Vu la procédure suivante
:
Par une requête, enregistrée le 18 août 2023, M. C A, représenté par Me
Mottais, demande au juge des référés :
1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 23 juin 2023 du préfet de l'Orne portant interdiction temporaire d'exercer les fonctions mentionnées à l'article
L. 212-1 du
code du sport, pour une durée de six mois ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
Sur l'urgence :
- la décision menace directement son emploi en ce qu'elle remet en cause toute possibilité d'exercer sa profession, ainsi que l'encadrement des athlètes, alors qu'il a notamment en charge l'encadrement de l'équipe de pré-nationale féminine et de l'équipe de nationale féminine 1 ;
- il est suspendu de toutes ses fonctions et n'est plus rémunéré ;
Sur le
doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté attaqué :
- le courrier du 18 juillet 2023 indique qu'il ne disposera d'un délai pour présenter ses observations qu'à l'issue de l'enquête administrative ; dès lors, la mesure d'interdiction d'exercer sa profession a été prise au terme d'une procédure méconnaissant l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le principe du contradictoire ;
- la décision attaquée n'est pas suffisamment motivée ;
- elle été prise sans consultation préalable d'une commission comprenant des représentants de l'Etat, du mouvement sportif et des différentes catégories de personnes intéressées ;
- il a travaillé au sein de nombreux clubs sportifs et ses qualités en tant qu'éducateur sportif sont largement reconnues ; il produit de nombreuses attestations d'athlètes qu'il a encadrées et de témoins ayant participé à des entraînements, matchs et stages sportifs, qui attestent de son comportement irréprochable ; les éléments de contexte qui peuvent expliquer les fausses accusations dont il est victime, liés à des différends avec quelques athlètes, n'ont pas été pris en compte ; dès lors, la décision attaquée est entachée d'une erreur matérielle de fait ;
- le poste d'éducateur sportif au sein de l'Union Sportive Basket Damigny Alençon 61 constitue sa seule source de revenu ; la décision attaquée prive des athlètes de haut niveau de leur entraîneur ; dès lors, la mesure en litige revêt un caractère manifestement disproportionné.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 septembre 2023, le préfet de l'Orne conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le requérant a été remplacé depuis sa suspension de l'encadrement de l'équipe féminine de pré-national ; dès lors, l'arrêté préfectoral n'empêche pas les athlètes d'avoir accès à leurs entraînements ;
- au regard de la gravité des faits reprochés au requérant et à ses activités d'encadrement de mineurs au sein du club USBDA1 et des établissements scolaires, un arrêté de suspension temporaire a été pris en urgence conformément au premier alinéa de l'article
L. 121-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
- le signalement des faits concerne plusieurs plaignantes dont les témoignages ont été ou seront auditionnés au cours de l'enquête administrative, ainsi que les témoignages à décharge pour M. A ; l'arrêté s'appuie sur les évènements survenus qui remettent en cause sa posture d'éducateur sportif vis-à-vis des joueuses dont il avait la charge ; aucune attestation à décharge ne permet d'affirmer que ces évènements n'ont pas eu lieu ; les appels téléphoniques et les messages sont avérés et ne reflètent pas la posture attendue d'un éducateur sportif ;
- la carte d'éducateur sportif du requérant n'a été retiré que de manière temporaire ; les athlètes peuvent poursuivre leur entraînement avec une remplaçante.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- la requête enregistrée le 18 août 2023 sous le n° 2302195 par laquelle M. A demande l'annulation de l'arrêté du 23 juin 2023 du préfet de l'Orne portant interdiction temporaire d'exercer les fonctions mentionnées à l'article
L. 212-1 du
code du sport, pour une durée de six mois.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du sport ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné M. D pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement convoquées à une audience publique.
Au cours de l'audience publique tenue en présence de Mme Bénis, greffière d'audience, M. D a lu son rapport et entendu les observations :
- de Me
Chevret, représentant M. A, qui conclut aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens. Il précise que M. A a fait l'objet d'une mise à pied conservatoire ;
- de M. B, représentant le préfet de l'Orne, qui conclut aux mêmes fins que le mémoire en défense, par les mêmes moyens.
La clôture de l'instruction a été différée au 5 septembre 2023 à 18 heures, en application du premier alinéa de l'article
R. 522-8 du code de justice administrative.
Des pièces ont été produites par la préfecture, qui ont été communiquées au conseil du requérant par courriel le 5 septembre 2023 à 13 h 46.
Une note en délibéré produite pour M. A a été enregistrée au greffe du tribunal le 5 septembre 2023 à 17h24.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article
L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision () ".
En ce qui concerne la condition d'urgence :
2. Le requérant, qui a fait l'objet le 24 juillet 2023 d'une mise à pied conservatoire avec retenue sur salaire, soutient qu'il ne peut plus exercer son activité d'entraîneur à la suite de la suspension de sa carte professionnelle. Il fait valoir, sans que cela soit contesté, que cette activité était sa seule source de revenus. Compte tenu de ces éléments, le requérant justifie d'une atteinte suffisamment grave et immédiate à sa situation et donc, de l'urgence qui s'attache à ce que soit prononcée une mesure en référé sans attendre le jugement au fond.
