Tribunal de grande instance d'Auxerre, 20 octobre 2008, 2006/00971

Synthèse

  • Juridiction : Tribunal de grande instance d'Auxerre
  • Numéro de pourvoi :
    2006/00971
  • Domaine de propriété intellectuelle : MARQUE
  • Marques : TER'PLUS ; S10.2 PLUS
  • Classification pour les marques : CL16
  • Numéros d'enregistrement : 4471132 ; 624964
  • Parties : CERAMICA COLLET SA (Espagne) / SOLARGIL SA

Chronologie de l'affaire

Cour d'appel de Paris
2010-02-05
Tribunal de grande instance d'Auxerre
2008-10-20

Texte intégral

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE D'AUXERREJUGEMENT DU 20 OCTOBRE 2008 Chambre civileN° 06/00971 DEMANDERESSELa société CERAMICA COLLET SA,dont le siège social est situé auPoligono Industrial L'Olana s/nE-08292 Esparreguera (Barcelona) Espagne,Représentée par Maître PRETRE-S ABIN, avocat au barreau d'AUXERRE etassistée par Maître C, avocat au barreau de PARIS, DEFENDERESSELa société SOLARGIL SAdont le siège social est sisLa Bâtisse89520 MOUTIERS EN PUISAYE,Représentée par Maître LEMARIE-REBOUILLAT, avocat au barreau d'AUXERRE et assistée par Maître G, avocat au barreau de PARIS. COMPOSITION DU TRIBUNAL Lors des débats et du délibéré :Monsieur C, Vice-Président,Monsieur F,Madame TONDEUX, Juges. Lors du prononcé :Monsieur C, Vice-Président,Madame TONDEUX,Madame GIRAULT, Juges.Greffier : Madame DELAGNEAU lors des débats, Madame NICOLAS lors du prononcé. DEBATS ; A l'audience publique du 23 juin 2008. JUGEMENT : contradictoire, prononcé publiquement, en premier ressort, signé par Monsieur C, Vice-Président et Madame NICOLAS, Greffier. EXPOSE DU LITIGE Par acte délivré le 5 juillet 2006, la société CERAMICA COLLET a assigné la société SOLARGIL devant le Tribunal de Grande Instance d'Auxerre.Par conclusions récapitulatives signifiées le 7 janvier 2008, elle demande au tribunal :

Vu les articles

L 713-1 et suivants, L 716-1 et suivants du Code de la Propriété intellectuelle, Vu l'article 1382 du code civil, - de dire que les actes commis par la société SOLARGIL par l'usage de la marque "TER PLUS" constituent une contrefaçon de la marque "SIO-2 PLUS" de CERAMICA COLLET,- de dire que la société SOLARGIL a commis des actes de concurrence déloyale,- d'interdire en conséquence à la société SOLARGIL de faire usage ou de concéder tout droit d'usage de la dénomination " TER PLUS " sous quelque forme que ce soit et de quelque titre et nature que ce soit, et ce sous astreinte de 1000 euros par infraction constatée à compter de la signification de la décision à intervenir,- d'ordonner en conséquence à SOLARGIL de retitrer de la vente tous les produits commercialisés par SOLARGIL et portant la marque " TER PLUS ",- de condamner la société SOLARGIL à payer à la société CERAMICA COLLET la somme de 50 000 euros de dommages- intérêts en réparation des préjudices résultant de la contrefaçon de la marque " SIO-2 PLUS ",- de condamner la société SOLARGIL à payer à la société CERAMICA COLLET la somme de 200 000 euros à titre de dommages- intérêts, en réparation des préjudices résultant des actes de concurrence déloyale,- d'ordonner aux frais des défendeurs, à titre de complément de dommages- intérêts, l'insertion par extrait ou en entier du jugement à intervenir dans un journal ou revue au choix du demandeur,- de débouter la société SOLARGIL de sa demande de condamnation pour procédure abusive,- d'ordonner, en raison de l'urgence, l'exécution provisoire du jugement à intervenir, - de condamner la société SOLARGIL à payer à la société CERAMICA COLLET la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile,- de condamner la société SOLARGIL aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître PRETRE-SABIN. En défense, la société SOLARGIL, vu les dispositions des articles 1341 du code civil, L 713-1 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle, 1382 et suivants du code civil, demande au tribunal :- de dire que la société SOLARGIL n'a commis aucun acte de contrefaçon par l'usage de la marque TER'PLUS, de la marque SIO 2 PLUS de la société CERAMICA COLLET,- de dire que la société SOLARGIL n'a commis aucun acte de concurrence déloyale, - de débouter en conséquence la société CERAMICA COLLET de l'ensemble de ses demandes,- de condamner la société CERAMICA COLLET au versement de la somme de 50 000 euros pour procédure abusive sur le fondement de l'article 1382 du code civil,- de la condamner à verser à la société SOLARGIL la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile,- de condamner la société CERAMICA COLLET aux entiers dépens,- d'ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir,- d'ordonner aux frais de la demanderesse, à titre de complément de dommages- intérêts, l'insertion par extrait ou en entier du jugement à intervenir dans cinq journaux ou revues au choix de la défenderesse. L'ordonnance de clôture est intervenue le 19 mai 2008 .

