AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le treize février deux mille un, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire DESPORTES, les observations de Me RICARD, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- Y... Louis,
contre l'arrêt de la cour d'appel de LYON, 4ème chambre, en date du 18 mai 2000, qui, pour emploi irrégulier des dispositifs destinés au contrôle des conditions de travail dans les transports routiers et contraventions à cette réglementation, l'a condamné à 6 mois d'emprisonnement avec sursis et 40 000 francs d'amende pour le délit et à deux amendes, l'une de 10 000 francs et l'autre de 5 000 francs pour les contraventions ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 1.3.3 bis de l'ordonnance 58-1310 du 23 décembre 1958, 6 et 8 du règlement CEE n° 3820/85 du 20 décembre 1985, 3 du décret 86-1130 du 17 octobre 1986, L. 121-3 du Code pénal dans sa rédaction résultant de la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000, L. 122-40 et suivants et
L. 122-43 du Code du travail, et des articles
485,
512,
593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Louis Y... coupable des faits qui lui étaient reprochés et l'a condamné : "- pour le délit, d'avoir laissé contrevenir à l'article 3 de l'ordonnance n° 58-1310 du 23 décembre 1958 prohibant l'emploi irrégulier des dispositifs destinés au contrôle, à la peine de six mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 40 000 francs ;
"- pour la contravention de 5ème classe, de dépassement des durées maximales de conduite de plus de 20 % à une amende de 10 000 francs ;
"- pour la contravention de 4ème classe, d'insuffisance du temps de repos, celui-ci excédant néanmoins 6 heures, à une amende de 5 000 francs ;
"aux motifs que "attendu que le chauffeur Jean-Pierre X... a exposé que, se trouvant au dépôt de l'entreprise à Saint-Etienne, dans la soirée du 8 juillet 1998, il avait décidé de poursuivre son itinéraire vers Varennes-sur-Allier et que, se rendant compte qu'il était "limite" en temps de conduite, il avait : "- retiré le disque du 8 juillet ;
"- mis à la place le disque du 7 juillet ;
"- retardé la pendule du chronotachygraphe ;
""attendu que la Cour constate que ces manipulations ont été effectuées au siège de l'entreprise par un chauffeur qui non seulement ne redoutait aucun contrôle hiérarchique mais qui était, en outre, parfaitement instruit des techniques de fraude si bien qu'il est permis de conclure, sans le moindre doute, qu'il était coutumier de ce genre de pratiques ;
""attendu que l'emploi irrégulier des dispositifs destinés au contrôle étant puni d'un an d'emprisonnement et d'une amende de 200 000 francs, peines applicables tant à l'auteur de l'infraction qu'au dirigeant de l'entreprise ayant laissé commettre le délit par une personne relevant de son autorité, la Cour remarque que Jean-Pierre X..., auteur des opérations frauduleuses, n'a fait l'objet que d'un simple avertissement notifié par lettre du 31 août 1998 ; que la Cour observe que la société Y... a fait preuve d'une extraordinaire bienveillance, pour ne pas dire complaisance, à l'égard d'un conducteur ayant commis une faute intentionnelle particulièrement lourde, lui ayant permis de conduire 13 heures 40 au cours de la journée du 8 juillet 1998, alors que les moyens d'information font fréquemment état d'accidents tragiques impliquant des chauffeurs ayant dépassé leur temps de conduite ; qu'une telle mansuétude, pour une faute aussi grave, n'est pas de nature à persuader les autres chauffeurs de respecter la législation du travail ;
""attendu que si le prévenu produit le règlement intérieur, quelques notes de service et diverses attestations tendant à établir que le respect de la réglementation serait un objectif de son entreprise, ces dispositions paraissent purement factices dans la mesure où : ""- le prévenu a fait preuve d'une extrême complaisance à l'égard du chauffeur X... ayant commis une faute particulièrement grave qui aurait dû être autrement sanctionnée ;
""- le prévenu lui-même a fait l'objet entre le 8 septembre 1997 et le 3 mai 1999 de trente et une condamnations prononcées essentiellement pour des contraventions à la durée du travail ou à l'insuffisance du temps de repos ou transport public sans autorisation valable ; que l'accumulation de condamnations prononcées en moins de deux ans démontre, à l'évidence, que la société Y..., dirigée par le prévenu, s'est enfoncée dans une pratique professionnelle marginale qu'elle tente de dissimuler par quelques documents internes dépourvus de toute portée pratique, si ce n'est donner l'illusion de l'application de la législation ;
""attendu qu'étant ainsi rapportée, la preuve de l'abstention fautive du prévenu qui n'a pas pris aucune disposition sérieuse pour assurer le respect de la réglementation du travail, il convient de confirmer le jugement déféré étant entré en voie de condamnation à son égard pour : ""- avoir laissé contrevenir à l'article 3 de l'ordonnance n° 58-1310 du 23 décembre 1958 prohibant l'emploi irrégulier des dispositifs destinés au contrôle ;
""- dépassement des durées maximales de conduite de plus de 20 %, en l'espèce 13 heures 40 (contravention de 5ème classe) ;
""- insuffisance du temps de repos, celui-ci excédant néanmoins 6 heures, en l'espèce 6 heures 35 (contravention de 4ème classe) ;
""attendu qu'en raison de la gravité des infractions commises et des lourds antécédents du prévenu, il convient d'aggraver les peines prononcées" ;