En ce qui concerne l'existence de moyens propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté attaqué :
3. Aux termes de l'article
L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article
L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". L'article
L. 121-2 du même code prévoit : " Les dispositions de l'article
L. 121-1 ne sont pas applicables : / 1° En cas d'urgence ou de circonstances exceptionnelles () ". Aux termes de l'article
L. 212-13 du
code du sport : " L'autorité administrative peut, par arrêté motivé, prononcer à l'encontre de toute personne dont le maintien en activité constituerait un danger pour la santé et la sécurité physique ou morale des pratiquants l'interdiction d'exercer, à titre temporaire ou définitif, tout ou partie des fonctions mentionnées aux articles
L. 212-1, L. 223-1 ou L. 322-7 ou d'intervenir auprès de mineurs au sein des établissements d'activités physiques et sportives mentionnés à l'article L. 322-1. / () Cet arrêté est pris après avis d'une commission comprenant des représentants de l'Etat, du mouvement sportif et des différentes catégories de personnes intéressées. Toutefois, en cas d'urgence, l'autorité administrative peut, sans consultation de la commission, prononcer une interdiction temporaire d'exercice limitée à six mois () ".
4. En application des dispositions précitées de l'article
L. 212-13 du
code du sport, le préfet peut, en cas d'urgence et sans consultation de la commission comprenant des représentants de l'Etat, du mouvement sportif et des différentes catégories de personnes intéressées, prononcer une interdiction temporaire d'exercer des fonctions d'éducateur sportif, en se fondant sur des éléments suffisamment précis et vraisemblables, permettant de suspecter que le maintien en activité de l'éducateur constitue un danger pour la santé et la sécurité physique ou morale des pratiquants. En vertu des dispositions combinées des articles
L. 121-1 et
L. 121-2 du code des relations entre le public et l'administration, en cas d'urgence ou de circonstances exceptionnelles, les décisions individuelles devant être motivées n'ont pas à être soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable.
5. Le préfet, pour prendre l'arrêté en litige, s'est fondé sur un signalement effectué par le président de l'Union Sportive Basket Damigny Alençon 61 à la suite de témoignages de joueuses de l'équipe pré-nationale mentionnant des propos déplacés de M. A et une attitude inappropriée au regard de ses fonctions d'entraîneur. Selon ces témoignages, le requérant aurait échangé avec ces joueuses, en dehors des moyens de communication habituels de l'association, sur leur vie personnelle, sentimentale et sexuelle et aurait proposé à certaines d'entre elles d'augmenter leur temps de jeu en échange de faveurs sexuelles. Il ressort du journal d'enquête versé au dossier que le signalement repose sur des témoignages indirects de trois joueuses, dont deux sœurs. Le requérant fait état de tensions en mars 2023 avec une de ces joueuses en raison d'une erreur défensive commise au cours d'un match et d'un manque d'investissement pendant les entraînements. La transcription des relevés d'appels téléphoniques de la nuit du 23 au 24 février 2023 entre 22h49 et 00h56 avec une des joueuses ne fait apparaître aucun propos déplacé. La teneur de ces conversations confirme que ces appels ont été passés lors d'une soirée dans un bar puis en discothèque. Les conversations téléphoniques avec cette même joueuse les 2 et 3 mars 2023 entre 21h22 et 01h27, et les 7 et 8 mars 2023 entre 22h54 et 23h23, se bornent à évoquer des tensions éventuelles avec un autre membre de l'équipe. Par ailleurs, le requérant produit quatre témoignages d'anciennes joueuses du club d'Alençon et deux témoignages de collègues de travail de ce club qui mentionnent un comportement respectueux et professionnel à l'égard des joueuses. Compte tenu de ces éléments, le moyen tiré de ce que le préfet ne justifie pas d'une situation d'urgence permettant de se dispenser d'une procédure contradictoire préalable, est de nature, en l'état de l'instruction, à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la mesure d'interdiction d'exercer en litige.
6. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de suspendre l'exécution de l'arrêté du 26 juin 2023 par lequel le préfet de l'Orne a prononcé à l'encontre de M. A une interdiction temporaire d'exercer les fonctions mentionnées à l'article
L. 212-1 du code du sport, pour une durée de six mois.
Sur les frais liés au litige :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative, le versement à M. A de la somme de 500 euros.
O R D O N N E :
Article 1er : L'exécution de l'arrêté du 26 juin 2023 par lequel le préfet de l'Orne a prononcé à l'encontre de M. A une interdiction temporaire d'exercer les fonctions mentionnées à l'article
L. 212-1 du code du sport, pour une durée de six mois, est suspendue.
Article 2 : l'Etat versera à M. A la somme de 500 euros sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. C A et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera transmise, pour information, au préfet de l'Orne.
Fait à Caen, le 6 septembre 2023.
Le juge des référés,
Signé
F. D
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Bénis