Vu la procédure suivante
:
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 27 avril et 3 octobre 2023, Mme A B, représentée par Me Diani, demande au tribunal :
1°) d'annuler la décision de la commune de Courbevoie en date 29 mars 2023 portant refus de titularisation et radiation des cadres à compter du 1er avril 2023 ;
2°) d'enjoindre à la commune de Courbevoie, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, à titre principal, de la réintégrer et de la titulariser dans le cadre d'emplois des adjoints techniques territoriaux, à titre subsidiaire, de réexaminer ses droits à titularisation ou, à titre très subsidiaire, de la réintégrer dans ses effectifs afin qu'elle puisse effectuer une nouvelle période probatoire préalable à sa titularisation ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision attaquée est entachée d'un vice de procédure, dès lors qu'elle a été prise avant que la commission administrative paritaire ne se prononce, la privant ainsi d'une garantie procédurale ;
- elle a été prise par une autorité incompétente, dès lors qu'il n'est pas établi que sa signataire disposait d'une délégation de pouvoirs en ce sens ;
- elle est entachée d'une erreur de droit au regard des dispositions des articles
3 et
4 du décret du 22 décembre 2006 portant statut particulier du cadre d'emplois des adjoints techniques territoriaux, dès lors que les fonctions d'agente auprès d'enfants dans une crèche qui lui ont été confiées durant son stage étaient en inadéquation avec son grade et que le stage qu'elle a effectué n'a donc pas de caractère probant ;
- elle est entachée d'une erreur de droit au regard des dispositions de l'article
10 du décret du 22 décembre 2006, dès lors que le stage complémentaire de trois mois qu'elle a effectué a été satisfaisant ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses aptitudes professionnelles.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 septembre 2023 et des pièces complémentaires enregistrées le 30 octobre 2023, la commune de Courbevoie conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par ordonnance du 13 septembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 13 octobre 2023.
Des pièces complémentaires produites pour Mme B ont été enregistrées le 2 novembre 2023, après la clôture de l'instruction.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le décret n° 89-229 du 17 avril 1989 ;
- le décret n° 92-1194 du 4 novembre 1992 ;
- le décret n° 2006-1691 du 22 décembre 2006 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Moinecourt, rapporteure,
- les conclusions de Mme David-Brochen, rapporteure publique,
- et les observations de Me Diani, représentant Mme B.
Considérant ce qui suit
:
1. Mme B a été recrutée par la commune de Courbevoie le 1er janvier 2021 par un contrat à durée déterminée d'un an, en qualité d'adjointe technique, sur un poste d'agente auprès d'enfants au sein de la crèche municipale " Les oursons ". Au terme de son contrat, elle a été nommée stagiaire dans le cadre d'emploi des adjoints techniques territoriaux, sur le grade d'adjoint technique territorial, pour exercer les mêmes fonctions. Par un arrêté du maire de la commune de Courbevoie en date du 23 novembre 2022, son stage a été prolongé pour une durée de trois mois à partir du 1er janvier 2023. Par une décision en date du 29 mars 2023, le maire de la commune de Courbevoie a refusé de titulariser Mme B et l'a radiée des cadres à partir du 1er avril 2023. Par la présente requête, Mme B demande l'annulation de cette décision.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 327-4 du code de la fonction publique, qui reprend l'article 46 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale : " Le stagiaire peut être licencié au cours de la période de stage après avis de la commission administrative paritaire compétente : / 1° Pour insuffisance professionnelle ; / 2° Pour faute disciplinaire. ". L'article
5 du décret du 4 novembre 1992 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires stagiaires de la fonction publique territoriale dispose que : " Le fonctionnaire territorial stagiaire peut être licencié pour insuffisance professionnelle lorsqu'il est en stage depuis un temps au moins égal à la moitié de la durée normale du stage ". Par ailleurs, aux termes de l'article 37-1 du décret du 17 avril 1989 relatif aux commissions administratives paritaires des collectivités territoriales et de leurs établissements publics : " I. - Les commissions administratives paritaires connaissent : / 1° En matière de recrutement, des refus de titularisation et des licenciements en cours de stage en cas d'insuffisance professionnelle ou de faute disciplinaire () ". Ces dispositions font obligation à l'autorité territoriale de faire précéder les décisions de refus de titularisation de la consultation de la commission administrative paritaire compétente à l'égard de l'agent intéressé.
3. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie. L'obligation de convoquer régulièrement, en nombre égal, les représentants de l'administration et les représentants du personnel, membres d'une commission administrative paritaire constitue une garantie pour les fonctionnaires dont la situation est soumise à la commission.
4. Il ressort des pièces du dossier que la commune de Courbevoie a, le 1er février 2023, saisi la commission administrative paritaire (CAP) compétente afin de recueillir son avis en vue de refuser la titularisation de Mme B à l'issue de son stage en qualité d'adjointe technique territoriale. La CAP a rendu un avis défavorable à ce refus, lors de sa séance du 5 avril 2023, qui s'est ainsi tenue postérieurement à la décision contestée du 29 mars 2023, privant ainsi la commune de Courbevoie de la possibilité de tirer profit de cet avis pour éclairer sa décision, et privant Mme B d'une garantie. Dans ces conditions, la décision attaquée est intervenue au terme d'une procédure irrégulière de nature à entacher sa légalité.
5. En second lieu, d'une part, aux termes de l'article
5 du décret du 4 novembre 1992 précité : " Le fonctionnaire territorial stagiaire peut être licencié pour insuffisance professionnelle lorsqu'il est en stage depuis un temps au moins égal à la moitié de la durée normale du stage. Le licenciement est prononcé après avis de la commission administrative paritaire compétente pour le cadre d'emplois dans lequel l'intéressé a vocation à être titularisé () ". Aux termes de l'article
8 du décret du 22 décembre 2006 portant statut particulier du cadre d'emplois des agents techniques territoriaux, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Les candidats recrutés en qualité d'adjoint technique territorial de 2e classe sur un emploi d'une collectivité territoriale () sont nommés stagiaires par l'autorité territoriale investie du pouvoir de nomination pour une durée d'un an. () / Dans l'année qui suit leur nomination, les agents sont astreints à suivre une formation d'intégration, () pour une durée totale de cinq jours. ". L'article 10 du même décret dispose que : " A l'issue du stage, les stagiaires dont les services ont donné satisfaction sont titularisés par décision de l'autorité territoriale investie du pouvoir de nomination au vu notamment d'une attestation de suivi de la formation d'intégration établie par le Centre national de la fonction publique territoriale. Les autres stagiaires peuvent, sur décision de l'autorité territoriale, être autorisés à effectuer un stage complémentaire d'une durée maximale d'un an. Si le stage complémentaire a été jugé satisfaisant, les intéressés sont titularisés. / Les adjoints techniques territoriaux stagiaires et les adjoints techniques territoriaux principaux de 2ème classe stagiaires qui n'ont pas été autorisés à effectuer un stage complémentaire, ou dont le stage complémentaire n'a pas été jugé satisfaisant, sont soit licenciés s'ils n'avaient pas auparavant la qualité de fonctionnaire, soit réintégrés dans leur grade d'origine ".
6. D'autre part, aux termes de l'article
3 du décret du 22 décembre 2006 précité : " Les adjoints techniques territoriaux sont chargés de tâches techniques d'exécution. / Ils exercent leurs fonctions dans les domaines du bâtiment, des travaux publics, de la voirie et des réseaux divers, des espaces naturels et des espaces verts, de la mécanique et de l'électromécanique, de la restauration, de l'environnement et de l'hygiène, de la logistique et de la sécurité, de la communication et du spectacle, de l'artisanat d'art () ". Aux termes de l'article 4 du même décret : " I. - Les agents relevant du grade d'adjoint technique territorial sont appelés à exécuter des travaux techniques ou ouvriers () ".
7. Il résulte de la combinaison des dispositions citées au point 5 que, sous réserve d'un licenciement intervenant en cours de stage et motivé par ses insuffisances ou manquements professionnels, tout fonctionnaire stagiaire a le droit d'accomplir son stage dans des conditions lui permettant d'acquérir une expérience professionnelle et de faire la preuve de ses capacités pour les fonctions auxquelles il est destiné. S'il est loisible à l'autorité administrative d'alerter, en cours de stage, l'agent sur ses insuffisances professionnelles et, le cas échéant, sur le risque qu'il encourt de ne pas être titularisé s'il ne modifie pas son comportement, la collectivité employeur ne peut, avant l'issue de la période probatoire, prendre d'autre décision que celle de licencier son stagiaire pour insuffisance professionnelle dans les conditions limitativement définies à l'article
5 du décret du 4 novembre 1992.
