AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Franco belge de fabrication de combustibles (FBFC), dont le siège est usine de Romans, ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 9 septembre 1994 par la cour d'appel de Nîmes (chambre sociale), au profit :
1°/ de la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Privas, dont le siège est ...,
2°/ de Mme Simone X..., demeurant ..., prise en qualité de conjoint survivant de son époux Paul X..., décédé,
3°/ de la Direction régionale des affaires sanitaires et sociales de Lyon, dont le siège est ...,
défenderesses à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt;
LA COUR, en l'audience publique du 18 juillet 1996, où étaient présents : M. Gélineau-Larrivet, président, M. Thavaud, conseiller rapporteur, MM. Favard, Gougé, Ollier, Mme Ramoff, conseillers, Mme Kermina, MM. Choppin Haudry de Janvry, Petit, conseillers référendaires, M. Chauvy, avocat général, M. Richard, greffier de chambre;
Sur le rapport de M. Thavaud, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, avocat de la société Franco-belge de fabrication de combustibles (FBFC), de la SCP Peignot et Garreau, avocat de la CPAM de Privas, les conclusions de M. Chauvy, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi;
Attendu que Paul X..., salarié de la société Franco-Belge de fabrication de combustibles, est décédé le 5 novembre 1992 d'un cancer broncho-pulmonaire; que la CPAM a reconnu le caractère professionnel de la maladie et que la cour d'appel (Nîmes, 9 septembre 1994) a débouté l'employeur de son recours;
Sur le premier moyen
, pris en ses diverses branches :
Attendu que la société Franco-Belge de fabrication de combustibles fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, d'une part, qu'il résulte de l'article
R. 441-11, alinéa 1er du Code de la sécurité sociale que la reconnaissance par la Caisse primaire du caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie ne peut intervenir qu'au terme d'une procédure d'instruction menée contradictoirement avec l'employeur, que ce dernier ait ou non émis des réserves; que pour déclarer dénué d'intérêt le moyen invoquant l'irrégularité de la procédure de reconnaissance pour un risque (éventuellement) encouru à Romans entre 1977 et 1984, la cour d'appel s'est fondée sur l'absence de réserve émise par l'employeur; qu'en statuant ainsi quand l'obligation de diligenter une procédure d'instruction contradictoire à l'égard de l'employeur pesait sur la Caisse primaire nonobstant l'absence de réserve de l'employeur, l'arrêt a violé l'article
R. 441-11, alinéa 1er du Code de la sécurité sociale; alors que, d'autre part, la Caisse tenue d'informer l'employeur du déroulement de l'instruction ne peut statuer sur la prise en charge qu'à condition d'être en possession de tous les éléments d'appréciation sur le caractère professionnel de la maladie; qu'en s'abstenant de rechercher, comme l'y invitait la société, si la décision de prise en charge intervenue en l'espèce au temps d'un unique entretien téléphonique avec l'usine de Pierrelatte et en l'absence de toute information recueillie sur le site de Romans, seul susceptible d'être concerné par le problème d'exposition au risque, était conforme aux dispositions règlementant le déroulement de la procédure de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles
R. 441-11 et
R. 441-14 du Code de la sécurité sociale; alors, qu'enfin, la société invoquait la méconnaissance des droits de la défense résultant du défaut de communication d'informations avant la décision de prise en charge de la maladie prise précipitamment par la Caisse; qu'en se bornant à affirmer que la société FBFC "avait eu connaissance des documents figurant au dossier" sans préciser si l'échange d'informations était bien intervenu au cours du déroulement de la procédure de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles
R. 441-10 et suivants du Code de la sécurité sociale;
Mais attendu, sur les deux premières branches, que l'arrêt attaqué retient à bon droit qu'à défaut de contestation préalable de la Caisse, le caractère professionnel de la maladie s'est trouvé établi dès l'expiration du délai prévu par l'article
R. 441-10 du Code de la sécurité sociale et que, dès lors, en l'absence de réserves de l'employeur, les mesures d'instruction visées à l'article
R. 441-11 étaient sans objet;
Et attendu, sur la troisième branche, qu'ayant constaté qu'avant d'exercer son recours, l'employeur avait eu connaissance des documents figurant au dossier de l'organisme social, les juges du fond ont ainsi légalement justifié leur décision; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches;
Sur le second moyen
