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CEDH, Cour (Troisième Section), AFFAIRE CAPOZZI c. ITALIE, 3 août 2006, 3528/03

Synthèse

  • Juridiction : CEDH
  • Numéro de pourvoi :
    3528/03
  • Dispositif : Violation de P1-1;Satisfaction équitable réservée
  • Date d'introduction : 2 décembre 1998
  • Importance : Faible
  • État défendeur : Italie
  • Nature : Arrêt
  • Identifiant européen :
    ECLI:CE:ECHR:2006:0803JUD000352803
  • Lien HUDOC :https://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-76539
  • Avocat(s) : FERRARA S.
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Résumé

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Texte intégral

TROISIEME SECTION AFFAIRE CAPOZZI c. ITALIE (Requête no 3528/03) ARRÊT STRASBOURG 3 août 2006 DÉFINITIF 03/11/2006 Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme. En l'affaire Capozzi c. Italie, La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de : MM. B.M. Zupančič, président, C. Bîrsan, V. Zagrebelsky, Mme A. Gyulumyan, MM. E. Myjer, David Thór Björgvinsson, Mme I. Ziemele, juges, et de M. V. Berger, greffier de section, Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 juillet 2006, Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 3528/03) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Davide Capozzi (« le requérant »), en son nom et au nom de ses sœurs Adele et Luisa Capozzi, a saisi la Cour le 2 décembre 1998 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). 2. Le requérant est représenté par Me S. Ferrara, avocat à Bénévent. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. I.M. Braguglia, et par son coagent, M F. Crisafulli. 3. Le requérant alléguait une atteinte injustifiée à son droit au respect de ses biens. 4. La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement. 5. Le 9 novembre 2004, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire. EN FAIT I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE 6. Le requérant est né en 1927 et réside à Rome. Il agit en son nom et au nom d'Adele et Luisa Capozzi, ses sœurs. 7. Avec ses deux soeurs, le requérants est propriétaire d'un terrain de 6 260 mètres carrés, sis à Sant'Angelo a Cupolo (Bénévent) et enregistré au cadastre, feuille 9, parcelle 116. 8. Par un arrêté du 20 juin 1978, le conseil municipal (Giunta municipale) de Sant'Angelo approuva le projet de construction d'un terrain de sport sur le terrain du requérant. Par un arrêté du 12 octobre 1978, le conseil régional (Giunta regionale) de Campanie décréta l'utilité publique de l'ouvrage à réaliser. 9. Par un arrêté du 12 décembre 1978, le maire de Sant'Angelo ordonna l'occupation d'urgence du terrain pour une durée maximale de trois ans, en vue de son expropriation. 10. Le 17 janvier 1979, il y eut occupation matérielle. 11. Le 20 avril 1979, la municipalité confia l'exécution des travaux à la société D.C.D. Le 27 avril 1979, D.C.D. entama les travaux. 12. Par un acte d'assignation notifié le 16 janvier 1987, le requérant et ses copropriétaires introduisirent une action en dommages-intérêts à l'encontre de la municipalité devant le tribunal de Bénévent. Ils alléguaient notamment que malgré la transformation du terrain par les travaux de construction et la perte de toute disponibilité du terrain, aucun décret d'expropriation n'était intervenu. Le requérant demandait à être dédommagé pour la perte de son terrain et pour non-jouissance du terrain. 13. La mise en état de l'affaire commença le 26 février 1987. 14. En 2002, un rapport d'expertise fut déposé au greffe. Selon l'expert, le terrain avait été régulièrement occupé jusqu'au 17 janvier 1982. Après cette date, l'occupation était devenue illégale. La valeur vénale du terrain en 1982 était de 40 000 ITL le mètre carré. 15. Par un jugement du 23 septembre 2004, le tribunal de Bénévent déclara que l'occupation du terrain était devenue illégale à compter du 17 janvier 1982 et constata qu'à cette date, le terrain avait été irréversiblement transformé par les travaux de construction. De ce fait, conformément au principe de l'expropriation indirecte, les intéressés avaient été privés de leur bien par l'effet de la transformation irréversible de celui-ci, et ceci à compter du 17 janvier 1982. Il y avait lieu d'accorder une indemnité de 51 291 EUR aux intéressés plus intérêts. 16. Le requérant et ses sœurs interjetèrent appel de ce jugement devant la cour d'appel de Naples. 17. Par un arrêt du 8 mars 2006, déposé au greffe le 22 mars 2006, la cour d'appel de Naples modifia le calcul de l'indexation et des intérêts sur l'indemnité et accorda ainsi la somme de 71 291 EUR. 18. La procédure est actuellement pendante dans la mesure où le délai pour recourir en cassation est ouvert. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS 19. Le droit interne pertinent se trouve décrit dans l'arrêt Serrao c. Italie (no 67198/01, 13 octobre 2005).