AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. Alexandre X..., demeurant ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 23 février 1994 par la cour d'appel d'Orléans (Chambre civile, 1re section), au profit :
1°/ de la société Mors, société anonyme, dont le siège est ...,
2°/ de la société civile d'études et de recherches Idet, dont le siège est ...,
défenderesses à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt;
LA COUR, composée selon l'article
L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 12 mars 1996, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Gomez, conseiller rapporteur, M. Nicot, conseiller, M. Lafortune, avocat général, Mme Moratille, greffier de chambre;
Sur le rapport de M. le conseiller Gomez, les observations de la SCP Vier et Barthélemy, avocat de M. X..., de Me Odent, avocat de la société Mors, les conclusions de M. Lafortune, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi;
Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué (Orléans, 23 février 1994), que M. X... est titulaire de deux demandes de brevet enregistrées sous les numéros 86/17. 734 et 87/05. 363, ayant pour objet des mobiliers de rangement constitués par des casiers dont les portes servent de support d'affiches; que, le 8 janvier 1988, il en a concédé la licence exclusive d'exploitation à la société Mors pour que celle-ci puisse fabriquer, utiliser et vendre ce matériel sous la marque Consigne Média ;
que le même jour, les parties ont conclu un second contrat par lequel M. X... s'engageait à rechercher des acheteurs du matériel fabriqué par la société Mors selon le procédé du brevet et à négocier avec eux les contrats d'exploitation ainsi qu'à rechercher le financement nécessaire; que, le 8 juillet 1988, un avenant a modifié ce contrat en prévoyant que les commandes passées par l'acheteur seraient reçues par un établissement financier désigné par M. X...; que, le 2 mars 1989, M. X... a signé avec la société Idet un contrat de concession de licence exclusive et d'exploitation publicitaire des mobiliers protégés, la société Idet s'engageant à ne s'approvisionner exclusivement pour les consignes Média qu'auprès du fabricant désigné par M. X...; que, le 3 mars 1989, M. X... a informé la société Mors de la conclusion de ce contrat; que, le 23 octobre 1989, la société Mors a résilié les contrats conclus avec M. X...; que, le 13 janvier 1990, la société Idet, constatant l'absence totale de livraison des consignes commandées, a également résilié son contrat avec M. X... et l'a assigné en remboursement des avances sur redevances qu'elle lui avait versées; que M. X... a assigné en garantie la société Mors ainsi qu'en résiliation abusive des contrats;
Sur le premier moyen
, pris en ses trois branches :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir prononcé la résolution du contrat de concession conclu avec la société Idet et de l'avoir condamné au paiement de certaines sommes, alors, selon le pourvoi, d'une part, que constitue une obligation de résultat celle par laquelle une partie s'engage à fournir une chose déterminée, placée sous sa seule maîtrise ;
que ne constitue en revanche qu'une obligation de moyen, celle par laquelle une partie s'engage, dans une situation qu'elle ne maîtrise pas totalement, à faire toutes diligences pour tendre vers le but poursuivi; que s'agissant de l'exécution d'un contrat de concession de licence d'exploitation publicitaire de matériels brevetés, qui fait peser sur le licencié une obligation stricte d'exploiter pleinement, l'obligation du concédant d'oeuvrer en vue de faciliter l'approvisionnement en matériel du licencié auprès d'un fournisseur agréé ne peut qu'être de moyen; qu'en l'espèce, en l'absence de tout engagement de sa part, concédant, de pourvoir à l'approvisionnement de la société Idet, licencié, en cas de défaillance de la société Mors, fabricant agréé, la clause par laquelle le premier s'engage à "faire son affaire personnelle des indemnités à obtenir auprès du licencié industriel" en cas de retards excessifs de livraison, ou encore à "faire son affaire personnelle des modifications techniques à faire apporter par son fabricant licencié", ne peut s'analyser qu'en une obligation de moyen, dès lors que les interventions du concédant ne peuvent viser en définitive qu'à la réparation d'un dommage qu'il n'a pas lui-même le pouvoir d'écarter; qu'en qualifiant néanmoins d'obligation de résultat l'obligation pesant sur le concédant, et en déclarant celui-ci responsable de la
