles
2224 et
2232 du code civil. En l'espèce, les redressements ont été notifiés par lettre du 6 mars 2017. Elle n'a donc pu agir avant cette date.
- l'article
2225 du code civil fait clairement exception à la règle générale formulée à l'article
2224 du code civil. Il s'applique à toute action en responsabilité fondée sur l'action, ou l'inaction de l'avocat, au cours de l'action en justice mais aussi dans le cadre de la préparation du procès. Il s'applique donc à un éventuel manquement de l'avocat à son devoir de conseil à l'égard d'un époux lors de l'élaboration de la convention de divorce par consentement mutuel.
- en matière de divorce par consentement mutuel, la fin de la mission de l'avocat résulte généralement de la demande adressée aux officiers d'état civil de retranscription du jugement de divorce.
C'est à celui qui invoque la prescription de l'action de démontrer qu'elle est acquise.
- Mme [W] [C] ne produit aucune pièce permettant de démontrer que sa mission avait pris fin plus de cinq ans avant la délivrance de l'assignation, soit le 11 mai 2015
- s'il apparaît très vraisemblable, au vu de la date de la décision de divorce, que l'avocate avait achevé sa mission, il lui incombait de le démontrer, ce qu'elle ne fait pas. Il lui appartenait de produire aux débats le courrier qu'elle a nécessairement adressé aux officiers d'état-civil pour leur demander de retranscrire le jugement de divorce ou, si elle ne l'a plus, de demander la production aux débats de l'extrait intégral de l'acte de naissance de Mme [Z] [M], ce qu'elle n'a pas fait dans le dispositif de ses conclusions.
Elle n'a pas saisi le juge de la mise en état d'une demande éventuelle de production de pièces, étant rappelé que toute personne peut se faire délivrer l'extrait d'un acte d'état civil d'un tiers.
LA COUR
Vu l'appel en date du 22/07/2021 interjeté par Mme [W] [C]
Vu l'article
954 du code de procédure civile
Aux termes du dispositif de ses dernières conclusions en date du 20/08/2021, Mme [W] [C] a présenté les demandes suivantes :
'Vu le bordereau des pièces fondant les prétentions de Maître [C]
Vu les articles 53,
54,
709,
122,
1082 et
1089 du code de procédure civile,
Vu les articles
2224 et
2225 du Code civil,
Réformer l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de NIORT le 5 juillet 2021 en ce qu'elle a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action.
Et statuant à nouveau,
Dire et juger irrecevable l'action engagée par Mme [M] à l'encontre de Maître [C] pour cause de prescription.
La débouter en conséquence de toutes ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de Maître [C]
La condamner à lui verser une somme de 3.500 € sur le fondement de l'article
700 du code de procédure civile
La condamner enfin en tous les frais et dépens de l'instance dont distraction au profit de la SELARL MADY-GILLET-BRIAND-PETILLION, Avocat, qui sera autorisée à les recouvrer dans les conditions de l'article
699 du code de procédure civile'.
A l'appui de ses prétentions, Mme [W] [C] soutient notamment que:
- en l'espèce, une instance a été introduite lors de la requête en divorce déposée par les ex-époux.
Le jugement de divorce et d'homologation de la convention unique en date du 22 novembre 2012 le démontre en indiquant expressément que M. [N] et Mme [M] ont présenté une demande conjointe « dans les conditions prévues par les articles
1089 à
1091 du code de procédure civile
- M. [N] et Mme [M], ont introduit une instance, confiant par conséquent à Maître [C] une mission de représentation et d'assistance et non pas une mission de rédacteur d'acte.
- il y a lieu à application des dispositions de l'article
2225 du code civil et non à celle de l'article 2224 du même code.
- la fin de mission de l'avocat dans une procédure de divorce, correspond à la transcription du jugement de divorce en marge de l'acte de mariage des époux
- l'acte de mariage de Mme [M] fait mention d'une transcription du jugement de divorce au 6 février 2013, de sorte que la mission de Maître [C] a nécessairement pris fin, au plus tard, à cette date
- Mme [M] ayant assigné Maître [C] par exploit en date du 11 mai 2020, son action à l'encontre de la concluante est irrecevable.
Aux termes du dispositif de ses dernières conclusions en date du 11/10/2021, Mme [Z] [M] a présenté les demandes suivantes :
'Vu les dispositions des articles 1240 , et
1231-1 du code civil et suivants
CONFIRMER l'Ordonnance rendue par le juge de la mise en état du Tribunal
Judiciaire de Niort le 5 juillet 2021".
A l'appui de ses prétentions, Mme [Z] [M] soutient notamment que :
- Maître [W] [C] n'a jamais informé ni oralement , ni par écrit, sa cliente des conséquences fiscales du versement d'une prestation compensatoire sur une période supérieure à 12 mois.
