Cour d'appel de Versailles, 18 juin 1998, 1996-9697

Synthèse

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Résumé

L'article L 711-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose expressément que les signes figuratifs tels que les dessins, les dispositions et les combinai- sons de couleurs sont susceptibles de constituer des signes distinctifs constitu- tifs d'une marque. Si l'article L 711-2 du même code prévoit que les signes exclusivement constitués par la forme imposée, la nature ou la fonction du pro- duit ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle, sont dépourvus de ca- ractère distinctif, ce texte n'interdit pas de faire figurer dans une marque com- plexe un ou plusieurs motifs dont la présence évoque la composition du produit. En l'espèce, dès lors que la validité d'une marque doit être appréciée dans son ensemble et non pas en fonction de ses différents éléments constitutifs, la demande en nullité portant sur une marque composée de silhouettes stylisées de canards, agencées de manière particulière et selon une combinaison de couleurs originale, et ce, pour désigner une spécialité à base de canard, doit être rejetée faute d'établir l'absence d'originalité de cette marque c Dès lors qu'hormis la dénomination respectives des sociétés productrices, la reproduction d'une marque concurrente ne s'en différencie que par des détails -en l'espèce des canards en silhouette stylisée, de plus grande taille et orientés différemment, mais de même couleur et sur un fond identique- qui n'apparaisse qu'à un observateur attentif et averti et échappent au client moyen, sensible à l'impression d'ensemble de similitude, l'imitation de marque visée à l'article L 713-3 du code de la propriété intellectuelle est caractérisée

Texte intégral

La S.A. LABEYRIE commercialise depuis 1988 du foie gras de canard sous différents conditionnements dont le décor composé d'un semis de silhouettes de canards dorés se détachant sur un fond noir a fait l'objet d'un dépôt à titre de marque au Centre I.N.P.I. de BORDEAUX le 13 décembre 1993, laquelle a été enregistrée sous le n° 93.497.010. A la fin de l'année 1994, la S.A. MADRANGE a mis sur le marché sous la dénomination "Le Florin" une terrine de canard présentée dans une barquette rectangulaire ou sous forme d'un pain rond dont l'emballage comprend notamment un semis de canards dorées sur un fond noir. Arguant de ce que ce conditionnement était constitutif d'une contrefaçon de sa marque et d'actes de concurrence déloyale, la société LABEYRIE après avoir fait procéder, le 27 décembre 1994, à un constat d'huissier du produit ainsi commercialisé par la société MADRANGE au magasin AUCHAN de VELIZY VILLACOUBLAY, l'a assignée devant le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES aux fins de cessation sous astreinte des agissements reprochés et de réparation du préjudice prétendument subi. Par jugement du 11 octobre 1996, cette juridiction a débouté la société LABEYRIE de toutes ses prétentions, dit n'y avoir lieu d'accueillir la demande d'annulation du dépôt de la marque n° 93.497.010 du C.I.N.P.I. de BORDEAUX, condamné la société LABEYRIE à payer à la société MADRANGE la somme de 1 franc symbolique pour procédure abusive, dit n'y avoir lieu à exécution provisoire, alloué à la société MADRANGE, une indemnité de 35.000 francs en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et condamné la demanderesse aux dépens. Appelante de cette décision, la société LABEYRIE soutient que la protection qu'elle revendique est celle de la combinaison particulière qui a fait l'objet de son dépôt de marque et dont elle s'estime en droit de s'opposer à l'imitation sur le fondement de l'article L.713.3 du Code de la Propriété Intellectuelle, dès lors qu'il existe un risque de confusion contrairement à l'analyse effectuée par les premiers juges en fonction des différences entre les deux objets qui selon elle sont d'ailleurs insignifiantes ou inexistantes en fait. Elle reproche, en outre, à la société MADRANGE d'accroître le risque de confusion provoqué par l'imitation en utilisant un conditionnement identique à celui qu'elle emploie pour présenter son foie gras de canard et considère cette action constitutive de concurrence déloyale. Elle sollicite, en conséquence, après reconnaissance par la Cour de la contrefaçon de la marque dont elle est titulaire et propriétaire comme des actes de concurrence déloyale dont elle est victime de la part de la société MADRANGE, la défense faite à cette dernière de commercialiser de la terrine de canard dans un emballage reproduisant les caractéristiques de sa marque, sous astreinte définitive de 5.000 francs par infraction constatée à compter de la signification du présent arrêt avec compétence pour connaître de leur liquidation éventuelle, la condamnation de la société MADRANGE au paiement de 500.000 francs de dommages et intérêts, la destruction de tous les emballages incriminés se trouvant en possession de la société MADRANGE à la date de l'arrêt à intervenir, la publication de cette décision dans cinq journaux ou revues au choix de la société LABEYRIE et aux frais de la société MADRANGE ainsi qu'une indemnité de 60.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. La société MADRANGE conclut à la confirmation du jugement déféré sauf en ce qu'il a rejeté sa demande en nullité de la marque déposée par la société LABEYRIE le 13 décembre 1993 et réitère cette prétention en raison de son caractère non distinctif outre sa radiation des registres de l'I.N.P.I. sur simple présentation de la décision devant être prononcée lorsqu'elle sera définitive. Elle réclame en outre, 200.000 francs à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et une indemnité de 20.000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Elle oppose que l'élément essentiel de la marque revendiquée consistant en une silhouette de canard qui ne représente pas un signe distinctif pour désigner des produits alimentaires à base de canard, celle-ci n'est pas valable, sans pouvoir, même à supposer le contraire, être protégée qu'à l'encontre d'une reproduction à l'identique en l'absence de tout risque de confusion entre les emballages incriminés et cette marque. Elle ajoute qu'un même acte ne peut, en tout cas, être réprimé sur le double fondement de la contrefaçon et de la concurrence déloyale. L'ordonnance de clôture a été rendue le 09 avril 1998.