8. Il est constant en l'espèce que Mme B s'est vue, au cours de stage, affectée en crèche et confier notamment les tâches d'accueil des enfant et parents, de création et mise en œuvre des conditions nécessaires au bien-être des enfants, d'aide à l'enfant dans l'acquisition de son autonomie, de participation à l'organisation d'activités et de jeux, de recueil et de transmission d'informations relatives à la prise en charge de l'enfant, de change et de vérification de l'hygiène corporelle et vestimentaire des enfants, de décompte des enfants pour la surveillance, les repas ou la sécurité incendie, d'administration aux enfants des médicaments sous délégation, de réception des repas et prise de température à l'arrivée et avant le service des enfants. Toutefois, d'une part, ces tâches ne relèvent ni de tâches techniques d'exécution, ni de travaux techniques et ouvriers pouvant être confiés aux adjoints techniques territoriaux, agents de catégorie C, selon les dispositions citées au point 6, et, d'autre part, le secteur de la petite enfance ne figure pas parmi ceux limitativement listés par ces dispositions dans lesquels peuvent régulièrement être affectés les adjoints techniques territoriaux. Il ressort à cet égard des pièces du dossier que la CAP consultée le 5 avril 2023 a rendu un avis défavorable à l'unanimité au refus de titularisation de Mme B au terme de son stage au motif d'une " inadéquation entre le grade d'adjoint technique et les missions du profil de poste qui font référence à l'accueil, aux soins et à la surveillance d'enfants ". Par suite, les fonctions exercées par Mme B, qui ne ressortent pas de celles qu'un agent technique territorial peut exercer aux termes des dispositions précitées des articles
3 et
4 du décret du 22 décembre 2006 portant statut particulier de ce cadre d'emplois, ne permettent pas d'apprécier la manière de servir de l'intéressée pendant la période de stage en vue de sa titularisation au sein du corps des adjoints techniques territoriaux. La période pendant laquelle Mme B a exercé ces fonctions ne peut dès lors être prise en compte pour apprécier sa manière de servir. Dans ces conditions, Mme B est fondée à soutenir que la décision est entachée d'une erreur de droit du fait que les missions qui lui ont été confiées durant son stage étaient en inadéquation avec son grade
9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la décision du 29 mars 2023 par laquelle la commune de Courbevoie a refusé de titulariser Mme B et l'a radiée des cadres doit être annulée.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Eu égard aux motifs du présent jugement, l'annulation de la décision en date du 29 mars 2023 par laquelle le maire de la commune de Courbevoie a refusé de titulariser Mme B dans le cadre d'emploi des adjoints techniques territoriaux implique seulement que l'autorité administrative prononce la réintégration rétroactive de Mme B en qualité de stagiaire à la date de son éviction illégale et lui permette de réaliser son stage sur un poste correspondant à son grade. Il y a lieu de fixer à la commune de Courbevoie un délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement pour y procéder.
Sur les frais liés au litige :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Courbevoie, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme B et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1 : La décision de la commune de Courbevoie du 29 mars 2023 portant refus de titularisation et radiation des cadres de Mme B est annulée.
Article 2 : Il est enjoint à la commune de Courbevoie de réintégrer Mme B en qualité de stagiaire dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et de lui permettre de réaliser son stage sur un poste correspondant à son grade.
Article 3 : La commune de Courbevoie versera à Mme B la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à Mme A B et à la commune de Courbevoie.
Délibéré après l'audience du 14 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Coblence, présidente,
Mme Fléjou, première conseillère, et Mme Moinecourt, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 décembre 2023.
La rapporteure,
signé
L. Moinecourt
La présidente,
signé
E. CoblenceLa greffière,
signé
D. Charleston
La République mande et ordonne au préfet des Hauts-de-Seine en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.