rupture du contrat le liant à la société Idet, licencié, nonobstant les nombreuses diligences dont elle a constaté l'accomplissement, la cour d'appel a violé ensemble les articles
1134,
1137 et
1147 du Code civil; alors, d'autre part, que si la rupture du contrat de concession de licence de brevets le liant en qualité de concédant à la société Mors, licencié industriel, emportait nécessairement rupture des relations commerciales nouées entre lui et la société Idet, concessionnaire de la licence d'exploitation publicitaire des matériels fabriqués, elle n'emportait pas dans le même temps nécessairement rupture du contrat de concession de licence le liant à la société Idet, dès lors que le concédant ayant trouvé un nouveau fabriquant, il ne résultait de la première rupture de contrat aucune impossibilité d'exploiter la seconde licence; que la société Idet, tenue d'exploiter cette licence, devait dès lors assumer seule la responsabilité de la rupture du contrat du 2 mars 1989 la liant à lui-même ;
qu'en affirmant, bien qu'elle ait constaté qu'une société FBI était prête à reprendre la fabrication des matériels, que l'inexécution du contrat Adjiman-Idet du 2 mars 1989 était "la conséquence" de la rupture du contrat Adjiman-Mors, pour le déclarer responsable de cette rupture, la cour d'appel a violé les articles 1134,
1137 et
1147 Code civil; et alors, enfin, que le paiement de redevances constituant la contrepartie de la concession de licence stipulée, les sommes versées restent, en cas de rupture de contrat, acquises au concédant; qu'il était précisément stipulé en l'espèce qu'au cas de résiliation du contrat "les redevances resteront acquises au concédant, sauf raison réelle et sérieuse"; qu'en ordonnant le remboursement par lui des sommes à lui versées par le licencié Idet bien qu'en l'absence de toute faute de sa part aucune raison réelle et sérieuse ne le justifiait, la cour d'appel a violé les articles
1134,
1137 et
1147 du Code civil, ensemble l'article
1184 du même Code;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir relevé que l'article 8 du contrat de concession de licence conclu entre M. X... et la société Idet prévoyait que le licencié ne pouvait s'approvisionner en matériels qu'auprès du fabricant agréé par le concédant et que celui-ci s'engageait à faire respecter les délais de livraison faisant son affaire des indemnités à obtenir en cas de non-respect, la cour d'appel a pu en déduire, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la deuxième branche du moyen, que M. X... avait ainsi contracté une obligation de résultat;
Attendu, en second lieu, qu'après avoir retenu que l'inexécution de ses obligations contractuelles par M. X... lui était entièrement imputable et que cette défaillance a eu pour effet de priver la société Idet de tout profit, la cour d'appel a pu décider la résolution du contrat et ordonner le remboursement des redevances payées;
D'où il suit que le moyen, qui ne peut pas être accueilli dans sa deuxième branche, n'est pas fondé dans ses première et troisième branches;
Et
sur le second moyen
, pris en ses neuf branches :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir constaté la résolution du contrat de concession conclu avec la société Mors et celle de l'accord commercial et de l'avoir condamné au paiement de certaines sommes, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le licencié a l'obligation d'exploiter au maximum de ses moyens la licence des brevets concédée, même si cette obligation n'est pas stipulée au contrat et même si la possibilité est laissée au breveté d'exploiter à ses côtés; qu'il en résulte qu'en l'espèce, la société Mors, licencié industriel pour la fabrication, l'utilisation et la vente des brevets de consignes Média créés par lui, était tenue d'exploiter la licence concédée, sans que le fait pour le concédant de s'être réservé dans le cadre d'un accord commercial spécifique, la faculté de rechercher lui-même des acquéreurs et des exploitants des supports publicitaires ne confère à celui-ci un "rôle initiateur" dans l'exploitation et décharge le licencié de ses responsabilités; que ceci résultait d'ailleurs encore expressément des termes de l'avenant à l'accord commercial par lequel la société Mors avait expressément inclus dans ses propres prestations la recherche d'acheteurs et d'exploitants du support publicitaire ;