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 20. Le requérant allègue avoir été privé de son terrain par l'effet de l'occupation de celui-ci est de la construction d'un ouvrage sur celui-ci, à défaut d'un décret d'expropriation et d'indemnisation. Selon lui, cette situation a porté atteinte à son droit au respect de ses biens garanti à l'article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. » A. Sur la recevabilité 21. La Cour constate que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable. B. Sur le fond 1. Thèses des parties a. Le requérant 22. Le requérant fait observer qu'il a perdu la disponibilité de son terrain en 1979, soit à compter du moment où le terrain a été matériellement occupé, que cette situation est devenue définitive avec l'achèvement des travaux en 1981 et l'occupation du terrain est devenue sans titre en 1982. Le requérant considère que, dans ces circonstances, il a été en substance privé de son bien, et souligne l'illégalité de cette situation, en l'absence d'un décret d'expropriation. 23. Quant à la procédure engagée en 1987 devant les juridictions civiles, celle-ci est toujours pendante. Ainsi, il n'a pas encore obtenu de décision statuant définitivement sur la situation dénoncée et sur son droit à réparation. En l'absence d'un tel jugement définitif, cette situation s'analyse en une situation d'illégalité continue, source d'incertitude et d'imprévisibilité. A cet égard, le requérant fait valoir que le principe jurisprudentiel de l'expropriation indirecte ne peut pas être considéré en tant que tel comme étant « prévu par la loi ». Dès lors, l'illégalité commise par l'administration ne constitue pas seulement un manquement aux règles qui président à la procédure administrative, mais aussi une violation substantielle de son droit de propriété. 24. Enfin, le requérant allègue qu'il ne pourra pas en tout cas demander la restitution du terrain et ne pourra que recevoir une indemnité largement inférieure au préjudice subi, étant donné la loi budgétaire no 662 de 1996 appliquée en l'espèce. b. Le Gouvernement 25. Le Gouvernement réitère les arguments avancés dans de nombreuses affaires (voir, parmi d'autres, Serrao c. Italie, arrêt précité, §§ 56-72 ; Immobiliare Cerro s.a.s c. Italie, no 35638/03, §§ 49-65, 23 février 2006) : la privation des biens résultant de l'expropriation indirecte est « prévue par la loi » et répond à un intérêt collectif d'utilité publique ; le constat d'illégalité de la part du juge est l'élément qui conditionne le transfert au patrimoine public du bien illégalement occupé ; l'illégalité commise par l'administration est un simple manquement aux règles qui président à la procédure administrative ; l'indemnisation peut être inférieure au préjudice subi par l'intéressé puisque la fixation de son montant rentre dans la marge d'appréciation laissée aux Etats. 26. A la lumière de ces considérations, le Gouvernement demande à la Cour de conclure à la non-violation de l'article 1 du Protocole no 1. 2. Appréciation de la Cour 27. Pour le requérant, il y a eu perte de disponibilité totale du terrain sans décret d'expropriation ni indemnisation, si bien qu'en substance il y aurait eu une expropriation de fait. 28. Pour le Gouvernement, le requérant a été privé de son bien à compter du moment où celui-ci a été irréversiblement transformé ou, en tout cas, à partir du moment retenu par les juridictions nationales comme moment du transfert de propriété. 29. La Cour rappelle que, pour déterminer s'il y a eu « privation de biens », il faut non seulement examiner s'il y a eu dépossession ou expropriation formelle, mais encore regarder au-delà des apparences et analyser la réalité de la situation litigieuse. La Convention visant à protéger des droits « concrets et effectifs », il importe de rechercher si ladite situation équivalait à une expropriation de fait (Sporrong et Lönnroth c. Suède, arrêt du 23 septembre 1982, série A no 52, pp. 24-25, § 63). 30. Elle rappelle que l'article 1 du Protocole no 1 exige, avant tout et surtout, qu'une ingérence de l'autorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit légale. La prééminence du droit, l'un des principes fondamentaux d'une société démocratique, est inhérente à l'ensemble des articles de la Convention (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 58, CEDH 1999-II). Le principe de légalité signifie l'existence de normes de droit interne suffisamment accessibles, précises et prévisibles (Hentrich c. France, arrêt du 22 septembre 1994, série A no 296-A, pp. 19-20, § 42, et Lithgow et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 8 juillet 1986, série A no 102, p. 47, § 110). 31. La Cour renvoie à sa jurisprudence en matière d'expropriation indirecte (Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie, no 31524/96, CEDH 2000-VI , et Carbonara et Ventura c. Italie, no 24638/94, CEDH 2000-VI ; parmi les arrêts plus récents, voir Acciardi et Campagna c. Italie, no 41040/98, 19 mai 2005 ; Pasculli c. Italie, no 36818/97, 17 mai 2005 ; Scordino c. Italie (no 3), no 43662/98, 17 mai 2005 ; Serrao c. Italie, no 67198/01, 13 octobre 2005, La Rosa et Alba c. Italie (no 1), no 58119/00, 11 octobre 2005, et Chirò c. Italie (no 4), no 67196/01, 11 octobre 2005), selon laquelle l'expropriation indirecte méconnaît le principe de légalité au motif qu'elle n'est pas apte à assurer un degré suffisant de sécurité juridique et qu'elle permet en général à l'administration de passer outre les règles fixées en matière d'expropriation. En effet, dans tous les cas, l'expropriation indirecte vise à entériner une situation de fait découlant des illégalités commises par l'administration, à régler les conséquences pour le particulier et pour l'administration, au bénéfice de celle-ci. 32. La Cour relève qu'en l'espèce, le requérant a perdu la disponibilité du terrain à compter de son occupation en 1979, et que ce terrain a été par la suite transformé de manière irréversible à la suite de la réalisation d'un ouvrage public. Le tribunal de Bénévent et la cour d'appel de Naples ont estimé que l'occupation est devenue sans titre à compter de 1982 et à cette même date le requérant a été privé de son bien. La procédure devant les juridictions internes n'est pas encore close, étant donné que le délai pour recourir en cassation est ouvert. 