Vu la procédure suivante
:
Par une requête, enregistrée le 6 décembre 2022, M. A B, représenté par la société d'avocats Juriscal, demande au tribunal :
1°) d'annuler l'arrêté du 14 octobre 2022 par lequel le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a prononcé à son encontre la sanction disciplinaire du déplacement d'office ainsi que l'arrêté ministériel du 27 octobre 2022 portant affectation à la direction départementale des finances publiques du Pas-de-Calais à compter du 1er janvier 2023 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 350 000 francs CFP en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- cette sanction disciplinaire du déplacement d'office lui a causé de nombreux préjudices alors qu'elle est entachée de plusieurs illégalités ;
- les faits qui lui sont reprochés ne justifiaient en rien cette sanction qui apparaît disproportionnée et entachée d'erreur d'appréciation ; les propos qu'il a tenus ont été sortis de leur contexte et ne comportaient aucune connotation sexuelle même s'il reconnaît avoir pu être maladroit ; d'autres faits rapportés par des agents sont totalement inexacts et les propos qu'on lui impute sont faux ;
- ces faits ont été rapportés par seulement cinq agents sur quinze que comporte le service et auxquels il avait fait des remarques concernant leur comportement professionnel défaillant ;
- ces agents se sont ligués contre lui pour lui porter préjudice alors que les autres agents du service ont témoigné n'avoir eu aucun souci avec lui ;
- les droits de la défense ont été méconnus ainsi que la procédure contradictoire ; il a présenté un mémoire complémentaire qui ne figure pas dans la décision attaquée et la note rédigée par la direction des finances publiques de Nouvelle-Calédonie du 13 juillet 2022 ne lui a été communiquée dans son intégralité que quelques jours avant la tenue de la commission disciplinaire ;
- la décision de l'affecter dans le Pas-de-Calais constitue une seconde sanction disciplinaire dès lors qu'il ne lui a pas été laissé le choix de cette affectation comme cela aurait dû être le cas à l'issue de son séjour et il aurait dû être affecté en Loire-Atlantique, dernier département d'affectation ; il a par ailleurs été sanctionné préalablement à l'enquête disciplinaire dès lors qu'il a été mis à l'écart du service du mois d'octobre 2021 au mois de décembre 2021.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 mars 2023, le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- les décisions contestées ne sont pas entachées d'erreur d'appréciation ou de disproportion au vu des faits constatés ; neuf agents ont émis un signalement sur dix-huit agents travaillant à la paierie, responsable exclu ; les faits sont établis au vu des témoignages recueillis et des auditions effectuées ; aucun élément ne permet d'établir que ses deux adjoints et sept agents se seraient ligués contre lui ;
- il a ainsi été constaté l'impossibilité de laisser le requérant exercer ses fonctions tout en retenant une sanction du deuxième groupe, justifiée et proportionnée aux fautes commises ;
- la nouvelle affectation du requérant a été déterminée au vu de ses défaillances managériales en retenant des fonctions administratives et non comptables, ce qui ne saurait être regardé comme une nouvelle sanction disciplinaire ;
- l'affectation de l'intéressé dans le Pas-de-Calais a été faite dans le cadre d'une sanction disciplinaire et non d'une mutation de sorte que le dispositif de retour mentionné par l'intéressé n'est pas opérant ;
- les mesures prises entre octobre et décembre 2021 sont uniquement conservatoires et ne constituent aucunement des sanctions disciplinaires ;
- M. B a pu bénéficier de ses droits à la défense : il a reçu notification par courrier du 20 avril 2022 de l'engagement de la procédure disciplinaire et de ses motifs, par lettre du 29 avril 2022, ainsi que de son droit de prendre connaissance de son dossier et d'être assisté par un défenseur de son choix ; il a signalé son souhait de comparaître devant la commission de discipline, a consulté son dossier individuel le 4 mai 2022 et le 13 septembre 2022 et présenté des observations en défense le 10 mai 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pilven, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Peuvrel, rapporteure publique,
- et les observations de Me Blaise de la SELARL Juriscal représentant M. B et de M. C représentant le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.
Considérant ce qui suit
:
1. M. B, inspecteur divisionnaire des finances publiques hors classe affecté depuis le 1er septembre 2021 comme comptable de la paierie de Nouvelle-Calédonie, a fait l'objet, par arrêté du 14 octobre 2022 du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique d'une sanction disciplinaire de déplacement d'office et d'un arrêté de mutation du 27 octobre 2022 à la direction départementale des finances publiques du Pas-de-Calais à compter du 1er janvier 2023. Il demande l'annulation de ces deux arrêtés.
Sur la demande d'annulation de l'arrêté du 14 octobre 2022 :
2. Aux termes de l'article
L. 532-4 du code général de la fonction publique : " Le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes.
L'administration doit l'informer de son droit à communication du dossier.Le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à l'assistance de défenseurs de son choix. ". Aux termes de l'article L. 532-5 du même code : " Aucune sanction disciplinaire autre que celles classées dans le premier groupe de l'échelle des sanctions de l'article
L. 533-1 ne peut être prononcée à l'encontre d'un fonctionnaire sans consultation préalable de l'organisme siégeant en conseil de discipline au sein duquel le personnel est représenté.