- le point de départ de la prescription est dit "glissant" dans la mesure ou le délai ne peut courir si le créancier ne sait pas qu'il a la possibilité d'engager une action.
Le point de départ peut être celui posé par l'article
2224 du code civil : le jour où le titulaire du droit a connaissance ou aurait dû avoir connaissance des faits lui permettant de l'exercer.
- il peut aussi s'agir du point de départ du délai butoir posé par l'article 2232 qui est le jour de la naissance du droit, soit le 21 mars 2017, date de la proposition de rectification.
- les redressements ont été notifiés par lettre N° 2120-SD en date du 6 mars 2017, puis confirmés le 23 mai 2017.
- l'ordonnance déférée sera confirmée, la démonstration étant faite qu'il convient de faire application de l'article
2224 du code civil.
La mission de représentation et d'assistance de Maître [W] [C] ne se limite pas à l'aspect civil d'une procédure de divorce, mais également aux conséquences patrimoniales et fiscales de ladite procédure
La transcription à l'état civil ne matérialise pas la fin de la mission de l'avocat, qui rédige ne convention de divorce traitant directement des suites civiles et fiscales des effets de la dissolution de communauté et du partage.
Il convient de se référer aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et de leurs moyens.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 21/02/2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la prescription de l'action engagée par Mme [M] :
L'article
122 du code de procédure civile dispose : ' constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée'.
L'article
31 du même code dispose que : ' l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé'.
L'article
789 du code de procédure civil dispose que le juge de la mise en état est seul compétent, jusqu'à son dessaisissement pour statuer sur les exceptions de procédure et les incidents mettant fin à l'instance.
Il est également compétent pour statuer sur les fins de non recevoir et lorsque la fin de non-recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond, il statue sur cette question de fond et sur cette fin de non recevoir. Si une partie s'y oppose, il renvoie l'affaire devant la juridiction de jugement.
L'article
2224 du code civil dispose d'autre part que 'les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par 5 ans à compter du jour ou le titulaire d'un droit a connu ou aurait du connaître les faits lui permettant de l'exercer'.
Toutefois, l'article
2225 du code civil dispose que 'l'action en responsabilité dirigée contre les personnes avant : représenté ou assisté les parties en justice, y compris à raison de Ici perte ou de la destruction des pièces qui leur ont été confiées, se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission'.
En l'espèce, par jugement du 22 novembre 2012, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de LA ROCHE-SUR-YON a homologué la convention de divorce de M. [E] [N] et de Mme [Z] [M], cette convention ayant été rédigée par Mme [W] [C], avocate, dans le cadre de l'introduction d'une instance en divorce.
Il ne s'agissait donc pas d'une activité de conseil et de rédaction d'acte qui relève de la prescription de droit commun, mais bien d'une mission de représentation et d'assistance en justice de Mme [M].
En conséquence, il y a lieu à application des dispositions spéciales de l'article
2225 du code civil, la prescription de l'action de Mme [M] ayant comme point de départ la date à laquelle la mission de son avocate a pris fin, soit en l'espèce le jour où le divorce a été transcrit à l'état civil.
Il apparaît que l'acte de mariage de Mme [Z] [M] porte la mention de la transcription de son jugement de divorce en date du 6 février 2013.
L'action de Mme [M] a été engagée selon assignation en date du 11 mai 2020, soit plus de 5 années après le point de départ du délai de prescription.
Il y a lieu de relever en conséquence la prescription de l'action engagée par Mme [M] et de la déclarer irrecevable, par infirmation de l'ordonnance entreprise.
Sur les dépens et l'application de l'article
699 du code de procédure civile:
Il résulte de l'article
696 du code de procédure civile que ' La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. (...).'
Compte tenu de la solution apportée au présent litige, les dépens de première instance et d'appel seront fixés à la charge de Mme [Z] [M].
Il sera fait application de l'article
699 du code de procédure civile au profit de la SELARL MADY-GILLET-BRIAND-PETILLION, avocat.
Sur l'application de l'article
700 du code de procédure civile :
Il est équitable de condamner Mme [Z] [M] à payer à Mme [W] [C] la somme fixée au dispositif du présent arrêt sur le fondement de l'article
700 du code de procédure civile en cause de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, et en dernier ressort,
INFIRME l'ordonnance entreprise.
Statuant à nouveau de ces chefs,
DECLARE irrecevable pour cause de prescription l'action introduite contre Mme [W] [C] par Mme [Z] [M].
Y ajoutant,
DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires.
CONDAMNE Mme [Z] [M] à payer à Mme [W] [C] la somme de 1500 € sur le fondement de l'article
700 du code de procédure civile en cause de première instance et d'appel.
CONDAMNE Mme [Z] [M] aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article
699 du code de procédure civile par la SELARL MADY-GILLET-BRIAND-PETILLION, avocat..
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,