33. A défaut d'un acte formel de transfert de propriété susceptible de déployer ses effets et à défaut d'un jugement national déclarant qu'un tel transfert doit être considéré comme réalisé (Carbonara et Ventura précité, § 80) et éclaircissant une fois pour toutes les circonstances exactes de celui-ci, la Cour estime que la perte de toute disponibilité du terrain en question, combinée avec l'impossibilité jusqu'ici de remédier à la situation incriminée, a engendré des conséquences assez graves pour que le requérant ait subi une expropriation de fait, incompatible avec son droit au respect de ses biens (Papamichalopoulos et autres c. Grèce, arrêt du 24 juin 1993, série A no 260-B, § 45) et non conforme au principe de prééminence du droit. 34. Dès lors, il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1. II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION 35. Aux termes de l'article 41 de la Convention, « Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. » A. Thèses des parties 1. Le requérant 36. Se référant aux arrêts Carbonara et Ventura c. Italie (satisfaction équitable) (no 24638/94, 11 décembre 2003) et Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie (satisfaction équitable) (no 31524/96, 30 octobre 2003), le requérant demande à la Cour de lui accorder une satisfaction équitable susceptible d'effacer totalement les conséquences de l'ingérence litigieuse. 37. S'agissant du préjudice matériel, le requérant demande une somme correspondant à la valeur marchande actuelle du terrain plus une indemnité pour non-jouissance du terrain pendant l'occupation autorisée (environ 900 000 EUR), et une somme pour manque à gagner calculée sous forme du coût de construction des immeubles érigés. 38. S'agissant du préjudice moral, le requérant sollicite le versement de 300 000 EUR. 39. Enfin, le requérant demande le remboursement de 53 585, 53 EUR pour les frais encours dans la procédure devant la Cour, plus 649,50 EUR pour frais d'expertise. 2. Le Gouvernement 40. Selon le Gouvernement, si la Cour accordait une somme au titre d'une satisfaction équitable, le requérant pourrait être indemnisé deux fois, vu que la procédure engagée par celui-ci au niveau national est pendante. Le Gouvernement conteste ensuite les critères de calcul employés dans les arrêts Carbonara et Ventura (satisfaction équitable) et Belvedere Alberghiera S.r.l. (satisfaction équitable) précités. Il soutient en effet que la satisfaction équitable ne devra pas correspondre au dédommagement intégral du préjudice subi. Par conséquent, il argue que la Cour ne doit accorder qu'une somme correspondant à la valeur du terrain litigieux au moment de l'occupation matérielle, déduction faite des sommes éventuellement perçues au niveau national. En outre, il conteste les calculs effectués par le requérant et observe que ses prétentions ne sont pas prouvées. 41. Le Gouvernement estime qu'aucune somme n'est due au titre du préjudice moral, puisque ce type de préjudice ne saurait découler de la violation de l'article 1 du Protocole no 1 mais uniquement de la violation du « délai raisonnable ». 42. Quant aux frais encourus dans la procédure nationale, le Gouvernement s'oppose à leur remboursement. Quant aux frais encourus dans la procédure à Strasbourg, le Gouvernement observe que les prétentions du requérant sont exorbitantes. B. Appréciation de la Cour 43. La Cour estime que la question de l'application de l'article 41 ne se trouve pas en état. En conséquence, elle la réserve compte tenu de la possibilité d'un accord entre l'Etat défendeur et l'intéressé (article 75 §§ 1 et 4 du règlement).

PAR CES MOTIFS

, LA COUR, À l'UNANIMITÉ, 1. Déclare la requête recevable ; 2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 ; 3. Dit que la question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouve pas en état ; en conséquence, a) la réserve en entier ; b) invite le Gouvernement et le requérant à lui adresser par écrit, dans le délai de trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, leurs observations sur cette question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ; c) réserve la procédure ultérieure et délègue au président de la chambre le soin de la fixer au besoin. Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 août 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement. Vincent Berger Boštjan M. Zupančič Greffier Président

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