Vu la procédure suivante
:
M. B...A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Versailles, statuant sur le fondement de l'article
L. 521-2 du code de justice administrative d'enjoindre à l'administration pénitentiaire son transfert de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis vers les maisons d'arrêt de Meaux ou de Nanterre. Par une ordonnance n°1504792 du 23 juillet 2015 le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.
Par une requête enregistrée le 28 juillet 2015, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article
L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) d'enjoindre à l'administration pénitentiaire de le transférer de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis vers les maisons d'arrêts de Meaux ou Nanterre, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors qu'il a subi des violences lors d'une fouille au corps le 22 mars 2015 pour lesquelles il a déposé une plainte auprès du procureur de la République et qu'il est, depuis lors, victime de violences physiques et psychiques quotidiennes ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit au respect de la dignité à raison des violences quotidiennes qu'il subit;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit au respect de sa vie privée et familiale dès lors que les correspondances que lui adresse sa famille font l'objet de mesures de rétention par l'administration pénitentiaire ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 juillet 2015, la ministre de la justice, garde des sceaux, conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la demande est irrecevable dès lors qu'elle est dirigée contre une mesure d'ordre intérieur insusceptible de recours. Elle soutient, à titre subsidiaire, que la condition d'urgence n'est pas remplie et que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Par une intervention, enregistrée le 29 juillet 2015, l'association Robin des Lois demande que le Conseil d'Etat fasse droit aux conclusions de M.A....
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A... et l'association Robin des Lois, d'autre part, la ministre de la justice, garde des sceaux ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du 29 juillet 2015 à 18 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Poupot, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation, avocat de M. A...;
- la représentante de M.A... ;
- les représentants de l'association Robin des Lois ;
- les représentants du ministre de la justice, garde des sceaux ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a prolongé l'instruction jusqu'au jeudi 30 juillet 2015 14 heures ;
Vu le mémoire présenté par M. A...enregistré le 30 juillet 2015 ;
Vu le mémoire présenté par la ministre de la justice, garde des sceaux, enregistré le 30 juillet 2015 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code procédure pénale ;
- le code de justice administrative ;
1. Considérant que l'association Robin des Lois a intérêt à l'annulation de l'ordonnance attaquée ; que son intervention est, par suite, recevable ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article
L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures " ;
3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M.A..., né en 1973, est écroué depuis 2011 en exécution de deux condamnations définitives ; qu'il a relevé appel de l'arrêt du 30 juin 2014 par lequel la cour d'assises des Hauts-de-Seine l'a condamné à une peine de quinze années de réclusion criminelle ; qu'il a été transféré, le 13 août 2014, à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis ; qu'alors qu'il était placé en quartier disciplinaire, il a fait l'objet d'une fouille, le 22 mars 2015, dans des conditions qui ont entraîné, de sa part, le dépôt d'une plainte auprès du parquet du tribunal de grande instance d'Evry, le 16 avril 2015, pour des violences aggravées par personne dépositaire de l'autorité publique ; qu'à la suite de ces circonstances, l'intéressé, qui est inscrit au répertoire des détenus particulièrement signalés, a, les 21 avril, 18 mai et 3 juin 2015, saisi le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Pontoise, d'une demande de changement d'affectation ; qu'il lui a, à chaque fois, été répondu que son transfert n'était pas envisagé par l'administration pénitentiaire ; que, par un courrier du 9 juin 2015, la directrice de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis a informé le conseil de M. A...que le transfert de ce dernier vers une autre maison d'arrêt n'était pas envisagé, l'établissement ne l'ayant pas demandé dans la mesure où sa détention au quartier d'isolement ne posait pas de problème particulier ; que M. A...a saisi, sur le fondement de l'article
L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles d'une demande tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration pénitentiaire de le transférer vers la maison d'arrêt de Meaux ou vers celle de Nanterre ; qu'il relève appel de l'ordonnance du 23 juillet 2015 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande ;
Sur la
fin de non-recevoir opposée par le ministre de la justice :
4. Considérant que la nature de la décision litigieuse est sans incidence sur la recevabilité d'une demande présentée sur le fondement de l'article
L. 521-2 du code de justice administrative ; qu'il suit de là que la fin de non-recevoir opposée par la ministre de la justice tirée de ce que le refus opposé à une demande de changement d'affectation présentée par un détenu n'est, en principe, pas susceptible de recours ne peut qu'être écartée ;
Sur les conclusions d'appel :
5. Considérant qu'aux termes de l'article