qu'en considérant néanmoins qu'en l'état des éléments contractuels en présence, qui constituaient "un tout indivisible", il s'était "réservé l'exclusivité de la recherche des exploitants" et devait jouer un "rôle initiateur" quant à l'exploitation du brevet pour justifier la rupture à ses torts du contrat le liant à la société Mors, la cour d'appel a violé ensemble les articles
1134,
1146 et
1184 du Code civil; alors, d'autre part, que l'obligation contractée par lui dans l'accord commercial du 8 janvier 1988, pour la "recherche de financement lorsque c'est nécessaire", ne suppléait pas les propres obligations du licencié à cet égard, constatées par l'avenant du 8 juillet 1989 et restait limitée à la simple recherche en tant que de besoin; qu'il en résultait qu'à défaut d'engagement de financer personnellement les opérations envisagées, il devait être réputé avoir satisfait à son obligation dès lors qu'un principe de financement était acquis; qu'en conséquence, s'agissant du projet Aqualand, la cour d'appel, qui avait constaté que le 5 mai 1988, la société Lofinor avait "adressé par télex un accord de financement", ne pouvait imputer au non-respect par l'exploitant de son obligation de rechercher le financement l'échec de l'opération; qu'en omettant de tirer ainsi les conséquences légales de ses constatations, elle a violé l'article
1134 du Code civil, ensemble l'article
1147 du même Code ;
alors, de plus, que c'est de surcroît à la société Mors, demanderesse reconventionnelle, qu'il incombait de démontrer qu'il n'était pas en mesure de satisfaire au dépôt de garantie mis à sa charge par la société Lofinor, et non à l'intéressé d'apporter la preuve contraire; qu'en inversant à cet égard la charge de la preuve, la cour d'appel a violé l'article
1315 du Code civil ;
alors, en outre, que, s'agissant de l'opération Continent, il soutenait dans ses conclusions d'appel que, malgré les nombreuses interventions de la société Mors, les matériels livrés continuaient à ne pas fonctionner; qu'en affirmant à tort, pour écarter ce motif technique comme cause de l'échec de l'opération, qu'il n'était pas allégué qu'après l'intervention de la société Mors les consignes n'aient pas fonctionné correctement, la cour d'appel a violé l'article
4 du nouveau Code de procédure civile; alors, de plus, que la cour d'appel ne pouvait non plus considérer que les magasins Continent avaient opté, le 27 décembre 1988, pour le maintien des matériels, sans répondre à ses conclusions faisant état de ce que, par télex du 9 janvier 1989, ils avaient, en raison des difficultés techniques rencontrées, totalement abandonné le projet; qu'elle n'a pas satisfait à cet égard aux exigences de l'article
455 du nouveau Code de procédure civile; alors, encore, que la cour d'appel, qui n'a pas objectivement constaté le défaut de financement du projet Continent, n'a pas légalement justifié sa décision d'imputer néanmoins à sa défaillance l'échec de l'opération; qu'elle a ainsi privé sa décision de toute base légale au regard de l'article
1147 du Code civil; alors, encore, que, s'agissant de l'opération concernant la société Idet, il résulte encore des constatations de l'arrêt que le principe d'un financement était acquis, le Crédit général industriel devant prendre en charge l'acquisition des matériels; qu'il était, dès lors, délié de toute obligation à cet égard, peu important qu'un acompte, qu'il ne lui incombait pas de verser, n'ait pas été encore réglé; qu'en retenant néanmoins sa responsabilité, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé ici encore les articles
1134 et
1147 du Code civil; alors, au surplus, qu'il faisait observer dans ses conclusions d'appel, que, par son courrier du 25 septembre 1989 à la société Mors, la société Idet l'avait invitée à transmettre sa facture et demande d'acompte directement au CGI; que ceci n'avait été fait que le 13 octobre 1989, par facture visant un "règlement par chèque fin de mois", ce dont il résultait nécessairement que la société Mors ne pouvait prétendre justifier par le défaut de règlement d'acompte la rupture constatée par elle le 23 octobre 1989; qu'en ne répondant pas à ce moyen déterminant, la cour d'appel a violé derechef l'article
455 du nouveau Code de procédure civile; et alors, enfin, que le paiement des redevances constituant la contrepartie de la concession de licence exclusive stipulée et celui des commissions prévues à l'accord commercial, la contrepartie de la présentation d'acquéreurs, points sur lesquels la convention des parties avait reçu exécution, les sommes versées à ce titre devaient rester acquises au concédant; qu'en ordonnant leur remboursement, la cour d'appel a violé ensemble les articles