, pris en ses diverses branches :
Attendu que la société Franco-Belge de fabrication de combustibles fait encore grief à l'arrêt d'avoir statué comme il l'a fait alors, selon le moyen, d'une première part, que pour bénéficier de la présomption d'imputabilité édictée par l'article
L. 461-2 du Code de la sécurité sociale, il incombe au salarié de rapporter la preuve non seulement du fait qu'il est atteint de l'une des maladies inscrites au tableau des maladies professionnelles, mais aussi de ce qu'il a été exposé de manière habituelle durant son activité professionnelle à l'action d'agents nocifs mentionnés dans ces tableaux; qu'en considérant, au seul vu de la maladie dont était atteint Paul X... (cancer broncho-pulmonaire par inhalation), qu'il appartenait à la société FBFC d'établir l'absence d'exposition au risque, l'arrêt qui s'est contenté d'une seule condition (la nature de la maladie) pour faire jouer la présomption d'imputabilité a violé l'article
L. 461-2 du Code de la sécurité sociale; alors, d'une deuxième part, qu'il a de plus inversé la charge de la preuve en imposant à l'employeur, en présence d'une maladie figurant au tableau annexé à l'article
R.461-3 du Code de la sécurité sociale, de démontrer l'absence d'origine professionnelle de l'affection ayant atteint le salarié; que l'arrêt est entaché sur ce point d'une violation de l'article
1315 du Code civil; alors, d'une troisième part, qu'en présence des déclarations contraintes des parties quant à l'exposition au risque, les juges du fond ne pouvaient rejeter la demande d'expertise technique sollicitée par l'employeur, seule de nature à établir que les travaux confiés au salarié étaient insusceptibles de l'exposer au risque de contracter la maladie déclarée par lui; qu'en rejetant néanmoins l'offre de preuve faite par la société et portant sur des faits décisifs, l'arrêt qui s'est fondé sur le seul compte-rendu de l'inspecteur de la Caisse primaire, a violé les articles
R. 441-10 et suivants et
R. 442-11 du Code de la sécurité sociale ;
alors, d'une quatrième part, que la cour d'appel qui s'est prononcée au vu de la seule déclaration faite par le salarié affirmant avoir été exposé au risque lors de l'affectation aux fonctions de contrôle de barreaux d'uranium à l'usine de Romans a ainsi admis la possibilité pour une partie de se constituer un titre à elle-même et a violé, ce faisant, l'article
1315 du Code civil; alors, d'une cinquième part, que le cancer broncho-pulmonaire n'est reconnu comme maladie professionnelle par le tableau n° 6 en cas d'exposition aux rayons X ou à toute autre substance radioactive, que s'il y a eu inhalation; que cette condition supposait l'absorption par les voies respiratoires de poussières d'uranium; qu'en considérant néanmoins que l'exposition du salarié au rayonnement du métal brut pouvait être à l'origine du cancer par inhalation, l'arrêt a violé l'article
L. 461-2 du Code de la sécurité sociale; alors, d'une sixième part, que la société FBFC faisait valoir qu'en tout état de cause la manipulation de barreaux d'uranium métal propre (puisqu'au stade du contrôle) et non enrichis, excluait tout danger d'exposition au risque de radioactivité (le taux de l'uranium appauvri avoisinant celui de la radioactivité naturelle); qu'en considérant que le salarié avait été exposé au risque de rayonnement sans tenir compte ni de la nature des tâches confiées ni de celle du produit manipulé, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article
L. 461-2 du Code de la sécurité sociale;
Mais attendu que la cour d'appel n'était pas tenue d'ordonner une expertise technique, alors que la nature de l'affection présentée par l'assuré n'était pas discutée, mais seulement les conditions d'exposition au risque;
Et attendu que la cour d'appel a constaté que les conditions et les circonstances dans lesquelles avaient été formulées les observations de Paul X... permettaient de retenir le caractère véridique de ses allégations et que l'employeur avait été dans l'impossibilité d'apporter la preuve contraire; qu'ayant ainsi estimé que l'assuré avait été atteint d'un cancer broncho-pulmonaire primitif par inhalation et que son exposition au risque mentionné au tableau n° 6 des maladies professionnelles avait revêtu un caractère habituel, peu important le taux de radioactivité auquel il avait été exposé, elle a, sans inverser la charge de la preuve, légalement justifié sa décision; que le moyen n'est fondé en aucune ses branches;
PAR CES MOTIFS
:
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Franco belge de fabrication de combustibles (FBFC) aux dépens;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trente octobre mil neuf cent quatre-vingt-seize.