MOTIFS

DE L'ARRET Considérant qu'il est constant que la société LABEYRIE, après avoir adopté en 1988 la nouvelle présentation de ses produits conçue par l'Agence DESIGN SYSTEMS en 1987, a déposé le décor en cause à titre de marque se caractérisant par des "silhouettes de canards dorés disposés en quinconce sur fond noir" au centre I.N.P.I. de BORDEAUX le 13 décembre 1993 pour désigner les produits de la classe 29 soit "volaille et gibier, extraits de viande, fruits et légumes conserves séchés et cuits, gelées et confitures, oeufs, lait et autres produits laitiers, huile et graisse comestibles notamment graisse de canard, plats cuisinés à base de volaille" ; Que cette marque enregistrée sous le n° 93.497.010 est utilisée par son propriétaire pour désigner des blocs de foie gras de canard présentés sous des conditionnements en forme de pains ronds ; Qu'il est également établi qu'ultérieurement la société MADRANGE a commercialisé une terrine de canard "Le Florin" dans un emballage jugé contrefaisant par la société LABEYRIE ; Considérant que contrairement à ce qu'a estimé le Tribunal en procédant à une interprétation erronée de l'article L.711.2 du Code de la Propriété Intellectuelle, la marque figurative concernée dispose en réalité d'un caractère distinctif ; Considérant en effet, que les signes figuratifs tels que les dessins, les dispositions et les combinaisons de couleurs sont expressément visés par l'article L.711.1 du même code comme pouvant s'analyser en un tel signe distinctif constitutif d'une marque, tandis que l'article L.711.2 dudit code déclare dépourvus de caractère distinctif les signes exclusivement constitués par la forme imposée, la nature ou la fonction du produit ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle, sans interdire cependant de faire figurer dans une marque complexe, comme en l'espèce, un ou plusieurs motifs dont la présence évoque la composition du produit et se rapportant au cas présent à l'existence de silhouettes de canards que la marque est destinée à désigner ; Considérant par ailleurs, que la validité de la marque doit être appréciée dans son ensemble et non pas en fonction de ces différents éléments comme tente en vain d'y procéder la société intimée ; Que cette dernière ne peut prétendre que la marque consiste seulement en une silhouette de canard, élément nécessaire pour désigner des produits confectionnés à base de canard alors que celle-ci se présente sous une forme particulière puisqu'il s'agit de silhouettes stylisées de petits canards de couleur dorée sur toute leur superficie, placés de profil en semis et en quinconce sur un fond noir ; Considérant que la société MADRANGE n'établit pas davantage que l'association de la couleur dorée avec la couleur noire combinée à l'utilisation de semis était usuelle dans le domaine des produits alimentaires et spécialement dans ce type de denrées lors du dépôt et de l'enregistrement de la marque appartenant à la société LABEYRIE ; Considérant que cette marque s'avérant ainsi valable, la société intimée sera déboutée de sa demande en nullité ; Considérant qu'il ressort de l'examen comparatif de la marque et du conditionnement utilisé par la société MADRANGE que cette dernière n'en a pas reproduit les motifs à l'identique dès lors que les canards employés par la société MADRANGE sont de plus grande taille, en pied et vus de profil gauche ; Que toutefois, s'agissant dans l'un et l'autre cas, d'un semis de petits canards dorés, équidistants, disposés en quinconce, de profil sur un fond pareillement noir et se répétant sur toute la surface de l'objet proposé à la clientèle hormis la dénomination respective des deux sociétés, ces différences de détail n'apparaissent qu'à un observateur attentif et averti et échappent au client moyen n'ayant pas les deux produits simultanément sous les yeux et qui n'est sensible qu'à l'impression d'ensemble de similitude donnée tant par la disposition, les caractéristiques globales des motifs que par le choix des couleurs dessins dorés sur fond noir ; Que si ces éléments sont insuffisants pour établir une contrefaçon au sens strict, ils n'en créent pas moins un risque certain de confusion que caractérise l'imitation de marque visée à l'article L.713.3 du Code de la Propriété Intellectuelle portant atteinte au droit dont est titulaire la société LABEYRIE sur la marque n° 93.497.010 dont elle est propriétaire et l'autorisant à en demander réparation ; Considérant en revanche, que l'utilisation par la société MADRANGE d'un conditionnement identique à celui employé par la société LABEYRIE pour présenter son foie gras de canard, s'il a pour effet, comme l'appelante l'indique, d'accroître le risque de confusion provoqué par l'imitation illicite de sa marque n'en constitue pas pour autant un acte distinct de celui de cette infraction susceptible d'être qualifié de concurrence déloyale ; Considérant que la société LABEYRIE est, par conséquent, en droit d'obtenir l'interdiction de reproduire les caractéristiques de sa marque sous astreinte qui sera déterminée à 3.000 francs par infraction constatée, outre la destruction des conditionnements de la société MADRANGE existant les renfermant ainsi que la publication du présent arrêt dans trois journaux ou revues de son choix jusqu'à concurrence d'un coût total de 40.000 francs à la charge de la société MADRANGE ; Qu'elle est encore fondée à obtenir des dommages et intérêts, en raison du préjudice résultant des agissements de la société MADRANGE ayant porté atteinte à sa marque, qui seront fixés, au vu de l'ensemble des éléments suffisants de la cause dont la Cour dispose, à la somme de 100.000 francs ; Considérant que la procédure initiée et poursuivie par la société LABEYRIE s'avérant parfaitement fondée, la société MADRANGE sera déboutée de sa demande en dommages et intérêts ; Considérant que l'équité commande d'allouer à la société appelante une indemnité de 25.000 francs en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Que la société MADRANGE qui succombe en toutes ses prétentions et supportera les dépens des deux instances n'est pas fondée en sa demande au même titre.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, - Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Et statuant à nouveau, - Déboute la société anonyme MADRANGE de sa demande en nullité de la marque déposée le 13 décembre 1993 par la société anonyme LABEYRIE et enregistrée sous le numéro 93.497.010 ; - Dit que les emballages dans lesquels la société anonyme MADRANGE commercialise une terrine de canard dénommée "Le Florin" constituent l'imitation illicite de la marque numéro 93.497.010 ; - Interdit à la société anonyme MADRANGE de commercialiser de la terrine de canard dans un emballage reproduisant les caractéristiques de la marque numéro 93.497.010 dont la société anonyme LABEYRIE est titulaire et propriétaire et ce, sous astreinte de 3.000 francs par infraction constatée, 15 jours après la signification du présent arrêt ; - Ordonne la destruction de tous les emballages incriminés se trouvant en possession de la société anonyme MADRANGE au jour du prononcé de cette décision ; - Ordonne sa publication dans trois journaux ou revues au choix de la société anonyme LABEYRIE jusqu'à concurrence d'un coût total maximum de 40.000 francs à la charge de la société anonyme MADRANGE ; - Condamne la société anonyme MADRANGE à verser à la société anonyme LABEYRIE la somme de 100.000 francs à titre de dommages et intérêts ; - Rejette la demande en dommages et intérêts formée par la société MADRANGE ; - La condamne à payer à la société anonyme LABEYRIE une indemnité de 25.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; - La condamne aux dépens des deux instances et autorise la SCP LAMBERT-DEBRAY-CHEMIN, Avoués, à recouvrer ceux d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile. ARRET REDIGE PAR MADAME LAPORTE, CONSEILLER PRONONCE PAR MONSIEUR ASSIÉ, PRESIDENT ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET LE GREFFIER qui a assisté au prononcé LE PRESIDENT A. PRETESEILLE-GABILLET F. X...