D. 82 du code de procédure pénale : " La décision de changement d'affectation appartient au ministre de la justice dès lors qu'elle concerne : [...] Un condamné ayant fait l'objet d'une inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés, prévu par l'article D. 276-1 " ; que M. A...ayant la qualité de condamné et se trouvant inscrit au répertoire des détenus particulièrement signalés, il appartient à la seule ministre de la justice de décider des suites à donner à sa demande de changement d'affectation ; que l'intéressé ayant en outre la qualité de prévenu, à raison de l'appel qu'il a présenté à l'encontre de l'arrêt du 30 juin 2014, s'applique également l'article
D. 301 du code de procédure pénale qui prévoit qu'il ne peut être procédé au transfert d'un prévenu qu'avec l'accord de l'autorité judiciaire ;
6. Considérant qu'il résulte de l'instruction ainsi que des échanges au cours de l'audience publique que M.A..., qui est placé en quartier d'isolement depuis neuf mois, se trouve dans un état de santé physique et psychologique particulièrement fragile ; qu'à la suite d'un accident de voiture, son épouse, qui était présente à l'audience, rencontre des difficultés à lui rendre visite, en compagnie de leurs enfants ; qu'alors même qu'il est à ce jour affecté au bâtiment D3 de la maison d'arrêt dans lequel se trouve le quartier d'isolement et placé, de ce fait, sous la surveillance d'une équipe de personnels différente de celle qui est en charge du quartier disciplinaire, situé dans le bâtiment D2 de l'établissement où servent les personnes à l'encontre desquelles il a déposé plainte à la suite des événements du 22 mars 2015, M. A...soutient faire l'objet de mesures de provocation et de rétorsion caractérisant un traitement dégradant prohibé par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en défense, l'administration qui conteste le bien-fondé de ces allégations, s'engage à éviter tout contact entre l'intéressé et les personnels mis en cause, y compris dans le cas où celui-ci serait à nouveau placé au quartier disciplinaire ; qu'elle soutient en outre que la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis constitue l'établissement le plus approprié à la détention de M.A..., tant pour prévenir un risque d'évasion de sa part que pour assurer une prise en charge adéquate de son état de santé dont elle reconnaît le caractère préoccupant ;
7. Considérant qu'à la suite du supplément d'instruction ordonné au cours de l'audience publique, l'administration pénitentiaire a fait état des modalités d'instruction des demandes de changement d'affectation présentées par des personnes détenues inscrites au répertoire des détenus particulièrement signalés ; qu'il en ressort qu'en principe, le chef d'établissement doit transmettre la demande, avec son avis, à la direction interrégionale des services pénitentiaires qui l'adresse à l'administration centrale afin que le ministre de la justice décide, après instruction, des suites à y donner ; que s'agissant des détenus ayant la qualité de prévenu, l'accord de l'autorité judiciaire est sollicité avant toute décision de transfert ; que si figure au dossier un courrier du 16 juin 2015 demandant à la ministre de la justice de procéder au changement d'affectation de M. A...ainsi qu'un accusé-réception dont il n'est pas établi de manière certaine qu'il corresponde à ce courrier, l'administration soutient qu'une telle demande n'a jamais été reçue par les services du ministère de la justice ; qu'il ne résulte, par ailleurs, pas de l'instruction que la procédure décrite ci-dessus ait été respectée ; que faute pour le chef d'établissement d'avoir adressé la demande de M . A...à la direction interrégionale dont il relève aux fins de transmission à la ministre de la justice, cette demande, à propos de laquelle l'avis de l'autorité judiciaire n'a pas été formellement recueilli, n'a donc pas l'objet d'une instruction par l'autorité compétente pour en connaître ; qu'une telle situation caractérise une atteinte grave et manifestement illégale au droit de tout détenu de voir sa situation traitée dans le respect des règles de compétence et de procédure fixées par le code de procédure pénale ; que, dans les circonstances particulières de l'espèce et, compte tenu de l'état de santé dans lequel se trouve M. A..., l'urgence particulière à laquelle est subordonnée l'intervention du juge des référés sur le fondement de l'article
L. 521-2 du code de justice administrative est caractérisée ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance qu'il attaque, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande ; que la sauvegarde des droits auxquels une atteinte grave et manifestement illégale a été portée implique que la demande de changement d'affectation de M. A...soit examinée selon les règles définies par le code de procédure pénale ; qu'il y a lieu par suite d'enjoindre à la directrice de la maison d'arrêt de Fleury-Merogis d'adresser, dans un délai de 24 heures, la demande de changement d'affectation présentée par M. A...à la direction interrégionale des services pénitentiaires de Paris afin que celle-ci saisisse pour avis, sur le fondement de l'article
D. 301 du code de procédure pénale, l'autorité judiciaire et transmette le dossier à la ministre de la justice qui est la seule autorité compétente pour décider des suites à réserver à cette demande ; qu'il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A...de la somme de 1 200 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative ;
O R D O N N E :
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Article 1er : L'intervention de l'association Robin des Lois est admise.
Article 2 : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Versailles du 23 juillet 2015 est annulée.
Article 3 : Conformément aux motifs de la présente ordonnance et dans un délai de 24 heures à compter de sa notification, il est enjoint à la directrice de la maison d'arrêt de Fleury-Merogis d'adresser la demande de changement d'affectation présentée par M. A...à la direction interrégionale des services pénitentiaires de Paris.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : L'Etat versera à M. A...la somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B...A..., à la ministre de la justice, garde des sceaux et à l'association Robin des Lois.