MOTIVATION

Sur la contrefaçon : Aux termes de l'article L 713-2 du Code de la Propriété Intellectuelle, "Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire :a) la reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque, même avec l'adjonction de mots tels que : " formule, façon, système, imitation, genre, méthode ", ainsi que l'usage d'une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l'enregistrement;b)la suppression ou la modification d'une marque régulièrement apposée ". L'article L 713-3 du Code de la Propriété Intellectuelle interdit en outre " l'imitation d'une marque et l'usage d'une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement". En l'espèce, concernant d'une part la reproduction de la marque, cette dernière résulte, selon l'article L 713-2 du CPI, de la reproduction des éléments d'un signe protégé, considéré valable à titre de marque et donc reconnu distinctif. La distinctivité comporte deux éléments :- tout d'abord, les signes doivent permettre d'associer un produit à une entreprise, c'est à dire être apte à renseigner le consommateur sur leur origine commerciale. - ensuite, les signes choisis doivent être composés d'éléments arbitraires au regard des produits ou des services désignés, ce qui signifie qu'ils ne doivent pas être nécessaires, génériques et usuels quant à la désignation du produit. Sur ce point, il est incontestable que le terme PLUS est un terme laudatif, usuel, couramment utilisé par les professionnels quelque soit le secteur d'activité et ne peut être considéré comme l'élément dominant et distinctif de la marque SIO2 PLUS comme de la marque TER PLUS. En revanche, le terme SIO2, dépourvu pour un consommateur moyen de toute signification propre particulière, constitue bien un terme distinctif, à la différence du terme TER qui est descriptif puisqu'il évoque la terre composant les pains d'argile. Par conséquent, la marque SIO2 PLUS doit être considérée comme distinctive et bénéficie donc de la protection de l'article L 713-2 du CPI, même si en l'espèce, la seule présence du terme PLUS dans les deux marques apparaît insuffisant pour caractériser la reproduction de la marque au sens de ce texte, nonobstant l'identité de produit. Concernant d'autre part la contrefaçon par imitation, cette dernière se caractérise par l'identification du produit imitant à la marque imitée.L'imitation s'apprécie par les ressemblances et non par les différences et suppose la réunion de deux éléments :- un élément objectif constitué par la ressemblance entre les signes s'analysant aussi bien en terme de similitude visuelle et phonétique qu’intellectuelle. En l'espèce, la société CERAMICA COLLET soutient que le graphisme et les proportions des lettres sont identiques et que les deux marques produisent la même impression d’ensemble. Or, il convient de constater que les polices d'écriture, la taille des caractères utilisés, leur forme, leur couleur, leur combinaison d'ensemble et leur concept visuel sont différents. D'un point de vue phonétique, il existe également une différence significative entre les deux termes d'attaque SIO2 et TER, étant rappelé que le terme PLUS ne constitue pas en tant que tel un élément dominant et distinctif. Enfin, on ne retrouve en l'espèce ni l'utilisation de synonyme, ni la traduction d'un concept en langue étrangère, ni la référence à une notion implicitement contenue dans le concept à imiter pouvant caractériser une similitude intellectuelle susceptible de provoquer dans l'esprit des consommateurs des associations d'idées .- un élément subjectif constitué justement par le risque de confusion chez un consommateur moyennement compétent et attentif.La Cour de Justice des Communautés Européennes a considéré que '''constitue un risque de confusion le fait que le public puisse croire que les produits et services en cause proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d'entreprises liées économiquement". En l'espèce, il est incontestable que les produits commercialisés par la marque TER PLUS sont des produits identiques ou similaires à ceux commercialisés par la société CERAMICA COLLET sous la marque SIO2 PLUS.Cependant, les ressemblances portant sur le produit et le packaging ne sont pas en tant que telles constitutives d'une contrefaçon par imitation puisqu'elles découlent de la nature et de la fonction même du produit qui est dans les deux cas une terre à modeler en conditionnement individuel. En