L'avis de cet organisme et la décision prononçant une sanction disciplinaire doivent être motivés. "
3. M. B soutient que le principe des droits de la défense a été méconnu dès lors qu'il a présenté un mémoire complémentaire qui n'a pas été repris dans les visas de l'avis rendu par le conseil de discipline et que la note du 13 juillet 2022 de la direction des finances publiques de Nouvelle-Calédonie ne lui a pas été présentée dans son intégralité, lors de son entretien du 13 juillet 2022 mais uniquement quelques jours avant la réunion du conseil de discipline. Toutefois, il n'est pas contesté que M. B a eu connaissance des griefs qui lui étaient reprochés par un courrier du 20 avril 2022, notifié le 29 avril 2022, portant engagement de la procédure disciplinaire, et que ce courrier lui rappelait ses droits, notamment la possibilité de prendre connaissance de son dossier et de se faire assister par un défenseur de son choix. Par ailleurs, M. B a pu prendre connaissance de son dossier individuel le 4 mai 2022, puis le 13 septembre 2022 et présenter des observations le 10 mai 2022. La circonstance que l'arrêté du 14 octobre 2022 ne comporte pas la mention du mémoire complémentaire produit en cours de séance du conseil de discipline est sans incidence sur le respect des droits de la défense dès lors que le requérant a pu pendant trois heures, accompagné d'un représentant syndical, présenter sa défense et qu'il n'a ainsi pas été privé de la garantie de ses droits.
4. Aux termes de l'article
L. 530-1 du code général de la fonction publique : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale () ". Aux termes de l'article
L. 533-1 du même code : " Les sanctions disciplinaires pouvant être infligées aux fonctionnaires sont réparties en quatre groupes :() 2° Deuxième groupe : () d) Le déplacement d'office dans la fonction publique de l'Etat () ". Par ailleurs, aux termes de l'article
L. 131-3 du même code : " Aucun agent public ne doit subir d'agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d'une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. ".
5. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
6. M. B soutient que la matérialité de certains faits sur lesquels se fonde la sanction disciplinaire du déplacement d'office n'est pas établie, que d'autres faits ont été sortis de leur contexte, que s'il a pu faire preuve d'une certaine maladresse, cette circonstance trouve sa justification dans la situation délicate qu'il a trouvée en prenant ses fonctions, l'ayant conduit à former des remarques ou des observations parfois mal perçues et à se heurter à des refus de certains membres du personnel de respecter les règles strictes qui s'imposaient et qu'en tout état de cause si cinq agents ont émis des signalements à son encontre, cinq autres agents ont témoigné en sa faveur pour souligner que son comportement dans le cadre du travail ne soulevait aucune difficulté. Il ressort toutefois des attestations produites et des témoignages de certains agents que M. B a utilisé à l'encontre de certains agents féminins des termes péjoratifs, sexistes, vulgaires et déplacés, qui ont pu légitimement les choquer et créer une situation de malaise. Par ailleurs, neuf agents sur les dix-huit que comporte la paierie ont émis une fiche de signalement à l'encontre de M. B pour dénoncer cette situation et deux agents ont porté plainte devant le procureur de la République. Aucun élément du dossier ne permet de retenir, comme le soutient l'intéressé, que les fiches de signalement produites par les agents du service auraient pour seule motivation de nuire à M. B en réaction aux remarques qu'il a pu faire, relative au fonctionnement du service. Les agissements répréhensibles de M. B, de surcroît à l'égard de personnes placées sous son autorité, ont ainsi constitué des fautes de nature à justifier une sanction disciplinaire. Ces fautes ayant contribué à perturber de façon grave le bon fonctionnement du service et à porter atteinte à la dignité des fonctions de responsable de la paierie qu'il exerçait, la sanction du deuxième groupe du déplacement d'office qui lui a été infligée ne présente pas de caractère disproportionné.
Sur la demande d'annulation de l'arrêté du 27 octobre 2022 :
7. M. B ne peut utilement soutenir que son affectation à la direction des finances publiques du Pas-de-Calais sur des fonctions administratives et non comptables, ayant été décidée de manière arbitraire, sans respect des règles portant sur les mouvements annuels de mutation, serait constitutive d'une seconde sanction disciplinaire dès lors qu'il n'a pas fait l'objet d'une mutation mais d'une sanction disciplinaire de déplacement d'office qui n'imposait nullement à l'administration de recueillir son avis ou de respecter les règles afférentes aux mouvements de mutation. Par ailleurs, les mesures prises par le directeur des finances publiques de Nouvelle-Calédonie pour organiser le service entre le mois d'octobre 2021 et le mois de décembre 2021 en décidant d'éviter tout contact physique, téléphonique ou par courriel entre l'intéressé et les agents du service de la paierie ne peuvent être assimilées à une sanction disciplinaire déguisée ou supplémentaire à celle du 14 octobre 2022 mais doivent être regardées comme prises dans un souci de permettre le bon fonctionnement du service tout en préservant les agents l'ayant mis en cause pour son comportement.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la demande d'annulation de M. B doit être rejetée ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. B est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. A B et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 11 mai 2023, à laquelle siégeaient :
M. Sabroux, président,
M. Pilven, premier conseiller,
M. Briquet, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 mai 2023.
Le rapporteur,
SIGNÉ
J-E. PILVENLe président,
SIGNÉ
D. SABROUXLe greffier de chambre,
J. LAGOURDE
La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
cb