"1 ) alors que ne caractérise pas que le commettant, Louis Y... a laissé contrevenir son salarié, Jean-Pierre X..., aux dispositions réglementaires sur le temps de travail en ne prenant pas les dispositions de nature à en assurer le respect, la cour d'appel qui se borne à relever que 31 condamnations, essentiellement pour contraventions à la durée du travail, avaient été prononcées entre septembre 1997 et mai 1999 contre le prévenu, sans caractériser la date à laquelle avaient été commis ces faits délictueux condamnés, sans rechercher si depuis 1997 la politique de la société n'avait pas évolué par la mise en place d'un programme d'information et de formation des salariés, par une politique de sanction systématique des agissements fautifs, en sorte qu'aucune infraction à la durée du travail n'avait été relevée par l'inspection du travail, et celle d'une politique incitative, contrôlée et approuvée par l'inspection du travail, et sans rechercher, s'agissant de Jean-Pierre X..., s'il n'avait pas la liberté des horaires de livraison ces jours-là, et sans caractériser que l'employeur savait ou aurait pu savoir et empêcher que Jean-Pierre X... - dont il n'a pas été établi qu'il avait déjà outrepassé la durée du travail - y contreviendrait effectivement entre le 7 et le 9 juillet 1997 et plus particulièrement, dans la soirée du 8 juillet 1997 ;
"2 ) alors que, pour justifier de ce que le respect de la réglementation était un objectif de l'entreprise, Louis Y... ne s'était pas borné comme l'a dit la cour d'appel "à produire le règlement intérieur, quelques notes de service et diverses attestations" mais il avait également versé aux débats outre le contrat de travail de Jean-Pierre X... et ses annexes, comprenant le rappel de la réglementation et l'obligation de s'y conformer, diverses lettres d'avertissement adressées à des conducteurs, les justificatifs de formation AFT suivies par les salariés, ainsi que l'accord préfectoral du 29 août 1997, pris sur avis favorables de la DDTE, accordant à l'entreprise le bénéfice de réduction de charges sociales en raison des mesures prises précisément par celle-ci pour faire respecter la législation sur la durée du travail ; que la cour d'appel qui n'a ni visé ni analysé ces éléments de preuve n'a pas justifié ses affirmations selon lesquelles la société "s'est enfoncée dans une pratique professionnelle marginale qu'elle tente de dissimuler par quelques documents internes dépourvus de toute portée pratique" et "n'a pris aucune disposition sérieuse pour assurer le respect de la réglementation" ;
"3 ) alors que le motif hypothétique équivaut à une absence de motif ; qu'en l'espèce, la cour d'appel qui énonce que les manipulations de Jean-Pierre X... "ont été effectuées au siège de l'entreprise par un chauffeur qui non seulement ne redoutait aucun contrôle hiérarchique mais qui était, en outre, parfaitement instruit des techniques de fraude" et en déduit "si bien qu'il est permis de conclure, sans le moindre doute, qu'il était coutumier de ce genre de pratiques", a statué par voie de motif hypothétique en imputant à l'intéressé une présomption de culpabilité ;
"4 ) alors que le conseil de prud'hommes est seul compétent pour apprécier la régularité et la proportionnalité de la sanction disciplinaire prononcée contre un salarié ; que, dès lors, la cour d'appel statuant en matière correctionnelle, ne pouvait, sans excéder ses pouvoirs, déclarer que l'avertissement notifié à Jean-Pierre X... pour sanctionner la manipulation de son disque, chronotachygraphe et le dépassement de la durée du travail "était d'une extraordinaire bienveillance pour ne pas dire complaisance"" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Louis Y..., gérant de la société des Transports
Y...
, est poursuivi, sur le fondement des articles 3 et 3 bis de l'ordonnance n° 58-1310 du 23 décembre 1958 et 3 du décret n° 86-1130 du 17 octobre 1986, pour avoir laissé effectuer, par un chauffeur de la société précitée, un emploi irrégulier du dispositif destiné au contrôle des conditions de travail dans les transports routiers ainsi que pour avoir laissé contrevenir aux prescriptions des articles 6 et 8 du règlement CEE n° 3820/85 du 20 décembre 1985 relatives à la durée maximale de conduite autorisée et au temps de repos ;
Attendu que, pour le déclarer coupable de ces chefs, la cour d'appel se prononce par les motifs reproduits au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs procédant de son appréciation souveraine et exempts de caractère hypothétique, la cour d'appel a, sans excéder ses pouvoirs, caractérisé en tous leurs éléments constitutifs les infractions reprochées au prévenu ;
Que le demandeur ne saurait reprocher à l'arrêt attaqué de n'avoir pas établi l'existence d'une faute entrant dans les prévisions des dispositions de l'article
121-3, alinéa 4, du Code pénal dans leur rédaction issue de la loi du 10 juillet 2000, dès lors que ces dispositions ne sont applicables qu'aux infractions supposant, pour être constituées, la réalisation d'un dommage ;
Que, tel n'étant pas le cas du délit et des contraventions, objet de la poursuite, le moyen ne peut qu'être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article
L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Desportes conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;
Avocat général : M. Di Guardia ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;