outre, les étiquettes des produits sont de couleur orange pour CERAMICA COLLET avec des lettres noires et de couleur rouge et jaune pour SOLARGIL, avec des lettres rouges entourées de blanc.En tout état de cause, les différences entre les deux produits apparaissent plus importantes que leurs similitudes, ce qui exclut le risque de confusion dans l'esprit du consommateur. Les actes de contrefaçon par imitation reprochés par CERAMICA COLLET à SOLARGIL ne sont donc pas établis. Enfin, concernant la suppression ou la modification d'une marque régulièrement apposée condamnée par l'article L 713-2 b) du CPI,, CERAMICA COLLET soutient que SOLARGIL aurait apposée ses propres étiquettes sur ses produits, la défenderesse répondant qu'elle a toujours passé commande d'argile sous emballage anonyme, sur laquelle elle pouvait ensuite apposer l'étiquette d'autre clients, CERAMICA COLLET faisant valoir qu'il s'agit de produits en marque blanche et non de produits anonymes. Un produit en marque blanche est un produit cédé par une entreprise à une autre, sur lequel cette dernière peut apposer sa propre marque et donc en revendiquer la paternité auprès de ses clients . Dans cette hypothèse, le nom de l'entreprise ayant conçu le produit n'apparaît pas. La distinction marque blanche - marque anonyme n'apparaît donc pas très claire, un produit eu1 marque anonyme, selon la défenderesse, étant un produit sur lequel est apposé l'étiquette de la marque, fournie par l’acquéreur. En tout état de cause, qu'il s'agisse de produits en marque blanche ou anonyme, la société SOLARGIL ne pouvait pas apposer son étiquette TER PLUS sur un pain d'argile portant déjà l'étiquette SIO2 PLUS.Or, force est de constater que sur le pain d'argile versé aux débats, l'étiquette TER PLUS a été apposée sur l'étiquette originale SIO2 plus, d'ailleurs encore partiellement visible, l'étiquette au dos du produit comportant un code barre identique à celui des produits CERAMICA COLLET mentionnant à la fois la marque SIO2 PLUS mais également la société SOLARGIL, étant observé en outre que la circulaire diffusée le 9 juin 2005 par SOLARGIL indique "Tous les éléments essentiels (référence, produit, code barre inchangé et conditionnement) sont aujourd'hui présents sur une seule étiquette" . Cet acte s'analyse à l'évidence comme une suppression de marque et est constitutif de contrefaçon au sens de l'article L 713-2 du CPI. Sur la concurrence déloyale : L'action en concurrence déloyale trouve son fondement dans les dispositions des articles 1382 et 1383 du code civil et sanctionne la transgression d'un devoir de conduite dans les relations de concurrence. En l'espèce, la société CERAMICA COLLET entend faire condamner SOLARGIL pour détournement de clientèle et parasitisme économique. L'examen de l'ensemble des emballages communs pour la terre et des catalogues des revendeurs versés aux débats par l'une et l'autre des parties tend à démontrer que la société SOLARGIL a progressivement associé les deux marques puis modifié la présentation de la marque SIO2 PLUS . En 2004, les tarifs mentionnent "la terre autodurcissante PLUS", puis en 2005, année du dépôt par SOLARGIL de la marque TER PLUS, la dénomination devient "TERRE PLUS", étant rappelé que par une circulaire du 9 juin 2005, la société SOLARGIL informait sa clientèle d'un changement de dénomination, le produit vendu antérieurement sous la marque SIO2 PLUS étant désormais vendu sous la marque TER PLUS, SOLARGIL précisant bien dans le même temps qu'il s'agit du même produit (référence, produit, code barre inchangé et conditionnement), les éléments essentiels étant toujours présents . Cette identité de produit vendu à partir de 2005 sous la marque TER PLUS résulte également d'un courrier électronique adressé le 6 septembre 2005 par SOLARGIL à CERAMICA COLLET, le dirigeant de SOLARGIL écrivant à cette dernière "la TER PLUS, c'est bien la PLUS de COLLET, et je pense que tu le sais... Simplement, nous avons changé le look pour une meilleure communication sur un marché différent....». SOLARGIL, en tant que distributeur, a ainsi progressivement remplacé auprès de ses revendeurs la marque SIO2 PLUS par la marque TER PLUS, alors que le produit restait identique, faisant perdre de la sorte une partie de sa clientèle à CERAMICA COLLET, puisque SOLARGIL ne lui achetait plus SIO2 plus remplacé par son propre produit TER PLUS. Sur ce point, la défenderesse soutient qu'on ne