1134,
1147 et
1184 du Code civil;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt relève que M. X... a consenti à la société Mors la licence d'exploitation du brevet et que, par un second contrat du même jour, l'inventeur s'est réservé la recherche des acheteurs des matériels fabriqués selon le procédé breveté, des exploitants des supports publicitaires et du financement; qu'à partir de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire à la fois que les deux contrats formaient un tout indivisible et que M. X... s'était réservé un rôle initiateur dans la commercialisation des matériels produits selon le procédé breveté, ce dont il résultait qu'il ne pouvait pas être reproché au licencié réduit à un rôle subsidiaire, dès lors qu'il n'avait pas la maîtrise de la commercialisation des matériels, d'avoir manqué à son obligation principale d'exploiter la licence;
Attendu, en deuxième lieu, qu'après avoir relevé à la fois que la société Aqualand, à l'initiative de M. X..., devait acquérir quarante cinq consignes Média et que le retard apporté dans la mise au point du plan de financement après le refus de l'assurer d'une société Hexabail, avait eu pour effet que les délais de livraison ne pouvaient plus être assurés à la date d'acceptation du financement par la société Lofinor; qu'à partir de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'a pas inversé la charge de la preuve, a pu déduire que l'échec de cette opération commerciale était imputable au non-respect par M. X... de rechercher son financement;
Attendu, en troisième lieu, que, s'agissant du projet d'installation de seize consignes Média dans les magasins de la société Continent en région parisienne, l'arrêt relève qu'une partie du matériel livré à titre de test dans un des magasins a connu des défaillances, que la société Continent a maintenu son accord d'installation et qu'après modification apportée selon les indications de l'inventeur, les machines mises en place après le 1er février 1989 fonctionnaient normalement; qu'il en résulte que la cour d'appel n'a pas méconnu les termes du litige dès lors qu'il ne résulte pas des conclusions que M. X... a soutenu que les machines installées après le 1er février 1989 avaient connu des difficultés de fonctionnement;
Attendu, en quatrième lieu, que la cour d'appel, qui a retenu, par l'appréciation souveraine des preuves, que l'échec de l'opération d'implantation des machines dans les magasins de la société Continent résultait de l'impossibilité de financer l'achat du matériel, a, répondant en les rejetant aux conclusions prétendument délaissées, justifié légalement sa décision;
Attendu, en cinquième lieu, que l'arrêt relève que la société Idet a commandé, le 24 juillet 1989, à la société Mors deux consignes destinées à la société Euromarché, que la société Mors avait mis en demeure M. X..., le 19 septembre 1989, de respecter ses obligations contractuelles, notamment en obtenant pour toute commande un financement, et que l'accord relatif au financement n'a été donné par la société CGI que le 23 octobre 1989, sans qu'il soit suivi du paiement; qu'à partir de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a répondu en les rejetant aux conclusions prétendument délaissées, a pu décider que la société Mors avait été en droit, par application de la clause résolutoire du contrat, de le résilier un mois après la mise en demeure;
Et attendu, enfin, qu'après avoir retenu que l'inexécution de ses obligations contractuelles par M. X... lui était entièrement imputable, la cour d'appel a pu décider la résolution du contrat et ordonner le remboursement des redevances payées par la société Mors;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches;
Sur la demande présentée au titre de l'article
700 du nouveau Code de procédure civile :
Attendu que la société Mors demande l'allocation de la somme de 20 000 francs par application de ce texte;
Attendu qu'il y a lieu d'accueillir cette demande ;
PAR CES MOTIFS
:
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... à payer à la société Mors la somme de 20 000 francs sur le fondement de l'article
700 du nouveau Code de procédure civile;
Le condamne également, envers la société Mors et la société civile d'études et de recherches Idet, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du six mai mil neuf cent quatre-vingt-seize.