peut lui reprocher de détourner sa propre clientèle. Or, si SOLARGIL a développé une clientèle en France, elle ne l'a fait qu'en qualité de distributeur de la marque SIO2 PLUS, dans le cadre d'un accord réciproque conclu depuis plus de 20 ans avec CERAMICA COLLET aux termes duquel chaque société assurait la promotion et la vente des produits de l'autre sur son territoire. En remplaçant progressivement le produit de son fournisseur par le sien, elle a arrêté d'être un simple distributeur pour devenir elle-même fournisseur d'un produit identique et a donc évincé CERAMICA COLLET. Le détournement de clientèle est par conséquent établi.CERAMICA COLLET dénonce également le comportement "parasitaire" de son ancienne partenaire. Le parasitisme est la volonté de profiter du renom et de la réputation de sérieux et de garantie professionnelle qui sont indiscutablement associés dans l'esprit du public à la marque célèbre dont est titulaire le demandeur.Ce comportement permet de bénéficier du pouvoir attractif d'une marque, tout en tirant avantage, sans compensation financière, de l'effort commercial poursuivi par la société titulaire de la marque. En l'espèce, si SOLARGIL a pu profiter de la notoriété de la marque CERAMICA COLLET et de la confusion qui a pu s'instaurer avec l'introduction progressive de produits PLUS puis "TER PLUS", ce qui a causé un préjudice certain à la demanderesse, le parasitisme de SOLARGIL sur le plan de l'effort commercial apparaît plus discutable, puisque c'est la défenderesse qui a assuré la promotion et le développement du produit en France. Le parasitisme ne sera donc retenu qu'en ce qui concerne la notoriété du produit et de la marque. Compte tenu de ces éléments, il convient de dire que la société SOLARGIL a bien commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société CERAMICA COLLET. Sur la réparation du préjudice : * concernant la contrefaçon : Aux termes de l'article L 716-1 du Code de la Propriété Intellectuelle, "L'atteinte portée au droit du propriétaire de la marque constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur. Constitue une atteinte aux droits de la marque la violation des interdictions prévues aux articles L 713-2, L 713-3 et L 713-4 ». L'article L 716-15 du CPI dispose " En cas de condamnation civile pour contrefaçon, la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les produits reconnus comme produits contrefaisants et les matériaux et instruments ayant principalement servi à leur création ou fabrication soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée " . En l'espèce, il y a donc lieu de faire droit aux demandes de la société CERAMICA COLLET et d'interdire à la société SOLARGIL, selon les modalités précisées au dispositif, d'utiliser la marque " TER PLUS " et de commercialiser des produits sous cette marque et ce, sous astreinte de 1000 euros par jour. Aux termes de l'article L 716-14 du CPI, " Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par le contrefacteur et le préjudice moral causé au titulaire des droits du fait de l’atteinte.Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui ne peut être inférieure au [ …] - Interdit en conséquence à la société SOLARGIL de faire usage ou de concéder tout droit d'usage de la dénomination "TER PLUS", sous quelque forme que ce soit, et ce, sous astreinte de 1000 euros par infraction constatée à compter de la signification du présent jugement,- Ordonne à la société SOLARGIL de retirer de la vente tous les produits commercialisés par elle et portant la marque " TER PLUS ",- Condamne la société SOLARGIL à payer à la société CERAMICA COLLET la somme de 30 000 euros à titre de dommages- intérêts en réparation des préjudices résultant de la contrefaçon de la marque SIO2 PLUS,- Condamne la société SOLARGIL à payer à la société CERAMICA COLLET la somme de 100 000 euros à titre de dommages- intérêts en réparation des préjudices résultant des actes de concurrence déloyale,- Ordonne, aux frais de la société SOLARGIL, la publication du dispositif du présent jugement dans un journal au choix de CERAMICA COLLET,- Rejette les autres demandes,- Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement,- Condamne la société SOLARGIL à payer à la société CERAMICA COLLET la somme de 7000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,- Condamne la société SOLARGIL aux entiers dépens, avec autorisation de recouvrement direct au profit de Maître P.